Œufs à la tripe

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Œufs à la tripe
Image illustrative de l’article Œufs à la tripe
Œufs à la tripe façon Louis Liger

Température de service Chaud
Ingrédients oignons, œufs durs
Mets similaires au vin, au lait
Classification entrée, garniture

Les œufs à la tripe, rarement œufs en tripe, sont une vieille recette d'œufs durs aux oignons, dont les variantes sont nombreuses.

Dénomination[modifier | modifier le code]

En anglais et en russe[1] on utilise le terme œufs à la tripe, en français dans le texte[2]; Eier mit Sahnen Sauce se rencontre en allemand[3].

On dit œufs à la tripe car les œufs durs sont coupés en lanières.

Histoire[modifier | modifier le code]

Longtemps sans oignons[modifier | modifier le code]

En 1656, Pierre de Lune publie sa recette des œufs en tripe (expression rarement employée par la suite), ce sont des œufs durs frits aux champignons et au vinaigre mais sans oignons[4], François Massialot, vers 1725, la reprend à l'identique[5]. En 1662, L'Escole parfaite des officiers de bouche donne ses œufs en tripe à la sauce blanche, mais toujours sans oignon[6].

Avec oignons, mais sans liaison à la crème[modifier | modifier le code]

En 1700, Louis Liger donne la recette classique avec l'oignon: « Prenez des œufs, faites-les durcir, coupez-les en rouelles, passez-les au beurre; cela fait, mettez y du vin assaisonnez de sel et de poivrer, n'oubliez pas d'y mettre des oignons coupez aussi en rouelles, et passés de même au beurre; laissez le tout cuire ainsi; étant cuit, délayez des jaunes d'œufs durs que vous aurez exprès laissés pour cela, jetez-les dans vos œufs, laissez-les bouillir, et sitôt que vôtre fricassée fera assez tarie, servez-la après y avoir mis de la moutarde[7]. » En 1731, Vincent La Chapelle, donne trois versions de cette entrée chaude, la simple (œufs durs tranchés cuit au beurre avec des oignons, mouillés au lait sel poivre et persil), à l'italienne (dans l'huile, avec ail et jus de citron), au roux (idem avec de la moutarde)[8]. François Marin (1758) donne des œufs à la tripe aux petit pois, aux cornichons, et une recette type aux oignons mais distincte de ses œufs à la béchamel[9]. Longtemps ils vont rester une fricassée d'œufs durs coupés en tranches[10].

Dans le Cuisinier Royal paru en 1693

Les recettes classiques au XIXe siècle[modifier | modifier le code]

Chez Antoine Beauvilliers (1835) on se rapproche de la recette actuelle avec une liaison à la crème[11], Alexandre Dumas la reprend[12], la version d'Escoffier étant à la béchamel crémée et aux oignons: « Œufs durs coupés en rondelles enrobés de sauce béchamel à la crème dans laquelle on aura additionné par demi-litre de sauce une cuillerée d'oignon très légèrement blondi au beurre. Dresser en légumier[13] ». L'expression est majoritairement utilisée au XIXe siècle, avec un retour en grâce autour de 1940[14].

Dans la mouvance des œufs à la tripe[modifier | modifier le code]

Œufs à la lyonnaise[modifier | modifier le code]

L'origine des œufs à la tripe est inconnue[15]. A. Bautte (1906) place sa recette des œufs à la tripe à la suite des œufs durs à la lyonnaise qui sont des œufs à la tripe avec une sauce béchamel au lait[16] : la différence avec les œufs à la tripe n'est pas évidente. Les œufs à la lyonnaise apparaissent avec Carème (1822)[17] en cuisine sucrée (punch aux œufs à la lyonnaise[18]) et sont décrits par la suite (1831) comme une variante des œufs à la tripe (présentation des jaunes)[19]. Même s'ils sont largement postérieurs, la cuisine lyonnaise les revendique[20]: les œufs en tripes à la lyonnaise peu coûteux et sans prétention écrit le Sunday Time en 1950[21], Myriam Esser-Simons les qualifié de spécialité typiquement lyonnaise[22], Elizabeth David en 2013 tente une explication: les convent eggs sont selon elle la dénomination alternative d'œufs à la lyonnaise à cause de la présence des oignons dans la sauce, « puisque les oignons sont associés par tradition populaire à la cuisine lyonnaise ». Ces convent eggs — œufs des couvents — se rencontrent comme une recette irlandaise (œuf poché nappé d'une béchamel à l'oignon)[23] parfois avec du parmesan[24] (à ne pas confondre avec les œufs à la religieuse qui sont un flan sucré[25]).

