Yaoi

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Modèle:Unicode japonais

Dessin couleur de style manga, où deux jeunes hommes s'embrassent sous un parapluie.
Deux bishōnen qui s'embrassent, situation typique dans une œuvre yaoi.

Le yaoi (やおい?), aussi appelé Boys' Love, désigne dans la culture populaire japonaise un genre d'œuvres de fiction centré sur les relations sentimentales et/ou sexuelles entre personnages de sexe masculin. Le genre du yaoi concerne essentiellement la littérature ainsi que le monde du manga et de l'anime, mais se retrouve aussi à plus petite échelle dans le cadre des jeux vidéo, de la télévision et du cinéma, ainsi que d'autres types de supports. L'équivalent féminin du yaoi est le yuri.

Le yaoi est réputé pour sa forte communauté amateur dans les cercles dōjinshi. Ces productions amateurs peuvent être des créations originales ou bien des parodies d'œuvres ou de personnes existantes. Là encore la littérature et les mangas forment la majeure partie des créations yaoi amateurs.

Des œuvres de type yaoi ou approchant sont apparues tout au long du XXe siècle, mais il ne s'établit comme genre à part entière qu'au cours des années 1970 au sein des shōjo manga. Au fil des décennies qui suivent le genre se diversifie, et bien que toujours fortement lié aux démographies féminines, il touche un public de plus en plus large et diversifié en terme de sexes, de genres et de sexualités. Depuis les années 2000, la production tant professionnelle qu'amateur de yaoi s'est globalisée à l'international, se mêlant à la pratique occidentale du slash.

Définitions

Au cours de l'histoire, différents termes ont été utilisés pour désigner tout ou partie du genre ainsi que ses sous-genres. Les universitaires spécialistes en manga Mark McLelland et James Welker considèrent qu'il y a eu quatre principaux termes historiques, qu'ils définissent ainsi[1] :

Shōnen'ai (少年愛?)
Ce terme a été largement utilisé pendant les années 1970 et 1980 pour désigner les shōjo manga mettant en scène l'homosexualité masculine. Aujourd'hui il est parfois utilisé rétroactivement afin de désigner les œuvres yaoi de cette époque, mais dans le discours japonais actuel le terme a reprit son sens premier, où il désigne la pédérastie.
JUNE
Ce terme est dérivé d'un magazine yaoi éponyme qui était publié de la fin des années 1970 au milieu des années 1990, et a été utilisé pour nommer le type de mangas publié dans ce magazine. Il a aussi été utilisé pour désigner des créations yaoi amateurs, essentiellement les créations originales et non les parodies.
Yaoi (やおい?)
Est un acronyme pour yama nachi, ochi nachi, imi nachi qui peut se traduire par « pas de climax [dans la narration], pas de chute [au récit], pas de sens [à l'histoire][2] ». Ce nom autodérisoire est établit en 1979 et a été diffusé par un cercle dōjinshi influent. Il s'est popularisé au cours des années 1980 et désigne depuis les créations amateurs du genre, mais est aussi parfois utilisé comme terme-parapluie pour désigner l'ensemble des créations amateurs et professionnelles.
Boys' love (ボーイズラブ?)
Généralement écrit en katakana ou par son acronyme « BL ». Ce terme apparaît au début des années 1990 pour désigner les productions yaoi professionnelles, mais est aussi utilisé comme terme-parapluie pour désigner l'ensemble de la production amateur et professionnelle.

Il existe aussi le terme men's love (メンズラブ?) (abrégé « ML ») pour désigner les productions dont la principale cible éditoriale est le public gay, en Occident le ML est parfois nommé bara (薔薇?, lit. rose). Mais le ML reste généralement vendu sous les termes de « yaoi » ou de « BL » par les éditeurs[3].

Ces termes représentent des concepts qui se chevauchent les uns les autres, il n'y a pas de frontière exacte entre chacun d'eux[4]. De plus en Occident le sens de ces termes à tendance à changer en fonction des pays[1], notamment le terme shōnen'ai est souvent utilisé en Occident pour désigner les amours suggérées ou platoniques[5].

