Altalena

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Altalena
Cargo avec un incendie partant du centre du pont, très proche de la plage, dégageant une fumée très épaisse.
L’Altalena incendié par l’armée régulière israélienne, le 22 juin 1948.

Autres noms LST-138
Type Navire d'immigration juif (d)
Histoire
Fabrication acier
Acquisition mai 1947
Statut Envoyé par le fond le
Caractéristiques techniques
Maître-bau ou
Carrière
Propriétaire Irgoun
Pavillon Drapeau du Panama Panama

Maquette de l’Altalena.

L’Altalena est un bateau que l'Irgoun a utilisé en 1948 pour importer clandestinement des armes en Israël, État alors tout nouvellement créé. Ce bateau est attaqué et incendié par Tsahal le , sur ordre du premier ministre David Ben Gourion.

Contexte[modifier | modifier le code]

Israël a proclamé son indépendance le 14 mai 1948. La guerre israélo-arabe se déclenche immédiatement

Dans le contexte de l'unification des forces armées sionistes (Palmah, Haganah, Irgoun et Lehi), décidée par le gouvernement provisoire de l'État d'Israël, à la suite de l'ordonnance du 26 mai 1948 créant l'armée israélienne (Tsahal), le bateau Altalena arrive au large de Tel Aviv, chargé d'armes pour l'Irgoun ainsi que de 800 immigrants.

Histoire[modifier | modifier le code]

Achat[modifier | modifier le code]

Le bateau est acheté en juin 1947 par le comité hébraïque de libération de la nation, aux États-Unis[1]. L’intermédiaire fut Avraham Stavsky, condamné puis acquitté en appel pour l’assassinat de Haïm Arlozoroff[1], battant pavillon panaméen, avait été baptisé ainsi par l'Irgoun (organisation clandestine armée en Palestine mandataire), en référence au nom de plume de son inspirateur, Zeev Vladimir Jabotinsky (1880-1940), chef de file du mouvement sioniste révisionniste, partisan de la lutte armée contre le Royaume-Uni et opposant au partage de la Palestine mandataire[1].

Chargement[modifier | modifier le code]

Le navire, l’ancien Landing Ship Tank USS LST-138[2], jette l’ancre à Port-de-Bouc, dans le sud de la France, en mai[3]. Avec l’accord de Georges Bidault, ministre des Affaires étrangères du gouvernement Shuman, donne son accord[4]. Le ministre des Affaires étrangères pose comme seule condition que les armes n’arrivent qu’après le retrait britannique complet[1]. Une autre condition aurait été que le futur État protège les institutions catholiques françaises[5]. Si les motivations du gouvernement français n’étaient pas claires, Bidault semblait préoccupé par une éventuelle annexion de Jérusalem à la Jordanie ; un membre de son cabinet, Henri Coudraux, impliqué dans les négociations, affirme en 1949 en répondant à une enquête, que la France a « passé un accord secret avec l’Irgoun, qui a promis des avantages s’il arrivait au pouvoir. » et que le représentant de l’Irgoun, Shmuel Ariel, comme « un terroriste qui ne représente pas une organisation légitime et agit pour prendre le pouvoir par la force »[4].

La cargaison contient environ 5 000 fusils, 250 mitraillettes, 5 millions de cartouches[1]. Elle contient aussi des grenades, des explosifs, de l’artillerie, et 5 blindés. Certains équipements sont vendus, d’autres donnés[6]. La valeur de la cargaison est estimée à 153 millions de francs ;

Outre les armes, le bateau transporte 800 migrants juifs, dont Saül Friedlander, devenu depuis historien, et Dov Shilansky, futur président de la Knesset (1988-1992, sous l’étiquette Likoud)[1].

Trajet de France en Israël[modifier | modifier le code]

L’Altalena quitte le port de Marseille le 11 juin, lendemain du cessez-le-feu du 10 juin négocié par le comte Bernadotte et qui prévoit l’interdiction pour les parties de se faire livrer des armes pendant toute sa durée. Menahem Begin aurait ordonné par radio de ne pas lever l’ancre, mais le message ne fut pas reçu[1]. Le 12 juin, Menahem Begin envoie un nouveau message qui n’est pas reçu par le bateau[1].