Pour ajouter à la confusion Austin de Croze (1928) donne aux œufs au plat à la lyonnaise (aux oignons) une origine bressane[26].

Œufs en tripe chez Pierre de Lune

Œufs durs Soubise[modifier | modifier le code]

La sauce Soubise apparait chez Carème qui notamment en nappe des œufs frits, c'est une béchamel à l'oignon[27] (nouilles garnies d'œufs Soubise aux moules[28]). Plus tard Urbain Dubois (1889) fait de même sur des œufs pochés. Le Répertoire de la cuisine (1923) écrit donc : « Tripe. — Rondelles d'œufs. Napper sauce Soubise. Persil haché[29] ».

Susan Haack (1978) dans son article « Platonism versus Nominalism Carnap and Goodman »[30] attire l'attention sur les ingrédients identiques de la recette des œufs à la tripe et des œufs durs Soubise, les recettes ne variant que par la mise en œuvre. Marie-Pierre Arvy, François Gallouin (2003) décrivent aussi les œufs à la tripe comme des œufs durs nappés d'une sauce Soubise[31]. Lindsey Bareham (1996) les qualifie de similaires[32]. On voit la dérive depuis la recette traditionnelle (cuisson des oignons et des œufs durs en lanière, puis liaison à la crème) jusqu'à Escoffier et ses œufs durs nappés d'une sauce béchamel aux oignons.

Œufs à la Robert[modifier | modifier le code]

Mentionnés par Carème[33], soit les oignons sont cuits avec du beurre de la farine et un verre de champagne, on y ajoute les œufs durs coupés en quatre et un peu de moutarde[34], soit ce sont des œufs brouillés à la moutarde de Dijon[35] et aux oignons[36].

Que boire avec les œufs à la tripe?[modifier | modifier le code]

Un vin blanc de pays[37] sec et léger.

Anthologie[modifier | modifier le code]

  • Philippe Aubert de Gaspé. Mémoires. G.E. Desbarats, 1866 : le repas se passe en 1692 ou 1693, Pierre-Georges Roy explique que les Bons Frères (les convives) ayant mangé des œufs a la tripe pendant quarante jours consécutifs, ils se servent de tous les subterfuges possibles pour ne plus y toucher[38].

« Lorsque ma mère reparut au bout d'une demi-heure environ, elle tenait d'une main un bol et dans l'autre une cuiller d'argent avec laquelle elle battait avec énergie [ ]... un plat d'œufs à la tripe dont je prépare la sauce moi-même, car il n'y a que moi, frère Alexis, qui sache lui donner le degré de perfection que requiert cet excellent plat [ ]. Ma mère, comme beaucoup de personnes, avait le faible de croire qu'elle faisait tout mieux que les autres, oubliant que c'était à notre mulâtresse Lisette, parfaite cuisinière, qu'elle devait la science culinaire dont elle se piquait.

Une humble satisfaction se manifesta dans les yeux des récollets à l'énumération des trois premiers plats, mais leur visage se rembrunit quand ma mère cita les œufs à la tripe. [ ] L'arrivée de mon père fit changer la conversation, et ce fut des questions de sa part à n'en plus finir, jusqu'au moment où on se mit à table pour souper. Les moines avaient fait honneur à la soupe, au pâté et au plat de truite, lorsque le fameux plat d'œufs à la tripe fit son apparition. Les deux récollets se regardèrent d'un air inquiet.

Avec votre permission, Madame, dit frère Marc; je retournerai à vos excellentes truites; je ne mange pas d'œufs maintenant. C'est vrai, dit ma mère, un peu contrariée, il y a des estomacs auxquels les oeufs font mal. Mais vous au moins, frère Alexis, vous n'avez pas la même excuse?

Bien des pardons, Madame, fit celui-ci, je ne puis non plus en manger; le médecin du couvent me les a interdits pendant un certain temps ainsi qu'à toute notre communauté.

Mais c'est inouï, dit ma mère, interdire les oeufs à toute une communauté de pauvres moines ! Quelle horreur !

