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Volney

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Volney
Illustration.
Portrait de Volney par Gilbert Stuart[1] (Philadelphie, 1795)
Fonctions
Pair de France

(5 ans, 10 mois et 21 jours)
Sénateur

(14 ans, 5 mois et 11 jours)
Membre de l’Académie française
24e fauteuil

(17 ans, 2 mois et 28 jours)
Prédécesseur Claude-François Lizarde de Radonvilliers
Successeur Emmanuel de Pastoret
Membre de l’Institut national
Classe des sciences morales et politiques

(7 ans, 1 mois et 17 jours)
Député

(2 ans, 6 mois et 28 jours)
Circonscription Sénéchaussée d'Angers
Législature États généraux de 1789
Assemblée nationale constituante
Biographie
Nom de naissance Constantin-François Chassebœuf de La Giraudais
Date de naissance
Lieu de naissance Craon, Anjou
Date de décès (à 63 ans)
Lieu de décès Rue de Vaugirard, Paris
Sépulture Cimetière du Père-Lachaise
Profession Voyageur, philosophe, linguiste, historien

Volney

Constantin-François Chassebœuf[2] de La Giraudais, dit Volney, né le à Craon et mort le à Paris, est un historien, philosophe, orientaliste et homme politique français.

Hôte dans sa jeunesse des salons du baron d’Holbach et de Madame Helvétius, il se fait connaître avec son Voyage en Égypte et en Syrie (1787). Il siège comme député aux états généraux de 1789 puis à l’Assemblée nationale constituante. Son ouvrage la plus célèbre, Les Ruines (1791), est le premier à défendre la thèse mythiste concernant les origines du christianisme.

Il échappe de justesse à la guillotine pendant la Terreur et s’exile aux États-Unis d’Amérique en 1795. Ami de Thomas Jefferson, il est soupçonné d’être un espion par le président John Adams, qui le fait chasser du pays en 1798. À son retour, il est l’un des principaux instigateurs du coup d'État du 18 brumaire. Il est un conseiller intime de Bonaparte au début du Consulat, avant de prendre ses distances à la suite du concordat de 1801. Tout au long de l’Empire, ce sénateur « idéologue », élevé à la dignité de comte en 1808, fait partie des rares et discrets opposants tolérés par Napoléon Ier. Il se rallie en 1814 à Louis XVIII, qui le nomme à la Chambre des pairs.

Membre de l’Académie française, de la Société américaine de philosophie, de la Société asiatique de Calcutta et de l’Académie celtique, il est l’auteur de recherches sur la chronologie antique et de travaux linguistiques (il a rêvé jusqu’à sa mort d’un alphabet universel).

Premières années[modifier | modifier le code]

Constantin-François Chassebœuf de La Giraudais naît le 3 février 1757 à Craon. Son père, Jacques-René Chassebœuf (1727-1796), est un avocat issu d’une lignée d’hommes de loi[3]. Sa mère, Jeanne Gigault (1728-1759), est la fille de Joseph Gigault (1688-1771), sieur de La Giraudais (un domaine situé à côté de la baronnie de Candé). Les Gigault habitent un manoir et sont en relation avec des parlementaires de Rennes et de riches négociants de Nantes.

Après son mariage en 1756, la mère de Volney s’installe à Craon, dans la maison paternelle de la rue des Juifs. Elle meurt à l’été 1759, alors que son unique fils est âgé de 2 ans. Souffrant dès son enfance d’une santé fragile, Constantin-François est élevé par deux gouvernantes superstitieuses[4], qui lui transmettent la « terreur des revenants ». Ses relations avec son père sont froides et distantes ; elles le resteront jusqu’au bout.

À l’âge de 7 ans, il est placé dans un petit internat religieux d’Ancenis[5], où il subit les châtiments corporels de ses maîtres, comme beaucoup d'écoliers de son temps. Il se rapproche de sa famille maternelle, en particulier de son oncle Louis, père de sa cousine Charlotte (1766-1864) qu’il finira par épouser.

À 12 ans, Constantin-François est inscrit chez les oratoriens d’Angers, qui lui inculquent une solide culture latine. Connu sous le nom de Boisgirais (toponyme d’une métairie de son père[6],[7]), il y manifeste une défiance précoce à l’égard de l’enseignement historique et religieux qui lui est professé. Il s’intéresse aux origines des livres de l’Ancien Testament et se met en tête d’apprendre l’hébreu pour en réaliser ses propres traductions.

Son tempérament studieux et solitaire lui vaut sobriquet d’ermite de la part de ses condisciples. L’un d’eux, François-Yves Besnard (qui demeura son ami jusqu’à sa mort), lui aussi pensionnaire chez un libraire angevin, témoigne à son sujet : « Volney était le seul de la maison qui ne prenait pas de part à nos différents jeux, quoiqu’il en restât volontiers le spectateur silencieux pendant des heures entières ».

À l’approche de ses 18 ans, il s’inscrit à la Faculté de droit d’Angers et sollicite son indépendance, qui est entérinée lors d’un conseil de famille réuni à Craon. Disposant d’une rente de 1 100 livres sur la succession de sa mère, il quitte ses terres natales pour Paris à l’été 1775.

Paris et les Lumières[modifier | modifier le code]

À son arrivée dans la capitale, la santé fragile de Boisgirais l'incite à abandonner le droit pour la médecine[8]. Il approfondit pendant trois ans ses connaissances pratiques à l’Hôtel-Dieu (au pied de la cathédrale Notre-Dame) et se lie d’amitié avec Delamétherie et Proust.

En 1777, il fait la connaissance de Cabanis à l’École de médecine. Celui-ci, introduit par Turgot chez le baron d'Holbach, l'y présente à son tour. Dans les salons d’Holbach, rue Royale Saint-Roch, Boisgirais croise notamment Chamfort, Marmontel et Saint-Lambert, mais aussi Diderot, d’Alembert et Buffon. Le jeune homme, qui se rapproche du fils d’Holbach, est inspiré par l’athéisme et le matérialisme du baron, exposés dans son Système de la nature. L’idée d’une morale rationaliste, procédant de la nécessité sociale plutôt que de la superstition, aura sur lui une influence durable.

À partir du printemps 1778 (au moment du retour triomphal de Voltaire et de sa mort à Paris), Cabanis et Boisgirais fréquentent aussi le salon de Madame Helvétius, rue d'Auteuil. Ils ont même le privilège d’être logés chez elle. Veuve depuis 1771, Madame Helvétius avait perdu son unique garçon (né comme eux en 1757) alors qu’il était encore un nourrisson. Elle développera une relation quasi-filiale avec les deux amis, tous les deux orphelins de mère depuis l’enfance.

Parmi les habitués de la maison d'Auteuil, on retrouve Diderot, d’Alembert, Lavoisier, Condorcet ou encore Malesherbes. Boisgirais s’entretient fréquemment avec l’ambassadeur américain Benjamin Franklin, ami intime de Madame Helvétius. Il est probablement initié à cette époque au sein de la loge maçonnique des Neuf Sœurs[9].

Son Mémoire sur la Chronologie d’Hérodote soulève des discussions à l’Académie des inscriptions. Il abandonne ses études de médecine avant leur terme pour se consacrer à l'orientalisme. Maîtrisant le grec ancien et lisant l’hébreu, il s’inscrit en 1780 au cours d’arabe donné au collège de France par Le Roux Deshauterayes[10], qui lui fait découvrir Erpenius, Michaelis et Niebuhr (auteurs des ouvrages de référence pour les arabisants du XVIIIe siècle). Boisgirais se convainc qu’il lui faut voyager en Orient pour approfondir ses connaissances par l’expérience, et non se contenter d’être un savant de bibliothèque.

À l’été 1782, il se retire chez son oncle en Anjou et se soumet à un entraînement méthodique pour s’habituer aux privations et à la fatigue qui l’attendent. C’est à l’occasion de son départ qu’il prend le pseudonyme de Volney, contraction de Voltaire et de Ferney, le village adoptif du philosophe qu’il admire.

Voyage en Égypte et en Syrie[modifier | modifier le code]

Les raisons de son voyage ne se limitent pas à des motivations savantes ou à la quête d’aventure d’un jeune homme de 25 ans : il est probable qu’une mission de renseignement lui ait secrètement été confiée à cette occasion par les services du comte de Vergennes[11],[12], comme le laisse penser l'importance qu'il donnera aux considérations politiques et militaires[13] dans l’ouvrage publié à son retour.

Itinéraire (1783-1785)[modifier | modifier le code]

Il embarque sur une corvette à Marseille en décembre 1782 et débarque à Alexandrie au début de l’année 1783. Il remonte ensuite le Nil en direction du Caire. La capitale, en proie à l’agitation politique, est alors désertée par les Français. Volney peut toutefois compter sur un guide expérimenté en la personne du vice-consul Magallon.

Après la visite des pyramides de Gizeh, aux pieds desquelles il passe une nuit à la belle étoile, il part en juillet en excursion à Suez, sur les rivages de la mer Rouge. Le 26 septembre 1783, il quitte Le Caire et redescend le Nil jusqu’à Damiette, pressé de quitter l’Égypte où se propagent la famine et la peste[14],[15].

Volney privilégie d’abord la navigation, plus sûre et plus rapide. Il passe par les ports de Jaffa, Acre, Tyr, Sidon et Beyrouth, avec une escale en novembre à Larnaca, sur l’île de Chypre. Il débarque finalement en Turquie, à Alexandrette, et progresse vers le sud à l’intérieur des terres. Il séjourne à Alep au tournant de l’année 1784, puis sur la côte à Tripoli.

Au mois de mars, il gravit le mont Liban encore enneigé, et atteint le couvent de Dhour Choueir où il est accueilli par les moines basiliens. Il réalise plusieurs expéditions à partir du monastère : Beyrouth, Antoura, Deir-el-Qamar, Djebel el-Druze, Damas et surtout Baalbek en août, où il visite les ruines des temples romains sous un soleil brûlant.

Volney fait ses adieux à ses hôtes basiliens en octobre et descend le Jourdain jusqu’à Jérusalem. Il passe par Bethléem et Jéricho, s’enfonce dans les terres jusqu’aux rivages de la mer Morte, puis regagne Jaffa sur la côte, descendant à Gaza en janvier 1785. C’est là qu’il côtoie brièvement une tribu de Bédouins, les Ouâhydât, dont il détaillera les mœurs et les conditions d’existence. Rebuté par l’extrême frugalité du mode de vie nomade[16], il se sépare de la tribu après quelques semaines.

Au début du mois de mars, il rembarque à Acre en compagnie du peintre Cassas, qui le documente sur les ruines de Palmyre (que Volney n’a pas vues de ses propres yeux) et lui offre un dessin du Sphinx de Gizeh et une vue des pyramides. Après une courte escale à Alexandrie, il débarque à Marseille en avril 1785, achevant un périple de vingt-huit mois.

Retour en France[modifier | modifier le code]

À son arrivée, Volney monte aussitôt à Paris, avant même d’aller revoir sa famille, ce qui peut s’expliquer par la nécessité d’un compte rendu de mission auprès des services diplomatiques. Il reprend contact avec le baron d’Holbach et réintègre le cercle d’Auteuil de Madame Helvétius. Benjamin Franklin, sur le point de regagner l’Amérique, le présente à Thomas Jefferson, son successeur à l’ambassade des États-Unis.

Il rentre à Craon en juin 1785. Les fêtes organisées en son honneur et la curiosité bavarde des provinciaux, qui satisfont d’abord son orgueil, l’ennuient rapidement. Son mutisme affecté et dédaigneux blesse ses amis d’enfance[17]. De surcroît, il apprend avec amertume que sa jeune cousine Charlotte Gigault de la Giraudais, qu'il aimait secrètement, a épousé un notaire royal de Nantes. Cette déconvenue le pousse à vendre ses propriétés de Candé héritées de sa mère et à regagner à l’automne la maison Helvétius, qui lui paraît son véritable foyer. C’est donc à Auteuil qu’il travaille pendant dix-huit mois à la rédaction de son premier ouvrage, sollicitant les réflexions et les conseils stylistiques de son entourage.

Publication[modifier | modifier le code]

Voyage en Égypte et en Syrie, édition de 1823

La publication du Voyage en Syrie et en Égypte est approuvée par la censure royale le 1er février 1787.

Suivant les préceptes de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (tous les deux décédés pendant son voyage), Volney met en œuvre une approche pluridisciplinaire. Le livre comporte pour chacun des deux pays étudiés une « description de l’état physique » (géologie, hydrologie, météorologie et épidémiologie[18]) suivie d’une « description de l’état politique » (où se mêlent l’ethnologie, la politologie, la psychologie, l’économie et l’agronomie).

L’attention portée aux détails et aux quantités[19], la précision, la sobriété et la sécheresse[20] scientifiques de son style ; tout cela contraste avec les épanchements de ceux qu’il nomme les « conteurs aux rêveries systématiques ». Il est conscient de la tendance qu’ont les voyageurs à embellir leurs récits[21] et critique en particulier les descriptions enchantées de l’Égypte par Savary, auxquelles il oppose un réalisme austère[22].

À partir de la multitude d’observations qu’il a récoltées, Volney peint une vision désabusée et pessimiste de la société orientale, en proie à la misère, à la violence et à l’ignorance[23]. Pour expliquer cet état détérioré de la condition humaine, il s’écarte de la théorie des climats de Montesquieu pour mettre l’accent sur le rôle des institutions politiques et religieuses. Il s’en prend au « despotisme militaire » des Ottomans, qu’il juge inaptes à gouverner[24].

Sa critique de l’arbitraire et du fanatisme s’inscrit dans la continuité de celles formulées par ses maîtres, Voltaire, Helvétius et d'Holbach. La théocratie et la tyrannie induisent une léthargie des individus, qui se fondent dans la masse d’une communauté soupçonneuse, profondément angoissée et résignée. De cette vision désenchantée de l’Orient[25] se dégage entre les lignes une critique de l’absolutisme et du cléricalisme de l’Ancien régime.

Réflexions sur l’Égypte ancienne[modifier | modifier le code]

Illustration des pyramides de Gizeh dans l’édition de 1787
Le Sphinx de Gizeh d'après un dessin de Vivant Denon (1798)

À propos de la pyramide de Khéops, la fascination initiale[26] qu'il éprouve devant le monument s’estompe rapidement. Il y voit « l’orgueil d’un luxe inutile », le vestige d’une injustice millénaire : « on s’afflige de penser que pour construire un vain tombeau, il a fallu tourmenter vingt ans une nation entière[27]. »

Volney attribue au Sphinx de Gizeh un visage de nègre[28],[29] : « Quel sujet de méditation, de voir la barbarie et l'ignorance actuelles des Coptes, issues de l'alliance du génie profond des Égyptiens et de l'esprit brillant des Grecs ; de penser que cette race d'hommes noirs, aujourd'hui notre esclave et l'objet de nos mépris, est celle-là même à qui nous devons nos arts, nos sciences et jusqu'à l'usage de la parole. D'imaginer enfin que c'est au milieu des peuples qui se disent les plus amis de la liberté et de l'humanité que l'on a sanctionné le plus barbare des esclavages et mis en problème si les hommes noirs ont une intelligence de l'espèce des hommes blancs[30] ! »

La thèse d’une origine subsaharienne des anciens Égyptiens est aujourd'hui contestée par les recherches génétiques[31],[32].

Réception et postérité de son ouvrage[modifier | modifier le code]

La publication du Voyage de Volney est un événement littéraire. Son témoignage est comparé à l’Enquête d’Hérodote. Une version anglaise est publiée à Londres dès 1787, suivie de traductions dans plusieurs langues européennes. Le baron de Grimm, rencontré chez d’Holbach, fait parvenir un exemplaire à l’impératrice Catherine II.

Dix ans plus tard, les membres de l’expédition d’Égypte seront unanimes quant au réalisme de ses descriptions. Bonaparte, Berthier et Bourienne estimeront que Volney est le seul à ne jamais les avoir trompés. Le dessinateur Vivant Denon écrit : « forme, couleur, sensation, tout y est, et peint avec un tel degré de vérité, que quelque mois après, relisant ces belles pages de son livre, je crus que je rentrais de nouveau à Alexandrie. »

Le Voyage de Volney lui confère une réputation de jeune aventurier énigmatique, revenu d’Orient avec les secrets de la sagesse. Son récit influencera les écrivains romantiques, comme Chateaubriand[33],[34] (Itinéraire de Paris à Jérusalem, 1811), Lamartine (Voyage en Orient, 1835) et Nerval (Voyage en Orient, 1851), qui le citent tous les trois[35].

Considérations sur la guerre des Turcs et des Russes[modifier | modifier le code]

Le succès de son Voyage l’a fait connaître dans les milieux diplomatiques : il est en relation avec le secrétaire d’ambassade de Venise, avec le représentant du roi d’Espagne, et surtout avec l’ambassadeur Thomas Jefferson.

Le 26 février 1788, il publie un deuxième ouvrage, les Considérations sur la Guerre des Turcs et des Russes, qu’il rédige en réaction au déclenchement, à l’été 1787, de la septième guerre opposant les deux empires. Volney examine les suites probables du conflit ainsi que la conduite que devrait selon lui adopter la France pour défendre ses intérêts.

Il fait le constat de la décadence de la Turquie, dont les tentatives de réformes semblent condamnées à l’échec par le poids de la tradition et la mentalité obscurantiste des élites. À l’inverse, la puissance de la Russie, alors rejetée par l’Europe au rang des « barbares asiatiques », n’a fait que croître depuis Pierre le Grand. Volney insiste sur la dimension religieuse du conflit, sur lequel plane le « rêve grec » de Catherine II, qui souhaite reconstituer l’Empire byzantin.

