Stalker (film, 1979)

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Stalker

Titre original Сталкер
Réalisation Andreï Tarkovski
Scénario Arcadi et Boris Strougatski
Acteurs principaux
Sociétés de production Mosfilm
Pays de production Drapeau de l'URSS Union soviétique
Genre Science-fiction, fantastique
Durée 163 minutes
Sortie 1979

Pour plus de détails, voir Fiche technique et Distribution.

Stalker (Сталкер) est un film soviétique réalisé par Andreï Tarkovski, sorti en 1979. Le scénario du film a été écrit par Arcadi et Boris Strougatski. C'est une libre adaptation de leur titre Stalker : Pique-nique au bord du chemin (1972).

Le titre Stalker vient d'un terme anglais qui signifie « harceleur », « monomaniaque » ou « traqueur » (chasseur furtif et silencieux).

Synopsis[modifier | modifier le code]

Vidéo externe
Film complet sur la chaîne YouTube de Mosfilm.

Dans un futur lointain, le protagoniste (Alexandre Kaïdanovski) travaille en tant que « stalker », une sorte de passeur pouvant guider les visiteurs à travers la zone, un lieu en ruine où les lois de la réalité ne s'appliquent pas et dont personne ne connaît la nature. En son cœur, on dit qu'il existe un lieu, « la chambre », où tous les souhaits peuvent être réalisés. Les environs de la Zone ont été scellés par le gouvernement et des militaires les quadrillent.

Le film commence sur le Stalker qui se réveille auprès de sa femme et de sa fille. Sa femme (Alissa Freindlich) le supplie de ne pas retourner à l'intérieur de la Zone, mais il rejette sa prière. Dans un bar miteux, le Stalker rencontre les deux clients qu'il doit guider à travers la zone, l'Écrivain (Anatoli Solonitsyne) et le Professeur (Nikolaï Grinko).

Leur voyage commence lorsqu'ils contournent le barrage des gardes de la Zone en suivant un train jusqu'à l'intérieur des portes puis en empruntant une draisine. Après quelque temps, le Stalker arrête la machine, les voyageurs étant entrés dans la Zone (et le film passe du noir et blanc à la couleur). Le Stalker avertit ses clients qu'ils devront le suivre à la lettre s'ils veulent survivre aux dangers que l'on trouve dans la Zone, celle-ci suivant ses propres règles, dont seul le Stalker peut comprendre le sens. Il évoque aussi son maître, puis un Stalker surnommé « Porc-épic » qui a fini par trouver la Chambre pour y gagner énormément d'argent, le conduisant au suicide.

Le Stalker déjoue les différents pièges qu'il actionne en envoyant des leurres à partir d'écrous propulsés par une fronde en bas de laine. Si l'Écrivain se montre sceptique quant aux dangers, le Professeur lui, choisit de suivre les conseils du Stalker. Il réprimande l'Écrivain lorsque celui-ci touche une plante et finit par expliquer que la Zone modélise son chemin en fonction de leur état d'esprit : ceux qui trouvent la Chambre étant ceux qui n'ont plus rien à perdre dans leur vie.

Au cours de leur voyage les personnages expliquent pourquoi ils souhaitent trouver la Chambre : L'Écrivain est anxieux à l'idée de perdre l'inspiration et pense que la Chambre pourrait lui en donner. Le Professeur, qui trimballe un sac avec lui, espère avoir le prix Nobel pour ses découvertes sur la Chambre. Le Stalker avoue n'être là que pour les guider. Tous trois sont régulièrement suivis par un chien noir.

Après une sieste durant laquelle le Stalker est visité en rêve par une vision, tous reprennent la route. Ils doivent traverser un tunnel estimé dangereux et le Stalker insiste pour que l'Écrivain passe devant. Après avoir atteint leur destination, un bâtiment industriel décrépi à l'intérieur duquel se trouvent d'étranges dunes blanches, le Stalker avoue à l'Écrivain que le passage par les tunnels est dangereux et que le frère de Porc-épic lui-même y a perdu la vie.