D'autres termes sont régulièrement utilisés dans la culture yaoi, sans toutefois être limités à cette dernière. Par exemple[6] : tanbi (歎美, 嘆美?, « esthète » ou « esthétique »), aniparo (アニパロ?, contraction de « anime parody »), sōsaku (捜索?, création originale), niji sōsaku (二次捜索?, création dérivée) et sanji sōsaku (三時捜索?, création dérivée d'une création dérivée).

Concepts et thématiques

Bishōnen

Les protagonistes de yaoi à destination du public féminin sont pour leur majorité des bishōnen (美少年?, beau garçon). Les bishōnen de yaoi sont des adolescents ou des jeunes hommes plus ou moins androgynes, que James Welker décrits comme un mélange des « esthètes et décadents européens du XIXe siècle », des petits chanteurs de Vienne, des célébrités androgynes telles que David Bowie, et de la figure de la bishōjo (美少女?, belle fille)[7]. Il ajoute que ces bishōnen ne sont — physiquement et mentalement — ni des hommes et ni des femmes, ce sont des êtres qui vivent en dehors du « monde hétéro-patriarcal », ils appartiennent en quelque sorte à un troisième sexe. Ils sont essentiellement homosexuels, c'est à dire qu'ils sont romantiquement et sexuellement attirés par d'autres bishōnen, bien que ce ne soit pas toujours de façon exclusive ; ils peuvent aussi avoir des relations avec des hommes ou des femmes[7],[8].

Plusieurs mangakas et d'autres académiciens, telle Yukari Fujimoto de l'université Meiji, considèrent que les bishōnen de yaoi sont des « femmes dans des corps d'hommes », et sont la continuation des femmes travesties en hommes des shōjo mangas telles que Saphir de Princesse Saphir ou Oscar de La Rose de Versailles[9],[10], directement inspirés des otokoyaku de la revue Takarazuka[11]. Ce « travestissement » permet aux femmes d'échapper à la relation hétérosexuelle qui est perçue comme violente[9] et effrayante, assimilable à un viol ou à du masochisme, où la femme y est systématiquement la victime[12]. Les relations entre bishōnen sont au contraire « sans-danger » et « pures », ce qui permet aux femmes d'expérimenter le sexe en toute sécurité[13].

Cette vision des bishōnen comme étant des « femmes dans des corps d'hommes » fait que ces yaoi à destination du public féminin ne cherchent aucunement à décrire l'homosexualité masculine[9], et qu'au contraire, ils autorisent une lecture lesbienne[14]. James Welker compare ainsi les bishōnen à la définition du mot « lesbienne » de la théoricienne lesbienne Bonnie Zimmerman : « elles sont des perturbatrices de l'hétérosexualité, elles incarnent une figure en dehors du patriarcat, une faille dans la dualité du genre[7]. »

Les bishōnen existent aussi dans les yaoi à destination du public gay. Toutefois ils sont bien moins fréquents et diffèrent généralement de ceux pour public féminin : s'ils restent jeunes et mignons, ils sont moins stylisés et moins androgynes[15]. Ils sont indubitablement des hommes ; leur appareil génital est bien visible, même lorsqu'ils portent des vêtements. Tandis que pour les bishōnen des yaoi féminins — particulièrement dans les shōnen'ai —, il arrive que l'appareil génital des bishōnen soit ambigu[16], renforçant leur statut de « troisième sexe ».

Seme et uke

Dessin manga couleur, ou deux hommes à moitié déshabillés se font face à face, l'homme de gauche étant dans une posture dominante par rapport à l'homme de droite.
Représentation d'un couple seme (à gauche) et uke (à droite).

La dynamique entre la figure du seme et la figure du uke apparaît dans les œuvres amateurs yaoi au cours des années 80 avant d'être reprit et généralisé par les BL commerciaux, devenant un standard du genre[17]. Le seme désigne « l'attaquant », le membre qui domine le couple et qui lors du rapport sexuel pénètre l'autre. Le uke est quand à lui le « receveur », il est le membre dominé et qui lors du rapport sexuel est pénétré[18].

