Château de Chillon

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Château de Chillon
Image illustrative de l’article Château de Chillon
Vue sud du château en mars 2021.
Période ou style Médiéval
Type Château fort
Architecte Pierre Mainier, Jacques de Saint-Georges et Aymonet Corniaux
Début construction XIe siècle
Fin construction XIXe siècle
Propriétaire initial Famille de Savoie
Destination initiale Forteresse et résidence des comtes puis ducs de Savoie
Propriétaire actuel État de Vaud
Protection Monument historique
Coordonnées 46° 24′ 51″ nord, 6° 55′ 39″ est
Pays Drapeau de la Suisse Suisse
Région historique Pays de Vaud
Canton Drapeau du canton de Vaud Vaud
District Riviera-Pays-d’Enhaut
Commune Veytaux
Géolocalisation sur la carte : canton de Vaud
(Voir situation sur carte : canton de Vaud)
Château de Chillon
Géolocalisation sur la carte : Suisse
(Voir situation sur carte : Suisse)
Château de Chillon
Site web https://www.chillon.ch/

Le château de Chillon se trouve sur les rives du Léman, à Veytaux (commune se trouvant entre Villeneuve et Montreux) en Suisse. De forme oblongue, le château mesure 110 mètres de long pour 50 mètres de large. Successivement occupé par la maison de Savoie puis par les Bernois de 1536 à 1798, il appartient désormais à l'État de Vaud.

Le château est accessible en voiture depuis Montreux et Villeneuve et dispose d'un parking. En transports publics, il est desservi par un arrêt de train CFF nommé « Veytaux-Chillon », par un arrêt de bus en provenance de Montreux, Vevey et Villeneuve et enfin par la ligne de bateau Lausanne-Saint-Gingolph de la CGN[1],[2].

Il s'agit du monument historique le plus visité de Suisse, possédant un patrimoine architectural et artistique d'une très grande richesse.

Géographie

Le château de Chillon se situe en Suisse, dans le canton de Vaud, sur le territoire du district de la Riviera-Pays-d’Enhaut, entre Montreux et Villeneuve. Il se trouve sur l'île de Chillon, un rocher de calcaire plongeant dans le Léman et qui est séparé d'une dizaine de mètres du rivage, à 376 m d'altitude[3],[4].

Étymologie

D'après l'ethnologue suisse Albert Samuel Gatschet, le nom Chillon viendrait du patois vaudois et signifierait « pierre plate, dalle, plate-forme ». Castrum Quilonis (1195) signifierait donc « château construit sur un chillon », c'est-à-dire sur une plate-forme de rocher[5]. L'origine de ce terme se trouverait elle-même dans un nom en ancien français : chail, signifiant "cailloux"[6].

Histoire

Lithographie du château vu du nord, avec Villeneuve en arrière-plan et les dents du Midi au fond.
Château de Chillon vue est-nord, mars 2020

L'emplacement du château de Chillon revêt une importance stratégique : à l'extrémité orientale du Léman, il ferme le passage entre la rive septentrionale du lac (accès au nord vers la Bourgogne, la France et le nord de l'Europe) et la plaine du Rhône (accès vers les régions du nord de l'Italie actuelle, comme le Piémont ou la Lombardie). La nature du site, sur un îlot, offre une protection naturelle contre les agressions éventuelles. De plus, le monument se trouve le long d'un axe faisant partie de la Via Francigena, un réseau de pèlerinage allant de l'Angleterre à Rome. La voie bordant le château était empruntée à la fois par les pèlerins et les marchands pouvant passer du nord au sud des Alpes par le col du Grand-Saint-Bernard. Il était ainsi extrêmement aisé pour une garnison de contrôler militairement et commercialement la route.

Le Moyen Âge - période des Savoie

La première mention historique de Chillon remonte au XIIe siècle. Dans une charte de 1150, le comte Humbert III accorde aux moines de l'abbaye cistercienne de Haut-Crêt le libre passage à Chillon, nommé Castrum Quilonis. Cela atteste de la domination de la maison de Savoie sur la forteresse et en fait leur plus ancienne place-forte au nord du Léman. Des relevés archéologiques ont cependant daté au XIe siècle les fondations du donjon et de la première enceinte, sans permettre de savoir à qui appartenaient les fortifications à cette époque[7].