Alors qu'ils se reposent dans une antichambre, un téléphone sonne : c'est un faux numéro. Le Professeur utilise alors le téléphone afin d'appeler un collègue et lui révèle sa position. Arrivés au seuil de la chambre, le Stalker demande que chacun entre, toutefois l'Écrivain hésite et le Professeur veut détruire la zone par crainte qu'elle ne tombe en de mauvaises mains, son sac contenant une bombe de vingt kilotonnes. Le Stalker tente de l'en empêcher, expliquant que guider les visiteurs vers la Chambre est ce qui le motive à vivre ; l'Écrivain s'interpose et estime que le Stalker est probablement un escroc. Questionnant la motivation des stalkers, l'Écrivain s'interroge sur la raison pour laquelle Porc-épic n'aurait pas ressuscité son frère dans la Chambre et découvre que celle-ci n'exauce que les désirs cachés : ayant pris conscience que la Chambre avait préféré lui donner de l'argent plutôt que de ressusciter son frère, celui-ci a fini par se suicider par culpabilité. Le Professeur préfère détruire sa propre bombe qui finit au fond d'une flaque d'eau. Aucun d'entre eux n'entre dans la Chambre.

Sortis de la Zone, le film repasse en noir et blanc, et tous reviennent dans le bar où ils se sont rencontrés, accompagnés du chien noir. Le Stalker rentre avec sa femme et sa fille ainsi que le chien qu'ils semblent adopter, ce qui est une marque d'humanité selon sa femme. À la maison, le Stalker est en proie à une crise : l'humanité va perdre la foi en la Chambre et en l'espoir d'une vie meilleure. La femme du Stalker entre dans un monologue face caméra dans laquelle elle raconte comment elle l'a rencontré. Le dernier plan du film, en couleur, s'arrête sur la fille du Stalker : après avoir récité un poème de Fiodor Tiouttchev celle-ci utilise des pouvoirs télékinétiques afin de faire bouger des verres sur la table. La salle finit par trembler au son d'un tramway passant non loin.

Fiche technique[modifier | modifier le code]

Distribution[modifier | modifier le code]

Production[modifier | modifier le code]

Genèse et développement[modifier | modifier le code]

En 1973, alors qu'il travaille encore sur Le Miroir, Andreï Tarkovski écrit dans son journal qu'il est intéressé par le nouveau roman des frères Strougatski, Pique-nique au bord du chemin. Il le recommande au réalisateur Gueorgui Kalatozichvili, qui abandonne finalement lorsqu'il n'obtient pas les droits du roman[2]. En 1974, Tarkovski contacte directement les deux frères et leur dit qu'il aimerait le porter à l'écran[3],[4]. À cette époque, Tarkovski envisage également de porter à l'écran Dostoïevski (L'Idiot) et Tolstoï (La Mort d'Ivan Ilitch), et entreprend d'écrire un scénario inspiré du roman Ariel d'Alexandre Beliaev. Cependant, à la fin de l'année 1975, il décide finalement de travailler avec les Strougatski sur une adaptation de leur roman[5]. Il veut en faire quelque chose de très différent de l'ouvrage original et conforme à sa vision du monde et dans lequel il ne garde que les concepts de Stalker et de Zone. Il cherche à lui faire garder la règle des trois unités : une seule action (la recherche de la chambre) un seul endroit (la Zone) un seul temps (Tarkovski voulant à l'origine que le film se déroule sur 24 heures). L'idée est de faire de la Zone un instrument dramatique permettant de faire ressortir la personnalité des trois protagonistes, notamment ce qui arrive aux idéalistes lorsqu'ils n'arrivent pas à faire le bonheur d'autrui[2].

En février 1976, Tarkovski reçoit officiellement l'autorisation de tournage de la part de Filipp Ermach (ru), le président du Goskino, le comité soviétique pour le cinéma. Au même moment, les scénaristes terminent la deuxième version du scénario avec le titre de travail Машина желаний, Machina jelaniï (litt. « La Machine à rêves » ou « La Machine à désirs »), qui ne satisfait pas le réalisateur. Ces premières ébauches sont qualifiées par Tarkovski de trop « hétéroclites » et de trop « ennuyeuses ». Les scénaristes ont dû faire preuve de patience en remaniant sans cesse le futur scénario[6].

