Goulet d'étranglement de population

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Goulot d'étranglement de population suivi de l’extinction ou du rétablissement de l'espèce.
À titre d'exemple, la chasse excessive des éléphants de mer a failli conduire à leur disparition à la fin du XIXe siècle. L'espèce reconstitue ses effectifs, mais reste vulnérable en raison d'une très faible diversité génétique.
Le Castor fiber a failli disparaitre ; au début du XXe siècle, il n'en restait que quelques centaines dans toute l'Europe. Recolonisant les cours d'eau bassin par bassin, il est en situation de goulot d'étranglement et vulnérable à la consanguinité. Les nombreuses réintroductions faites en Europe depuis un siècle ont permis à différentes souches de se croiser.

Un goulet d'étranglement de population (aussi appelé goulot d'étranglement génétique) est, dans l'étude de l'évolution d'une espèce, un épisode de réduction sévère de la population, suivi d'une nouvelle expansion démographique. Il entraine une réduction de la diversité génétique de l'espèce[1].

Le goulot d'étranglement démographique ne doit pas être confondu avec l'effet fondateur, qui se produit lorsqu'un sous-groupe d'une population s'isole du groupe principal et fonde une nouvelle population. L'effet fondateur se traduit également par une faible diversité génétique de départ.

Une sélection excessive des individus reproducteurs dans une race animale d'élevage entraine également une réduction de la diversité génétique sans que la taille de la population soit affectée.

Effets génétiques

Les goulots d'étranglement de population réduisent la diversité génétique, et donc la capacité des populations à s'adapter à de nouvelles contraintes de l'environnement, telles qu'un changement climatique, ou une baisse des ressources disponibles. Ils peuvent éliminer certains allèles qui auraient pu, par sélection naturelle, permettre à l'espèce de s'adapter[2].

Les goulots d'étranglement de population amplifient les effets de la dérive génétique parmi les survivants, car celle-ci est plus rapide dans les populations de taille réduite. Du point de vue de la sélection naturelle, une mutation utile y prendra une plus grande ampleur relative, surtout si elle augmente sensiblement l'espérance de survie et de reproduction.

Un goulot d'étranglement majeur fait augmenter fortement la consanguinité dans une population en réduisant le nombre possible de partenaires. Cela se traduit par une augmentation de l'expression d'allèles récessifs. En fonction de ces allèles et de l'environnement où ils s'expriment, l'espèce pourra éventuellement en sortir mieux adaptée.

Moyens de mesure

Outre les données historiques disponibles (notamment pour les variétés de plantes cultivées ou les races d'animaux d'élevage ou certaines espèces chassées), il existe des outils dérivés de la génétique et de la biologie moléculaire, notamment basés sur l'utilisation de l'ADN microsatellite[3]. Ces approches permettent notamment de détecter une grande diversité génétique chez les plantes ou animaux sauvages apparemment identiques[4].

Homo sapiens

Eve mitochondriale et Adam-Y

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Richard Dawkins.

Le biologiste Richard Dawkins, spécialiste de la théorie de l'évolution, a émis le postulat suivant : l'ADN mitochondrial (hérité de la mère) et l'ADN du chromosome Y (hérité du père) connaissent, il y a 140 000 ans et 60 000 ans, une coalescence. Or, en 2011, Fulvio Cruciani et al. ont calculé par la diversité de l'ADN du chromosome Y que le plus récent ancêtre patrilinaire commun daterait d'environ 142 000 années[5].

Il faut noter cependant, en conservant le concept de l'Adam Y-chromosomal, que le plus récent ancêtre patrilinéaire commun à tous les hommes, sauf ceux appartenant aux haplogroupes africains A et B, l'Adam Eurasien, porteur de la mutation M168, soit environ 98 % de la population, aurait lui vécu il y a environ 60 000 ans en Afrique. Si on inclut les haplogroupes A et B (2 % de la population), dans ce cas effectivement l'ancêtre commun aurait vécu il y a environ 142 000 ans.

D'autre part, il est possible de remonter génétiquement, par matrilinéarité, à une unique hypothétique ancêtre commune (Ève mitochondriale) qui aurait vécu il y a 140 000 ans. Richard Dawkins estime qu'il n'existe pas de raison permettant de supposer que cet « Adam » ait connu cette « Ève », ni même qu'ils aient vécu en même temps en raison du différentiel de fécondité entre homme et femme (cet « Adam » devrait être juste un peu plus proche de nous dans le temps).

Toba : un goulot d'étranglement ?

Avant cette étude de Fulvio Cruciani, pour la patrilinéarité, on croyait remonter jusqu'à un ancêtre hypothétique mâle qui aurait vécu il y aurait seulement 60 000 ou 90 000 ans[6]. Cela semble corroborer la Théorie de la catastrophe de Toba, qui suggère qu'il y aurait eu un goulot d'étranglement de la population humaine, il y a environ 73 000 ans, où cette dernière se serait supposément réduite à environ 15 000 individus[6] lorsque le supervolcan du lac Toba en Indonésie entra en éruption et provoqua un changement environnemental conséquent (baisse de °C à 3,5 °C de la température moyenne). Cette théorie repose sur un faisceau de preuves géologiques montrant un changement radical de la température sur Terre, sur des preuves d'une coalescence de certains gènes à la même époque (notamment ceux de l'ADN mitochondrial, de l'ADN du chromosome Y et certains gènes nucléaires)[7], ainsi que sur la faible variation génétique dans l'espèce humaine[6].