Négociations[modifier | modifier le code]

La destination et la répartition de l’armement de l’Altalena fait l’objet de discussions entre le gouvernement provisoire israélien et l’Irgoun. Le 13 juin, Menahem Begin donne son accord pour remettre la cargaison gratuitement au gouvernement provisoire[1]. Celui-ci demande que le déchargement ait lieu à Kfar Vitkin, loin des yeux des observateurs de l’ONU, et peuplé de militants de son parti, le Mapaï[1]. Mais c’est la question du partage des armes qui fit capoter les négociations : Begin voulait se faire de la publicité, et réclamait 20 % du chargement ; David Ben Gourion, qui vient de créer une armée unifiée à partir des milices armées juives (Haganah, Etzel ou Irgoun, Palmach), refuse de voir s’en créer une nouvelle. Il accepte néanmoins[7].

Il donne l’ordre de tirer si les militants à bord du navire n’obéissent pas[1].

Dans les plans de Begin, entrait aussi l’espoir de pouvoir faire parvenir des armes à ses partisans combattant à Jérusalem[8], placée sous mandai international et où l’Irgoun conservait son autonomie[9].

Arrivée du navire en Palestine et combats[modifier | modifier le code]

Le 20 juin, l’Altalena arrive à Kfar Vitkin, à 30 km au nord de Tel Aviv. Des dizaines de soldats, anciens de l’Irgoun, quittent leurs garnisons pour aller assister au débarquement. Les 800 passagers descendent[1] et le déchargement des munitions commence, la plage étant encerclée par l’armée israélienne. Dan Epstein, commandant des forces israéliennes présentes, donne un ultimatum. Les représentants de l’Irgoun acceptent de remettre les armes, à condition que la garde en soit partagée entre l’Irgoun et l’armée[10]. Des anciens de l’Irgoun, désertant les FDI, ont rejoint la côte et tentent de franchir les barricades ; des échanges de coups de feu ont lieu, faisant quatre morts dans les rangs de l’Irgoun, et deux dans ceux des FDI[8]. Un autre combat a lieu à Beit Dagan entre les mêmes protagonistes[8].

Le 21 juin, prenant au sérieux l’ultimatum de Ben Gourion, appuyé par des tirs de canon, Begin ordonne de lever l’ancre pour Tel Aviv[1] où il a plus de partisans[8]; une rumeur se répand selon laquelle Begin a été tué[1]. La marine israélienne envoie deux frégates pour arraisonner le navire, mais le commandant Monroe (Emmanuel) Fein leur échappe après avoir essuyé quelques tirs sans conséquences[8]. Le 22 juin à minuit, il arrive devant Tel Aviv, près du QG de l’ONU[1]. Il jette l’ancre à 100 mètres du rivage, face à l’hôtel Ritz où se trouve le QG du Palmach, à l’endroit où d’autres navires de réfugiés avaient déjà débarqué, espérant que ce serait pour un signe d’apaisement[8]. Là, il est soutenu par des centaines de manifestants prévenus par tracts[8], criant le slogan « Des Juifs ne tirent pas sur des Juifs », et il fait commencer le déchargement des munitions[1].

Ben Gourion croit à la possibilité d’un putsch ; le gouvernement se réunit en urgence et impose le couvre-feu[8]. La brigade Kiryati évacue la côte et ordre est donné de bloquer tous les accès à la ville[8]. L’armée israélienne est présente, en l’espèce une ancienne unité du Palmach[1]. Yitzhak Rabin est alors en permission à Tel Aviv, et se trouve être l’officier le plus gradé sur place[11]. Un canot est envoyé par l’Altalena pour négocier, sans succès[8].

Les combats commencent à 7 heures du matin[12]. Les combattants de l’Irgoun commencent alors à débarquer en armes, et commencent à faire le siège du QG du Palmach[8] : c’est le début des combats, rapidement interrompus par une trêve destinée à évacuer les blessés de part et d’autre[8]. Les habitants de la ville manifestent pour interrompre les combats, sans succès[8]. Le chef du Palmach, Yigal Alon, prend le commandement de l’opération ‘Purge’, mais de nombreux soldats refusent d’y participer. Ce sont les brigades Carmeli, Negev et Yiftach qui mènent les opérations[8]. Israël Rokah, maire de Tel Aviv, intervient pour se proposer comme intermédiaire, proposition rejetée par Ben Gourion[13].

Alon renouvelle l’ultimatum demandant la reddition inconditionnelle, qui est rejeté ; Ben Gourion ordonne alors le tir d’artillerie[8]. À 16 heures, l’artillerie ouvre le feu sur l’Altalena et le touche, le coulant[1]. Le navire est évacué par les militants de l’Irgoun[1]. Begin, qui ne savait pas nager, est évacué en canot de sauvetage[1].