« Нам посчастливилось работать с гением, — сказали мы тогда друг другу. — Это значит, что нам следует приложить все свои силы и способности к тому, чтобы создать сценарий, который бы по возможности исчерпывающе нашего гения удовлетворил. »

— Boris Strougatski[7]

« "Nous avons la chance de travailler avec un génie", nous sommes-nous dit à l'époque. "Cela signifie que nous devrions faire de notre mieux pour créer un scénario qui satisferait notre génie aussi complètement que possible". »

Bien que Tarkovski ne figure pas au générique en tant que scénariste, il est considéré comme l'un des trois co-scénaristes et son rôle consiste principalement à faire le tri entre ce qu'il décide d'incorporer au film ou pas. Boris Strougatski se souvient que, comparé au scénario de « La Machine à désirs », aucune autre œuvre n'a demandé autant d'efforts, et il qualifie ce travail d'interminablement épuisant. À cause de Stalker, la sortie de leur roman suivant Le Scarabée dans la fourmilière est reportée[7]. Filipp Ermach prévient Tarkovski avant l'approbation finale que les romans des frères Strougatski ont la réputation d'être « infilmable », surtout après l'échec d'une précédente tentative d'adaptation à l'écran du roman Un gars de l'enfer. Cependant, Tarkovski tient bon[8].

Le lancement du tournage aurait pu être retardé encore plus longtemps, et Tarkovski a dû écrire une lettre au XXVe Congrès du Parti communiste de l'Union soviétique, une pratique assez courante à l'époque. En octobre 1976, les acteurs pour les rôles principaux sont sélectionnés et un lieu de tournage est choisi. L'équipe comprend plusieurs personnes qui ont déjà tourné plus d'un film avec Tarkovski : le chef opérateur Gueorgui Rerberg, le compositeur Edouard Artemiev, la monteuse Lioudmila Feïguinova, ainsi que les deux acteurs principaux Nikolaï Grinko et Anatoli Solonitsyne[8].

Tournage[modifier | modifier le code]

Le tournage devait commencer début 1977, mais un tremblement de terre dans la région d'Isfara a entraîné un nouveau retard et il a fallu trouver un nouveau lieu de tournage[9].

Le , la première scène de pavillon du film est tournée - la maison de Stalker dans les premiers épisodes. Le tournage en extérieur reprend en mai en Estonie[10]. Les premiers rushes s'avèrent défectueux, et le réalisateur, ayant suspendu la production, se rend à Moscou pendant 40 jours pour régler le problème. En juillet, le tournage reprend et, en août, la version préliminaire du film est prête. Selon Strougatski, l'acteur principal Alexandre Kaïdanovski y interprétait le rôle d'Allan, un dur à cuire et un escroc (proche dans l'esprit du héros de Pique-nique au bord du chemin, Redrick Shouhart)[7].

En raison d'un remaniement constant, le film dépasse le budget prévu, le scénario est réécrit au fur et à mesure que le tournage progresse, ce qui est difficile et lent. Tarkovski n'est pas satisfait du résultat et se plaint à Boris Strougatski que rien ne va. Le caractère pointilleux du réalisateur fatigue le groupe. Les acteurs du film travaillent pendant des jours sur une scène qui ne dure que quelques secondes à l'écran. Tarkovski veille à ce que l'herbe, qui apparaîtra dans le cadre, soit bien verte. Toute herbe de mauvaise teinte est méticuleusement enlevée, brin par brin[11].