La victoire de la Russie, civilisation en plein essor, lui apparaît certaine. Face à ces événements, Volney prône la neutralité de la France, seule position raisonnable. Il juge irréaliste le projet de conquête de l’Égypte formulé par le baron de Tott : il exigerait une triple guerre contre l’Angleterre, la Turquie et les mamelouks, que la France surendettée serait incapable de mener. Il fixe comme priorité le rétablissement interne du royaume[36].

Catherine II lui adresse en juin 1788 une médaille d’or par l’intermédiaire du baron de Grimm[37],[38]. Les Considérations de Volney sont assez mal reçues dans les cercles diplomatiques français, qui voient en lui un profane indiscret, mésestimant le dangereux ascendant que la Russie tirerait d’un démembrement de l’Empire ottoman. Un ancien consul en Turquie, Claude-Charles de Peyssonnel, publie une réponse acerbe à ces « inconsidérations ».

La Révolution[modifier | modifier le code]

En 1787 et 1788, Volney gravite dans plusieurs cercles intellectuels parisiens. Il fréquente l’hôtel de la Monnaie, où Condorcet et sa femme Sophie reçoivent à dîner[39]. Delamétherie l’introduit dans les foyers de discussion maçonniques ; il se rapproche de Lalande (fondateur des Neuf Sœurs) et de Dupuis (instigateur de l’interprétation astronomique des mythes). C’est à cette époque qu’il fait la connaissance de Mirabeau, de Sieyès ou encore du docteur Guillotin.

Il devient membre (aux côtés de Lacépède et Lavoisier) de la Société des amis des Noirs, fondée en février 1788 par Brissot et l’abbé Grégoire. Ses vues abolitionnistes, alors que sa fortune est placée dans le commerce nantais, lui valent l’hostilité d’une partie des notables de sa province.

La Sentinelle du Peuple[modifier | modifier le code]

Le 8 août 1788, Louis XVI convoque les États généraux du royaume pour le printemps suivant. Volney (qui fréquente les mêmes salons que Necker, principal ministre d'État récemment rappelé par le roi) décide de partir pour Rennes, la capitale parlementaire de la Bretagne, afin d’y participer activement à la lutte politique.

Conscient de l’importance croissante de la presse, il multiplie les pamphlets[40]. Le premier numéro de La Sentinelle du Peuple[41], périodique adressé à tous les membres du tiers état de la province de Bretagne, paraît en novembre. Incitant les roturiers à la désobéissance, il réclame l’égalité de tous devant l’impôt, la suppression des fonctions officielles héréditaires et le vote par tête (et non par ordre), condition de la victoire du tiers aux états généraux. Il n’hésite pas à s’attaquer à l’un des principaux aristocrates de la province, le comte de Serrant, qui l’a accusé d’être un agitateur stipendié[42].

L’hiver glacial de 1788-1789 accroît la misère et la colère sociale. L’émeute rennaise de la fin janvier 1789 le décide à partir pour Angers, où il présente sa candidature à la députation. Les procédures engagées contre Volney par un Parlement très impopulaire, qui fait brûler ses brochures, contribuent à son élection le 19 mars 1789[43]. Il est l’un des neuf représentants du tiers état de la sénéchaussée d’Angers, avec notamment La Révellière, Milscent et Desmazières.

Député aux états généraux[modifier | modifier le code]

Il arrive à Versailles à la mi-avril 1789 et s’installe au 66 rue de la Paroisse-Notre-Dame. Son nom est alors l’un des plus célèbres parmi les élus du tiers. Il retrouve Mirabeau et Sieyès. Du fait de son rôle dans les événements de Rennes, il est considéré comme un allié par le groupe des députés bretons menés par Lanjuinais et Le Chapelier. Il est l’un des fondateurs du club breton, futur club des jacobins.

Les états généraux s’ouvrent le 5 mai avec le discours du roi. Au cours des jours suivants, les dissensions se crisallisent autour de la question du vote, le tiers souhaitant la fusion des trois ordres dans une assemblée unique.

Le caractère mélancolique et hautain de Volney, qui se lasse vite des discussions stériles entre députés vaniteux[44], ne l’empêche pas de prendre une part active aux événements de 1789. Il n’est pas grand orateur[45],[46] mais exerce en coulisses une influence de premier plan. En bien des occasions, il laissera au tribun Mirabeau le soin d’animer ses idées de son éloquence.

Buste de Volney dans salle du Jeu de paume à Versailles, sculpté par Idrac en 1883.

Le 17 juin, six semaines après l’ouverture des états généraux, alors que la situation demeure bloquée, les députés du tiers votent une motion de Sieyès : considérant qu'ils représentent au moins 96% du pays[47], ils se constituent en « Assemblée nationale ». Trois jours plus tard, lors du serment du Jeu de paume, ils s’engagent à rédiger une Constitution.

Louis XVI, résigné, demande le 27 juin au clergé et à la noblesse de se joindre au tiers, pour former une seule assemblée.

L’Assemblée nationale constituante[modifier | modifier le code]

Volney est l’un des 30 membres du comité de Constitution créé le 7 juillet[48]. Après la prise de la Bastille, il s’agace du temps perdu aux débats portant sur les désordres de la rue, qui empiètent sur les discussions relatives à l’organisation des nouvelles institutions[49]. Loin d'adhérer à ses vues pragmatiques, les députés se lancent dans l’élaboration de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen[50]. Sa lassitude devant des méthodes de travail qu’il juge incohérentes s’accompagne d’un épuisement physique[51].

À l’occasion du plan financier proposé par Necker, il défend ardemment l’abolition de la gabelle, particulièrement impopulaire dans sa province[52], et prône avec le soutien de Mirabeau la mise à disposition des biens du clergé, seul remède à ses yeux au déficit abyssal du royaume. Arguant que « l’État est d’autant plus puissant qu’il compte un plus grand nombre de propriétaires », il est partisan d’une division et d’une redistribution maximales des biens nationaux, afin d’en multiplier les bénéficiaires[53].

Au mois d’octobre, l’Assemblée quitte Versailles pour Paris, s’installant au manège du jardin des Tuileries. Volney, qui est élu secrétaire de l’Assemblée le 23 novembre, loge non loin, dans un appartement de l’hôtel de Malte, rue Saint-Nicaise. Il reprend ses habitudes à la maison Helvétius. Volney est un commensal du duc de La Rochefoucauld-Liancourt. Il se réunit souvent avec Talleyrand, Garat et Barnave, ainsi qu’avec le comte de Lameth et le vicomte de Noailles, députés de la noblesse ralliés aux jacobins. Il fréquente également les cercles des partisans de Philippe d’Orléans. Autour de lui, il voit grandir la couardise de ses collègues constituants, terrorisés par la gronde populaire[54].

Nommé par Necker directeur de l’agriculture et du commerce en Corse (sans rejoindre son poste[55]), il conseille Saliceti, le député du tiers état de l’île, et réclame devant l’Assemblée la réunion de la Corse à la France qui est adoptée le 30 novembre 1789.

En mai 1790, lors du grand débat de la constituante sur le droit de paix et de guerre, Volney préconise de mettre fin avec la diplomatie secrète, pour que les représentants du peuple puissent décider eux-mêmes de la politique étrangère. Il propose dans son discours du 18 mai que la France s’interdise toute « guerre tendant à accroître son territoire actuel. » L’attitude prise par Mirabeau dans les débats le surprend ; il pressent la collusion de son ami avec le roi[56].

Dès lors, il assiste avec moins d’assiduité aux séances pour se consacrer à l’écriture des Ruines. Observateur lucide des événements, il est déçu et inquiet de la tournure prise par la Révolution. Il ne se fait pas d’illusions sur le culte de la Patrie instauré au moment de la Fête de la Fédération, prélude de l'oppression à venir. Après la mort de Mirabeau, Volney ne paraît plus à l’Assemblée qu’en témoin silencieux.

Les Ruines[modifier | modifier le code]

Querelle avec le baron de Grimm[modifier | modifier le code]

Le 5 décembre 1791, le Le Moniteur universel publie une courte lettre de Volney à « M. le baron de Grimm, chargé d’affaires de S.M. l’Impératrice de Russie ». Déplorant le soutien de Catherine II aux princes émigrés qui rassemblent leurs forces à Coblence, Volney charge Grimm de rendre à l’impératrice le prix reçu en 1788 pour ses Considérations sur la guerre des Turcs et des Russes. « Veuillez lui dire que, si je l’obtins de son estime, je le lui rends pour la conserver ». Il refuse de croire que la tsarine, admirée des philosophes français, veuille en connaissance de cause « épouser la querelle des champions iniques et absurdes de la barbarie superstitieuse et tyrannique des siècles passés ».

Le 1er janvier 1792, une violente réponse à cette lettre paraît à Coblence sous le nom de Grimm, sans que ce dernier démente en être l’auteur[57],[58],[59]. Le pamphlétaire raille la vanité de Volney, qui aurait prétendument obtenu sa « petite médaille » après « maintes sollicitations ». Il prend la défense des émigrés et accuse le philosophe de vénalité (la somme de six mille livres de rente sur les fonds du royaume est citée à de multiples reprises)[60].

Les sarcasmes visent également le médecin Cabanis, accusé d’avoir tué Mirabeau, et tout le cercle d’Auteuil, « la loge de fous les plus ridicules de la terre ». Volney est désigné responsable de « quelques incendies dans l’Anjou et de quelques douzaines d’assassinats ».

Ce pamphlet a un écho limité, tandis que la lettre de Volney, qui se distancie d’une ennemie déclarée de la Révolution, accroît sa réputation de patriote.

Mésaventure en Corse[modifier | modifier le code]

En février 1792, Volney débarque avec Saliceti à Bastia, avec l’idée de conduire des expériences agricoles sur l'île. Il fait la connaissance à Corte du lieutenant Napoléon Bonaparte[61], qui le guide jusqu’à Ajaccio[62] où il le présente à sa mère Letizia.

Le 1er mai, suivant les conseils de la famille Bonaparte, il achète la confina, un immense domaine[63],[64] aux portes d’Ajaccio, qui fait de lui le plus important propriétaire foncier de la région. Ces « Petites-Indes », lui coûtent 100 000 livres (payables en 12 annuités). Imprégné des idées physiocrates et hostile à la colonisation[65], Volney veut prouver qu’il est possible d’établir en Méditerranée les cultures des tropiques (orangers, dattiers, cannes à sucre, caféiers, cotonniers et indigotiers).

Son séjour course est aussi motivé par ses ambitions politiques. À son arrivée, il fait d’amères constatations sur l’état du corps social, qui repose entièrement sur le clientélisme[66]. Il essaye de se faire nommer au directoire du département, avec l’espoir d’être ensuite élu à la Convention aux côtés de Saliceti, grâce à la diffusion d’un journal sur le modèle de la Sentinelle.

Il compte sur l’appui de Pascal Paoli, qu’il avait soutenu devant l’Assemblée constituante. Mais le vieux chef corse désapprouve les évènements de l’été 1792 et prend ses distances avec la République naissante. Selon Volney, il entend « chasser les Français par les Anglais pour chasser ensuite les Anglais par les Corses, puis soumettre les Corses par son parti et sa parenté ». Paoli l’évince du directoire de l’île et s’emploie à entacher sa réputation en le faisant passer pour un espion et un hérétique[67]. Ces accusations menacent sa sécurité[68] et l’intégrité de son domaine[69]. Craignant pour sa vie, il s'enfuit en février 1793[70],[71]. Paoli ordonne la vente aux enchères des « Petites-Indes ».

La Terreur[modifier | modifier le code]

Lorsqu’il retrouve son appartement parisien de la rue Saint-Nicaise, un mois après l’exécution de Louis XVI, l’atmosphère de la capitale est transformée. Le pays est assiégé par la première coalition et la Convention se déchire entre montagnards et girondins.

S’étant massivement endetté pour investir dans son domaine corse, il est incapable de payer la première annuité qui lui est réclamée. Grâce à son ami Garat, ministre de l’intérieur, il obtient le 21 avril un sursis de six mois pour s’en acquitter.

La trahison du général Dumouriez, qui a rejoint les rangs autrichiens, vient jeter la suspicion sur tous ceux qui ont fréquenté le cercle du duc d’Orléans. Le nom de Volney est éclaboussé par l’affaire. Pour l’éloigner de la capitale, Garat lui confie une mission d’observation dans l’ouest de la France[72]. Il est à Nantes en mai, puis à Rennes en juin, et n’assiste donc pas à l’arrestation des députés girondins.

Catéchisme du citoyen français[modifier | modifier le code]

Au début du mois de septembre 1793, il publie depuis la Bretagne un petit ouvrage, La Loi naturelle, ou Catéchisme du citoyen français, qui vise à synthétiser et à rendre accessibles à tous les idées exposées dans Les Ruines. Volney cherche à établir une morale universelle, soumise aux règles du calcul à l’instar de la physique et de la géométrie[73],[74].

Il fait profession de déisme[75] : « Qu’est-ce que la loi naturelle ? C’est la loi éternelle, immuable, nécessaire, par laquelle Dieu régit l’univers, et qu’il présente lui-même aux sens et à la raison des hommes pour leur servir de règle égale et commune, et les guider, sans distinction de pays ni de secte, vers la perfection et le bonheur. »

Incarcération[modifier | modifier le code]

De retour à Paris, voyant les arrestations se multiplier dans son entourage du fait de la loi des suspects nouvellement promulguée, Volney cherche à se mettre à l’abris. Malgré la recommandation de Garat, le citoyen Deforgues, ministre des Affaires étrangères, lui refuse un poste de consul. Le 18 octobre, le Conseil exécutif lui propose un voyage d’étude aux États-Unis (on sait qu’il a été lié avec l’illustre Benjamin Franklin, et qu’il est en relations confiantes avec Thomas Jefferson).

Il prépare son départ lorsqu’il est arrêté le 16 novembre 1793, sur ordre du Comité de sûreté générale. Le motif officiel de son incarcération est le non-remboursement de ses dettes contractées en Corse : le délai qu’il a obtenu au printemps pour le versement de la première annuité s’est écoulé, et Garat, destitué de son ministère et attaqué par les montagnards, n’est plus en mesure de le protéger.

Détenu à la prison de La Force, Volney est transféré le 24 janvier 1794 à la pension Belhomme pour raison de santé. Le 21 février, peu après son 37e anniversaire, il est envoyé à la maison Coignard sur ordre du citoyen Froidure, qui lui évite par ce transfert la guillotine[76],[77]. Il sort de prison le 16 septembre 1794, quelques semaines après la chute de Robespierre.

L’École Normale[modifier | modifier le code]

En octobre 1794, il se rend dans les Alpes-Maritimes pour y rétablir sa santé qui s’est détériorée dans les geôles parisiennes. À Nice, il retrouve Napoléon Bonaparte, élevé l’année précédente au rang de général de brigade. Chaptal rapporte qu’au cours d’un dîner, Bonaparte expose à Volney son plan de conquête de l’Italie, plus d’un an avant sa campagne victorieuse[78].

Il est très sollicité par les autorités politiques au cours de l’automne. Garat a pris la tête de la Commission exécutive de l’instruction publique et des personnalités qui le tiennent en haute estime siègent au Comité d'instruction publique, en particulier Lakanal et l’abbé Grégoire. Dix écrivains sont désignés pour composer les livres dédiés à l’enseignement dans les écoles primaires[79]. Volney est chargé de rédiger un manuel d'explication de la Droits de l’Homme et de la Constitution qui ne verra jamais le jour[80].

Il est également appelé par Miot, commissaire aux relations extérieures, en tant que spécialiste de l’Empire ottoman. Il publie deux opuscules à l’usage de la diplomatie française : une Simplification des langues orientales[6], présentant une méthode pour apprendre les langues arabe, persane et turque avec l’alphabet latin[81], et des Questions de Statistique à l’usage des Voyageurs, qui doivent servir à une enquête à l’échelle planétaire[82].

À la création de l’École normale, destinée à former de manière accélérée des instituteurs pour les disséminer ensuite à travers la France, Volney est choisi comme professeur d’histoire. Le 20 janvier 1795, jour de l’ouverture de l’École au Muséum du Jardin des plantes, il prononce sa première leçon.

Il commence par définir la spécificité de l’histoire par rapport aux sciences naturelles[83], avant de s’interroger sur l’intérêt moral de cette discipline, son utilité pour le progrès humain[84] et ses potentiels effets délétères[85],[86],[87],[88]. Dans les six leçons qu’il donne, il présente les éléments d’une méthode pour tenter de reconstruire rationnellement le passé, à la manière d’un enquêteur[89],[90]. Il privilégie les sources écrites, immuables, aux traditions orales où « se déploient tous les caprices, toutes les divagations volontaires ou forcées de l’entendement ». Il prône l’interdisciplinarité (la géographie, l’économie, la linguistique et l’étude des religions doivent enrichir la connaissance historique des sociétés) et insiste sur l’importance des détails, parfois plus révélateurs que les grands événements[91].

Sa vision du devenir humain apparaît profondément pessimiste. L'espoir révolutionnaire des Ruines s’est éteint avec son incarcération. Le destin de l’espèce lui paraît cyclique et dénué de sens : « Sous des noms divers, un même fanatisme ravage les nations ; les acteurs changent sur la scène ; les passions ne changent pas, et l’histoire n’est que la rotation d’un même cercle de calamités et d’erreurs[92]. »

L’École normale ferme ses portes en mai 1795, après seulement cinq mois d’existence. Il reprend alors les préparatifs de son voyage en Amérique interrompus par son arrestation en 1793. Dans les semaines précédant son départ, il reçoit la visite de Napoléon Bonaparte. Peu confiant quant à ses perspectives d’avenir, celui-ci est en quête de renseignements sur la Turquie, où il songe à proposer ses services. Volney le dissuade de partir, lui disant que c’est en France que ses talents auront le plus de chances d’être reconnus.