Le Palmach et l’armée israélienne ne reprennent le contrôle de la côte que dans la soirée[8]. L’Irgoun voit ses militants arrêtés dans tout le pays dans la soirée[14]. Exprimant son refus de l'existence de plusieurs factions armées, après l'indépendance proclamée le 14 mai 1948 à Tel Aviv, Ben Gourion, devenu le premier Premier ministre de l'État d'Israël le , fait alors tirer, les 21 et , sur les membres de l’Irgoun, qui essayent de débarquer les armes. Le bateau, bombardé par un détachement d'artillerie, est coulé. Lors de l'assaut contre le bateau, effectué par un commando de Tsahal, il y a 18 morts : 16 membres de l'Irgoun et deux soldats de la jeune armée israélienne[1]. Parmi les morts se trouve Avraham Stavsky[8]. Plusieurs arrestations sont effectuées[1].

Un des passagers sur l’Altalena était Saul Friedländer, qui raconte cet épisode dans son livre Quand vient le souvenir.... Selon lui, l’Altalena était devenu le point de mire des différentes tendances des Israéliens et des Arabes restés en Palestine[15].

Eytan Haber, dans sa biographie de Menahem Begin, rappelle l'implication d'Yitzhak Rabin dans cet épisode tragique[16]. Rabin fut detesté par la droite pendant des décennies, et son assassinat fut justifié par un rappel de l’Altalena[17].

Dans la mémoire[modifier | modifier le code]

Stèle sur la plage de Tel-Aviv commémorant les victimes de l’Altalena.

Le soir même, Menahem Begin prononce un discours célèbre, dit « Le discours des larmes » à la radio ‘’Voix de Jérusalem combattante’’, ordonnant à ses partisans de déposer les armes. Il resta toute sa vie convaincu que Ben Gourion avait voulu l’éliminer[1]. L’épisode lui fournit aussi, selon Frédéric Encel, « une posture d’honneur et d’intégrité morale qui lui servit plus tard »[18].

Arthur Koestler était présent sur les lieux et a témoigné des faits, notamment de l’intervention d’Israël Rokah[19].

La revue trimestrielle du mouvement étudiant Tagar (droite sioniste) porte également le nom d'Altanena, en souvenir de Vladimir Jabotinsky.

En 2008, le dramaturge israélien Motti Lerner en a fait le sujet d’un long-métrage, Altalena[20]. L’évènement est parfois jugé comme la pire décision d’un gouvernement israélien[21].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. a b c d e f g h i j k l m n o p q r s t u v et w Jean-Marie Allafort, « Le drame de l’Altalena », juif.org, 27 juillet 2009, consulté le 20 mai2024.
  2. « USS LST-138 », sur NavSource Online: Amphibious Photo Archive
  3. Patrick Pesnot, « Juin 1948 : l’Altalena », Rendez-vous avec X, Radio-France, août 2022, début 6:54.
  4. a et b Meir Zamir, "'Bid' for Altalena: France's covert action in the 1948 war in Palestine," Middle Eastern Studies, vol 46 (2010) 17–58. Author's summary here.
  5. P. Pesnot, op. cit., début 17:48
  6. P. Pesnot, op. cit., début 7:48
  7. P. Pesnot, op. cit., début 20:11
  8. a b c d e f g h i j k l m n o p et q Shir Aharon Bram, « Jews Shooting Jews: A Look Back at the Days of the Altalena Affair », 5 juillet 2022, consulté le 20 mai2024.
  9. P. Pesnot, op. cit., début 9:58
  10. P. Pesnot, op. cit., début 28:18
  11. P. Pesnot, op. cit., début 29:45
  12. P. Pesnot, op. cit., début 31:00
  13. P. Pesnot, op. cit., début 36:50
  14. P. Pesnot, op. cit., début 32:20
  15. Saul Friedländer, Quand vient le souvenir..., Éditions du Seuil, 1978, pp. 164-171 (ISBN 2-02-004962-7)
  16. Eitan Haber, Menahem Begin: The Legend and the Man, Delacorte Press, 1978, p. 321 (ISBN 0-440-05553-9).
  17. P. Pesnot, op. cit., début 30:00
  18. Frédéric Encel, « [https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2005-3-page-31.htm L’armée israélienne et ses spécificités géopolitiques) », Confluences Méditerranée, 2005, no 54, p. 31-40, note 4.
  19. P. Pesnot, op. cit., début 36:40
  20. https://www.avclub.com/tv/reviews/altalena-2008.
  21. Israel Valley Desk, « 75 ans d’existence. La pire décision d’Israël ? L’Altalena, attaqué et incendié par Tsahal le 22 juin 1948. », Chambre de commerce France-Israël, 27 avril 2023, consulté le 20 mai 2024.

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