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Discussion:Heinrich Rickert

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Quelques phrases par Philippe Descola pour les intéressés[modifier le code]

Descola, Philippe. Par-delà nature et culture. 2e éd.e éd. Paris: Gallimard, 2015, p.146-148.


"C’est toutefois à Heinrich Rickert, notamment dans Kulturwissenschaft und Naturwissenschaft (1899), que l’on doit l’entreprise la plus aboutie de classification des sciences, celle qui délimite avec la plus grande rigueur logique leurs méthodes et leurs objets respectifs ; celle en tout cas qui a exercé l’influence la plus marquante, non seulement sur les contemporains de Rickert, son ami Max Weber au premier chef, mais aussi sur de grandes figures de la philosophie allemande du xxe siècle, de Heidegger à Habermas. Il revient d’abord à Rickert d’avoir substitué l’expression « sciences de la culture » à celle, plus courante à son époque, de « sciences de l’esprit ». La nouveauté n’est pas seulement terminologique. La dénomination « sciences de l’esprit » pouvait prêter à confusion et, comme chez Dilthey, donner à entendre que les humanités traitent de la seule vie psychique, de la dimension spirituelle des phénomènes, comme si c’était là une réalité intrinsèque qui nous serait donnée indépendamment des choses dont s’occupent les sciences de la nature. Or, en bon kantien, Rickert tient que nous vivons et percevons la réalité comme un continuum disparate dont la segmentation en domaines discrets n’émerge qu’en fonction du mode de connaissance que nous lui appliquons et des caractéristiques dont nous opérons la sélection : le monde devient nature quand nous l’envisageons sous l’aspect de l’universel, il devient histoire quand nous l’examinons sous les espèces du particulier et de l’individuel. Plutôt que de distinguer entre une approche nomothétique et une approche idiographique, il convient donc de considérer l’activité scientifique comme une seule et même démarche, visant un objet lui-même unique, mais au moyen de deux méthodes différentes : la généralisation, typique des sciences de la nature, et l’individualisation dont les sciences de la culture ont acquis l’apanage. C’est pourquoi, loin d’être une voie d’accès privilégiée aux réalisations humaines, la psychologie brandie par les historiens appartient de droit aux sciences de la nature en ce qu’elle a pour objectif de découvrir les lois universelles des fonctions mentales. Par quel critère, alors, reconnaître ce qui, dans le foisonnement indifférencié du monde, est susceptible de conduire à des généralisations ou, au contraire, à une réduction au particulier ? Les sciences de la culture, répond Rickert, s’intéressent à ce qui prend une signification pour l’humanité tout entière ou, du moins, à ce qui vaut pour tous les membres d’une communauté. Autrement dit, du point de vue de leur traitement scientifique, c’est dans leur rapport à la valeur que les processus culturels se différencient des processus naturels.

En distinguant entre des objets dénués de sens dont l’existence est déterminée par des lois générales, et des objets que nous appréhendons dans leur singularité en vertu de la valeur contingente qui leur est attachée, Rickert met à mal les fondements du dualisme ontologique : à peu près toute réalité peut être appréhendée sous l’un ou l’autre de ses aspects, selon qu’elle est prise dans sa factualité brute et opiniâtre, ou bien du point de vue des désirs et usages dont l’ont investie ceux qui l’ont produite ou l’ont conservée intentionnellement. Mais une telle clarification se paie d’une séparation épistémologique implacable entre deux champs d’investigation et deux modes de connaissance désormais parfaitement hétérogènes, une séparation sans doute plus étanche que celle découlant de la simple subsomption des entités du monde dans deux registres d’existence indépendants. Entre l’humain et le non-humain n’existent plus la discontinuité radicale de la transcendance ni les ruptures introduites par la mécanisation du monde ; c’est à nos yeux seulement qu’ils se différencient et selon la manière dont nous choisissons de les objectiver car « l’opposition entre nature et culture, pour autant qu’il s’agisse d’une distinction entre deux groupes d’objets réels, est véritablement le fondement de la division des sciences particulières ». En bref, l’opposition n’est pas dans les choses ; elle est construite par l’appareillage permettant de les discriminer, un dispositif qui va devenir de plus en plus efficace à mesure que les sciences humaines, délaissant la spéculation sur les origines au profit des enquêtes empiriques, vont commencer à apporter la preuve de leur légitimité en accumulant les connaissances positives. Peu importe ici que Rickert, comme beaucoup de ses contemporains, ait eu tendance à ranger l’étude des Naturwölker dans les sciences naturelles, la juridiction générale qu’il établit va dessiner en creux l’espace où l’anthropologie du xxe siècle pourra se déployer : l’étude des réalités culturelles en tant qu’elle s’oppose à l’étude des réalités naturelles." Milgui (discuter) 2 mai 2023 à 21:29 (CEST)[répondre]