Discussion:Joaquim Pedro de Andrade
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== Contexte historico-esthétique et analyse des films == On peut effectuer un parallèle entre la bossa nova et le cinema Novo, nés au même endroit, Rio de Janeiro, quasiment au même moment, le milieu des années 1950. La bossa nova est la synthèse du jazz cool américain et de la samba brésilienne. Le cinema Novo, comme toutes les principales vagues cinématographiques d’après-guerre (y compris la française), s’inspire essentiellement du néo-réalisme italien. Ce mouvement artistique radical met fin au règne de la chanchada brésilienne, comédie musicale souvent bêtifiante. Les cinéastes vont tourner dans les rues des histoires de prolétaires souvent interprétées par des non professionnels. Le véritable précurseur du cinema Novo sera Nelson Pereira dos Santos avec le film Rio, 40°, en 1955 ; une journée dans la vie de cinq habitants des favelas. À la suite de quoi, un groupe d’étudiants cinéphiles, s’engouffrant dans la brèche réaliste ouverte par dos Santos, se lance dans la réalisation au début des années 1960. Le chef de file officieux de ce mouvement informel, rebaptisé cinema Novo par la presse, sera Glauber Rocha, le plus lyrique et politique des cinéastes sud-américains. Ses amis cinéastes, comme Carlos Diegues, Leon Hirszman et Joaquim Pedro de Andrade collaborent aux films des uns et des autres. Mais comme tous les mouvements, le cinema Novo reste une étiquette réductrice. De Andrade, qui a fait en 2007 l’objet d’une rétrospective et de l’édition intégrale de ses films (remarquablement restaurés) en DVD, est très difficilement réductible au cinema Novo et comparable à Glauber Rocha.
Le style des premiers courts métrages de Joaquim de Andrade, à caractère documentaire, reste assez académique. Mais le troisième, Peau de chat (Couro de Gato) datant de 1961, rejoint les préoccupations esthético-sociales de Pereira dos Santos. Une incursion dans le néo-réalisme à la brésilienne qui sera de courte durée. Après un documentaire sur le football (Garrincha, Alegria do Povo), où le cinéaste fait ses gammes de monteur, il aborde le long métrage en 1965 avec Le Prêtre et la jeune femme (O Padre e a Moça), au thème gentiment progressiste (un prêtre tombe amoureux d’une jeune femme), qui sera finalement le seul film “novo” du cinéaste. Toujours fidèle au filmage graphique en noir et blanc, très classique, le cinéaste conjugue, selon Rocha, le rigorisme de Robert Bresson et l’étrangeté de Luis Buñuel. Un film moderne indéniablement, mais pas révolutionnaire. La véritable rupture se produira avec son deuxième film, Macunaïma, qui par la même occasion sort du mouvement novo, trop occidentalisé, pour en inaugurer un autre, plus durable et plus proche des racines primitives du Brésil, qui aura également son équivalent musical : le tropicalisme. Synchrone avec tous les soubresauts politico-moraux qui agitent le monde à l’époque, avec le Flower Power, le tropicalisme brésilien est une agit-prop carnavalesque qui jette à la face du régime fasciste en place depuis 1964 une explosion de couleur et de liberté. Le baroquisme sud américain, renoue avec la fantaisie débridée de la chanchada, mais sur un mode bien plus sauvage.
Macunaïma, adaptation du roman précurseur du réalisme magique de Mario de Andrade, est un conte philosophique en forme de farce, truffé d’ellipses abruptes, de métamorphoses naïves, qui contient pratiquement tous les thèmes ultérieurs de l’œuvre de Pedro de Andrade : le sarcasme, l’érotisme et l’engagement politique. Le tout est exprimé sur un mode pop ultra-coloré et stylisé, synchrone avec le meilleur Godard ou William Klein de l’époque. Macunaima, candide noir né petit mais adulte d’une horrible mère archaïque, se transforme en beau jeune homme blanc qui va traverser la jungle des villes et des hommes comme dans un rêve sensuel et absurde – vivant au passage une aventure avec une pasionaria féministe qui mitraille à tout va.
Sans clairement dénoncer une situation précise, car il travaillait sous un régime fasciste, Pedro de Andrade n’aura de cesse d’attaquer l’establishment par tous les bouts, même dans ses documentaires de commande, qu’il avait le don de détourner subtilement. Son troisième long métrage, Les Conspirateurs (Os Inconfidentes), illustration de fin de la vie d’un héros national, Tiradentes, martyr de l'indépendance brésilienne, était une manière de dénoncer la dictature sans s’attirer ses foudres. Quant à Guerre conjugale (1974), qui entremêle trois histoires, le cinéaste y pousse le sensualisme dans ses retranchements pervers, en relatant sur un mode grinçant des cas de frustration sexuelles divers et variés ; cette satire hilarante du machisme montre ce qu’aurait pu être la comédie à l’italienne (Dino Risi, Ettore Scola), si elle avait été un peu plus fine et profonde. Mais le sommet érotique du cinéaste sera Sentier tropical (Vereda Tropical), épisode du film Contos Eróticos (1977), où de Andrade renoue en quelque sorte avec ses débuts semi-documentaires. D’une grande liberté documentaire, le film tourné dans les rues parmi les passants, met en scène un jeune prof qui raconte à une jeune fille son obsession onaniste pour les pastèques. À la suite de quoi, ils vont au marché choisir des légumes avec lesquels ils s’apprêtent à tenter des expériences érotiques… Le cinéaste n’a pas poursuivi sur ce mode naturaliste pour son dernier long-métrage, O Homem do Pau-Brasil (1981), évocation libre et (trop) apprêtée à la fois, des expériences d’un groupe de poètes des années 1930.
La relation entre le Cinema Novo et la littérature était beaucoup plus intense et traversait l’ensemble des films : elle découlait d’une ambition partagée aussi bien avec le modernisme de 1922 qu’avec le roman régionaliste du Nordeste brésilien des années 1930. L’ambition de renouveler totalement l’expression elle-même, c’est-à-dire d’élaborer un langage national en puisant dans les éléments de la culture et de la mythologie nationales, d’une part. Et l’ambition de contribuer à la dénonciation du sous-développement, d’autre part. Cette visée caractérisait particulièrement les tendances les plus radicales de la création contemporaine : Oswald de Andrade et son mouvement anthropophagique, Graciliano Ramos, João Guimarães Rosa.