Le film a été tourné sur pellicule Kodak, qui était rare à l'époque soviétique et n'était disponible que pour quelques cinéastes privilégiés. Gueorgui Rerberg (ru) s'était familiarisé avec la pellicule Kodak et avait la réputation d'être l'un des chefs opérateurs soviétiques les plus professionnels. Le , plusieurs milliers de mètres de pellicule sont irrémédiablement détériorés dans les laboratoires de Mosfilm[12]. Plusieurs suppositions ont vu le jour quant au véritable auteur de ce gâchis : de la substitution de pellicule par des malveillants au coup tactique de Tarkovski, qui voulait ainsi refaire entièrement le film qui ne lui convenait pas. L'histoire a fait couler beaucoup d'encre et a même fait l'objet d'une enquête de la part de journalistes. Cependant, selon l'écrivain Anton Moltchanov (ru) et Tarkovski lui-même, il s'agit d'une banale négligence du personnel[13],[14].

L'affaire se termine par une grave prise de bec entre Tarkovski et Gueorgui Rerberg. Selon les souvenirs de Pavla Fattakhoutdinova : « Macha Tchougounova, l'assistante préférée et dévouée de Tarkovski, servait d'intermédiaire entre eux. Tarkovski disait : « Macha, dis à l'opérateur qu'il doit faire ceci et cela ». Masha se taisait et Rerberg, comme s'il s'adressait à elle, disait : « Macha, dis au réalisateur que je ne le ferai pas »[15]. En conséquence, Rerberg est suspendu de son travail sur le film, bien qu'une petite partie du métrage tourné par lui ait été conservée dans le film[16].

L'équipe du film croit le film annulé, mais dès juillet 1977, Tarkovski obtient de Goskino l'autorisation d'augmenter le budget pour en faire un film en deux parties[11]. Selon la journaliste Alla Latynina (ru), Filipp Ermach a sympathisé avec Tarkovski, et c'est la seule façon d'expliquer l'autorisation inattendue d'augmenter le budget du film[17]. En septembre-octobre 1977, le tournage se poursuit avec un nouveau chef opérateur (Leonid Kalachnikov (ru)) et un nouveau concepteur de production (Chavkat Abdoussalamov (ru), qui remplace Alexandre Boïm (ru)). Cependant, Tarkovski rejette les premiers rushes filmés par Kalachnikov. L'hiver a commencé, et le paysage hivernal des arbres sans feuilles ne cadre pas avec les événements décrits dans le scénario[13].

En octobre 1977, le scénario, qui ne convient toujours pas à Tarkovski, est réécrit pour la huitième ou neuvième fois. La méthode essai-erreur, alors que le réalisateur s'avère incapable d'expliquer aux scénaristes ce qu'il veut, finit par porter ses fruits. Comme le rappelle Boris Strougatski, son frère et lui étaient tellement désespérés qu'ils en devenaient fous et cette folie déteignait sur le film. Cette version plaît à Tarkovski, mais l'hiver interrompt le tournage. En avril 1978, Tarkovski est victime d'un infarctus et reprend le travail avec la troisième équipe. Le concept change : la science-fiction disparaît complètement et Kaidanovski incarne à l'écran un nouveau type de personnage. Dans la troisième version, le chef opérateur est de nouveau remplacé, cette fois par Aleksandr Kniajinski. Finalement, dans cette troisième mouture du scénario, le film est entièrement refilmé de juin à [18].

Le tournage s'achève le . Finalement, le budget du film est dépassé de 300 000 roubles pour totaliser 1 million de roubles[19],[20].

Lieux de tournage[modifier | modifier le code]

Dans un premier temps, Tarkovski décide de tourner près de la ville d'Isfara, au Tadjikistan, mais la ville est détruite par un tremblement de terre le . Cela n'a pas gêné le tournage, mais l'équipe de tournage n'avait plus nulle part où se reposer. Après de longues recherches, George Rerberg trouve en avril 1977 un nouveau lieu de tournage en Estonie, près de la grande poste de Tallinn (et)[21], ainsi qu'à 25 kilomètres de la ville, dans la zone d'une ancienne centrale électrique en ruine sur la rivière Jägala[16].