Voyage en Amérique[modifier | modifier le code]

En 1795, les relations franco-américaines connaissent des tensions croissantes dues au traité de Londres, qui marque le rapprochement des États-Unis avec la Grande-Bretagne[93]. Volney espère obtenir par son séjour un poste de consul général ou même d’ambassadeur.

Marqué par son incarcération pendant la Terreur, il envisage de s’installer durablement dans le nouveau monde et d’y acquérir des terres[94],[95]. « Triste du passé, soucieux de l’avenir, j’allais avec défiance chez un peuple libre, voir si un ami sincère de cette liberté profanée trouverait, pour sa vieillesse, un asile de paix dont l’Europe ne lui offrait plus d’espérance. »

Avant son départ, il demande à James Monroe, alors ambassadeur à Paris, de lui écrire des lettres d’introduction auprès d’hommes de confiance à Philadelphie. Il entretient tout au long de son voyage une correspondance avec des membres du gouvernement français, en particulier avec l’abbé Grégoire[96] et La Révellière[97], récemment nommé Directeur.

Volney quitte Le Havre le 13 juillet 1795. La traversée de l’Atlantique dure près de trois mois. Son navire passe par les Bermudes, arrive dans la baie de la Delaware et remonte le fleuve jusqu’à Philadelphie. Il y retrouve de nombreux Français en exil[98], dont plusieurs anciens collègues à la constituante qui se réunissent chez Theophilus Cazenove (Talleyrand, La Rochefoucauld-Liancourt, Moreau de Saint-Méry[99], ou encore le vicomte de Noailles[100], beau-frère de La Fayette).

Il passe l’hiver à apprendre l’anglais et fréquente assidûment la Société américaine de philosophie fondée par Franklin[101]. On lui apprend qu’il a été élu en octobre au Conseil des Cinq-Cents par les citoyens de la Mayenne (il n’y siégera pas du fait de son absence). Il est également informé de sa nomination par le Directoire à l’Institut national des sciences et des arts[102].

Dans ses lettres à La Révellière, Volney dénigre l’ambassadeur français Pierre Auguste Adet[103]. Il affirme que les Américains perçoivent très mal une certaine condescendance française (« Ne parlez plus de « bienfait » ni de « gratitude » : vos agents ont ulcéré les cœurs par ces reproches. Tenons nous quittes, parlons d’intérêts, c’est la boussole de ce pays[104]. »). Il prône une diplomatie de séduction culturelle[105].

Expédition à l’intérieur des terres[modifier | modifier le code]

Au printemps 1796, il part pour Georgetown, où l’architecte William Thornton lui fait visiter le chantier du Capitole : « les villes d’Asie ressemblent un peu à celle-ci, mais ce sont des squelettes ; ici, c’est un embryon. » Il suit ensuite le Potomac jusqu’à Fredericksburg, avant d’obliquer vers le sud-ouest, arrivant le 8 juin à Monticello, chez Thomas Jefferson. Il demeure trois semaines dans le domaine de son ami, où sont exploités quelques 150 esclaves.

Après avoir assisté à la moisson, Volney se met en route vers l’ouest. Au cours de l’été, il passe par Gallipolis, y constatant l’échec de la colonie française, descend l’Ohio jusqu’à Louisville (il fait un détour par Fort Vincennes) et visite Frankfort et Cincinnati. En septembre, il part pour Detroit avec un convoi militaire destiné au général Wayne. Il traverse le lac Érié jusqu’aux chutes du Niagara, avant de prendre le chemin du retour, longeant l’Hudson jusqu’à New York et regagnant Philadelphie en décembre.

Conflit avec John Adams[modifier | modifier le code]

La guerre franco-britannique nuit au commerce américain et les relations avec Paris se dégradent nettement après l’élection à la présidence de John Adams, dont l’aversion pour les Français est de notoriété publique[106].

Malgré l’hostilité croissante envers son pays, Volney est élu membre de la Société américaine de philosophie le 20 janvier 1797. Cette consécration provoque la colère de Joseph Priestley, chimiste anglais réfugié aux États-Unis, qui diffuse un pamphlet l’accusant d’athéisme, ce qui entache sa réputation dans la société puritaine philadelphienne. Il publie une réponse emplie d’ironie, tournant en dérision l’hypocrisie et la vanité de son adversaire.

À l’été 1797, il se rend de nouveau à Georgetown. William Thornton le présente à George Washington, qui l’accueille pendant deux jours à Mount Vernon et lui témoigne publiquement son estime. Thomas Jefferson l’invite ensuite une seconde fois à Monticello. Volney passe l’hiver à Philadelphie, où il étudie la langue des Miamis à la Société américaine de philosophie.

En avril 1798, l’affaire XYZ déclenche une « quasi-guerre » entre la France et les États-Unis. Le gouvernement de John Adams fait voter une loi permettant d’emprisonner ou d’expulser tout étranger suspect (la loi étant spécialement dirigée contre Volney selon Jefferson). On l’accuse à tort d’intriguer pour livrer la Louisiane au Directoire[107]. William Cobbett, pamphlétaire à la solde des Britanniques, mène une violente campagne pour le discréditer. Il est contraint de quitter précipitamment l’Amérique en juin 1798.

Tableau du climat et du sol[modifier | modifier le code]

Dans le sillage de Crèvecœur, Brissot, Talleyrand et La Rochefoucauld-Liancourt, Volney rend compte de son expérience américaine auprès du public français : il publie en 1803 un traité de géographie, le Tableau du Climat et du Sol des États-Unis.

Il commence par présenter la configuration générale du territoire (les plaines côtières de l’Atlantique, la chaîne des Appalaches et le bassin du Mississippi), puis il consacre différents chapitres à la géologie[108], aux lacs, aux chutes d’eau, aux séismes, aux climats et aux courants aériens. Il conclut son ouvrage par un exposé des principales maladies affectant la population du pays. Au long de son ouvrage, il conseille à plusieurs reprises au gouvernement des États-Unis de créer des « sociétés savantes » pour mesurer les phénomènes naturels et travailler si possible à les maîtriser.

Volney insiste sur le caractère empirique de son enquête. Quand il n’a pas constaté lui-même un fait, il nomme des témoins dignes de foi (magistrats, officiers, ecclésiastiques ou médecins, qui lui ont presque toujours été recommandés par Jefferson et Thornton). À son retour, il a confié à Delamétherie l’étude des échantillons minéraux qu’il a rapportés, et à Lamarck celle des fossiles.

Dans sa préface, il fait état de ses démêlés avec John Adams et rend hommage à Thomas Jefferson, élu président en 1801. Il fait l’apologie de la liberté de la presse américaine, alors même que Napoléon Bonaparte restreint celle des journaux français[109].

Il avait d’abord conçu son livre sur le même plan que son Voyage en Égypte et en Syrie, avec un « tableau politique » en seconde partie. Mais seul le traité géographique est publié[110]. Se croyant mourant[111], il laisse inachevées ses réflexions politiques. Toutefois, son Tableau, sa correspondance et ses manuscrit laissent entrevoir sa vision de la jeune démocratie américaine, trente ans avant le célèbre ouvrage de Tocqueville.

Observations sur les Américains[modifier | modifier le code]

Ses considérations sur la société américaine se veulent dénuées d’illusions, comme celles qu’il avait tirées de son séjour en Orient. Il en résulte une vision assez sombre, à rebours de l’engouement de ses contemporains pour le nouveau monde[112]. Il se plaint par exemple dans ses lettres de la saleté des villes[113] et de l’alimentation indigeste des habitants[114]. L’ivrognerie est décrite comme un vice très répandu à travers le pays.

Volney compare l’orgueilleuse caste des grands propriétaires terriens à la noblesse française de l’Ancien régime. Il remarque l’esprit mercantile des Américains, qui réduisent « tout en calcul », et l’importance des juristes (« les prêtres du pays »). Selon lui, les États-Unis tirent leur prospérité bien moins de la sagesse de leurs législateurs, que des richesses naturelles de leur immense territoire. Disciple des physiocrates, convaincu que la richesse vient du sol, il se montre dithyrambique quant aux efforts héroïques des pionniers de l’agriculture américaine.

Il discerne les aspirations isolationnistes et l’impérialisme panaméricain de cette nation bénéficiant d’une position géopolitique avantageuse (isolée du théâtre militaire européen). Malgré la guerre d’indépendance qui les a opposés, Britanniques et Américains ont conservé des liens privilégiés. Il a pu constater pendant son voyage la prégnance des sentiments antifrançais[115],[116].

Il note également l’opposition fondamentale entre les états du Nord, où se développent l’industrie, et ceux du Sud, où prédominent une économie agricole reposant entièrement sur l’esclavage.

L’esclavage des Noirs[modifier | modifier le code]

Son manuscrit non publié comporte de longs passages critiquant l’esclavage, tant pour son inhumanité que pour ses effets économiques néfastes[117],[118].

À Monticello[119], les invités de Jefferson conversent à propos du « problème des nègres », auquel diverses solutions sont envisagées : « Les uns veulent qu’on renvoie tous les Noirs en Afrique ; les autres veulent qu’on en fasse une république, isolée dans un canton de l’ouest, par-delà le Mississippi. D’autres enfin pensent qu’il vaudrait mieux éduquer les Noirs et les rendre capables de bien user de la liberté qui deviendrait le prix certain de leur bonne conduite. »

Face aux saillies racistes d’un planteur carolinien, Volney rétorque qu’en Bretagne, les enfants de paysans arriérés sont devenus « des notaires, des procureurs et des ecclésiastiques d’esprit distingué ». Il en conclut : « Éduquez vos Noirs, rendez-les libres, et la même chose leur arrivera[120]. »

Il suggère que les mariages mixtes pourraient favoriser à terme une société sans distinction de couleurs[121]. Cependant, il remarque que les enfants métis, nombreux dans les plantations en dépit de l’indignation qu’ils suscitent, n’en demeurent pas moins des esclaves[122].

Les « Sauvages »[modifier | modifier le code]

Volney clôt son ouvrage par un chapitre intitulé « éclaircissements sur les sauvages ». Il s’intéresse aux autochtones d’autant plus qu’il craint que « dans cent ans », ces peuples seront éteints, et que leur histoire[123] et leur culture auront disparu avec eux.

Sa première intention est de vivre quelques temps avec une tribu pour l’étudier, comme il l’avait fait avec les bédouins de Gaza, mais les colons l’en dissuadent, lui assurant qu’il n’existe aucune loi d’hospitalité chez les sauvages, que leur « état social est celui de l’anarchie et d’une nature féroce et brute ». Il est conforté dans cette idée à Fort Vincennes, où les Piankashaw[124] qu’il observe sont « sales, ivrognes, fainéants, voleurs, d’un orgueil excessif, d’une vanité facilement blessée, et alors, cruels, altérés de sang, implacables dans leur haine, atroces dans leur vengeance[125],[126] ».

Au début de l'année 1798, à Philadelphie, il a l’occasion de s’entretenir plusieurs fois avec Michikinikwa (« petite tortue »), le célèbre chef des Miamis[127] que Volney décrit comme un homme sage et lucide. Michikinikwa comprend que la cause première du pouvoir des Européens réside dans leur maîtrise de l’agriculture, qui leur donne la capacité de nourrir d’immenses populations sur des espaces restreints. Il se désole de l’expansion des colons : « nous fondons comme la neige devant le soleil du printemps ; si nous ne changeons pas de marche, il est impossible que la race des hommes rouges subsiste. »

La question de la propriété foncière est centrale dans le regard que porte Volney sur les autochtones d'Amérique. À l’image de nombreux députés de 1789, il pense que la propriété est nécessaire au sentiment d’appartenance à une société[128]. Il est convaincu des bienfaits de la sédentarité, de la civilisation comme « enclos » défensif face à une nature hostile. Le sauvage lui semble condamné à disparaître ou à s’assimiler[121].

Son aversion pour les mœurs indigènes contraste avec l’image du « bon sauvage » popularisée au XVIIIe siècle. Il y voit le fantasme de ceux « qui jamais n’ont quitté le coin de leur cheminée » et s’en prend particulièrement aux célèbre Discours de Rousseau, auteur d’un « monde d’abstractions » qui vécut « presque aussi étranger à la société où il naquit qu’à celle des sauvages[121] ».

Volney égratigne également Chateaubriand[129] quand, évoquant la pédérastie des Chactas et des Chicachas, il écrit malicieusement que « ces honnêtes gens-là auraient bien besoin du missionnaire Atala[130]. »

Consulat[modifier | modifier le code]

Volney débarque à Bordeaux au début du mois de juillet 1798. Il rentre à Paris, où il retrouve son appartement de la rue Saint-Nicaise et réintègre le cercle de la rue d'Auteuil. Madame Helvétius accueille dans son salon la société des idéologues, qui rassemble plusieurs de ses confrères de l’Institut (Destutt de Tracy, Cabanis, Daunou, Garat, Lakanal, Andrieux, Ginguené, ou encore Jean-Baptiste Say).

En septembre, il part à Craon s’occuper de la succession de son père, décédé au printemps 1796. Il vend tous les biens dont il a hérité pour s’acheter une vaste propriété agricole à Pringy, au nord de Meaux.

Il suit attentivement l’expédition en Égypte, dont les échos se raréfient dans les journaux après la bataille d’Aboukir. L’inquiétude se répand dans l’opinion publique et Volney signe un article dans Le Moniteur universel du 21 novembre 1798, à la demande de La Révellière. Il expose les difficultés de la situation dans laquelle se trouve Bonaparte et réfute l’idée absurde, entretenue par certaines gazettes, d’une percée jusqu’en Inde pour y déloger les Anglais. Il trace le plan d’un retour vers la France à travers la Syrie, la Turquie (avec une entrée dans Constantinople) et les Balkans[131].

Le 27 novembre, il écrit sans le signer un second article pour Le Moniteur universel, mettant en scène une entrevue fictive entre Bonaparte et « plusieurs muftis et imams » à l’intérieur de la grande pyramide de Gizeh[132]. Assis sur le sarcophage de granit où reposait jadis la momie du pharaon Khéops, le général français s’adresse aux musulmans : « Gloire à Allah. Mohammed est son prophète et je suis de ses amis. » Affirmant avoir « tempéré l’orgueil du vicaire d’Issa (le pape) en diminuant ses possessions terrestres », il sollicite ainsi ses interlocuteurs : « Favorisez les commerces des Francs dans vos contrées (…) et éloignez de vous les insulaires d’Albion, maudits entre les enfants d’Issa. » Dans ce texte de propagande, qui mystifiera certains biographes[133], les Égyptiens se montrent très révérencieux envers Bonaparte, « invincible général », « envoyé de Dieu » et « favori de Mohammed ».

À l’exception de ces deux interventions, Volney reste en retrait de la politique pour se consacrer aux séances de l’Institut. Le coup d'État du 30 prairial an VII (18 juin 1799), qui chasse La Révellière du Directoire, lui fait craindre une résurgence des excès jacobins (l’éphémère club du Manège réveille le souvenir de 1793).

Le coup d’État du 18 brumaire[modifier | modifier le code]

En octobre 1799, Bonaparte débarque à Saint-Raphaël et rentre triomphalement à Paris. Quelques jours après son arrivée dans la capitale, il fait appeler Volney qui devient dès lors un visiteur régulier de l’hôtel de la rue de la Victoire.

Le philosophe participe aux préparatifs du coup d'État du 18 Brumaire an VIII (9 novembre 1799)[134]. Sa connaissance du milieu parlementaire est utile au général, les institutions du Directoire étant peuplées d’anciens collègues à la Constituante[135], ainsi que ses relations à la maison Helvétius (Cabanis, député au Conseil des Cinq-Cents, prononce le 19 brumaire un discours important en soutien au coup d’État).

Les idéologues d’Auteuil accueillent avec enthousiasme ce nouveau régime. Bonaparte, membre de l’Institut, incarne à leurs yeux l’ordre et la modération face à l’anarchie et la tyrannie. Volney, imprégné de la philosophie voltairienne, se méfie du peuple. Il espère sincèrement que le général se fera le défenseur des Lumières et qu’il renouera avec l’esprit de la Constituante, qu’il se comportera en citoyen sur le modèle du président américain George Washington.

Après la nomination de Cambacérès au poste de deuxième consul, le troisième est proposé à Volney, qui décline l’offre en alléguant des raisons de santé. Soucieux de garder son indépendance, il refuse également le ministère de l’Intérieur[136]. Il accepte finalement un siège au Sénat conservateur le 24 décembre.

Au début du Consulat, il fait figure d’éminence grise[137]. Il est un habitué du château de Malmaison (où Bonaparte aime à dîner avec des sénateurs savants comme Monge ou Laplace). Le philosophe se lie d’amitié avec Joséphine de Beauharnais et sa fille Hortense[138]. Ses relations avec le Premier consul relèvent selon certains de la courtisanerie[139], même s’il ne verse jamais dans l’obséquiosité et conserve un liberté de ton qui finira par précipiter sa disgrâce.

La rupture avec Bonaparte[modifier | modifier le code]

Ses relations avec le Premier consul se dégradent à mesure que les desseins tyranniques de celui-ci se dévoilent. Il réprouve les atteintes à la liberté de la presse (le décret du 17 janvier 1800, au tout début du Consulat, musèle les journaux parisiens). C’est à côté de chez lui, rue Saint-Nicaise, qu’explose la machine infernale le 24 décembre 1800, sur le trajet du carrosse de Bonaparte. Cet attentat, perpétré par les royalistes, est attribué à l’opposition jacobine qui est sévèrement réprimée.

Volney est hostile aux mesures d’amnistie générale qui sont accordées aux aristocrates émigrés. S’il intervient à plusieurs reprises pour plaider le cas du vicomte de Noailles (dit « Noailles la nuit » en référence au 4 août 1789), qu’il avait retrouvé aux États-Unis, il est mécontent du retour de certains seigneurs hautains, comme le monarchiste La Galissonnière, son ancien collègue à la députation de l’Anjou. Il voit d’un mauvais œil la cour qui s’organise au palais des Tuileries, où « la parade civile continue la parade militaire ». Néanmoins, il se montre encore favorable dans l’ensemble à l’action du gouvernement[140].