Ah! madame, c'est toute une histoire bien lamentable, fit frère Alexis. »

« Or, a cette époque, le bruit public en Auvergne était qu'un jeune comte de Moré avait voulu empoisonner monsieur son père dans des œufs a la tripe. Que cette odieuse imputation fut fondée ou non, c'est ce que j'ai toujours ignoré; mais le fait est que tous les pères d'Auvergne prirent la chose au sérieux. L'alarme était sous le toit domestique; il n'y avait pas de fils qui ne fut sous le soupçon du parricide, et tous les chefs de famille parlaient de vivre sans manger, dans la crainte des œufs a la tripe. »

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. (ru) Уилки Коллинз, Опавшие листья, Strelbytskyy Multimedia Publishing,‎ (lire en ligne).
  2. (it) Henri-Paul Pellaprat, L'arte della cucina moderna, Rizzoli Libri, (ISBN 978-88-586-5825-3, lire en ligne).
  3. (de) L. F. Jungius, L. F. Jungius: Vollständige und umfassende theoretisch-praktische Anweisung der gesammten Kochkunst. Band 1, Walter de Gruyter GmbH & Co KG, (ISBN 978-3-11-161038-2, lire en ligne).
  4. Pierre de Lune (16-16 ; auteur de livres de cuisine) Auteur de texte, Le Cuisinier, Où il est traitté de la veritable methode pour apprester toutes sortes de viandes, gibbier, volatiles, poissons, tant de mer que d'eau douce : suivant les quatre saisons de l'année . Ensemble la maniere de faire toutes sortes de petisseries, tant froides que chaudes, en perfection. Par le sieur Pierre de Lune,..., (lire en ligne), p. 331.
  5. Francois Massialot, Le Cuisinier royal et bourgeois, Qui apprend à ordonner toute sorte de Repas, & la meilleure maniere des Ragoûts les plus à la mode & les plus exquis. Ouvrage tres-utile dans les Familles, [et] singulierement necessaire à tous Mûrres à Hòtels, [et] Ecüiters de Cuisine, Chez Charles de Sercy, au Palais, au sixiéme Pilier de la Grand' Salle, vis-à-vis la Montée de la Cour des Aydes, à la Bonne-Foy couronnée, (lire en ligne), p. 332.
  6. L'Escole parfaite des officiers de bouche : Contenant le vray maistre-d'hostel, le grand escuyer-tranchant, le sommelier royal, le confiturier royal, le cuisinier royal, et le patissier royal, Chez la veuve Pierre David, sur le quay des Augustins, au Roy Dauid. Et Chez Iean Ribov, sur le quay des Augustins, à l'image sainct Louïs., (lire en ligne), p. 394.
  7. Louis Liger (1658-1717), Œconomie générale de la campagne, ou Nouvelle maison rustique. Tome 2 / , par le sieur Louis Liger,..., (lire en ligne), p. 404.
  8. Vincent La Chapelle, Le Cuisinier moderne, Qui aprend à donner toutes sortes de repas ... divisé en quatre volumes ..., imprimé chez Antoine de Groot, aux dépens de l'auteur, & ce vend, chez Antoine van Dole, (lire en ligne), p. 187.
  9. François Marin, Les Dons de Comus. T. 3 / , ou l'Art de la cuisine, réduit en pratique, nouvelle édition, revue, corrigée & augmentée par l'auteur. Tome premier [-troisieme], (lire en ligne), p. 261.
  10. Louis Philipon de La Madelaine (1734-1818), Dictionnaire portatif de la langue françoise. Partie 2 / , D'après le système orthographique de l'Académie, par M. L.-Ph. de Lamadelaine,... Seconde édition, revue, corrigée et très-augmentée. Première [-Seconde] partie., (lire en ligne), p 833.
  11. Antoine Beauvilliers (1754-1817), Le Nouveau Cuisinier royal, ou Traité complet de l'art culinaire : d'après MM. Carême, Brillat-Savarin, Albert, Viard, Fouret... / par M. Beauvillers, (lire en ligne).
  12. Alexandre Dumas, Petit Dictionnaire de cuisine : Voyage à travers les trésors de la gastronomie française, (ISBN 978-2-322-13067-2, lire en ligne).
  13. Auguste Escoffier (1846-1935), Ma Cuisine. 2 500 recettes, (lire en ligne).
  14. (en) « Google Books Ngram Viewer », sur books.google.com (consulté le ).
  15. (en) James Beard, The New James Beard, Open Road Media, (ISBN 978-1-5040-0457-2, lire en ligne).
  16. A. Bautte, Les Œufs, avec 1 000 manières de les préparer & de les servir, Editorial MAXTOR, (ISBN 979-10-208-0024-4, lire en ligne), p. 170.
  17. Marie-Antoine Carême et Charles-Frédéric-Alfred Fayot, Le Maître-d'Hôtel français, ou Parallèle de la cuisine ancienne et moderne. T. 1 / , considérée sous le rapport de l'ordonnance des menus selon les quatre saisons. Ouvrage contenant un traité des menus servis à Paris, à Saint-Pétersbourg, à Londres et à Vienne. Par M. A. Carême,..., (lire en ligne).