Le château de Chillon devient le centre d'une châtellenie, dans le cadre de l'organisation du comté de Savoie, puis également le chef-lieu du bailliage du Chablais. Le premier châtelain est attesté en 1198. La maison de Savoie transforme le site et l'agrandit durant le XIIIe siècle et le XIVe siècle.

Cela coïncide avec l'expansion du comté sur une partie de la Suisse romande actuelle, où les Savoie construisent de nombreux châteaux (Yverdon, Morges, Aigle, Romont...). À côté de la forteresse, le comte Thomas Ier fonde en 1214 la bourgade de la Ville neuve de Chillon et en fait le siège d'un péage.

Résidence seigneuriale

Le château de Chillon n'est pas voué qu'à un but militaire ou commercial. Il sert également de résidence pour les comtes de Savoie. Il est en effet une des étapes des voyages de leur cour itinérante lors de leur voyages réguliers à travers leur territoire. Certains d'entre eux apportent des modifications notables au monument.

Le comte Thomas Ier entreprend de 1190 à 1220 de grands travaux de renforcement et d'agrandissement sur le site. Il fait notamment ériger une double enceinte défensive. Il sera imité par plusieurs de ses fils au cours du XIIIe siècle, faisant de Chillon l'un des sièges importants de la cour de Savoie[8].

Fils de Thomas, Pierre II de Savoie entreprend des travaux visant à améliorer le confort du château. Dans les années 1250-1260, il fait percer des fenêtres à deux lancettes surmontées d'un oculus trilobé. Il érige un espace dévolu au fonctionnement et à l'archivage administratif de la châtellenie de Chillon : la domus clericorum. Pour autant, l'aspect défensif n'est pas laissé de côté ; il commande le rehaussement des tours semi-circulaires de l'enceinte extérieure. Les travaux sont effectués sous la supervision du maître d'œuvre Pierre Mainier[9].

Frère de Pierre, Philippe Ier de Savoie fait orner l'une des salles de banquet (la salle du châtelain) de deux colonnes en chêne finement sculptées et surmontées de chapiteaux à crochets dans les années 1270. Les défenses sont renforcées par un système d'archères imposantes. Les travaux ont été probablement supervisés par le maître maçon Jacques de Saint-Georges, qui a séjournée à Chillon en 1273. Cet artisan poursuivra sa carrière au service de la royauté anglaise en dirigeant la construction d'une série de châteaux dans le Pays de Galles, conquis par le roi Edouard Ier d'Angleterre entre 1277 et 1283. Le plus célèbre de ces monuments est le château de Harlech, dont certaines fenêtres possèdent des similarités architecturales avec celles de Chillon[10].

En 1314, le neveu de Philippe, Amédée V de Savoie, ordonne la création d'un décor peint dans la chapelle de Chillon. Les travaux sont réalisés par un certain Maître Jacques et deux collaborateurs anonymes. L'ensemble s'articule autour de la généalogie du Christ, sa vie terrestre et sa Résurrection[11]. Le programme iconographique dénote des inspirations à la fois anglaises et du centre de l'Italie. L'entreprise du comte découle probablement d'une volonté de remettre en valeur l'un des pôles importants de la vie de cour itinérante des Savoie et leur principale place-forte au nord du Léman[12].

Le fils d'Amédée V, Aymon de Savoie, commande d'importants travaux dans la chambre à coucher comtale, la camera domini, entre 1336 et 1338. La disposition de la pièce est modifiée par l'ouverture de nouveaux accès, la construction d'un imposant plafond voûté peint, ainsi que par l'ajout d'un escalier à vis reliant la pièce à chapelle située en contrebas. De grandes peintures murales sont réalisées quant à elles de 1341 à 1343 par Jean de Grandson. Cet artiste est proche du peintre officiel de la maison de Savoie, Giorgio d'Aquila, avec qui il a collaboré à l'ornementation de la Chapelle des Princes de l'abbaye de Hautecombe, où reposent les ossements des Savoie[13].

Sous le règne d'Amédée VI, fils d'Aymon, un corps de logis de deux étages est accolé aux pièces seigneuriales. Sa fonction demeure incertaine. Il aurait pu servir par exemple à héberger Bonne de Bourbon (nièce du roi de France Philippe VI de Valois), l'épouse du comte, qui séjourne longuement à Chillon en 1379[14].