C’est surtout au moment du concordat, signé avec le Saint-Siège à l’été 1801 et perçu comme une trahison de l’esprit des Lumières, que ses rapports avec Bonaparte se détériorent nettement. L’instrumentalisation de la religion à des fins politiques l’indigne, et il ne dissimule pas ses opinions sur ce sujet. Une dispute éclate : répondant à l’argument selon lequel le peuple réclamerait cet accord avec l’Église catholique, Volney affirme que le peuple souhaiterait aussi le retour des Bourbons, ce qui déclenche la colère du Premier consul qui l’aurait alors frappé[141],[142].

Les républicains libéraux, attachés aux prérogatives du pouvoir législatif, protestent devant le tournant autoritaire pris par le régime. Bonaparte s’agace de cette minorité de mécontents, de ces idéologues[143],[144] qui l’avaient soutenu en 1799. Daunou, Guiguené, Andrieux, Chénier, Laromiguière et Constant sont ainsi écartés du Tribunat en 1802. L’arrêté consulaire du 23 janvier 1803 réorganise l’Institut national en supprimant la classe des sciences morales et politiques, foyer des contestations. Volney est transféré à cette occasion vers la classe de littérature (l’Académie française).

Très souffrant, il est en villégiature dans la cité thermale de Spa à l’été 1802, et ne vote donc pas la constitution de l’an X qui met fin de facto à la République, après le plébiscite du consulat à vie.

Vente de la Louisiane[modifier | modifier le code]

Malgré leurs désaccords, Bonaparte continue de le consulter, en particulier au sujet de l’Amérique. Ayant obtenu de l’Espagne la restitution de la Louisiane en 1800, le Premier consul décide l’expédition de Saint-Domingue, pour reprendre possession de l’île et s’assurer l’accès à la vallée du Mississippi. Volney s’oppose vigoureusement à cette ambition coloniale, estimant très improbable le succès du général Leclerc (« si vous envoyez trente mille hommes à Saint-Domingue, il vous reviendra trente mille chapeaux »). Il s’emploie en vain à convaincre Bonaparte que les Américains risquent de se rapprocher des Britanniques pour contrer l’impérialisme français.

Les évènements lui donnent rapidement raison : en 1802, le corps expéditionnaire français échoue à reprendre le contrôle de Saint-Domingue et les relations franco-américaines sont en crise. Le président Thomas Jefferson envoie Dupont de Nempours à Paris pour tenter une conciliation, puis James Monroe pour assister l’ambassadeur Robert R. Livingston, avec la mission d’acheter La Nouvelle-Orléans. Jefferson confie à Monroe une lettre destinée à Volney, lui écrivant que les États-Unis sont disposés à un arrangement, mais qu’ils n’excluent pas une alliance avec l’Angleterre dans l’éventualité d’un refus français.

Bonaparte est contraint de renoncer à son rêve américain et de négocier la cession de ce territoire trop lointain pour être défendu. La vente de la Louisiane est signée le 30 avril 1803. Volney, qui exerce alors la vice-présidence du Sénat, constate amèrement la validité de ses conseils initiaux. Tout au long de cette affaire, il n’a pas hésité à contredire frontalement le Premier consul, à qui son « austère franchise[145] » déplaît de plus en plus. Dans une lettre à Jefferson, il regrette « la perte de tant d’hommes, de richesses et de temps », et tandis que se disloque la paix d'Amiens avec le Royaume-Uni, il conclut : « Pauvre Europe, théâtre de carnage et jouet de Conquérants ! »[146] Ses dernières illusions sur Bonaparte ont alors disparu.

Après la mort de Madame Helvétius, Volney ne fréquente plus les salons, vivant reclus dans un petit hôtel de style égyptien qu’il a fait bâtir en 1802, rue de La Rochefoucauld. Un croquis de son fidèle ami Besnard le représente dans son jardin, appliqué à la confection de machines hydrauliques.

Le 9 août 1803, sur un quai de Seine, il assiste avec Prony et Carnot au premier essai du bateau à vapeur de Robert Fulton. Le soir même, il est pris d’une terrible fièvre qui le mène au bord du tombeau. Il passe les derniers mois du Consulat en convalescence dans le Midi.

Empire[modifier | modifier le code]

Volney dessiné par Pierre Chasselat (gravure de Bertonnier sous la direction de Tardieu).

Indigné par l’arrestation du général Moreau[147] et par l’exécution du duc d'Enghien, Volney fait partie des rares sénateurs qui s’opposent à l’avènement de l’Empire[148] (aux côtés notamment de Grégoire et de Garat). Le 18 mai 1804, lorsqu’est adoptée la constitution de l’an XII qui met officiellement fin à la République, il présente sa démission. Irrité, l’empereur la refuse et le Sénat décrète quelques jours plus tard qu’il n’acceptera le départ d’aucun de ses membres. Dès lors, résigné devant la servilité et la vénalité de la Chambre, il s’y astreint à une abstention presque complète. Le Sénat conservateur, loin de protéger les libertés constitutionnelles, « n’a conservé que soi-même. »

Il écrit à Jefferson : « Dans cette grande scène historique, le sort m’a accordé une place en petite loge d’où je puis assez tranquillement contempler le spectacle. J’avoue pourtant que plus ami du genre comique que du larmoyant, je préférerais à cette grande tragédie quelque petite pièce[149]. » Volney observe sans grand enthousiasme la Grande Armée conquérir le continent. Il témoignait déjà en 1795, dans ses leçons d’histoire à l’École normale, d'une méfiance à l’égard des rêves de gloire militaire.

L’académie celtique[modifier | modifier le code]

Volney délaisse la politique pour ses recherches linguistiques et historiques. Il est membre, dès sa création en 1804, de l’Académie celtique qui se réunit au Louvre[150],[151],[152]. Son souhait serait d’en faire un équivalent français de la société asiatique de Calcutta, dont il est membre depuis 1797[153]. Volney participe à l’élaboration d’un questionnaire visant à cartographier l’usage des différents dialectes dans les départements français. Il veut recueillir les idiomes locaux avant qu’ils ne disparaissent (comme il avait suggéré à la Société américaine de philosophie de le faire pour les langues amérindiennes).

Le lycée asiatique[modifier | modifier le code]

Il travaille aussi à un projet qui restera à l’état d’ébauche. Vers 1804, il rédige ses Vues nouvelles sur l’enseignement des langues orientales, publiées à titre posthume en 1821. Il critique les établissements existants[154] et plaide pour l’ouverture d’une chaire d’arabe « vulgaire » (son rival Silvestre de Sacy, qui connaît la grammaire plus qu’il ne pratique la langue, professe seulement l’arabe littéraire à l’École des langues orientales).

Volney imagine un « lycée asiatique » qui serait divisé en deux sections : un collège de drogmans situé à Marseille et un collège des traducteurs installé à Paris. Le premier comprendrait quatre professeurs « nés dans les langues qu’ils enseigneraient » (turc, persan, arabe barbaresque et arabe levantin) et formerait une cinquantaine d’élèves selon la méthode de l’enseignement mutuel[155]. Le second, composé d’une dizaine de membres (dont un professeur d’hébreu et un de sanskrit), aurait la tâche de dresser l’inventaire des manuscrits, d’éditer et d’étudier les plus importants, mais aussi de traduire dans les langues orientales les chefs-d’œuvre de la littérature européenne et les meilleurs livres scientifiques. Ce collège des traducteurs servirait de centre d’accueil pour les voyageurs asiatiques : les intérêts diplomatiques et commerciaux de la France tireraient un bénéfice évident des relations amicales qui s’y noueraient[156].

Un sénateur indépendant[modifier | modifier le code]

Sa santé fragile l’éloigne le plus souvent de Paris. En plus de sa ferme de Pringy, il fait l’acquisition en 1806 d’une propriété de onze hectares à Sarcelles, pour 70 000 francs[157]. Il veut en faire une exploitation modèle, convaincu qu’une propriété sagement gouvernée fait le bonheur du citoyen. Il élève des ovins, des bovins et des chevaux, plante et taille lui-même divers arbres fruitiers, cultive ses vignes et son potager, et constelle son jardin de fleurs. Le diplomate hollandais Isaac Titsingh lui fournit des graines et des plants.

Armes du comte de Volney :
De sable à deux colonnes ruinées d’or, surmontées d’une hirondelle d’argent[158].

Lors de ses rares présences au palais du Luxembourg, il fait partie, avec Cabanis, Destutt de Tracy, Garat, Grégoire, Sieyès, Lanjuinais et Lambrechts, de l’irréductible minorité d’opposants tolérée par Napoléon, qui les surnomme les « boudeurs d’Auteuil ».

Son dédain réprobateur ne l’empêche pas d’être honoré par l’empereur, qui le nomme commandeur de la Légion d’honneur le 14 juin 1804[159] et l’élève à la dignité de comte de l’Empire le 26 avril 1808. Napoléon lui témoigne son amitié fidèle en 1810, lorsqu’il envoie Corvisart, son médecin personnel, pour soigner le philosophe qui a reçu un coup de corne dans sa ferme de Sarcelles.

La chute de Napoléon[modifier | modifier le code]

Dès juin 1808, Volney est l’un des 22 sénateurs impliqués dans la conjuration républicaine du général Malet, membre de la société secrète des philadelphes. Le complot est découvert par Dubois, préfet de police de Paris et Malet est emprisonné. Napoléon, préoccupé par le soulèvement de l’Espagne, préfère étouffer l’affaire : les sénateurs mis en cause ne sont pas inquiétés[160].

Le 23 octobre 1812, tandis que la Grande Armée quitte Moscou pour entamer la retraite de Russie, le général Malet profite de l’absence de l’empereur pour tenter un coup d’État. Prétendant que Napoléon est mort le 7 octobre, il met en place un gouvernement provisoire composé de quinze membres. Volney est l’un des quatre sénateurs cités, avec Garat, Lambrechts et Destutt de Tracy. Le coup d’État échoue en quelques heures et ses principaux instigateurs sont exécutés.

En 1814, la France est envahie par la sixième coalition. Au lendemain de la bataille de Paris, Volney est l’un des signataires du procès verbal de la séance du 1er avril, au cours de laquelle le Sénat nomme un gouvernement provisoire. Le lendemain, il s’abstient néanmoins de voter la déchéance de l’empereur[161]. Il est nommé pair de France par Louis XVIII le 4 juin.

En mars 1815, le retour de Napoléon l’inquiète d’abord, et il s’éloigne de Paris. Mais il est rassuré par la présence de libéraux auprès de l’empereur, comme Constant et Carnot[162]. Il decide de rentrer, convaincu que personne ne songera à l’inquiéter. Volney se tient néanmoins à l’écart des Cent-Jours, aventure qu’il réprouve : « Que vient encore faire cette bête féroce ? Il fera payer bien cher à la France le peu de bien qu’il lui a fait. »

Mariage[modifier | modifier le code]

On ne lui connaît jusqu’à la cinquantaine aucune liaison sentimentale, hormis sa passion de jeunesse pour sa cousine Charlotte Gigault de La Giraudais (1766-1864), encore adolescente, dont il avait appris avec dépit le mariage à sa retour d'Égypte.

Volney fuit le libertinage des salons parisiens, se méfiant des intrigues amoureuses qui risqueraient de troubler sa tranquillité studieuse. Ses récits de voyage, en Égypte comme en Amérique, témoignent de son rapport conflictuel aux dames[163] et d’une certaine répugnance envers les femmes indigènes[164]. Pendant la Révolution, il estime que « les cercles et les associations de femmes sont des institutions fâcheuses et fécondes en mauvais résultats ». Il considère que le luxe féminin, excessif dans la capitale, est « un des premiers foyers de corruption dans les mœurs d’un peuple[165].

Il n’est cependant pas insensible à ces « appâts » que sont chez les femmes « la fraîcheur et la santé ». La solitude affecte son moral et finalement, rattrapant une déception amoureuse de trente ans, il épouse le 6 novembre 1810 sa cousine Charlotte (dont le mari est mort l’année précédente). Il ne demande pas son autorisation à Napoléon comme l’exige la coutume, l’empereur souhaitant que les dignitaires de son régime s’unissent à des représentantes de l’ancienne noblesse.

La quête d’une chronologie de l’antiquité[modifier | modifier le code]

Volney est passionné par « l’arithmétique de l’histoire » depuis ses discussions avec le baron d’Holbach et sa lecture de Fréret à la fin des années 1770. Tout au long de l’Empire, il se plonge dans « l’océan ténébreux de l’antiquité » pour y fixer un cadre temporel fiable.

En 1808 paraît un Supplément à l'Hérodote de M. Larcher, puis l’année suivante une Chronologie de Hérodote, conforme à son texte, en réfutation des hypothèses de ses traducteurs et de ses commentateurs.

Au début de l’année 1814 sont publiées ses Recherches nouvelles sur l’histoire ancienne. Cette somme d’érudition, qui mobilise une impressionnante bibliographie[166], a pour ambition de reconstituer aussi loin que possible l’histoire de l’Orient pré-hellénistique[167].

La première partie est consacrée à la Bible hébraïque, qu’il examine sans tenir compte de son caractère sacré. Son étude s’appuie notamment sur les Antiquités judaïques de Flavius Josèphe. Il commence par la période des rois (de Saül à la destruction du temple), avant de remonter le temps. Il lui paraît incontestable[168] que le Pentateuque n’a pas Moïse pour auteur, contrairement à ce que prétend la tradition. Si les éléments rituels et législatifs énoncés dans l’Exode, le Lévitique, les Nombres et le Deutéronome) pourraient remonter à Moïse, les passages historiques et chronologiques ont été d’après lui rédigés par le grand-prêtre Helqiah, sous le règne de Josias.

La Genèse, qui évoque un temps où le peuple juif n’existait pas encore, du moins pour les passages précédant l’apparition d’Abraham, lui paraît (à l’instar de ses maîtres d’Holbach et Boulanger) entièrement empruntée aux mythes chaldéens. L’épisode du déluge dérive ainsi d’une fable ayant pour héros le roi Xisouthros, dixième et ultime patriarche antédiluvien (comme Noé). Il cite à ce sujet l’œuvre de Bérose, dont des fragments lui sont parvenus via Alexandre Polyhistor et Georges le Syncelle. Volney situe la construction de la Tour de Babel à la fin du IVe millénaire avant notre ère[169].

Selon lui, le patriarche Abraham n’est pas un individu historique, mais un être mythologique, une figure astrologique « comme celle d’Osiris, d’Hermès, de Ménou, de Krishna ». Le récit biblique ne présente une vraisemblance historique qu’à partir de l’Exode (qu’il situe au XVe siècle avant J.-C.), et une continuité chronologique qu’à partir de l’époque d’Éli.

Il conclut ainsi son exposé sur la Bible : « les livres du peuple juif n’ont point le droit de régir les annales des autres nations, ni de nous éclairer exclusivement sur la haute antiquité ». Son ouvrage sera mis à l’index par l’Église catholique en 1826[170].

Le reste de ses Recherches, qui présentent un grand nombre de redites et de digressions, vise à reconstituer et accorder entre elles les chronologies des Sabéens, des Assyriens, des Lydiens, des Mèdes, des Perses[171], des Babyloniens et des Égyptiens (il analyse notamment le zodiaque de Dendérah et discute longuement de la succession des ères astrologiques découlant de la précession des équinoxes).

Ses conclusions, publiées au début du XIXe siècle, donc avant les grandes découvertes archéologiques et le déchiffrement des écritures hiéroglyphiques et cunéiformes, sont très largement dépassées. Il écrit par exemple que la construction de la pyramide de Khéops est contemporaine de la guerre de Troie (qu’il situe au XIe siècle avant notre ère), soit quinze siècles après le règne de ce pharaon.

Volney se mêle à un débat qui occupe alors les historiens et les astronomes : l’année de l’éclipse solaire prédite par Thalès. En conjuguant le récit d’Hérodote avec les tables astronomiques de Pingré, il situe à tort l’évènement le 3 février 625, alors que Thalès n’était pas encore né (il est admis aujourd’hui que la date correcte est celle donnée par Pline l'Ancien, à savoir l'an 585, le 28 mai précisément).

Restauration[modifier | modifier le code]

Portrait de Volney par Boilly (1815)

La Chambre des pairs[modifier | modifier le code]

Volney considère Louis XVIII non comme un monarque de droit divin, mais comme une sorte de magistrat suprême[172]. Son ralliement à la monarchie est contractuel : il espère que la charte constitutionnelle garantira les libertés individuelles. Sa fidélité pendant les Cent-Jours est récompensée par le roi, qui confirme et rend héréditaire son titre de pair de France le 19 août 1815.

Il assiste impuissant au retour en force de l’Église. Le catholicisme est proclamé religion d’État et Beugnot, le nouveau chef de la police, rétablit en juin 1814 les processions religieuses et le repos dominical obligatoire[173].

Il s’indigne de la dilapidation du trésor public en faveur des nobles et des prêtres, et des conséquences du congrès de Vienne où est cédée la quasi-totalité des territoires conquis depuis la Révolution. En novembre 1815, il refuse de siéger au procès du maréchal Ney.

Les ultraroyalistes de la Chambre introuvable, qui veulent renouer avec l’Ancien Régime (« Versailles pour les uns, et pour les autres, leur vieux donjon »), lui paraissent des fanatiques. Il ne se fait pas d’illusion sur le rôle qu'il peut jouer dans cette assemblée, y compris après la victoire des doctrinaires à l’automne 1816. Ses apparitions en séance sont aussi rares et silencieuses qu’au temps du Sénat conservateur.