Si les paysages apocalyptiques de la zone étaient si crédibles, c'est aussi parce que, non loin du lieu de tournage, une usine de pâte à papier déversait ses déchets dans la rivière, la polluant fortement. L'épisode avec l'avant-poste de l'ONU a été filmé près de la chaufferie de l'ancien silo à grains de Tallinn, dans le centre-ville, dans le quartier de Rotermann. La rue intérieure du quartier s'appelle aujourd'hui « Stalkeri käik » (litt. « Ruelle du Stalker ». Le début de cet épisode — le passage de la locomotive diesel — a été filmé près de l'ancienne centrale électrique de Tallinn (aujourd'hui l'emplacement de la bouilloire culturelle ou Kultuurikatel), dont une cheminée porte toujours l'inscription « UN ». En 2006, une plaque commémorative en estonien et en anglais a été fixée à la cheminée, indiquant que le film y a été tourné[22],[23].

Plusieurs membres de l'équipe de tournage sont morts, quelques années après, de cancer, ce que Vladimir Charoun (responsable de la prise de son) attribue, dans une interview, à la forte pollution industrielle des différents lieux de tournage autour de Tallinn[24].

Certaines scènes ont été filmées près de Leningrad, le tournage du pavillon a eu lieu dans le studio de Mosfilm. Les scènes finales, où Stalker porte sa fille sur ses épaules, ainsi que les vues du paysage industriel depuis la porte ouverte du bar, ont été tournées à Moscou, près de Zagorodnoïe chosse (ru). En arrière-plan, on aperçoit les cheminées de l'usine TETs-20 (ru), la centrale électrique Moskva-20.

Le réalisateur Konstantin Lopouchanski a été stagiaire de Tarkovski pour le tournage du film.

Exploitation[modifier | modifier le code]

L'affiche du film pour sa diffusion occidentale a été réalisée par Jean-Michel Folon[25].

Analyse[modifier | modifier le code]

La Zone[modifier | modifier le code]

La Zone est un lieu inconnu, le film donne peu d'indications sur elle : c'est un pan de territoire qui a été bouclé par les autorités à la suite d'un événement mal défini : chute d’une météorite ou accident nucléaire. Les seules informations que l’on apprend sur la Zone sont données par le Stalker. La première est qu’il est interdit d’y entrer, qu’il y a un cordon militaire serré qui empêche d’y accéder et que l’on doit traverser au péril de sa vie. Le seconde est qu’en son centre se trouve une Chambre dans laquelle le vœu le plus cher de celui qui y pénètre sera exaucé. Mais peu nombreux sont ceux qui y parviennent, la plupart meurent en chemin. On apprend également que les Stalker n’ont pas le droit de pénétrer dans la Chambre, leur rôle se borne à accompagner les visiteurs jusqu’au seuil. On ne saura rien de plus sur la Chambre car le professeur et l’écrivain renonceront à y pénétrer[26].

La Zone, lorsque les trois personnages y sont, présente plusieurs aspects. Le premier est, contrairement à ce qu'on attend, une campagne verdoyante. Il contraste avec le bar, les bâtiments-frontières et les grillages qui précèdent l’entrée dans la Zone. Le film passe du noir et blanc à la couleur dans la majorité des scènes se déroulant à l'intérieur. Le Stalker, bien qu’il semble particulièrement heureux d’être là, met tout de suite en garde ses compagnons contre les dangers inattendus et imprévisibles de la Zone. Plus les trois compagnons avancent dans la Zone, plus les indices de danger apparaissent : carcasses de véhicules militaires, verre brisé, changements impromptus de météo, ossements, tunnel obscur, voix venue de nulle part.

Deux éléments perceptifs sont dominants. L'omniprésence de l’eau : sale, marécageuse, bourbeuse, sous laquelle on ne sait jamais ce qui se trame. Ensuite, les sons qui suivent chaque pas du périple des trois voyageurs : d’abord le vent – ou la musique électronique – qui annonce la Zone, ensuite les gouttes d’eau qui tombent, le verre brisé écrasé par les chaussures.