Tout au long du XIVe siècle, un mouvement de centralisation s'initie vers la ville de Chambéry, Couplée à l'importance grandissantes d'autres cols alpins que celui du Grand-Saint-Bernard (comme celui du Mont-Cenis), cette tendance diminue l'importance de Chillon. Le château est également concurrencé par d'autres résidences comtales au sud du Léman, comme le château de Ripaille. Après les travaux menés par Amédée VI, il est délaissé pendant quasiment un demi-siècle.

Le dernier membre de la maison de Savoie à s'intéresser à Chillon est Amédée VIII, petit-fils d'Amédée VI et Bonne de Bourbon. Comte dès 1391, il devient le premier duc de Savoie en 1416. Soucieux de remettre en valeur la forteresse lémanique, il confie à son maître d'œuvres, Aymonet Corniaux, la transformation de plusieurs pièces et l'amélioration des fortifications entre 1436 et 1450. De cette époque datent les immenses plafonds à caissons et les cheminées en pierre de plusieurs pièces d'apparat du château[15].

Dans la seconde moitié du XVe siècle, les Savoie voient diminuer leur influence sur le Pays de Vaud suite aux guerres de Bourgogne. Alliés au duc Charles le Téméraire, qui est défait par les confédérés suisses lors des batailles de Grandson et de Morat, ils perdent plusieurs places-fortes. Non loin de Chillon, le château d'Aigle est conquis par les armées de Berne en 1475. Ils restent cependant seigneurs de Chillon jusqu'en 1536.

Les peintures de la camera domini

Les peintures réalisées à la tempera à l'œuf par Jean de Grandson sur la demande du comte Aymon de Savoie ont une importance patrimoniale importante à l'échelle de la Suisse - et même au-delà. Restaurées en 1900 et 1977, elles sont en effet les derniers témoins de décors intérieurs aristocratiques commandés par la maison de Savoie dans la première moitié du XIVe siècle. Les autres, réalisés à cette époque par Giorgio d'Aquila, n'ont pas subsisté[16].

Sur le manteau de la cheminée trône une représentation de saint Georges terrassant le dragon. Les parois sont quant à elles intégralement couvertes de peintures subdivisées en trois registres : au sommet se trouve un jardin luxuriant peuplé d'animaux sur un fond bleu couvert de fleurs de lys. Au-dessous figure une frise héraldique reprenant les blasons de Savoie, du Montferrat et du comté de Genève. Enfin, au pied de cet ensemble, on voit une évocation de tentures aux motifs élaborés.

Le graffiti du chevalier aux armes de la Savoie

Les murs du château de Chillon sont couverts de centaines de graffiti. L'un des mieux préservés et des plus élaborés se trouve dans la cheminée de la salle appelée Petit Salon, qui faisait office de garde-robe à partir du milieu du XIIIe siècle. Incisé dans l'enduit mural, il représente un chevalier aux armes de la Savoie. Ce graffiti présente des similitudes avec le sceau équestre du comte Amédée V, dont il s'inspire peut-être en partie. Un lien avec cette figure princière ne paraît irréaliste dans la mesure où il a entretenu des rapports privilégiés avec le château de Chillon. C'est notamment dans la chapelle du monument qu'il épouse sa première femme, Sybille de Bâgé, en 1272[17].

La période bernoise

La fresque aux couleurs de Berne encore visible.
La délivrance de Bonivard (1898), peinture de Franck-Edouard Lossier.
Salle décorée durant l'occupation bernoise : armoiries des baillis bernois présents à Chillon de 1536 à 1797.

Avec la montée en puissance de ses ennemis, la maison de Savoie, devenue duché de Savoie en 1416, n'arrive plus à gérer son large territoire. Le château constitue une sorte d'enclave dans le territoire bernois. Au sud, le Chablais et le château d'Aigle sont occupés par Berne dès 1475. La même année, les propriétés de la Savoie au nord du Pays de Vaud (Grandson, Orbe, Échallens) cèdent sous l'avancée des Confédérés. Pendant plusieurs dizaines d'années, les Bernois affaiblissent un duché chancelant et miné par les conflits avec le duché de Bourgogne et le roi de France Louis XI, le tout accompagné d'une vague de protestantisme. Les Bernois s'impatientent et décident d'en finir avec ce duché devenu trop encombrant. En 1536, aidés par les Genevois qui désiraient libérer leurs prisonniers enfermés à Chillon, les Bernois préparent le siège de Chillon.