Volney est convaincu que l’émancipation politique du peuple ne peut advenir qu’avec la diffusion des Lumières par l’école primaire. Partisan de l’enseignement mutuel venu de Grande-Bretagne, il finance dans sa ville natale de Craon la création d’une école fonctionnant selon ce principe et accueillant une centaine d’enfants. Il songe à ouvrir d’autres établissements dans la région de Candé, mais son projet rencontre l’opposition des prêtres, soucieux de conserver leur autorité exclusive sur les élèves.

La question du sacre du roi[modifier | modifier le code]

Louis XVIII, âgé de soixante ans à la Restauration et immobilisé par ses infirmités, refuse de se prêter dans un tel état à la traditionnelle cérémonie du sacre dans la cathédrale Notre-Dame de Reims.

Volney prend la plume pour exprimer le scepticisme et l’ironie des libéraux devant cette institution archaïque, empruntée aux anciens Hébreux[174]. Il publie en 1819 une Histoire de Samuel, inventeur du sacre des rois.

À la manière d’un conte de Voltaire, il met en scène deux Américains. Josiah Nibbler, un quaker voyageant en Terre sainte[175], rend compte de ses impressions à un ami philadelphien, Kaleb Listener. Relisant la Bible à la lumière de son expérience orientale, et appliquant au texte sacré « les règles de notre critique historique moderne », il propose une nouvelle interprétation de la naissance du royaume d'Israël.

Volney dépouille les héros bibliques de leur mystérieuse grandeur (l’ouvrage contraste avec l’exaltation du sentiment religieux des écrivains romantiques de son époque). Il ramène Samuel, Saül, David et les fondateurs de la « horde hébraïque » à leur condition de « bédouins », pareils à ceux qu’il avait observés en Syrie. Ces personnages légendaires sont à ses yeux sans prestige ; leur conduite n’est pas dictée par une inspiration surnaturelle, mais par des intérêts personnels et des calculs politiques. Derrière le « voile de prodiges et de merveilles qui l’enveloppe », Samuel aurait passé sa vie à exploiter l’ignorance et la crédulité du peuple.

Il retrace la vie du prophète, son enfance dans la maison du grand-prêtre Éli, où il est initié aux secrets de la « corporation sacerdotale », ses manœuvres pour écarter de la succession les fils d’Éli, et son accession au pouvoir dans des circonstances exceptionnelles, après la victoire des Philistins (qui s’emparent un temps de l’Arche d'alliance). Samuel choisit d’abord ses deux fils pour lui succéder, mais ils se révèlent inaptes et corrompus comme ceux d’Éli[176]. Les chefs tribaux lui demandent de nommer un roi, à l’image des autres nations. Il sacre Saül, « un brave guerrier » aisément manipulable, qu’il finit déposer en oignant secrètement le berger David.

Volney conclut son pamphlet par une série de questions rhétoriques : « Si chez les Juifs, le sacre par l’onction fut le transport du caractère sacerdotal sur la tête du roi, chez les Français un roi qui se fait sacrer entend il participer à la prêtrise ? Si un roi de France reconnaît à un prêtre quelconque le droit de le sacrer aujourd’hui, n’est-ce pas lui reconnaître aussi le droit d’en sacrer un autre demain, à l’imitation du prophète Samuel ? De quel droit un individu quelconque peut-il sacrer un roi de France ? Ce droit vient-il de l’évêque de Rome[177] ? Le roi de France est donc le vassal d’un prince étranger. Ce droit est-il octroyé au prêtre par le roi lui-même ? Le roi se donne donc des droits. (…) Si un sacre est une affaire d’État, pourquoi cette affaire est-elle de pur arbitre ? Si c’est une cérémonie d’amusement, pourquoi la faire payer au peuple plus qu’une partie de chasse ? (…) Quand toute la morale de l’Évangile n’est qu’humilité et simplicité, pourquoi sa pratique n’est-elle que faste et dissipation ? »

« L'alfabet universel »[modifier | modifier le code]

À la fin de sa vie, Volney reprend son grand dessein initié en 1795 avec la Simplification des langues orientales[6]. Il publie en 1819 L'alfabet européen appliqué aux langues asiatiques. Considérant que la barrière linguistique, qui fait obstacle au commerce et à la circulation des savoirs, résulte dans une large mesure de la multitude des systèmes d’écriture, « inutile redondance de tant de signes divers pour un fond semblable », il pense qu’une cinquantaine de signes (une vingtaine de voyelles et trente-deux consonnes) suffiraient à figurer la prononciation des différentes langues, facilitant ainsi leur apprentissage[178].

Il choisit comme base de son « alfabet universel » l’écriture latine[179]. Pour signifier les sons étrangers, il y ajoute des lettres grecques et des caractères originaux de sa confection, ainsi que des diacritiques. En guise d’illustration de sa méthode, il publie la même année L’Hébreu simplifié.

Abel-Rémusat, un jeune sinisant, conteste dans le Journal des savants[180] l’utilité pratique du système de Volney, affirmant que son alphabet est incomplet et qu’il serait illusoire de prétendre l’imposer à des peuples attachés à leurs traditions littéraire et religieuses[181] ; qu’il faudrait pour cela « plus de siècles d’efforts dirigés vers le même but que l’expérience du passé ne permet d’en supposer. »

Malgré le manque d’enthousiasme des orientalistes, Volney défend sa méthode dans un Discours sur l’étude philosophiques des langues prononcé le 7 décembre 1819 devant l’Académie française[182].

Sainte-Beuve jugera ainsi cet alphabet universel[183],[184] : « Au lieu de laisser ces langues ce qu’elles sont, de les prendre historiquement et par groupes, et de respecter leur génie, leur physionomie distincte, il veut les traiter un peu comme il a fait les religions, et les faire passer sous le joug d’une unité artificielle qui les dépouille et les dénature. (…) L’homme positif, pour s’être opiniâtré à ses procédés mécaniques d’analyse, est allé cette fois manifestement jusqu’à la chimère. »

Le rêve de Volney sera concrétisé en 1888, avec la création de l’alphabet phonétique international. Un siècle après sa mort, la « révolution des signes » dans la Turquie kémaliste consacrera une autre victoire posthume de ses idées.

Mort[modifier | modifier le code]

Volney à la fin de sa vie (lithographe de Vivant Denon, Art Institute of Chicago).

En 1818, Volney a vendu sa maison de la rue de La Rochefoucauld[185] et sa propriété de Sarcelles pour acquérir un hôtel avec un grand jardin au 73 rue de Vaugirard, non loin du palais du Luxembourg. Besnard, qui vit chez lui une partie du printemps 1819, voit passer le baron Denon, les comtes Lanjuinais, Chaptal, Destutt de Tracy et Boissy d’Anglas, ou encore le duc de Broglie.

Le 31 mars 1820, en réaction à l’assassinat du duc de Berry, les ultraroyalistes font passer à la Chambre le rétablissement de la censure. Volney s’y oppose en vain avec 108 autres parlementaires.

Sentant ses forces le quitter, il dicte son testament le 22 avril[186]. Il meurt chez lui trois jours plus tard, le 25 avril 1820, « très décidément incrédule » selon le témoignage de son ami l’abbé Grégoire.

Cédant probablement à une pression politique liée à son statut de pair de France, l’Église accorde à cet hérétique notoire des funérailles chrétiennes, célébrées le 29 avril à Saint-Sulpice. Il est enterré au cimetière du Père-Lachaise, en présence de nombreuses personnalités parmi lesquelles La Rochefoucauld-Liancourt, Daru, Destutt de Tracy, Lanjuinais, Richebourg, Sémonville, Raynouard, Lemercier, Parseval-Grandmaison, Sicard, Picard et Laya, qui prononce l’oraison funèbre[187].

Le comte Daru salue sa mémoire dans un discours[188] devant la Chambre des pairs le 14 juin, et le marquis de Pastoret, successeur de Volney au 24e fauteuil de l’Académie française, lui rend hommage le 24 août[189].

Conformément à ses dernières volontés, l’Institut de France crée un prix Volney de philologie comparée, financé par un fonds qu’il avait prévu à cet effet. Les sept membres de la commission chargée de décerner le prix se réunissent pour la première fois au printemps 1822. Trois sont issus de l’Académie française (Daru, Andrieux et Destutt de Tracy), trois de l’Académie des inscriptions et belles-lettres (Langlès, Caussin de Perceval et Silvestre de Sacy), et un de l’Académie des sciences (Cuvier).

Sépulture de Volney dans la 41e division du cimetière du Père-Lachaise (une pyramide à base carrée mesurant 1,8 mètre de côté pour 1,5 mètre de hauteur).
Illustration de Théodore de Jolimont dans Les mausolées français (1821).

Hommages[modifier | modifier le code]

En France[modifier | modifier le code]

Depuis 1822, le prix Volney est décerné par l’Institut de France à un ouvrage de philologie comparée, sur proposition de l’Académie des inscriptions et belles-lettres.

Il existe depuis 1879 une rue Volney à Paris. Le numéro 7 de cette artère a longtemps accueilli un cercle artistique et littéraire, le Volney[190].

D’autres voies publiques portent ce nom à Lyon, Angers, Rennes, Brest ou Clermont-Ferrand. Dans sa ville natale de Craon, une place et un collège ont été baptisés en son souvenir.

Une loge maçonnique (la loge Volney) a été fondée en 1911 à Laval (Mayenne).

Aux États-Unis[modifier | modifier le code]

La ville de Volney (État de New York, comté d'Oswego) a été renommée ainsi en 1811.

Volney (Iowa, comté d'Allamakee), est répertoriée depuis 1853.

Une troisième localité porte ce nom en Virginie, dans le comté de Grayson.

The Volney est un immeuble résidentiel de la 74e RueManhattan, dans l'Upper East Side), situé non loin du consulat général de France à New York. La poétesse Dorothy Parker y est morte en 1967.

Postérité littéraire[modifier | modifier le code]

Dans Frankenstein ou le Prométhée moderne, roman de Mary Shelley (1818), la créature écoute la lecture des Ruines en espionnant une famille française. Ce livre lui permet d'entrevoir l'histoire des civilisations et les différents systèmes politiques et religieux de l'humanité[191].

Publications[modifier | modifier le code]

Divers[modifier | modifier le code]

Volney était un contributeur de la Revue encyclopédique. Il avait inséré plusieurs articles dans le Moniteur universel pendant la Révolution française.

Ses ouvrages[modifier | modifier le code]

1781 - 1789[modifier | modifier le code]

  • 1781 : Mémoire sur la Chronologie d'Hérodote
  • 1787 : Voyage en Syrie et en Égypte, pendant les années 1783, 1784 & 1785, Paris, Volland et Dessenne. (tome 1 et tome 2 disponibles sur Gallica) ;
  • 1788 : Considérations sur la guerre actuelle des Turcs, Londres (en ligne)[192]
  • 1788 : Des Conditions nécessaires à la légalité des États généraux, Paris
  • 1788 : Lettre de M. C.-F. de Volney à M. le comte de S...t., Paris, 1788[193] ;
  • 1789 : Les ruines ou Meditation sur les révolutions des Empires. Précédé d'une notice par le comte Daru, Paris, 1826. Réédition (1789, édition princeps, voir supra)[194]

1790 - 1799[modifier | modifier le code]

  • 1790 : Chronologie des douze siècles antérieurs au passage de Xercès en Grèce ;
  • 1791 : Les Ruines Ou Méditations Sur Les Révolutions Des Empires, Par M.Volney, Député a L'Assemblée Nationale De 1789, Genève[195] ;
  • 1793 : La loi naturelle ou Catéchisme du Citoyen français, Grenoble[196],[197] ;
  • 1793 : Précis de l'état actuel de la Corse (1793)[198] ;
  • 1794 : Simplification des langues orientales, ou méthode nouvelle et facile d'apprendre les langues arabe, persane et turque, avec des caractères européens, Paris, Impr. de la République, an III, in-8° (en ligne sur Gallica);
  • 1795 : Letter to Priestley[199] ;


1800 - 1815[modifier | modifier le code]

  • 1803 : Tableau du climat et du sol des États-Unis d'Amérique Suivi d'éclaircissements sur la Floride, sur la colonie Française au Scioto, sur quelques colonies Canadiennes et sur les Sauvages, Paris[200] ;
  • 1805 : Rapport fait à l'Académie Celtique sur l'ouvrage russe de M. le professeur Pallas. « Vocabulaires comparés des langues de toute la terre », Paris ;
  • 1808 Recherches nouvelles sur l'histoire ancienne, Paris[201] ;
  • 1808 Supplément à l'Hérodote de M. Larcher, Paris ;
  • 1809 : Chronologie de Hérodote, conforme à son texte, en réfutation des hypothèses de ses traducteurs et de ses commentateurs, Paris, 1809, Bossange, 1821 ;
  • 1813 : Questions de statistique à l'usage des Voyageurs, Paris ;

1816 - 1820[modifier | modifier le code]

  • 1819 : Histoire de Samuel, inventeur du sacre des rois ; fragment d'un voyageur américain. Paris, 1819, Bossange, 1820, 1822 ;
  • 1819 : L'alfabet européen appliqué aux langues asiatiques, Paris, F. Didot, 1819, 2e édition 1826 (édition de 1826 disponible sur Gallica) ;
  • 1820 : L'Hébreu simplifié par la méthode alfabétique, contenant un premier essai de la grammaire et un plan du dictionnaire écrit sans lettres hébraïques, et cependant conforme à l'hébreu ; avec des vues nouvelles sur l'enseignement des langues orientales, Paris, J.-M. Eberhart, 1820 (édition de 1826 disponible sur Gallica)[202] ;
  • 1820 : Discours sur l'étude philosophique des langues, lu à l'Académie des sciences, Paris 1820[203] ;
  • 1822 : Leçons d'histoire prononcées à l'École normale, en l'an III de la République française. Paris, 1799[204] ;
  • 1823 : Lettres de M. de Volney à M. le baron de Grimm, suivi de la réponse de ce dernier[205], Paris ;

1820 - 1899[modifier | modifier le code]

  • 1821 : Œuvres choisies, précédées d'une Notice sur la vie de l'auteur (par Adolphe Bossange). Les ruines. - La loi naturelle. - L'histoire de Samuel, Paris, 1821, Nouvelle édition, Lebigre Frères, 1836. Une Notice sur la vie et les écrits de G.-F. Volney, par Adolphe Bossange, se trouve en tête de l'édition des Œuvres complètes de Volney, publiée chez Bossange, 8 vol. in-8°, Paris, nouvelle édition, mais moins complète, Paris, 1837, grand in-8° ;

XXe – XXIe siècle[modifier | modifier le code]

  • 1954 : Œuvres complètes. Précédées d'une Notice sur la Vie et les Écrits de l'Auteur, Firmin-Didot.
  • 2008 : Observations générales sur les Indiens ou sauvages d’Amérique du Nord, suivi de Les Ruines et de La Loi naturelle. Éditions CODA, (ISBN 9782-84967-063-7)