Les personnages[modifier | modifier le code]

Le Stalker[modifier | modifier le code]

Le Stalker a plusieurs facettes. Au début du film, lorsqu'il a une altercation avec son épouse qui ne veut pas qu’il aille dans la Zone, on découvre un homme qui ne peut pas ne pas y aller[27]. La Zone est pour lui une sorte de nécessité. Lorsqu’il rencontre le professeur et l'écrivain et qu’il leur fait franchir la frontière de la Zone, c’est à un homme anxieux qu'on a affaire, un homme qui connaît les dangers de cette frontière, les risques de se faire tuer par les militaires.

Son état d'esprit change lorsqu’il est dans la Zone : des signes de joie se manifestent et le Stalker montre qu'il connait les lieux. En revanche, dès que l’Écrivain veut s’écarter du chemin qu’il lui prescrit, il est nerveux et considère cela comme « sacrilège ». La Zone est pour lui de l’ordre de la nécessité. Plus il avance dans son cheminement en compagnie des deux hommes, plus on découvre un homme pour qui la foi en la Zone, ou plus exactement en la Chambre qui exauce les vœux, est essentielle, foi sans laquelle la vie n’a pas de sens. C’est, d’ailleurs, cette absence de foi qui le mènera au désespoir et à la lassitude, à la fin du film, quand il fera le compte-rendu de son expérience à sa femme. Il refuse d’entrer dans la Chambre : son seul bonheur est de conduire les gens désespérés jusqu’à la Chambre pour qu’ils puissent retrouver un peu d’espoir.

Sa femme le dépeint comme un niais ou un marginal, il a presque la posture d'un mage ou d’un possédé, de quelqu’un qui a accès à ce que l’homme ne saurait voir. C’est une sorte de voyant ou de prophète, mais qui doit s’arrêter au seuil de la vision (de la Chambre).

L'Écrivain[modifier | modifier le code]

Ce personnage n'existe pas dans le roman Pique-nique au bord du chemin mais provient d'un autre roman, Les mutants du brouillard, également écrit par les frères Strougatski. On reconnaît aisément Victor Baniev, l'écrivain à la mode, séducteur, alcoolique, fumeur et toujours à la recherche d'inspiration et de discussions interminables...

La scène finale[modifier | modifier le code]

Les objets présents dans la scène finale ne sont pas déplacés par une force rationnelle, mais par la seule pensée de la fille du personnage principal. Jusqu'à cette scène, Stalker est un film sur le doute : celui d'un guide qui conduit ceux qui le souhaitent dans la Zone, aux effets incertains. Le personnage semble alors perdre foi dans ce lieu et dans son rôle : cet évènement miraculeux le contredit, clôturant le film au son de l'Hymne à la joie[28].

Distinctions[modifier | modifier le code]

Postérité et hommages[modifier | modifier le code]

Cinéma[modifier | modifier le code]

  • Chris Marker, dans son film de 1982 Sans soleil, s'est sans doute inspiré de la « Zone » pour décrire l'espace de transformation entre les images et la mémoire qui leur est liée.
  • Dans le film In the Soup de 1992, on peut voir un poster du film dans l'appartement d'Aldolfo.
  • Dans le film turc Uzak de Nuri Bilge Ceylan, réalisé en 2002, l'un des protagonistes visionne le film chez lui.
  • Dans le film Atomic Blonde (2017), la scène de combat se déroule dans un cinéma dont le film à l'affiche est Stalker.