Le , une centaine de soldats genevois embarquent sur quatre navires de guerre et quelques autres vaisseaux. Les Bernois de leur côté arrivent le 26 mars aux abords de Lutry, à une vingtaine de kilomètres de Chillon. Des coups de canons résonnent et le duc de Savoie alors responsable de Chillon ordonne, si les troupes bernoises apparaissent, de soumettre les prisonniers de Genève à l'estrapade à deux reprises, et de les exécuter sans hésitation. Le lendemain matin, les Bernois arrivent à Veytaux et les Valaisans profitent de l'occasion pour s'attaquer également aux Savoyards par le sud. Les bateaux genevois quant à eux encerclent le château. Pris en tenaille par une forte artillerie, les responsables savoyards entament des négociations. La garnison s'échappe durant la nuit et débarque à Lugrin, poursuivie par les Genevois, avant de disparaître dans la nuit. Les attaquants décident alors d'entrer dans le château, brisent les portes et les chaînes et découvrent plusieurs prisonniers dont Bonivard dans le donjon, affaibli par 6 ans de détention mais encore vivant.

Le château, partiellement endommagé par le feu lors de l'attaque, est rénové mais reste fort peu accueillant. Les Bernois ne changent pas l'architecture globale de la forteresse mais convertissent certains bâtiments en lieux de stockage, réserves, cuisines et petites casernes. Sa charge administrative change, le bailli qui y vit doit s'occuper de la région de Vevey. En 1627, le château fort de Chillion possède plusieurs pièces de canons et de munition. À partir de 1656, il sert de port principal sur le Léman pour la flotte de guerre bernoise.

Cette occupation bernoise dure jusqu'en 1733, date à laquelle le bailli déménage au château de Vevey pour des raisons d'insalubrité. En 1793, le château est converti en un hôpital pour les blessés de guerre. Mais la présence bernoise s'affaiblit progressivement face à la volonté du Pays de Vaud d'accéder à l'indépendance.

La période vaudoise

Gustave Courbet, Le Château de Chillon (1874), musée des beaux-arts de Belfort.

Le , un groupe de Veveysans investit le château et chasse le bailli bernois (qui part en emportant des tapisseries visibles à Berne de nos jours) qui est remplacé par une poignée de gendarmes et de surveillants. Le signe de la présence bernoise reste toutefois encore bien visible sur le flanc sud du château avec une fresque aux couleurs de Berne qu'il est possible de voir depuis la rive. L'indépendance du Pays de Vaud est officiellement déclarée le ce qui aboutit à la création du canton du Léman. Après une période trouble due à la présence des troupes françaises jusqu'en 1802, le château perd définitivement son utilité en tant que forteresse.

Au cours du XVIIIe siècle, on comble la fosse qui borde le flanc est du château. Ce n'est qu'au cours des restaurations ultérieures qu'on remettra en état ces douves naturelles. En 1835, la forteresse est convertie en entrepôt pour l'artillerie et subit quelques modifications pour faciliter le passage des canons. En 1866, le donjon accueille des archives et le château de Chillon sert de prison militaire. Cette utilisation est de courte durée, une association est fondée en 1887 pour restaurer l'édifice. Après avoir été élevé au rang de monument historique en 1891, des fouilles sont entreprises. Celles-ci mettent au jour en 1896 des vestiges romains et permettent de mieux comprendre l'histoire du château.

Dès 1880 : une restauration exemplaire

À la fin du XIXe siècle se mettent en place des structures favorables à une restauration scientifique du monument. Cette entreprise systématique, véritable laboratoire où s’élabore une éthique de la restauration monumentale, sera considérée comme exemplaire dans un large rayon. Elle est notamment vantée par Johann Rudolf Rahn (de) dans une conférence donnée en 1898 à la Société des Antiquaires de Zurich[18], et l’empereur d’Allemagne lui-même, Guillaume II, s’informe du modèle de Chillon en vue de la reconstruction de la forteresse du Haut-Koenigsbourg[19].

Ce résultat est dû à la conjonction de plusieurs facteurs :

  • l’émergence de personnalités particulièrement compétentes ;
  • la création de l’Association pour la restauration de Chillon ;
  • la nomination d’une Commission technique qui pilote les travaux ;
  • l’adoption par l’État de Vaud de la loi de 1898 sur les monuments historiques.