Ces deux termes ont été empruntés au monde du sport japonais, avec les deux verbes semeru (攻める?, attaquer) et ukeru (受ける?, recevoir, subir) employés dans les arts martiaux japonais. L'usage d'un tel vocabulaire peut ainsi signifier que le rapport sexuel obéit à ses propres règles et codes[19].

Des critiques du yaoi tels que Keith Vincent de l'université de Boston voient dans cette dynamique seme/uke un écho à la dynamique hétérosexuelle, notant que le uke est généralement efféminé, naïf, et sujet aux attentions et aux désirs des hommes autour de lui, quand le seme apparaît comme une sorte de « prince ». Il considère ainsi que la seule différence entre les romances hétérosexuelles et yaoi vient du fait que puisque les deux protagonistes sont des hommes, aucun n'est socialement bridé, notamment dans le cadre du monde du travail[20].

D'autres critiques, telles que la spécialiste littéraire Yōko Nagakubo récusent cette lecture hétérosexuelle de la dynamique seme/uke. Nagakubo note que si le uke est essentiellement féminin, il conserve des traits masculins, et que le seme possède lui aussi des traits tant masculins que féminins[21]. De plus elle note que le rôle sexuel des deux membres du couple est déterminé par le contraste entre ces traits masculins et féminins, ce qui fait qu'un personnage peut être selon la situation un « prince » ou une « princesse », et que selon le partenaire, le personnage peut changer de rôle. Pour Nagabuko les caractéristiques masculines et féminines ne sont ainsi plus des contraintes imposées par le modèle patriarcal, mais deviennent des libertés, qui peuvent être explorées de différentes façons.

L'essayiste Yumiko Watanabe considère que la répartition des rôles entre le seme et le uke est soumise à trois facteurs différents : le statut social, la stature physique et la spiritualité du personnage. Ces trois facteurs permettent de jouer avec les rôles, ce qui a permis de créer de nombreux archétypes et stéréotypes, tels que le « sasoi uke » (quelqu'un de mentalement seme mais physiquement uke), le « hetare zeme » (un seme loser), le « jō uke » (un uke qui a le port d'une fière princesse), le « keigo zeme » (un seme qui s'adresse à son partenaire avec révérence), le « yancha uke » (un uke pervers), le « gekokujō » (lorsque le uke se met à dominer son seme), et d'autres encore. Tous ces archétypes et stéréotypes sont construits pour être contradictoires[22].

Pour Yukari Fujimoto, cette fluidité entre les genres offerte par la dynamique seme/uke permet tant à l'auteur qu'au lecteur de yaoi de « jouer avec le genre », en combinant les facteurs du genre et les dynamiques de domination comme il l'entend. Comme l'histoire se passe entre hommes et qu'il n'y a plus de différence physique entre les partenaires, l'œuvre yaoi autorise au lecteur, tant féminin que masculin d'essayer de nouvelles possibilités vis-à-vis des caractéristiques genrées traditionnelles, en s'identifiant au seme, au uke, ou en adoptant une position voyeuriste[22].

Yaoi et slash

Une part importante des yaoi amateurs consiste en des fanfictions où une relation amoureuse ou sexuelle entre deux personnages masculins est imaginée. Cette pratique de « mise en couple » du yaoi est l'équivalent du slash pratiquée en Occident, si bien que les deux pratiques sont aujourd'hui généralement confondues[23].

La création du yaoi commence par la recherche du moe, une réponse affective pour un personnage fictionnel, ou dans le cas du yaoi, une réponse affective sur la relation partagée entre deux personnages. Le terme « personnage » est relativement large : il concerne aussi bien personnages de fictions existantes, des personnalités réelles ou des personnes de l'entourage du créateur de yaoi qui ont été « fictionnalisées », ainsi que des représentations anthropomorphiques d'objets, de plantes, d'animaux ou même de concepts[24]. Si a peu près n'importe quoi peut être moe, généralement seul ce qui est originaire d'une fiction ou ce qui est lié aux fictions est sujet au moe, une personne réelle doit quant à elle être réappropriée par le créateur comme un personnage fictionnel avant de pouvoir être moe. Par ailleurs les personnages réellement gays sont généralement jugés peu intéressants et rarement sujet au moe[25].