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Huile sur toile (73,8 x 58,6 cm) conservée à la Pennsylvania Academy of the Fine Arts, à Philadelphie.
  2. Cette version avec un « œ » s’est progressivement substituée à l’orthographe originelle « Chassebeuf ».
  3. D’origine paysanne, les Chassebœuf se sont enrichis au fil des générations, aux XVIIe et XVIIIe siècles, jusqu’à compter parmi les familles notables de Craon. Le trisaïeul de Volney était huissier royal, son bisaïeul notaire et son grand-père magistrat, maire de la ville en 1741.
  4. Préface de Jules Claretie à l’édition de 1868 des Ruines.
  5. Le pensionnat est doté par le duc de Charost.
  6. a b et c « Henri Besse, « Un homme des Lumières face aux langues du sud de la Méditerranée, ou Volney et sa “méthode alfabétique” », Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, 28 »
  7. Sainte-Beuve (qui s’intéresse à Volney dans le tome VII des Causeries du lundi, les 14 et 21 février 1853) regrettait « qu’au lieu de ce nom qui siérait aussi bien à un personnage de roman, il n’eût point gardé ce premier nom pittoresque de Chassebœuf, qui rappelait un chevalier et haut baron poursuivant dans la plaine le vilain et piquant les troupeaux de sa lance : mais le commun du monde y voyait naturellement le vilain et le bouvier encore plus que le chevalier. »
  8. Lettre de Volney à Bonaparte du 26 frimaire an VIII (17 décembre 1799).
  9. Jean Sibenaler, Il se faisait appeler Volney: approche biographique de Constantin-François Chassebeuf, 1757-1820, Hérault éditions, 1992, p.27-28. L’appartenance de Volney à la franc-maçonnerie fait toutefois débat parmi ses historiens. Il désignera plus tard les francs-maçons comme des « disciples égarés » du pythagorisme et contestera la continuité d'une tradition antique («malgré leur prétention, le fil de la science occulte est rompu »). Il verra d’un mauvais œil les sociétés secrètes : « En général, toute association qui a pour base le mystère [...] est une ligue de brigands contre la société, ligue divisée dans son propre sein en fripons et en dupes, c'est-à-dire en moteurs et en instruments ».
  10. « Jean Gaulmier, « Volney et la pédagogie de l’arabe », Jean Gaulmier, un orientaliste, Presses de l’Ifpo, 2006, p.145-158. »
  11. C’est la thèse de Jean Gaulmier, son biographe de référence au XXe siècle. Au début du règne de Louis XVI, devant l’affaiblissement des Ottomans qui paraît inexorable après la guerre russo-turque de 1768-1774, la politique à mener en Orient divise la diplomatie française en deux camps. Faut-il profiter de la dislocation de l’Empire pour s’emparer de l’Égypte ? Ou doit-on soutenir les Turcs face aux velléités austro-russes, en restant fidèle à l’amitié séculaire liant le sultan au roi de France ? La première tendance est défendue par Sartine, ministre de la marine, et par Saint-Priest, ambassadeur à Constantinople. Le baron de Tott conduit en 1777 une mission secrète de reconnaissance militaire en Égypte, et se montre favorable à une opération de conquête. La seconde approche, celle de la recherche du statu quo, est prônée avec constance par le comte de Vergennes, secrétaire d’État des Affaires étrangères, qui préfère se concentrer sur l’alliance avec les indépendantistes américains. C’est dans ce contexte diplomatique que s’inscrit le voyage de Volney, dont le témoignage s’accordera avec les vues de Vergennes.
  12. « Bibliothèque diplomatique numérique : « des langues orientales aux caractères bien européens » »
  13. Il écrit dans la préface : « Considérant les circonstances politiques où se trouve l’empire turc depuis vingt ans, et méditant sur les conséquences qu’elles peuvent avoir, ce me parut un objet piquant de curiosité, de prendre des notions exactes de son régime intérieur, pour en déduire ses forces et ses ressources. » Il s’attarde dès les premières pages sur la faiblesse des forces défensives d’Alexandrie, composées de janissaires qui ne « savent que fumer la pipe ». La conquête de cette ville serait cependant inutile, écrit-il, car des étrangers ne pourraient s’y maintenir faute d’accès à l’eau douce. Partout où il séjourne, il note avec soin les défenses et les garnisons, la valeur du commandement ou ses faiblesses, la qualité de l’armement…
  14. Le pays commence à subir les retombées funestes de l’éruption d’un volcan islandais
  15. « Icelandic Volcano Caused Historic Famine In Egypt, Study Shows, State University of New Jersey, 2006 »
  16. Au cours d’une discussion, le cheikh lui dit qu’il est surpris que Volney ait choisi de quitter son pays alors que l’eau y est abondante.
  17. « Quand j’arrivai de mon voyage en Orient, la fleur de ma réputation fut un enchantement : j’occupais les cercles, on me questionnait, on m’écoutait, j’étais enivré.... À la longue, les questions me devinrent fastidieuses, puis insupportables, et je finis par fuir les sociétés. »
  18. Un chapitre entier est consacré aux maladies qui y règnent : « Marchant dans les rues du Kaire, j’ai souvent rencontré sur cent personnes, vingt aveugles, dix borgnes et vingt autres dont les yeux étaient rouges, purulents ou tachés. Presque tout le monde porte des bandeaux, indices d’une ophtalmie naissante ou convalescente. » Cette exagération (même si les problèmes de vue dans la population égyptienne sont courants) suggère symboliquement l’aveuglement mental des orientaux, à l’opposé des Lumières européennes.
  19. Ce que Sainte-Beuve appelle ironiquement « le beau idéal dans le genre de la statistique ».
  20. On a coutume de le ranger parmi ces idéologues qui, d’après la plupart des critiques, sont de mauvais écrivains. Sainte-Beuve, l’accuse de manquer d’éclairs, d’écrire dans « un genre triste, aride, tour à tour médical ou topographique ».
  21. « Qu’on examine un voyageur arrivant de pays lointains, dans une société oisive et curieuse ; la nouveauté de ses récits attire l’attention sur lui ; elle va même jusqu’à la bienveillance pour sa personne : on l’aime parce qu’il amuse, et parce que ses prétentions sont d’un genre qui ne peut choquer. De son côté, il ne tarde pas de sentir qu’il n’intéresse qu’autant qu’il excite des sensations nouvelles. Le besoin de soutenir, l’envie même d’augmenter l’intérêt, l’engagent à donner des couleurs plus fortes à ses tableaux ; il peint les objets plus grands pour qu’ils frappent davantage ; le succès qu’il obtient l’encourage ; l’enthousiasme qu’il produit se réfléchit sur lui-même ; et bientôt il s’établit entre ses auditeurs et lui une émulation et un commerce par lequel il rend en étonnement ce qu’on lui paye en admiration. »
  22. Savary voit le Nil avec l’imagination d’un poète bucolique : « Les filles descendent du village pour laver leur linge et puiser de l’eau. Toutes font leur toilette. Leurs cruches et leurs vêtements sont sur le rivage ; elles se frottent le corps avec le limon du Nil, s’y précipitent et se jouent parmi les ondes... Leurs cheveux tressés flottent sur leurs épaules, elles ont la peau fort brune, le teint hâlé, mais la plupart sont très bien faites. » A cette idylle, Volney oppose l’ironie de ses impressions : « Jamais les eaux du Nil troubles et fangeuses n’auront pour l’Européen le charme des claires fontaines et des ruisseaux limpides ; jamais, à moins d’un sentiment exalté par la privation, le corps d’une Égyptienne, hâlé et ruisselant d’une eau jaunâtre, ne lui rappellera les naïades sortant du bain. »
  23. « Sarga Moussa. Noirceur orientale - l’Égypte de Volney, 2007 »
  24. « Les Turcs savent vaincre, mais ne savent pas gouverner » écrit-il. Et, à propos du port d’Alexandrie en piteux état : « C’est qu’en Turquie, l’on détruit sans jamais réparer. (…) L’esprit turc est de ruiner les travaux du passé et l’espoir de l’avenir, parce que dans la barbarie d’un despotisme ignorant, il n’y a point de lendemain. »
  25. Edward Saïd considère que cette œuvre est symptomatique d’une vision réificatrice de l’altérité. Il voit en Volney un précurseur de l’orientalisme européen du XIXe siècle (Urs App, The Birth of Orientalism, University of Pennsylvania Press, 2010, 440–79).
  26. « Tout saisit à la fois le cœur et l’esprit d’étonnement, de terreur, d’humiliation, d’admiration et de respect… »
  27. « Voyage en Syrie et en Égypte, C.-F. Volney, p.255 »
  28. Adolphe Bloch, « De l'origine des Egyptiens », Bulletins et Mémoires de la Société d'Anthropologie de Paris, vol. 4, no 1,‎ , p. 393–403 (DOI 10.3406/bmsap.1903.6514, lire en ligne, consulté le )
  29. « Gilles Boëtsch, « Noirs ou blancs : une histoire de l'anthropologie biologique de l’Égypte », Égypte/Monde arabe, 24 »
  30. « Voyage en Syrie et en Égypte, C.-F. Volney, p.76 »
  31. « Génétique. L’ADN des momies dévoile l’ascendance des Égyptiens de l’Antiquité », sur Courrier international, (consulté le )
  32. « Pour la première fois, des scientifiques ont mis la main sur l'ADN de momies égyptiennes », sur France 24, (consulté le )
  33. « Jean Gaulmier, « Chateaubriand et Volney », Annales de Bretagne, Tome 75, numéro 3, 1968, p. 570-578. »
  34. L’itinéraire de Chateaubriand comprend une vingtaine de références à son livre. il parle de « l'excellent voyage de M. de Volney » et qualifie son livre de « véritable chef d'œuvre dans tout ce qui n'est pas érudition ». Il se montre plus réservé en privé, écrivant dans une lettre à Guizot le 12 juin 1809 : « M. de Volney est bon sur le gouvernement des Turks, mais il est évident qu'il n'a jamais vu Jérusalem. »
  35. Henriette Browne estime l’ouvrage de Volney « si exact et si bien fait qu’on ne peut le regarder que comme un des meilleurs de son genre. » Sainte-Beuve écrit quant à lui que l’honneur durable de Volney « sera d’avoir été un « excellent voyageur ».
  36. « Dans les circonstances présentes, il nous est de la plus étroite nécessité de conserver la paix : elle seule peut réparer le désordre de nos affaires : le moindre effort nouveau, la moindre négligence peuvent troubler la crise que l’on tâche d’opérer, et d’un accident passager faire un mal irrémédiable... Rassemblons toutes nos forces et toute notre attention sur notre situation intérieure : rétablissons l’ordre dans nos finances, rendons la vigueur à notre armée ; réformons les abus de notre constitution.... Par là, et par là seulement, nous arrêterons le mouvement qui déjà nous entraîne ; par là, nous régénérerons nos forces et notre consistance, et nous ressaisirons l’ascendant qui nous échappe ; par là, nous deviendrons supérieurs aux révolutions externes que le cours de la nature amène et nécessite. »
  37. « Lettre de M. de Volney a M. le baron de Grimm, chargé des affaires de Sa Majesté l'impératrice des Russies »
  38. « « Et la civilisation deviendra générale » : L’Europe de Volney ou l’orientalisme à l’épreuve de la Révolution, Antoine Lilti, cahiers de l’institut d’histoire de la Révolution française, 2011 »
  39. Sainte-Beuve, qui recueille des témoignages sur Volney, témoigne de ses qualités d’orateur mondain : « Il causait bien dans un salon ; il parlait comme il écrivait, avec la même netteté, et cela coulait de source. On aimait à l’écouter. »
  40. Chateaubriand note dans son récit des troubles de Bretagne l’action « d’un écrivailleur arrivé de Paris » qui « fomentait les haines ».
  41. « Roger Dupuy, « Volney, La Sentinelle du Peuple », dans « Aux origines idéologiques de la Révolution », Presses universitaires de Rennes, 2001, p.13-17. »
  42. « Si un ennemi puissant voulait vous ravir vos dignités, vos grades militaires, en un mot, votre noblesse, resteriez-vous tranquille ? Et moi, puis-je donc me taire quand vous tentez de m’enlever la mienne ? Car, à nous autres Roturiers, notre noblesse est l’estime publique ; et nous y mettons le plus haut prix parce qu’on ne l’obtient ni par faveur, ni par cabales, ni par intrigues… »
  43. Le comte La Galissonnière, sénéchal d’Anjou qui représente la noblesse aux états généraux, écrit le 21 mars 1789, dans une lettre adressée au garde des Sceaux Barentin, que Volney doit son élection à ces poursuites : « La cabale l’a nommé, à cause même de l’arrêt du Parlement, comme pour narguer l’autorité. »
  44. Il écrit le 12 mai 1789 dans son journal intime : « Le tumulte de ces grandes réunions d’hommes, la désunion des cœurs, la lutte des vanités, tout m’a porté à de fâcheuses réflexions sur l’existence des sociétés ; j’ai vu combien il était facile de semer la discorde, de susciter les passions, les rivalités, les haines, et de détruire la force publique par la contradiction des forces particulières. (…) La désunion existe surtout dans ces assemblées qui, comme la nôtre, sont composées d’hommes choisis pour avoir le plus de moyens et par conséquent le plus de prétentions : d’où naît plutôt une jalousie de talents qu’une émulation d’efforts pour le bien public. J’observe cette manie irréfrénable de parler sans écouter, qui fait que tous parlent à la fois et que personne n’est entendu. »
  45. Le Britannique Arthur Young écrit à son sujet : « Sa voix ressemble à un soupir de femme, comme si ses nerfs ne lui permettaient pas le violent effort de parler assez haut pour être entendu ; quand il exhale ses idées, il le fait avec les yeux mi-clos ; il tourne la tête de façon circulaire comme si ses opinions devaient être reçues comme des oracles. »
  46. La faiblesse de sa voix explique sa préoccupation de voir construire une salle dont l’acoustique permettrait à chacun d’exprimer ses idées, sans avoir besoin de « poumons de Stentor ».
  47. "Vous avez les officiers, mais nous avons les soldats avec lesquels nous buvons", rétorque Volney à un membre de la noblesse qui s'appuie sur le concours de l'armée. "Nous sommes encore cinquante contre un", réplique-t-il à ceux qui lui opposent l'union du clergé et de la noblesse.
  48. « Liste des membres composant le comité de Constitution, lors de la séance du 7 juillet 1789, Archives parlementaires de la Révolution française - Première série (1787-1799), Tome VIII, 1875, p.200 »
  49. Il me paraît donc que dans le principe, nous devons nous occuper d’organiser les assemblées paroissiales, les assemblées municipales, les assemblées provinciales, et, enfin, l’Assemblée Nationale.... Il est important et nécessaire de mettre sur-le-champ ces assemblées en activité. Par là, vous serez certains de votre autorité, vos décrets seront exécutés [...]. Ce moyen me paraît seul suffisant pour apaiser la fermentation du peuple...
  50. Volney propose le 20 août un préambule brutal à la déclaration des droits qui choque l’Assemblée : « L’an 1789, la seizième année du règne de Louis XVI, les représentants réunis en Corps législatif, considérant que, depuis longtemps et particulièrement depuis quelques années, les contributions des peuples ont été dissipées ; les trésors publics épuisés ; la sûreté, la liberté et la propriété, violées d’une manière indigne ; considérant que les causes de ces désordres tiennent à l’ignorance du peuple, à l’oubli des devoirs de la part du pouvoir exécutif, ont arrêté les articles suivants. »
  51. « Est-il possible que plus de deux mille individus soient rassemblés plusieurs heures, et même partie de la nuit, dans une salle avec deux cents bougies, sans y respirer l’air le plus délétère ? »
  52. Ingrandes, où se sont déroulées les émeutes contre la gabelle, est proche de ses propriétés de Candé. Il montre l’impossibilité de maintenir cette taxe, d’ailleurs peu productive pour le trésor puisqu’elle entraîne des fraudes considérables.
  53. « Le Moniteur universel du 2 mai 1790, p.2. »
  54. Il note dans son journal : « Une autre remarque sur mes riches amis, c’est qu’ils sont poltrons comme des lièvres. La moindre émeute, le moindre bruit les tourmente, les met hors d’eux. Ils veulent fuir Paris : les districts sont mutins ! Les paysans sont méchants ! Et où comptent-ils donc aller et n’avoir pas peur, s’ils portent partout des cœurs de poules ? (…) Comme ils ont beaucoup, ils craignent beaucoup, et voilà ce que c’est que la richesse. On s’attache à mille choses et l’on se donne mille soucis. On acquiert la crainte de perdre. »
  55. Critiqué pour le cumul de ce poste de fonctionnaire avec son mandat de député, il démissionne en janvier 1790.
  56. Il crie au tribun : « Attention, Mirabeau, hier le Capitole, aujourd’hui la roche Tarpéienne ! »
  57. Sainte-Beuve l’attribue sans preuve à Rivarol
  58. Dans l'avis qui précède la réimpression de cette réponse en 1823, Barbier écrit : « Il répugnait à ma délicatesse d'affliger un savant aussi recommandable que M. de Volney. Aujourd'hui qu'il n'est plus, je crois pouvoir compléter les opuscules de Grimm. M. de Volney laisse assez de titres à l'estime publique pour le venger des sarcasmes d'un ancien ami que les circonstances les plus extraordinaires avaient métamorphosé en implacable ennemi. »
  59. Une autre réponse satirique à cette lettre parut à l’époque sous le nom de Petroskoi.
  60. « Votre lettre est encore au-dessous de la médiocrité de vos autres productions. Vous appelez les Frères du Roi et les nobles Français des Révoltés. Il est vrai qu’ils ont tort : on les pille, on les insulte, on les brûle, on les assassine, et ils se révoltent contre les maîtres d’une Faction où le grand Volney occupe la place de manœuvre ! »
  61. « M. Volney est ici, et dans peu de jours nous partirons pour faire un tour de l’île. (…) Il veut s’établir chez nous et passer tranquillement sa vie dans le sein d’un peuple simple, d’un sol fécond, et du printemps perpétuel de nos contrées. » Lettre de Bonaparte à Simon de Sucy, 17 février 1792.
  62. Si Napoléon prétend le 17 février qu’il va faire visiter l’île à son hôte, une lettre de Volney datée du 24 février mentionne un autre compagnon, le frère de Charles André Pozzo di Borgo.
  63. Quelques 550 hectares de terrain
  64. « André Fazi, « Volney et la Corse », Bulletin de la Société des sciences historiques et naturelles de la Corse, 2007 »
  65. Les crises de l’industrie du lin qui ont durement affecté la région de Craon, conséquences des guerres coloniales et de la perte de débouchés commerciaux, expliquent sa méfiance envers les établissements lointains. De plus, il pressent les effets sur les colonies d’une possible abolition de l’esclavage.