Pour la première fois avec une telle rigueur, on applique au château non pas les méthodes d’une re-création aléatoire, comme ce fut si souvent le cas, mais celles de l’archéologie et de l’histoire.

L’intervention de personnalités pionnières dans la protection des monuments est décisive. Il y a notamment Johann Rudolf Rahn (de), l’un des protagonistes principaux à l’origine de la Société suisse des monuments historiques en 1880, Henry de Geymüller, spécialiste international de la restauration monumentale, étroitement associé à la remise en état d'édifices tels que l’église romane de Saint-Sulpice, l’église Saint-François à Lausanne, et la cathédrale de Lausanne. En outre, Ernest Burnat, très impliqué lui aussi à la cathédrale de Lausanne, est nommé, en un premier temps, architecte de cette restauration, puis remplacé par Albert Naef, qui jouera un rôle majeur dans le développement de l’archéologie dans le canton de Vaud et consacrera vingt ans de sa vie à l’étude de Chillon[20].

L’Association pour la restauration du château de Chillon est constituée en 1887[21]. D’emblée, elle vise à une restauration « artistique » ayant pour objectif de « redonner aux objets le caractère dont ils étaient revêtus, presque une vie latente, une vie empreinte des idées de leur temps »[22]. Il est donc également prévu de créer un musée historique au château[23].

Une Commission technique, ratifiée en 1889, est composée d’historiens de l’art et d’architectes renommés, spécialisés dans la restauration monumentale : Johann Rudolf Rahn, Théodore Fivel, architecte à Chambéry et grand connaisseur de l’architecture castrale savoyarde, Léo Châtelain, restaurateur de la collégiale de Neuchâtel, Henry de Geymüller, théoricien de la restauration et spécialiste de l’architecture Renaissance, enfin Henri Assinare, architecte de l’État. Leur première réunion a lieu le 27 octobre 1890 et dès lors ces spécialistes, durant de nombreuses années, supervisent étroitement les travaux. Geymüller, notamment, se fondant sur des principes publiés déjà en 1865 (et augmentés en 1888) par l’Institut royal des architectes britanniques[24], fixe un cadre en rédigeant un mémoire intitulé Jalons pour le programme de la Restauration et Principes fondamentaux sur lesquels elle devra se baser (imprimé à Lausanne en 1896)[20].

La loi vaudoise de 1898 [la première de ce genre en Suisse] est élaborée par Albert Naef. Elle prévoit notamment d’établir une commission cantonale des monuments historiques, et de créer un poste d’archéologue cantonal. Naef, bien entendu, sera nommé à cette fonction et se verra chargé de mettre en place une véritable protection des monuments historiques[25].

L'investigation systématique du château est commencée par Ernest Burnat, qui initie un relevé général de la forteresse, puis continuée et intensifiée par Albert Naef. Ce dernier non seulement entre à la Commission technique à la mort de Fivel en 1895, mais remplace Burnat lui-même au poste d’architecte-archéologue chargé de la direction des travaux. Dans sa démarche, l’esthétique reste toujours subordonnée à l’éthique scientifique. En effet, le cri du cœur de Rahn de 1888, qui écrit à propos de Chillon : « N’y touchez pas », guide l’archéologue dans le sens d’une extrême prudence dans la démarche. La restauration doit se baser sur une connaissance aussi étendue que possible du monument et l’investigation est donc méthodique. Elle tient compte des acquis de l’histoire grâce à des recherches extensives dans les archives, elle procède à des fouilles archéologiques et à des relevés détaillés, s’il le faut même à des moulages. Le château est littéralement mis à nu, l’ensemble des démarches étant documenté consciencieusement par des plans, croquis et photographies, ainsi que par un journal minutieux que Naef tient au jour le jour. Lors de la restauration, les parties touchées sont dûment signalées comme telles, par une inscription sur la pierre de taille (R=Restauré ; RFS=Restauration en fac similé ; RL=Restauration libre), ou par un changement de couleur, voire une ligne rouge, sur la maçonnerie. Cette règle sera véritablement respectée jusqu'en 1908 seulement, puis tombera dans l'oubli[26].

Châtellenie de Chillon

Château de Chillon et dents du Midi à la tombée de la nuit.
Vue aérienne (1948).

Le château de Chillon est le centre d'une châtellenie, dit aussi mandement, dans le cadre de l'organisation du comté de Savoie, puis également le chef-lieu du bailliage du Chablais[27],[28].