  18. Jules Breteuil, Le Cuisinier européen : Ouvrage contenant les meilleures recettes des cuisines française et étrangères : pour la préparation des potages, sauces, ragoûts, entrées, rôtis, fritures, entremets, dessert et pâtisseries..., (lire en ligne).
  19. Urbain Dubois et Émile Bernard, La Cuisine classique : Études pratiques, raisonnées et démonstratives de l'école française appliquée au service à la Russe. Tome 2, (lire en ligne), p. 86.
  20. Camille Vurpas, Le Petit Livre de recettes lyonnaises, edi8, (ISBN 978-2-7540-2956-8, lire en ligne).
  21. (en) The Sunday Times' Holiday Guide, Sunday Times., (lire en ligne).
  22. Myriam Esser-Simons, Balade culinaire à travers les siècles illustrée de nombreuses recettes - Tome II (troisième partie): Depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours - Les œufs, Editions Edilivre, (ISBN 978-2-414-30861-3, lire en ligne), p 16.
  23. « Irish Convent Eggs - pasta », sur sites.google.com (consulté le ).
  24. « Convent eggs recipe | Eat Your Books », sur www.eatyourbooks.com (consulté le ).
  25. Auguste Escoffier, avec la collaboration de MM. Philéas Gilbert et Émile Fétu, Le Guide culinaire : Aide-mémoire de cuisine pratique, (lire en ligne), p. 850.
  26. Austin de Croze (1866-1937), Les Plats régionaux de France. 1 400 succulentes recettes traditionnelles de toutes les provinces françaises, (lire en ligne), p. 324.
  27. Alexandre Martin, Bréviaire du gastronome, ou l'Art d'ordonner le dîner de chaque jour, suivant les diverses saisons de l'année . Pour la petite et la grande propriété. Précédé d'une histoire de la cuisine française, ancienne et moderne. Deuxième édition..., (lire en ligne), p. 68.
  28. Marie-Antoine Carême (1784-1833) et Charles-Frédéric-Alfred Fayot (1797-1861), Le Maître-d'Hôtel français, ou Parallèle de la cuisine ancienne et moderne. T. 1 / , considérée sous le rapport de l'ordonnance des menus selon les quatre saisons. Ouvrage contenant un traité des menus servis à Paris, à Saint-Pétersbourg, à Londres et à Vienne., (lire en ligne), p. 184.
  29. Théophile Gringoire et Louis Saulnier, Le Répertoire de la cuisine (troisième édition), (lire en ligne), p. 52.
  30. Susan Haack, « Platonism versus Nominalism Carnap and Goodman », The Monist, vol. 61, no 3,‎ , p. 492 (ISSN 0026-9662, lire en ligne, consulté le ).
  31. Marie-Pierre Arvy et François Gallouin, Épices, aromates et condiments, Humensis, (ISBN 978-2-7011-8648-1, lire en ligne), p 346.
  32. Lindsey Internet Archive, Onions without tears : cooking with onions & shallots, garlic, leeks, London : Penguin, (ISBN 978-0-14-023667-5, lire en ligne).
  33. Joseph Menon (1700?-1771), Les Soupers de la Cour, ou l'Art de travailler toutes sortes d'alimens, pour servir les meilleures tables, suivant les quatre saisons. Tome 1, (lire en ligne).
  34. Alexandre Dumas, Petit Dictionnaire de cuisine : Voyage à travers les trésors de la gastronomie française, (ISBN 978-2-322-17073-9, lire en ligne), p. 370.
  35. B. University of California Libraries, The professed cook; or, The modern art of cookery, pastry, and confectionary, made plain and easy. Consisting of the most approved methods in the French as well as English cookery. In which the French names of all the different dishes are given and explained, whereby every bill of fare becomes intelligible and familiar. Containing I. Of soups, gravy, cullis and broths ... XXII. Ratafias, and other cordials, &c. Including a translation of Les soupers de la cour; with the addition of the best receipts which have ever appeared in the French or English languages, and adapted to the London markets, London : W. Davis, (lire en ligne).
  36. Internet Archive, Eggs & cheese, Alexandria, VA : Time-Life Books, (ISBN 978-0-8094-2893-9, 978-0-8094-2887-8 et 978-0-8094-2892-2, lire en ligne).
  37. Francine Claustres, La Cuisine des œufs, ÉEditions Jean-Paul Gisserot, (ISBN 978-2-87747-831-1, lire en ligne).
  38. À travers les Mémoires de Philippe Aubert de Gaspé, Montréal : Ducharme, (lire en ligne).
  39. Charles-Albert de Moré, Mémoires du comte de Moré (1758-1837), Paris : A. Picard et fils, (lire en ligne).

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