Lorsque le moe est établit entre deux personnages, la fantaisie peut commencer. Cette fantaisie consiste principalement à « jouer avec la sexualité » et « jouer avec le genre » selon les modalités de la dynamique entre seme et uke[26].

Le « typage »

La communauté gay japonaise est peu portée sur les questions identitaires ou sur le « mode de vie gay » comme cela peut être le cas en Occident. L'érotisme et la pornographie y sont plus présentes, ainsi les médias gays, donc les mangas et fictions ML, se concentrent principalement sur le type (タイプ, taipu?) de partenaire sexuel ou de relation recherchés par les gays, le « typage »[27]. Ainsi si certains magazines gay, comme Barazoku sont généralistes et essaient d'inclure tous les types, d'autres magazines comme G-men ou Badi se spécialisent dans tel ou tel type de partenaire ou relation[28].

Il existe de très nombreux types de partenaire/relation, dont voici une liste non-exhaustive : kuma pour les bears, gaisen pour les étrangers, debusen pour les hommes corpulents ou obèses, fukesen pour les partenaires plus âgés, onē-san pour les hommes efféminés, senpai/kōhai pour les relations aîné/cadet, aniki/otōto pour une relation entre deux « frères »etc.[29]

Thématique du viol

Lors du premier rapport sexuel entre un seme et un uke, il n'est pas rare que ce dernier soit relativement violent, le seme forçant le uke, ce qui s'apparente à un viol[30]. Pour autant le uke finit par répondre positivement au rapport sexuel et atteint la jouissance. Aux yeux des auteurs et des lecteurs japonais ce « viol apparent » est en fait l'expression la « plus brute du désir et des sentiments » que le seme a pour le uke. Cette dynamique et cet acte du « viol » est similaire aux situations que l'on retrouve dans les shōjo mangas érotiques et pornographiques hétérosexuels, où le personnage féminin est elle aussi régulièrement « violée » par le personnage masculin, mais y trouve plaisir malgré tout[31].

Histoire

Avant 1970 : les prémisses du yaoi

La pratique de l'homosexualité tant masculine que féminine ainsi que la mise en valeur de l'androgynie ont été historiquement et traditionnellement acceptées au Japon, notamment dans la classe des samouraïs, au sein des établissements bouddhistes ou encore dans l'environnement autour du théâtre kabuki[32],[33]. Mais au cours de l'ère Meiji (1868-1912) le pays s'ouvre au monde occidental, et entre autres choses il importe la sexologie hollandaise qui considère l'homosexualité comme une pathologie[12], ainsi que le concept de « l'amour romantique » (attraction spirituelle entre un homme et une femme) qui n'existait jusqu'à présent pas dans la conscience japonaise. Cette nouvelle notion de l'amour, nommée ren'ai, remplace rapidement les autres formes d'amour qui existaient jusqu'à présent au Japon. Ces autres formes d'amour (dont l'amour homosexuel) sont alors considérées comme « barbares » et « féodales »[34].

Bien que l'homosexualité devienne de plus en plus mal perçue dans la société japonaise, certains artistes continuent d'exploiter le thème, mais de façon détournée[35]. Le plus célèbre d'entre-eux dans le Japon d'avant-guerre est le peintre lyrique Kashō Takabatake qui travaille notamment pour les magazines shōnen de l'époque. Les illustrations de garçons qu'il publie pour le magazine Nihon shōnen deviennent rapidement l'image du « garçon idéal du Japon », ou bishōnen. Ce bishōnen est notamment caractérisé par ses « ambivalentes passivité, fragilité, fugacité et douceur »[36], et est généralement représenté dans un monde homosocial, où règne une certaine tension homoérotique. La large diffusion des illustrations de Takabatake au sein du public masculin (et dans une moindre mesure féminin[37]) homoérotisent sensiblement des environnements masculins, notamment la marine japonaise et quelques établissements scolaires, dont certains sont réputés pour leur « chasse aux éphèbes »[38]. À leur tour ces environnements masculins homoérotiques inspirent des écrivains, dont le célèbre écrivain Mori Ōgai[9],[39].