Tourisme

Graffito de Lord Byron.
Vue du château depuis Villeneuve, photochrome d'environ 1890 - 1900.

Dès la fin du XVIIIe siècle, le château attire les écrivains romantiques. De Jean-Jacques Rousseau à Victor Hugo en passant par Alexandre Dumas, Gustave Flaubert et Lord Byron, le château inspire les poètes du monde entier. Hugo dira « Chillon est un bloc de tours sur un bloc de rochers ». Certaines restaurations, inspirées par la vision romantique de l'esthétisme, se firent d'ailleurs au détriment de la véracité historique. En 1900, l'architecte Albert Naef continue les travaux de restauration pour aboutir à l'état actuel de l'édifice. Il refait l'intérieur et les tapisseries de certaines pièces comme la grande salle du bailli, appelée aussi la « grande cuisine bernoise ».

En 1939, le château accueille déjà plus de 100 000 visiteurs. La proximité avec la ville de Montreux n'est pas étrangère à cet engouement. Le succès ne cesse de croître au fil des ans et le monument enregistre désormais plus de 300 000 visites par année. Grâce aux restaurations, le château est en excellent état et donne une bonne vision de l'architecture féodale.

Le château a accueilli à deux reprises la Compagnie du Graal, compagnie de Théâtre basée à Thonon-les-Bains, pour jouer une adaptation son et lumière du Roi Lear de Shakespeare en 2009 ainsi qu'en 2012 une fresque épique inspirée de la Grèce Antique : Hypérion.

En 2019, le château de Chillon bat tous les records de visite, en Suisse. En effet, le château de Chillon a accueilli 431 946 visiteurs, durant cette année. Le château ne cesse d'améliorer son offre, en mettant sur place des expositions temporaires ou des visites guidées, par exemple. En 2020, le château termine son programme de réaménagement extérieur et ouvre les portes de son pavillon-cafétéria, le Café Byron.

Bateaux traditionnels devant le château de Chillon.
Château de Chillon vidéo.

Fréquentation

En 2019, la fréquentation atteint un record de 431'946 visiteurs. La crise du COVID entraîne la fermeture des frontières. Les visiteurs nombre de visiteurs chute à 130'000 en 2020. En 2023, la reprise du tourisme permet de renouer avec le succès. Le château attire plus de 391'000 visiteurs, le quatrième meilleur résultat de son histoire[29].

Art

Un automate mécanique représentant le château de Chillon, d’un mètre de long, de 67 cm de large et d’une hauteur de 42 cm, à l’échelle 1/100, en zinc, en acier et en laiton, doté d'une boîte à musique avec les partitions originales manuscrites du compositeur genevois E. Perrin, restitue la prise du château et la délivrance de François Bonivard par les Bernois en 1536. Datant de 1890 et réalisé durant une période de cinq ans par l'horloger Edouard-Gabriel Wuthrich, l'automate fait manœuvrer une centaine de figurines, dont nombre de petits soldats. Des fenêtres à barreaux laissent aussi entrevoir l’intérieur du château, et notamment des scènes de torture dans les prisons. Disparu pendant des dizaines d'années, l'automate qui se trouvait chez divers particuliers, a été acquis par l’Association des Amis de Chillon, le Musée cantonal d’archéologie et d’histoire (MCAH) et la Fondation du Château, pour 59 000 francs suisses, lors d'une vente aux enchères qui s'est déroulée à Paris en mars 2016[30],[31],[32].

Après une visite du château et s'inspirant de l'histoire de François Bonivard, Lord Byron a écrit un poème sur Le Prisonnier de Chillon en 1816.

Gustave Courbet a peint plusieurs fois le château lors de son exil suisse non loin de là à La Tour-de-Peilz. L'une de ces représentations, intitulée Le Château de Chillon, une huile sur toile peinte en 1874, est conservée au musée Courbet à Ornans[33]. Le peintre E. Lapierre (XIXe-XXe siècles) a peint également une huile sur toile de ce château en 1896[34].

Dans sa nouvelle Daisy Miller de 1878, Henry James met en scène le château de Chillon comme lieu de visite de son héroïne et de son jeune compatriote américain Winterbourne. Ce qui fut la prison de François Bonivard prend ainsi, dès le début de la nouvelle, un sens tout symbolique et prémonitoire du destin de Daisy Miller qui pensera pouvoir échapper au carcan des conventions sociales.