Musique[modifier | modifier le code]

  • Les paroles de la chanson de Björk The Dull Flame of Desire (sorti sur son album Volta en 2007) sont la traduction du poème de Fiodor Tiouttchev qui est cité à la fin du film. Le livret indique que le film est bien la source d'inspiration.
  • Le morceau Requiem for Dying Mothers, Partie 2 de l'album The Tired Sounds of Stars of the Lid des Stars of the Lid sorti en 2001, utilise la bande-son de la scène où la fille du Stalker use de ses pouvoirs de télékinésie pour pousser des verres.
  • Brian Lustmord et Robert Rich ont composé ensemble un album Stalker, sorti en 1995.
  • L'artiste techno Richie Hawtin s'inspire de la scène de télékinésie dans la version DVD de son album de 2005 DE9 - Transitions.
  • Jacek Kaczmarski a écrit une chanson Stalker, inspirée du film.
  • Orchestral Manoeuvres in the Dark ont enregistré The Avenue, autour de la bande-son de la draisine du film.
  • L'artiste de musique électronique Carsten Nicolai, alias Alva Noto, lui dédie un titre nommé Stalker (For Andrei Tarkovski) dans son album For 2.
  • Deux hommages par le groupe de musique électronique et flamenco Von Magnet : « Stalker Project », un spectacle écrit pour trois usines désaffectées en France, ainsi que leur morceau Stalker, figurant dans l'album Mezclador paru en 1998.

Bande dessinée[modifier | modifier le code]

  • Dans la bande dessinée La Femme piège, d'Enki Bilal, il est écrit « stalker » sur un immeuble, en hommage à Tarkovski.

Arts plastiques[modifier | modifier le code]

  • Damien Gouviez, artiste français, dédie deux sculptures au réalisateur en les nommant Stalker et Solaris[29].
  • L'artiste suisse Yannick Barman réalise, en 2016, sous le nom de Stalker, un album intitulé Beauty and the Devil Are the Same Thing. Ce projet est accompagné en live de vidéos tournées par Yannick Barman lors de voyages en Russie et en Asie, et traitées en direct[30]

Littérature[modifier | modifier le code]

  • Le roman L'Énigmaire (Quidam éditeur, 2021) de Pierre Cendors, qui peut se déchiffrer comme une réécriture partielle du film, est dédié à Tarkovski et cite Stalker en exergue.

Jeu vidéo[modifier | modifier le code]

Le jeu vidéo S.T.A.L.K.E.R.: Shadow of Chernobyl, sorti en 2007, emprunte quelques éléments de l'histoire du film.

Expositions[modifier | modifier le code]

  • La Maison d'Ailleurs propose l'exposition « Stalker – Expérimenter la zone », du au .
  • L'exposition Les Choses. Une histoire de la nature morte au musée du Louvre du 12 octobre 2022 au 23 janvier 2023, présente la scène finale Stalker parmi les œuvres de l'espace nommé « Ce qui reste »[31].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. « Stalker — Expérimenter la Zone — La Maison d'Ailleurs », sur ailleurs.ch (consulté le ).
  2. a et b John Gianvito, « Andrei Tarkovsky: Interviews », University Press of Mississippi, (ISBN 1-57806-220-9), p. 50–54.
  3. Le roman Stalker : pique-nique au bord du chemin a lui-même connu un destin difficile. En 1972, l'histoire a été imprimée dans une version magazine, et une édition séparée a été publiée en 1980, considérablement révisée par la censure soviétique.
  4. (ru) « Архивная копия », sur pryamaya.ru (version du sur Internet Archive)
  5. Moltchanov 2008, p. 486.
  6. Moltchanov 2008, p. 491.
  7. a b et c (ru) Boris Strougatski, « Комментарии к пройденному », sur rusf.ru
  8. a et b Moltchanov 2008, p. 492.
  9. Moltchanov 2008, p. 498.
  10. Johnson et Petrie 1994, p. 146.
  11. a et b Moltchanov 2008, p. 502.
  12. (ru) « Дефицит кинопленки становится все более острым », sur webcitation.org
  13. a et b Moltchanov 2008, p. 504.
  14. Andrëi Tarkovski, Journal 1970-1986, traduit par Anne Kichilov et C. H. Brantes, Cahiers du Cinéma, 2004 (ISBN 2-86642-373-9) p. 176 : " D'abord parce que les laboratoires de Mosfilm ont bousillé la pellicule…" journée du 26 août 1977 à Tallin
  15. (ru) Andreï Kulik, « Павел Фаттахутдинов: Документалистика - это преклонение перед жизнью », sur kultpro.ru (version du sur Internet Archive)
  16. a et b (ru) Sergueï Filatov, « Два гения на одной площадке », sur kommersant.ru
  17. Alla Latynina. « Достичь абсолюта… » : дневники Андрея Тарковского // Новый мир : magazine. - 2008. - no 8 - p. 157-164. - ISSN 0130-7673.
  18. Tourovskaïa 1991, p. 126.
  19. Johnson et Petrie 1994.
  20. (ru) « Ольга Суркова. Хроники Тарковского. «Сталкер» Дневниковые записи с комментариями. Часть №2 », sur tarkovsky.su
  21. (ru) « Таллинн в кино », sur vid1.ria.ru
  22. (ru) « С историческим колоритом », sur expert.ru (version du sur Internet Archive)
  23. (et) « STALKER FILMI LUGU », sur kultuurikatel.ee
  24. (en) Stas Tyrkin, « In Stalker Tarkovsky foretold Chernobyl », Komsomolskaya Pravda,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  25. Affiche du film (sortie occidentale) dessinée par Jean-Michel Folon
  26. Alexandra Kaourova et Eugène, Phénomène Stalker, Lausanne, L'Âge d'Homme,
  27. « Stalker », sur Travelling - RTS.ch, (consulté le )
  28. Philippe Bettinelli, Les choses. Une histoire de la nature morte, p. 38
  29. Site de Damien Gouviez
  30. https://www.yannickbarman.com/ everestrecords.ch
  31. Ouvrage de l'exposition, sous la direction de Laurence Bertrand Dorléac, p. 38