  66. « Il n’y a pas de feuille publique circulant dans le département, les journaux français sont entendus de peu de personnes, il n’y a aucun libraire vendant des livres ; il n’y a qu’une imprimerie, entièrement soumise au directoire par qui elle subsiste. (…) Les élections se font toutes en armes, stylets, pistolets, souvent avec meurtre, toujours avec violence (...) ; le parti vainqueur accable et vexe l’autre dans la gestion de tous les pouvoirs dont il se saisit ; les voix s’y mendient, s’y achètent, s’y calculent comme une denrée ; (...) l’intérêt et le préjugé donnent aux Corses un dévouement si aveugle pour leurs chefs de parti et de parenté qu’ils n’en sont dans les assemblées que les échos serviles... Ces chefs forment entre eux des ligues aristocratiques, au moyen desquelles ils se partagent, se disputent, se donnent les places et les traitements ; ils se brouillent, se réconcilient avec une mobilité et une inconstance incroyables, mais la liberté de la multitude et l’argent du trésor français payent toujours les frais de leurs querelles.
  67. « Les motifs publics de ma défaveur, note Volney, ont été de passer pour un hérétique comme auteur des Ruines, et pour observateur dangereux à titre de Français. »
  68. Son fidèle ami Besnard témoigne : « Il ne me dissimula point que les tracasseries, les chicanes et même les menaces dont il était l’objet de la part de divers individus — et le ci-devant ami Paoli en faisant partie — rendaient sa position de jour en jour plus désagréable. »
  69. Pour lui nuire, les bergers font passer leurs troupeaux de chèvres à travers ses pépinières, occasionnant des pertes importantes.
  70. Besnard écrit : « Il m’a dit depuis que c’était avec peine qu’il était parvenu à s’enfuir et par là seulement à se soustraire aux poignards des assassins. »
  71. En juin, toute la famille Bonaparte devra à son tour se réfugier sur le continent
  72. La création des commissaires observateurs fait l’objet d’un arrêté du Comité de salut public, le 15 avril 1793. Ils doivent remplir un questionnaire d’enquête très détaillé, établi avec la collaboration de Volney, portant sur le commerce, l’agriculture, l’éducation, l’opinion publique et la religion. Son territoire d'enquête comporte les départements de la Manche, d'Ille-et-Vilaine, de la Loire-Inférieure, de Maine-et-Loire et de la Mayenne. Il doit aussi s'occuper de rendre l'Oudon navigable jusqu'à Segré.
  73. Sa morale peut être qualifiée d’utilitariste. Par son rejet de la métaphysique, il préfigure le positivisme d’Auguste Comte.
  74. Jean Gaulmier écrit à propos du ‘’Catéchisme du citoyen français : « Volney y apparaît à trente-cinq ans, avec sa certitude têtue de posséder la vérité, certitude qu’exprime l’affirmation tranchante de postulats qu’il considère comme établis. (…) Il se méfie trop de son prochain pour ne pas calculer ses élans vers autrui à proportion de ceux dont il sera lui-même bénéficiaire. Il aborde la vie avec gravité, réprouve toute fantaisie. Il déteste le monde, les gentilshommes bellâtres et paresseux, le luxe inutile et dispendieux. (…) Volontiers égalitaire lorsqu’il regarde des propriétés plus vastes que les siennes, il estime que « la pauvreté n’est pas une vertu », qu’elle est due souvent à la paresse ou à l’inconduite. (…) Avec cela, un peu vain de sa réputation d’homme éclairé, il se sent enclin à un mépris peu démocratique pour « le nombre infini » des sots et des ignorants. (…) Dépourvu d’enthousiasme, sauf pour la Raison, aussi prudent en ce qui concerne ses intérêts matériels qu’audacieux dans ses cogitations, Volney réunit tous les traits caractéristiques du bourgeois provincial, encore plein des solides et peu aimables vertus paysannes, dont la France verra l’ascension tout le long du XIXe siècle. »
  75. Son déisme affiché est interprété dans la recension du Moniteur universel, parue le 6 septembre 1793, comme une réponse aux accusations d’athéisme proférées par ses ennemis corses. Il est possible qu’il ait cherché à complaire au nouveau parti dominant, celui de Robespierre, pour qui « l’athéisme est aristocratique ».
  76. Besnard se souvient : « Il me raconta avoir dû la vie à un membre de la Commune, le citoyen Froidure, lequel en le faisant changer de prison, lui avait ainsi évité d’être envoyé au Tribunal révolutionnaire, car on était venu plusieurs fois le chercher dans celle où on le croyait trouver et on en emmenait un autre à sa place pour que le nombre des victimes du jour se trouvât le même. »
  77. Froidure fut lui même arrêté le 29 mars et guillotiné le 17 juin 1794.
  78. Lorsque les premiers échos de la campagne d’Italie parviendront aux États-Unis, il écrira de Philadelphie à son ami Vallée : « Je savais par les papiers tout ce que vous me dites de nos batailles et de nos victoires. Je savais même la campagne de Bonaparte, c’est-à-dire son plan, dès décembre 94, car je lus son projet à Nice ; je lui ai tenu le secret, mais je lui sais gré d’y avoir manqué. » C’est à cette occasion qu’il dira, en présence de plusieurs émigrés français : « Pour peu que les circonstances le secondent, ce sera la tête de César sur les épaules d’Alexandre. »
  79. Bernardin de Saint-Pierre est chargé d’écrire un traité de morale républicaine ; Lagrange, un manuel de calcul et de géométrie ; Garat, d’histoire ; Mentelle, de géographie ; Daubenton, d’histoire naturelle ; Sicard, de lecture et d’écriture ; Monge, de « description et usage des instruments de l’industrie de l’homme » ; et Haüy, de phénomènes de la nature.
  80. À l’exception de l’ouvrage de Sicard, aucun des livres ne paraîtra.
  81. La grammaire arabe de Volney est évidemment très rudimentaire et ne saurait être comparée au chef d’œuvre d’érudition qu’est celle de Silvestre de Sacy, mais elle offre l’incontestable avantage de la simplicité. Son ouvrage est destiné non aux savants mais « aux voyageurs et aux négociants  ».
  82. Le questionnaire est divisé comme son Voyage en Égypte et en Syrie en deux sections, l’état physique et l’état politique.
  83. « L’histoire, si l’on veut la considérer comme une science, diffère absolument des sciences physiques et mathématiques. Dans les sciences physiques les faits subsistent : ils sont vivants et l’on peut les représenter au spectateur et au témoin. Dans l’Histoire, les faits n’existent plus ; ils sont morts, et l’on ne peut les ressusciter devant le spectateur, ni les confronter au témoin. Les sciences physiques s’adressent immédiatement aux sens ; l’histoire ne s’adresse qu’à l’imagination. (…) Les faits physiques portent avec eux l’évidence et la certitude. Les faits historiques au contraire, parce qu’ils n’apparaissent qu’en fantômes dans la glace irrégulière de l’entendement humain, ne peuvent arriver qu’à la vraisemblance et à la probabilité. »
  84. L’histoire a « le précieux avantage de jeter toujours une véritable lumière sur l’objet que l’on traite, soit par la confrontation des divers procédés ou méthodes, employés à des époques différentes chez des peuples divers, soit par la vue des erreurs commises ; soit enfin par la seule connaissance de la marche qu’a suivie l’esprit humain tant dans l’invention que dans les progrès de l’art ou de la science ; marche qui indique par analogie celle à suivre pour les perfectionner »
  85. Il se demande « si l’histoire n’a pas été plus nuisible qu’utile, n’a pas causé plus de mal que de bien soit aux nations, soit aux particuliers, par les idées fausses, par les notions erronées, par les préjugés de toute espèce qu’elle a transmis et comme consacrés. »
  86. À propos de l’enseignement primaire de l’histoire, il déclare : « Obligés de croire sur parole et sur autorité magistrale, les enfants y pourraient contracter des erreurs et des préjugés dont l’influence s’étendrait sur toute leur vie. Il ne s’agit pas de savoir beaucoup, mais de savoir bien, car le demi-savoir est un savoir faux, cent fois pire que l’ignorance. » L’histoire, affirme-t-il, a pour effet d’éveiller des rêves de gloire militaire chez les enfants, dont l’intérêt s’attache en général exclusivement aux récits de batailles.
  87. Il critique la fascination de ses contemporains pour l’antiquité gréco-romaine : « Nous n’avons fait que changer d’idoles, et que substituer un culte nouveau au culte de nos aïeux. (…) Nos ancêtres juraient par Jérusalem et la Bible, et une secte nouvelle a juré par Sparte, Athènes et Tite-Live. » Il lui paraît absurde d’ériger en modèles de liberté et d’égalité des sociétés esclavagistes et guerrières : « Ah ! cessons d’admirer ces anciens qui n’eurent pour constitutions que des oligarchies, pour politique que des droits exclusifs de cités, pour morale que la loi du plus fort et la haine de tout étranger ; cessons de prêter à cette antiquité guerroyeuse et superstitieuse une science de gouvernement qu’elle n’eut point. »
  88. « Raskolnikoff, Mouza. « Volney et les Idéologues : le refus de Rome ». Des Anciens et des Modernes, Éditions de la Sorbonne, 1990, p.111-127 »
  89. « L’historien qui a le sentiment de ses devoirs doit se regarder comme un juge qui appelle devant lui les narrateurs et les témoins des faits, les confronte, les questionne et tâche d’arriver à la vérité, c’est-à-dire à l’existence du fait tel qu’il a été. »
  90. « Nous tâcherons d’apercevoir, dans l’océan ténébreux de l’antiquité, quelques-uns de ces points saillants qui, tels que des îles, surnagent au flot des évènements. Sans quitter terre, nous essaierons de connaître par divers rapports, comme par des triangles, la distance de quelques-uns, et deviendrait pour nous une base chronologique qui servirait à mesurer la distance des autres. »
  91. « Ce ne sont pas tant les faits majeurs et marquants qui sont instructifs, que les faits accessoires, et que les circonstances qui les ont préparés ou produits. »
  92. « Ehrard Jean. L'histoire revisitée par la Révolution. Condorcet et Volney. In: Mélanges de l'École française de Rome. Italie et Méditerranée, tome 108, n°2. 1996. pp. 445-456. »
  93. Le rapprochement avec Londres divise les Américains en deux camps : les fédéralistes hamiltoniens favorables au traité, et les républicains jeffersoniens s’y opposant.
  94. On retrouve dès 1792 le nom de Volney parmi les banquiers et les bourgeois français (avec notamment Le Ray de Chaumont), qui s’intéressent aux vastes terrains de Castorland, dans le nord de l’État de New York. Il est aussi séduit, comme beaucoup de ses contemporains, par le projet illusoire de la compagnie du Scioto.
  95. Ses problèmes d’argent ne se sont pas arrangés depuis son incarcération. L’affaire corse n’est pas réglée et les rendements de ses propriétés de l’Ouest sont affectés par la Chouannerie.
  96. Henri et Anne Deneys, « Six lettres inédites de Volney à Grégoire », Dix-huitième siècle, n° 23, 1991, p. 233-245.
  97. Albert Mathiez, « Lettres de Volney à La Révellière-Lépeaux, 1795-98 », Annales Révolutionnaires, n° 3, 1910, p. 161-194.
  98. Philadelphie est peuplée d’anciens militaires de l’armée Rochambeau et d’anciens colons de Saint-Domingue ayant fui devant la révolte des esclaves.
  99. Moreau de Saint Méry, esclavagiste et opposant acharné de la Société des amis des Noirs, a été membre des Neuf Sœurs comme Volney.
  100. Noailles le présente au très influent sénateur William Bingham et aux trois fils du duc d’Orléans en exil aux États-Unis, Chartres (futur Louis-Philippe Ier), Montpensier et Beaujolais.
  101. Cabanis avait été reçu comme membre étranger de l’American Philosophical Society dès 1786, à l’initiative de Franklin.
  102. Sa nomination à l’Institut a été ratifiée le 21 novembre 1795.
  103. « Vos agents depuis trois légations, pour se rendre importans, n’ont tendu qu’à diviser et à brouiller. Ils vous ont brouillé avec les chefs et les riches et je vous prédis que, si cela continue, ils vous brouilleront avec le peuple. »
  104. Lettre à La Révellière du 31 mai 1797).
  105. « Ayez ici des artistes, des gens de lettres distingués, un papier français, un collège français, une bibliothèque. Soutenez-y un spectacle, un bon concert, et que l’hôtel de l’ambassade soit un rendez-vous de bonne société. On dépense des millions à tuer les gens pour les conquérir. Eh bien ! la centième partie, employée à les amuser, ferait de plus sûres conquêtes. »
  106. Adams tient rigueur à Volney d’avoir critiqué son ouvrage “Défense des constitutions américaines” (le philosophe français y avait décelé une tentative de capter les suffrages de ses compatriotes en flattant leur sentiment national).
  107. « Vente de la Louisiane : les dessous de l'affaire. Jacques Ducoin, 2003 »
  108. Il est au fait des récentes avancées théoriques en géologie (l’uniformitarisme en opposition au catastrophisme) et de l’importance de cette science dans le développement industriel.
  109. « Depuis l’avènement de M. Jefferson à la présidence, les fédéralistes n’ont cessé de l’assaillir d’invectives dans les papiers publics, et telle est la solidité des principes sur lesquels il opère, qu’il a tout laissé dire sans que son caractère en fût ébranlé dans l’opinion publique. » Ces quelques lignes agacent Bonaparte et Roederer y répond dans le Journal de Paris : « Nous espérons que le chef du Gouvernement ne croira pas nécessaire à l’affermissement de sa puissance d’autoriser ou de provoquer contre sa personne quatre années d’injures, à l’exemple de celles dont s’est si bien trouvé M. Jefferson. »
  110. Dans une lettre à Jefferson, le 10 mai 1803, il indique qu’il n’abordera pas la situation politique, arguant « qu’il faudrait trop dire ou trop peu ».
  111. Très malade, il rédige son testament en octobre 1803.
  112. Il critique la vanité nationale des Américains croyant former un « peuple neuf et vierge », qui n’est en réalité qu’une « réunion d’habitants de la vieille Europe ».
  113. « Les Américains vantent leur propreté, mais je puis attester que les quais de New York et de Philadelphie, avec certaines parties des faubourgs, surpassent en saleté publique et privée tout ce que j’ai vu en Turquie. (…) Philadelphie a dans ses plus beaux quartiers quatre énormes cimetières, dont j’ai très bien senti l’odeur en été. »
  114. Le café est trop léger, le thé trop fort, et l’on consomme des quantités excessives de porc et de beurre au petit-déjeuner.
  115. Volney, qui fréquentait les milieux diplomatiques à son retour d’Égypte, est au fait des déconvenues essuyées par Vergennes.
  116. « Je le dirai avec regret, mes recherches ne m’ont pas conduit à trouver dans les Anglo-Américains ces dispositions fraternelles et bienveillantes dont nous ont flattés quelques écrivains. »
  117. À Georgetown, les Blancs sont incités à la paresse et à l’oisiveté par la présence des Noirs. Ceux-ci, peu productifs, ne sont pas des investissements rentables pour les planteurs. Volney écrit : « On ne les veut plus pour esclaves parce qu’ils sont trop dispendieux, on préfère le travail d’un blanc à gages ; l’on ne les veut pas pour tenanciers parce qu’ils deviendraient propriétaires. On ne peut souffrir l’idée de les avoir pour égaux, de se mêler de race avec eux ; et cependant, ils s’agitent, s’ennuyent de leur état. Les quakers les encouragent, ces noirs deviennent indociles, mutins et si l’on n’y prend garde, ils feront quelque grave folie. »
  118. Il rapporte cette scène observée dans la plantation de Jefferson à Monticello : « Le maître prit un fouet pour les effrayer, et bientôt, ce fut une scène comique ; placé au milieu de leur troupeau, il s’agitait, grondait, menaçait et se tournait de tous côtés. Or, à mesure qu’il tournait le visage, les noirs changeaient d’attitude : ceux qu’il regardait en face travaillaient mieux ; ceux qu’il ne voyait qu’à demi travaillaient moins ; ceux qu’il ne voyait pas du tout cessaient tout travail. »
  119. Il a pu y observer de près les esclaves de Jefferson : « ces figures hagardes, cet air inquiet, cachotier, ces regards craintifs et haineux, tout cet ensemble me saisit d’un sentiment de tristesse et de terreur. »
  120. Jean Gaulmier, « Volney, un grand témoin de la Révolution et de l’Empire », Paris, Hachette, 1959, p.200.
  121. a b et c « Alexander Cook, « Entre l’ancien et le nouveau monde. C.F. Volney et la politique des récits de voyages en France, 1782-1803 », Annales historiques de la Révolution française, 2016/3 (n°385), p.87-108 »
  122. « Je fus étonné de voir appeler noirs et traiter comme tels des enfants aussi blancs que moi. »
  123. Même si, ne possédant aucun témoignages écrits, les Amérindiens ne conservent « aucune tradition exacte d’un fait qui ait cent ans de date ».
  124. « Michel Izard, « L’Indien de Volney », Gradhiva : revue d'histoire et d'archives de l'anthropologie, n°8, 1990. pp. 17-19. »
  125. Il considère que les conditions d’existence des chasseurs nomades, très différentes de la tradition pastorale des Bédouins, sont la cause de ces comportements antisociaux. Les autochtones ont l’habitude de vivre au bord de la famine, dans une extrême précarité, ce qui les a endurcis. Volney ne pense pas que les sauvages soient des dégénérés (il réprouve la théorie formulée par Corneille de Pauw), mais qu’ils témoignent d’un état antérieur de l’histoire humaine (il les compare à de multiples reprises aux Grecs de l’âge héroïque, citant des passages de Thucydide pour illustrer les similitudes).
  126. Il considère que dans leur contact avec les Européens, les Amérindiens ont pris ce qu’il y a de plus avilissant (particulièrement l’alcoolisme).
  127. Little Turtle inflige en 1791 une cinglante défaite aux troupes du général St. Clair à la bataille de la Wabash. Les Amérindiens de la Confédération du Nord-Ouest sont finalement vaincus en 1794 par le général Wayne et sont contraints de céder l’Ohio aux colons. Partisan de la paix, Little Turtle, accompagné de son gendre et interprète William Wells (en), est reçu par trois présidents américains (Washington, Adams et Jefferson).