C'est au château de Chillon que se déroule le prologue du roman historique Le lépreux de Lugrin publié en 2019[35] aux éditions Cabédita.

Architecture

Sources

  • Fonds : Château de Chillon (600-2013) [Archives de l'Association du château de Chillon (antérieurement Association pour la restauration du château de Chillon) et archives provenant du Secrétariat général du Département de l'instruction publique et des cultes et du Service des bâtiments concernant le château de Chillon : photographies, plans, inventaires, journaux de fouilles, écrits non publiés, contrats, règlements, procès-verbaux, rapports, correspondance, comptabilité, imprimés, publicité, registres des visiteurs du château, dossiers divers, archives de l'architecte Otto Schmid. 172,20 mètres linéaires]. Cote : CH-000053-1 N 2. Archives cantonales vaudoises (présentation en ligne).
  • Denis Bertholet, Olivier Feihl et Claire Huguenin, Autour de Chillon. Archéologie et restauration au début du siècle, Lausanne, .
  • Claire Huguenin, Patrimoines en stock. Les collections de Chillon, Lausanne 2010.
  • Paul Bissegger, « Henri de Geymüller versus E.-E. Viollet-le-Duc: le monument historique comme document et œuvre d'art. Avec un choix de textes relatifs à la conservation patrimoniale dans le canton de Vaud vers 1900 », Monuments vaudois,‎ , p. 5-40.