Cependant, une telle coalescence, bien que prévue par la biologie génétique, n'est pas en soi une preuve de l'existence d'un goulot d'étranglement démographique ; en effet l'ADN mitochondrial et l'ADN du chromosome Y ne représentent qu'une infime partie de l'intégralité du génome humain et sont respectivement hérités de la mère et du père, ce qui les différencie drastiquement des autres gènes. La plupart des gènes peuvent être hérités du père ou de la mère indifféremment, dont l'histoire peut donc être tracée, soit par matrilinéarité, soit par patrilinéarité[8].

Des études sur de nombreux gènes ont montré qu'il existe différents points de coalescence dans une période allant de 2 millions d'années à 60 000 ans avant notre ère, démontrant ainsi l'impossibilité de goulots d'étranglement extrêmes survenus plus récemment (c'est-à-dire un unique couple reproducteur)[6],[9].

Population réduite

En 2000, un article intitulé Biologie moléculaire et évolution suggère un autre modèle, autrement dit un « long goulot d'étranglement », qui correspondrait avec la variation génétique restreinte, et non pas un changement brutal d'environnement[10]. Cela corroborerait certaines hypothèses décrivant une population subsaharienne avoisinant les 2 000 individus pendant une période d'environ 150 000 ans avant de réaugmenter au paléolithique supérieur[11].

Animaux d'élevage

La sélection génétique des races a conduit les éleveurs à utiliser l'insémination artificielle pour bénéficier des meilleurs reproducteurs mâles. L'usage sur une grande population femelle de quelques mâles hautement productifs introduit en quelques générations une perte génétique importante et une consanguinité néfaste à la bonne évolution de la race.

Un exemple a été celui de la race bovine suisse fribourgeoise. Race laitière des alpages, la profession a voulu en faire une race plus mixte dans les années 1930 et a sélectionné un petit nombre de taureaux à bonne conformation bouchère. Malheureusement, l'un d'entre eux était porteur d'une anomalie génétique qui induisait une mortalité anormale chez les veaux nouveau-nés. Un croisement d'absorption a été réalisé avec de la semence de mâles holstein venue d'Amérique et la race a disparu durant les années 1980[12].

Pour pallier ce risque, les mâles doivent conserver une variabilité génétique importante. Dans la sélection de la race bovine montbéliarde, par exemple, la sélection linéaire a consisté à retenir huit lignées mâles élevées pour optimiser deux ou trois caractères. Les défauts de chacune des lignées sont contrebalancés par leur utilisation sur des femelles complémentaires[13].

Notes et références

  1. (en) « Population Bottleneck - Research Article from Macmillan Science Library: Genetics » Accès payant
  2. (en) « Bottlenecks and founder effects », University of California Museum of Paleontology (en) (consulté le )
  3. (en) C. C. Spencer, J. E. Neigel et P. L. Leberg, « Experimental evaluation of the usefulness of microsatellite DNA for detecting demographic bottlenecks », Molecular Ecology, vol. 9, no 10,‎ , p. 1517–1528
  4. (en) S. Tang et S. J. Knapp, « Microsatellites uncover extraordinary diversity in Native American land races and wild populations of cultivated sunflower », Theoretical and Applied Genetics, vol. 106, no 6,‎ , p. 990–1003
  5. (en) Fulvio Cruciani et al., « A Revised Root for the Human Y Chromosomal Phylogenetic Tree: The Origin of Patrilineal Diversity in Africa », The American Journal of Human Genetics, vol. 88, no 6,‎ (DOI 10.1016/j.ajhg.2011.05.002, lire en ligne, consulté le )
  6. a b c et d (en) Richard Dawkins, « The Grasshopper's Tale », dans The Ancestor's Tale, A Pilgrimage to the Dawn of Life, Boston, Houghton Mifflin Company, (ISBN 0297825038), p. 416
  7. (en) Stanley H. Ambrose, « Late Pleistocene human population bottlenecks, volcanic winter, and differentiation of modern humans », Journal of Human Evolution, vol. 34,‎ , p. 623–651 (lire en ligne [PDF], consulté le )
  8. (en) « All Africa and her progenies », dans Richard Dawkins, River Out of Eden, New York, Basic Books, (ISBN 0465016065)
  9. (en) « Templeton tree showing coalescence points of different genes » [jpg], sur corante.com
  10. (en) John Hawks, Keith Hunley, Sang-Hee Lee et Milford Wolpoff, « Population Bottlenecks and Pleistocene Human Evolution », Molecular Biology and Evolution, vol. 17, no 1,‎ (lire en ligne)
  11. (en) « Human line 'nearly split in two' », BBC news
  12. Philippe J. Dubois, A nos vaches : Inventaire des races bovines disparues et menacées de France, Delachaux et Niestlé, , 448 p. (ISBN 978-2-603-01707-4), p. 332-341
  13. « La sélection lnéaire », Site montbéliarde sélection (consulté le )

Voir aussi

Bibliographie

  • (en) J. M. Cornuet et G. Luikart, « Description and power analysis of two tests for detecting recent population bottlenecks from allele frequency data », Genetics, vol. 144,‎ , p. 2001–2014
  • (en) M.E. Gilpin et M.E. Soulé, « Minimum viable populations: The processes of species extinctions », dans M. Soulé (éd.), Conservation biology: The science of scarcity and diversity, Sinauer Associates, , p. 13-34
  • (en) K. Luenser, J. Fickel, A. Lehnen, S. Speck et A. Ludwig, « Low level of genetic variability in European bisons (Bison bonasus) from the Bialowieza National Park in Poland », European Journal of Wildlife Research, vol. 51, no 2,‎ , p. 84-87
  • (en) M. Soulé (éd.), Viable populations for conservation, Cambridge, Cambridge Univ. Press,

Articles connexes