  128. Son discours sur les Amérindiens est empreint d’une critique des excès de 1793, qui ont provoqué l’exécution de plusieurs de ses amis et ont manqué de lui coûter sa propre tête. Il s’oppose au culte révolutionnaire de l’antiquité classique et aux aspirations à un retour vers une pureté primitive fantasmée. La société amérindienne est d’ailleurs décrite comme une « démocratie terroriste », avec une référence polémique évidente à la convention montagnarde. Il conçoit la Révolution comme une rupture avec la barbarie des siècles et des millénaires passés. Ni les anciens, ni les sauvages (qu’il compare constamment) ne devraient servir de modèle politique pour l’avenir.
  129. « Jean Gillet, « Chateaubriand, Volney et le Sauvage américain », Romantisme, 1982, n°36, Traditions et novations, p. 15-26. »
  130. À propos de l'imperméabilité des autochtones au christianisme, Volney écrit : « Ils allaient à l'office et disaient le chapelet uniquement afin d'avoir le verre d'eau de vie et le pain qu'on leur distribuait et dont le don favorisait leur paresse. Je n'a jamais oui citer aux Etats-Unis l'exemple d'un seul sauvage réellement chrétien ; aussi lorsque chez nous un auteur préconisé a fondé l'intérêt d'un roman récent sur la dévotion presque monacale d'une Sqwa, ou fille sauvagesse, il a manqué à la règle de la vraisemblance, de laquelle naît cet intérêt ; mais s'il n'a eu en vue que de plaire à un parti et d'arriver à un but, il a parfaitement réussi, et c'est particulièrement le cas de dire : tout chemin mène à Rome. » En 1803, Bonaparte vient de nommer Chateaubriand secrétaire d'ambassade à Rome.
  131. «  Moniteur universel, 21 novembre 1798, p.2-3 »
  132. « Le Moniteur universel, 27 novembre 1798, p.2-3. »
  133. Henri Guillemin l’évoque comme une source fiable dans ses conférence pour la Radio télévision suisse en 1968.
  134. Après le coup d’État, Bonaparte le reçoit au palais du Luxembourg avec Talleyrand et Roederer (qui raconte cette entrevue), pour les remercier, au nom de la patrie, de leur aide décisive dans la réussite de l’opération. Il est cependant difficile d’apprécier l’étendue de son implication : la désillusion qui l’envahit rapidement sous le Consulat le pousse à la discrétion sur cette conjuration à laquelle il regrette d’avoir participé.
  135. Il a connu aux États généraux Lemercier qui est une pièce maîtresse dans le déroulement du coup d’État en tant que président du Conseil des Anciens. Cornet, dont l’action est décisive le 18 brumaire, est une relation nantaise de Volney. Il est lié à d’autres membres du Conseil des Anciens ralliés à Bonaparte (comme Régnier, député du tiers de Nancy en 1789, ou Le Couteulx de Canteleu, député du tiers de Rouen).
  136. « Dites au Premier Consul qu’il est beaucoup trop bon cocher pour que je puisse m’attacher à son char. Il voudra le conduire trop vite, et un seul cheval rétif pourrait faire aller chacun de son côté le cocher, le char et les chevaux. »
  137. De douze ans l’aîné de Bonaparte, qui lui témoigne son respect et son admiration depuis leur rencontre en Corse en 1792, il est l’un des ses plus intimes conseillers. Il figure à toutes les cérémonies et les journaux rendent compte de ses déplacements.
  138. Volney est un confident de Joséphine. Une tradition familiale prétend même que Bonaparte songea un temps à le marier avec Hortense de Beauharnais.
  139. Roederer le décrit comme « le plus ridicule pédant de France ». Lemercier, cité par Sainte-Beuve, assiste à une scène symptomatique de la déférence du philosophe envers le général. Tout en buvant les paroles de Bonaparte, il se saisit de sa tasse de café bouillante pour la lui rendre quand la température lui paraît convenable. Volney fait grand cas de la santé de son ami, auquel il donne des conseils sur son alimentation et son sommeil. Dans une lettre au vicomte de Noailles du 11 août 1800, il écrit que le sort de la France et de l’Europe dépendent de la bonne santé de Bonaparte, alors âgé de 31 ans, et s’inquiète de la possibilité d’un destin semblable à celui d’Alexandre le Grand, mort à 32 ans.
  140. En juillet 1801, il écrit à Thomas Jefferson : « les changements opérés parmi nous depuis vingt mois sont presque fabuleux : nous étions en dissolution putride au-dedans et au-dehors, et nous sommes plus recomposés que jamais. (…) Nos plus grandes plaies, celles de la finance et de la sûreté, se cicatrisent à vue d’œil. Les tribunaux spéciaux ont produit tout le bien que nous en attendions : il nous reste le mal sacerdotal, et le retour de balancier de ce côté est étonnant d’hypocrisie et de fanatisme. »
  141. « Relations secrètes des agents de Louis XVIII à Paris sous le Consulat (1802-1803), p.45 »
  142. La scène est racontée dans une lettre du 4 novembre 1801 par le cardinal Maury, qui écrit qu’après la réplique de Volney, Bonaparte lui « tourna le dos ». Dans ses mémoires, Besnard évoque un coup de pied dans le ventre ; c’est aussi la version présentée par Stendhal dans son Napoléon.
  143. L’idéologie, la science des idées, est un concept forgé en 1795 par Destutt de Tracy. Le mot « idéologue », à connotation péjorative, est employé par Bonaparte pour dénigrer ses opposants dans les Assemblées législatives (qu’il fustige comme des phraseurs creux et pompeux).
  144. Visant explicitement Dupuis et Volney, Bonaparte déclare à Chateaubriand : « Le Christianisme, les idéologues n’ont-ils pas voulu en faire un système d’astronomie ? Quand cela serait, croient-ils me persuader que le Christianisme est petit ? Si le Christianisme est l’allégorie du mouvement des sphères, la géométrie des astres, les esprits forts ont beau faire : malgré eux, ils ont encore laissé assez de grandeur à l’infâme. » (Mémoires d'outre-tombe).
  145. expression de Guiguené
  146. Lettre de Volney à Jefferson, 10 mai 1803
  147. Volney est lié à Moreau depuis 1788, à l’époque de la Sentinelle du Peuple. Celui ci à coopéré non sans réticences au coup d’État du 18 brumaire. Placé à l’écart en 1801, il incarne la fronde contre le Premier consul. Il est populaire auprès des idéologues, qui sont espionnés par Fauriel pour le compte de Fouché, ministre de la police. Déteste par Bonaparte, Moreau est accusé à tort d’être impliqué dans la conspiration royaliste des généraux Pichegru et Cadoulal, qui projettent d’assassiner le Premier consul. Il est arrêté le 15 février 1804. Son procès révolte les idéologues, qui envisagent même de l’aider à s’évader. Devant la sympathie des parisiens pour Moreau et l’absence de preuves, il est condamné à seulement deux ans de prison, au grand regret de Bonaparte (« Ils me l’ont condamné comme un voleur mouchoir ! »), qui consent finalement à autoriser son exil aux États-Unis.
  148. Pressentant le changement de régime, il l’annonce à Thomas Jefferson dans une lettre signée le 28 avril 1804 et confiée à Robert Fulton, qui s’apprête à quitter la France. « Vous apprendrez que le Sénat aura voté l’hérédité. »
  149. « Lettre de Volney à Thomas Jefferson, 28 avril 1804 »
  150. « Jean-Yves Guiomar. La Révolution Française et les origines celtiques de la France. In: Annales historiques de la Révolution française, n°287, 1992. pp. 63-85. »
  151. Née de la celtomanie des milieux intellectuels au tournant du siècle, cette institution rassemble un grand nombre d’amis de Volney, dont beaucoup de bretons (Lanjuinais, Guiguené ou La Révellière), souvent francs-maçons (comme le fondateur Jacques Cambry), affiliés notamment à la loge des Neuf Sœurs (Lalande ou Moreau de Saint-Méry en sont membres). L’Académie celtique s’occupe de linguistique, d’histoire et d’archéologie. Elle est aussi précurseuse dans le domaine de l’ethnographie (l’étude des mœurs, des croyances et des rites).
  152. En 1805, il rédige pour l’Académie celtique un compte-rendu critique de l’ouvrage de Pallas, Vocabulaires comparés des langues de toute la terre.
  153. Élu le 28 septembre 1797, il n’a appris sa nomination qu’avec la paix d’Amiens, en 1802, lorsque les communications maritimes ont été rétablies. Il se montre d’autant plus sensible à cet honneur qu’il lui vient d’orientalistes britanniques, en période de guerre. Pour les remercier, il leur fait parvenir un exemplaire luxueux du Voyage en Égypte de Vivant Denon.
  154. L’École des jeunes de langues (fondée par Colbert) et le Collège de France ne forment qu’une poignée d’élèves pour de piètres résultats. Quant à l’École des langues orientales, instituée en 1795 par la Convention, l’enseignement y est meilleur mais ses élèves sont négligés par les cercles diplomatiques, qui continuent par habitude de favoriser les jeunes de langues.
  155. Un cours d’arabe sera finalement créé à Marseille à l’initiative de Silvestre de Sacy (décret impérial du 31 mai 1807).
  156. « Gaulmier, Jean. « Volney et la pédagogie de l’arabe ». Jean Gaulmier, un orientaliste, Presses de l’Ifpo, 2006. »
  157. Jean Gaulmier, « Volney, un grand témoin de la Révolution et de l’Empire », Paris, Hachette, 1959, p.276.
  158. Albert Révérend (vicomte), « Armorial du premier empire : titres, majorats et armoiries concédés par Napoléon Ier », Tome I, Paris, 1894, p.210.
  159. « Notice de Volney aux archives nationales »
  160. Cabanis, cité dans le rapport de police parmi les conspirateurs, a été panthéonisé par l’empereur quelques semaines auparavant.
  161. « Biographie de Volney, dictionnaire des parlementaires français de 1789 à 1889 (Adolphe Robert et Gaston Cougny) »
  162. Villemain rapporte qu’au cours d’une soirée chez la comtesse de Rumford, le 18 mars 1815, Madame de Staël déclare à propos de Bonaparte : « Il sera bien obligé de ménager un peu, même ceux qu’il appelait les idéologues, Tracy, Sieyès, Volney, Garat. »
  163. En Virginie, les épouses et les filles des grands prolétaires terriens lui paraissent encore plus orgueilleuses que leurs pères et leurs maris. Il apprécie en revanche le silence méditatif des Américaines croisées sur son chemin, attitude contrastant avec l’incessant bavardage des Françaises. « Le parlage cause 95 divorces sur cent. »
  164. Les Égyptiennes ne sauraient selon lui charmer un européen « à moins d’un sentiment exalté par la privation ». Et, à propos des Amérindiennes : « Je ne m’oppose point à ce qu’il y en ait de jolies, comme le prétendent certains voyageurs. En voyage, l’appétit donne souvent du goût à des mets que l’on trouverait insipides ailleurs. »
  165. [[Pierre-Louis Roederer|Roederer rapporte dans son journal, à la date du 10 décembre 1799, un échange entre Volney et Bonaparte au sujet de l’arrestation des prostituées du Palais-Royal. « Ces demoiselles veulent être élargies » plaisante Volney. Amusé, Bonaparte lui répond qu’il s’exprime là comme un « vieux garçon ».
  166. Il obtient de Joseph Van Praet, conservateur de la bibliothèque impériale, la permission d’emprunter certains ouvrages que sa santé l’empêche de consulter sur place. Volney se plonge dans des fragments oubliés d’Agatharchide, de Sanchoniathon, d’Alexandre Polyhistor ou de Georges le Syncelle.
  167. « Quoi ! depuis moins de cent ans, l’esprit humain a su pénétrer une foule d’énigmes de la nature, dans l’Astronomie, dans la Physique générale et particulière, dans la Chimie, etc. ; et il ne pourra deviner les logogriphes que lui-même s’est composé dans les récits de l’Histoire ! D’où vient cette bizarrerie ? »
  168. Il fait référence aux travaux de l’exégète Richard Simon sur ce sujet.
  169. Cette estimation correspond à l’époque de la construction de la ziggurat d’Anu à Uruk.
  170. Index Librorum Prohibitorum (1600-1966), Jesús Martínez de Bujanda, Genève, 2002, p.927.
  171. Il prend le parti d’Hérodote contre Ctésias.
  172. Le 17 octobre 1814, il démissionne de l’Académie celtique (devenue la Société des antiquaires), dont le secrétaire général Saint-Martin multiplie les révérences à l’égard de « Louis le Désiré » et sollicité le patronage du roi.
  173. Il s’agace des « prédications des comédiens missionnaires qui parcourent les villes et les campagnes où ils exploitent la sottise populaire avec tous les raffinements d’escamotage et de pantomime qu’à inventés l’Italie. »
  174. « On méprise les Juifs et on les imite ; on repousse leur code, on garde leurs rites »
  175. Volney profite de sa brochure pour glisser quelques piques à Chateaubriand, qui s'est vanté de ne pas savoir l'arabe (« Le voyageur qui ne peut converser est un sourd et muet qui ne fait que des gestes ») et qui s’est rendu en Terre Sainte en pèlerin (« A Jérusalem, je me suis gardé d'être pèlerin, j'eusse été en proie à l'avarice turke et, ce qui la vaut bien, à l'hypocrite mendicité chrétienne ; j'ai eu le bonheur de sortir sans dommage de ce foyer de superstition et de fourberie. »).
  176. « Les pères arrivent au pouvoir par beaucoup de peines et de soins ; les enfants, nés dans l’abondance, se livrent aux écarts et habitudes vicieuses qu’engendre la prospérité. »
  177. Il ne manque pas de noter, à propos de Napoléon Ier : « Un sacre, même papal, n’a pas eu la vertu de conjurer la chute d’un gouvernement puissant mais illibéral ».
  178. « Lançon, Daniel. « L’Idéologue Volney devant l’altérité des langues du Proche-Orient : utopies et apories ». Le moment idéologique, ENS Éditions, 2013. »
  179. Si en 1795, il écrivait à l’instar de Condorcet que le français était la langue la mieux construite et donc la plus susceptible d’être « universalisée », c’est désormais la grammaire turque, avantageusement comparée au latin, qu’il érige en modèle.
  180. Journal des savants, juin 1819, p. 360.
  181. Volney n’accorde d’ailleurs pas beaucoup d’intérêt auxdites traditions : « Un antique préjugé vante vainement la littérature orientale : le bon goût et la raison attestent qu’aucun fonds d’instruction solide ni de science positive n’existe en ses productions : l’histoire n’y récite que des fables, la poésie que des hyperboles ; la philosophie n’y professe que des sophismes, la médecine que des recettes, la métaphysique que des absurdités ; l’histoire naturelle, la physique, la chimie, les hautes mathématiques, y ont à peine des noms. »
  182. Il critique la formation néo-classique des lettrés français, qui se limite encore aux humanités gréco-latines : « Notre exclusive admiration du grec et du latin n’est qu’un tribun irréfléchi payé par notre enfance à la vanité scholastique de nos instituteurs ».
  183. « Sainte-Beuve, « Causeries du lundi », tome VII, 21 février 1853 »
  184. Les idéologues, dit Sainte-Beuve, « visent trop à émonder l’arbre qu’ils ont sous les yeux et à le tailler régulièrement avec méthode », au lieu d’envisager les langues « comme une végétation lente, une production lente, une production historique composée, résultant de mille accidents fortuits ».
  185. Sainte-Beuve indique qu’elle a été achetée par Dureau de la Malle (qui la possède toujours en 1853). « Faisant avec le nouveau possesseur le tour du jardin, il aperçut un vieux râteau qui avait été oublié par mégarde ; il le prit sous son bras et l’emporta. »
  186. Il lègue ses propriétés à ses neveux ainsi qu’aux petits-enfants de sa femme, nommée légataire universelle. Il donne aussi 20,000 francs à un fermier de sa propriété de Pringy, et un fonds de 24,000 francs (à faire fructifier) à l’Institut de France, pour financer un prix de philologie. Il choisit comme exécuteur testamentaire le comte Daru, qui hérite de sa bibliothèque.
  187. « Le Constitutionnel du 29 avril 1820, p.4. »
  188. Cet éloge a été inséré dans le Moniteur, dans la Revue encyclopédique, puis réimprimé en tête de l'édition in-18 des Ruines, et traduit en anglais et en espagnol.
  189. « Discours de réception du marquis de Pastoret »
  190. « La rétrospective du cercle Volney fait défiler cinquante ans de célébrités parisiennes, Le Monde, 10 novembre 1952. »
  191. Lire en ligne ici.
  192. Édition originale de ce texte qui sera repris en 1799 dans la 3e édition du Voyage en Syrie.
  193. On lit au bas de la première page la note suivante : « Pour l'intelligence de cette lettre, il faut être prévenu que l'auteur publia, au commencement de novembre, la brochure intitulée : Des Conditions nécessaires à la légalité des États généraux, et que M. le comte de S..., depuis quelques jours y a répondu par une analyse, où sans réfuter l'ouvrage, il diffame la personne. »
  194. Constantin-François Volney, Les ruines, ou, Méditation sur les révolutions des empires : XVIIe – XIXe siècle : 1789-1826, Paris, Editions Desenne, (lire en ligne). (BNF 31601961), Édition de 1822.
  195. Première édition française : Paris, 1792, 3e éd. augmentée avec Le Catéchisme du Citoyen français, Paris, 1799. 5e éd. avec La Loi naturelle, Paris, 1817, 1820, 1821, 1826; 1822. L'ouvrage a été traduit en espagnol, en anglais, et presque dans toutes les langues de l'Europe ; il en existe une version arabe.
  196. 2e éd., 1813. Petit manuel qui constitue un excellent traité de morale. À la suite, on trouve diverses chansons : hymne à la raison. Hymne patriotique (la Marseillaise). Chanson sur l'air de la carmagnole.
  197. Constantin-François de Chasseboeuf de Volney, La loi naturelle, ou Catéchisme du citoyen français, (lire en ligne)
  198. Ce précis fait partie d'un plus grand ouvrage sur la Corse, non achevé, dont les fragments ont été recueillis dans ses Œuvres complètes.
  199. Imprimé aux États-Unis.
  200. 2e éd. Paris, 1822.
  201. 1813 et 1814. 2e éd. 1822. Il expose ses conceptions linguistiques et son idée d'appliquer un alphabet unique aux langues européennes et orientales.
  202. Ouvrage posthume.
  203. 2e édition revue et corrigée en 1820.
  204. 3e éd., 1822. Autre édition augmentée d'une leçon inédite, et suivie du Discours de Lucien sur la manière d'écrire l'histoire, Paris, 1826. Traduction en espagnol en 1827.
  205. Publié par Antoine-Alexandre Barbier

Voir aussi[modifier | modifier le code]

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Bibliographie[modifier | modifier le code]

  1. Qui regarde Volney comme l'homme le plus illustre qu'ait produit l'Anjou sous le rapport littéraire
  2. Mais il ne rendait pas la même justice à son caractère, ce qui donna lieu à une polémique dans le Journal des Débats, entre madame de Volney et M. Bodin, qui s'est pour ainsi dire rétracté en s'engageant à prendre de nouveaux renseignements (septembre 1823).

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Liens externes[modifier | modifier le code]