Notes et références

Notes

Références

  1. ergopix, « Visite », sur www.chillon.ch, (consulté le ).
  2. « Horaires & billets », sur www.cgn.ch (consulté le ).
  3. Knapp, Borel et Attinger 1902, p. 484.
  4. Annika Gil, « Combien d’îles sur le lac Léman ? », La Gazette, no 181,‎ , p. 10 (lire en ligne, consulté le ).
  5. (de) Albert Samuel Gatschet, Beiträge zu einer Toponomastik der Schweiz, Verlag Nabu Press, (ISBN 978-1-141-93817-9, lire en ligne), Ortsetymologische Forschungen
  6. Couleurs d'été - Le mot "chail", caillou en ancien français, est à l'origine du nom commun "chillon", devenu nom propre pour désigner le château - Play RTS Consulté le .
  7. s. dir. Claire Huguenin, Patrimoines en stock ; les collections de Chillon, Lausanne, Imprimeries Réunies Lausanned, , 136 p. (ISBN 978-2-9700581-6-8, lire en ligne), p. 121
  8. (it) Andrea Longhi, « Cappelle dinastiche in area alpina : cantieri e dinamiche politiche nel primo Trecento », Studi e ricerche di storia dell' Architectura, vol. 4, no 2,‎ , p. 150-161
  9. Daniel de Raemy, « L'apport de la dendrochronologie pour l'étude des châteaux de l'ancien Pays de Vaud (XIIIe-XIVe siècles), le cas de Chillon et Grandson », Revue suisse d'art et d'archéologie, no 45,‎ , p. 263-276 (lire en ligne [PDF])
  10. (en) Arnold J. Taylor, « Castle-Building in thirteenth-century Wales and Savoy », Proceedings of the British Academy, no 63,‎ , p. 265-292
  11. Claire Huguenin, Promenade au château de Chillon, Renens, Imprimeries Réunies Lausanne, , 48 p. (ISBN 978-28399-0397-4), p. 38
  12. (it) Andrea Longhi, « Cappelle dinastiche in area alpina : cantieri e dinamiche politiche nel primo Trecento », Studi e ricerche di storia dell' Architectura, vol. 4, no 2,‎ , p. 150-161
  13. Claire Huguenin, Promenade au château de Chillon, Renens, Imprimeries Réunies de Lausanne, , 48 p. (ISBN 978-2-8399-0397-4), p. 33
  14. Claire Huguenin, Promenade au château de Chillon, Renens, Imprimeries Réunies de Lausanne, , 48 p. (ISBN 978-2-8399-0397-4), p. 36
  15. Claire Huguenin, Promenade au château de Chillon, Renens, Imprimeries Réunies de Lausanne, , 48 p. (ISBN 978-2-8399-0397-4), p. 8
  16. Nicolas Schätti, « Jean de Grandson » Accès libre, sur Dictionnaire Historique de la Suisse, (consulté le )
  17. Samuel Metzener, « Le graffito du chevalier aux armes de la Savoie », Art+Architecture en Suisse, no 4,‎ , p. 52-57
  18. Paul Bissegger, « Henri de Geymüller versus E.-E. Viollet-le-Duc: le monument historique comme document et œuvre d'art. Avec un choix de textes relatifs à la conservation patrimoniale dans le canton de Vaud vers 1900 », Monuments vaudois,‎ , p. 5-40.
  19. Bertholet, Feihl et Hugueunin 1998, p. 182.
  20. a et b Denis Bertholet, Olivier Feihl et Claire Huguenin, Autour de Chillon. Archéologie et restauration au début du siècle, Lausanne, .
  21. Les archives de cette association constitue le cœur du fonds d’archives N2 aux Archives cantonales vaudoises, qui rassemble des documents de grande valeur sur l’histoire du bâtiment : Fonds : Château de Chillon (principalement 1800 à 2003) [170 mètres linéaires]. Cote : N2. Archives cantonales vaudoises (présentation en ligne)..
  22. Lettre circulaire, 1887 (Archives cantonales vaudoises, AChC, J/3.b/1), cité d’après Bertholet, Feihl et Hugueunin 1998, p. 131.
  23. Claire Huguenin, Patrimoines en stock. Les collections de Chillon, Lausanne,
  24. (en) « Conservation of Ancient Monuments and Remains. General Advice to Promoters of Restoration of Ancient Buildings », Sessional Papers of the Royal Institute of British Architects 1864-1865, Londres,‎ 1865, 1888. Bissegger 2010, p. 29.
  25. Denis Bertholet, «La loi de 1898» dans Bertholet, Feihl et Hugueunin 1998, p. 41-48.
  26. Bertholet, Feihl et Hugueunin 1998, p. 172 et Bissegger 2010, no 214, p. 39
  27. Christian Sorrel (sous la direction de), Haute-Savoie en images : 1000 ans d'histoire, 1000 images, Les Marches, La Fontaine de Siloé, coll. « Histoire de la Savoie en images : images, récits », , 461 p. (ISBN 978-2-84206-347-4, lire en ligne), p. 380-381.
  28. Bernard Sache, Le siècle de Ripaille, 1350-1450 : Quand le Duc de Savoie rêvait d'être roi, Montmélian, La Fontaine de Siloé, , 324 p. (ISBN 978-2-84206-358-0, lire en ligne), p. 19-20.
  29. S. W. I. swissinfo.ch, « Grosse affluence au château de Chillon en 2023 », sur SWI swissinfo.ch, (consulté le )
  30. Disparu durant un siècle, un automate fait revivre l’illustre prisonnier de Chillon, 24 heures, 21 juin 2016
  31. L'automate du château, Radio télévision suisse, 21 juin 2016
  32. VD: l'automate d'exception du château de Chillon se remet en marche, Radio télévision suisse, 22 juin 2016
  33. Site du Musée Courbet - Les œuvres
  34. Vente aux enchères publiques, dim 38 × 46 cm inscrit par erreur sur le catalogue de vente comme Château Chinon, mais toutefois bien localisé
  35. Page du roman sur le site des éditions Cabédita

Annexes

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Bibliographie

  • Bernard Andenmatten, Pierre II de Savoie, le Petit Charlemagne, Lausanne,
  • Bernard Andenmatten, La Maison de Savoie et la noblesse vaudoise, Lausanne,
  • Bernard Demotz, Le comté de Savoie du XIe au XVe siècle : Pouvoir, château et État au Moyen Âge, Genève, Slatkine, , 496 p. (ISBN 2-05-101676-3), p. 144.
  • Daniel de Raemy, Châteaux, donjons et grandes tours dans les États de Savoie, t. 1 & 2, Lausanne,
  • Claire Huguenin, Promenade au château de Chillon, Chillon,
  • Charles Knapp, Maurice Borel et V. Attinger, Dictionnaire géographique de la Suisse : Aa - Engadine, t. 1, Neuchâtel, Société neuchâteloise de géographie, (lire en ligne [PDF]), « Chillon (Château de) », p. 484-488.
  • Thérèse Leguay et Jean-Pierre Leguay, Histoire de la Savoie, Paris,
  • Albert Naef, Chillon, Genève, coll. « Les châteaux Suisses »,
  • Albert Naef, Chillon, la camera domini, t. 1, Genève,

Articles connexes

Liens externes