Voir aussi[modifier | modifier le code]

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Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Laurence Bertrand Dorléac (sous la dir. de), Les Choses. Une histoire de la nature morte, Paris, Lienart éditions, , 447 p. (ISBN 978-2-35906-383-7).
  • (ru) Nikolaï Boldyrev, Сталкер, или Труды и дни Андрея Тарковского, Tcheliabinsk, Урал-LTD, coll. « Биографические ландшафты »,‎ , 384 p. (ISBN 5-8029-0254-X)
  • (ru) Nikolaï Boldyrev, Жертвоприношение Андрея Тарковского [« Le sacrifice d'Andreï Tarkovski »], Moscou, Вагриус,‎ , 528 p. (ISBN 5-9560-0101-1, lire en ligne), « Сталкер »
  • (ru) Igor Evlampiev (ru), Художественная философия Андрея Тарковского [« La philosophie artistique d'Andreï Tarkovski »]. СПб.: Aletheia, 2001. — 349 p. — (ISBN 5-89329-443-2)
  • (ru) Anton Moltchanov, Братья Стругацкие [« Frères Strougatski »], Moscou, ACT,‎ , 736 p. (ISBN 978-5-17-052684-0)
  • (ru) Olga Surkova (ru), Книга сопоставлений. Мoscou : Киноцентр, 1991.
  • (ru) Olga Surkova, Хроники Тарковского: «Сталкер» // Iskoustvo Kino. 2002. no 9 ; 10.
  • (ru) Olga Surkova, С Тарковским и о Тарковском. Moscou : Радуга, 2005. — 464 p. — (ISBN 5-05-006018-4)
  • (ru) Olga Surkova, Тарковский и я: Дневник пионерки. Мoscou : Зебра Е, 2005. — 487 p. — (ISBN 5-94663-237-X)
  • (ru) Maïa Tourovskaïa, 7 1/2, или Фильмы Андрея Тарковского, Moscou, Искусство,‎ , 256 p. (ISBN 5-210-00279-9)
  • (ru) Evgueni Tsymbal, Рождение «Сталкера»: попытка реконструкции, Moscou, Новое литературное обозрение, coll. « Кинотексты »,‎ , 768 p. (ISBN 978-5-4448-1792-6)
  • (en) Vida Johnson et Graham Petrie, The Films of Andrei Tarkovsky: A Visual Fugue, Indiana University Press, , 331 p. (ISBN 978-0253208873)

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