Mari Mori, fille de Mori Ōgai et romancière, rédige une trilogie mettant en scène une histoire homosexuelle entre hommes dont le premier volume, A Lovers' Forest, est publié en 1961. Cette trilogie est généralement considérée comme l'œuvre fondatrice du yaoi[40], même si Mori refuse d'être considérée comme la précurseur du genre[41]. L'auteur de yaoi Kaoru Kurimoto confesse ainsi avoir été directement inspirée par l'œuvre de Mori[42]. L'œuvre de Mori est influencée par la littérature européenne et notamment la littérature gothique[43], et pose les bases de ce qui plus tard deviendra des lieux communs du yaoi, tels que l'exotisme européen, la haute éducation et richesse des protagonistes, la différence d'âge relativement importante entre les deux membres du couple, ou encore le caractère fantaisiste voire surréaliste de l'environnement[44].

Du côté des mangas, des changements s'opèrent avec la naissance du genre gekiga en 1957, qui se veut plus réaliste et plus ancré dans la société japonaise. Le gekiga inspire une recherche de rapports humains plus réalistes dans le manga, ce qui ouvre la voie au traitement de la sexualité dans les œuvres non-érotiques et pornographiques[45]. Notamment la mangaka Hideko Mizuno débute en 1969 le shōjo manga Fire! qui met en scène l'amour homosexuel masculin dans le milieu du rock américain et qui érotise ses protagonistes masculins, la même année une autre mangaka, Hiromi Minegishi, publie le manga Jūjika qui est très similaire à Fire![46]. Toutes les pièces sont désormais en place pour l'établissement du yaoi en tant que genre à part entière.

1970-90 : du shōnen'ai au yaoi

Les années 1970 voient l'arrivée d'une nouvelle génération de femmes mangakas de shōjo mangas. Les plus célèbres d'entre-elles sont collectivement connues sous le nom du Groupe de l'an 24. Ces dernières introduisent dans les shōjo mangas une plus grande diversité de thèmes ainsi que des intrigues et personnages plus profonds. Pour arriver à un tel résultat elles s'inspirent de la littérature, du cinéma, de l'histoire, et des mythes, qui viennent autant du Japon que de l'étranger[47]. Deux d'entre-elles, Moto Hagio et Keiko Takemiya commencent à travailler sur des histoires mettant en scène l'homosexualité masculine : le manga In the Sunroom de Takemiya est publié en 1970, suivit en 1971 par 11-gatsu no Gymnasium de Hagio. Ces deux mangas sont considérés comme les premiers d'un nouveau genre ; le shōnen'ai[48].

Hagio et Takemiya continuent par la suite à créer de nouveaux mangas shōnen'ai et sont rejointes par d'autres mangakas, telles que Toshie Kihara ou encore Ryōko Yamagishi[49]. Les deux œuvres shōnen'ai de cette époque les plus populaires sont Le Cœur de Thomas (1974-75) de Hagio et Kaze to Ki no Uta (1976-84) de Takemiya[49]. Ces mangas shōnen'ai mettent en scène des romances tragiques entre jeunes bishōnen particulièrement androgynes et se déroulent le plus souvent dans une Europe historique et romantique[46],[7]. Bien que normalement destinés aux adolescentes et jeunes femmes, ces premiers shōnen'ai attirent aussi un public masculin[50], ainsi que gay et lesbien[51],[14].

C'est aussi pendant les années 1970 qu'apparaissent les premiers magazines gays, dits « homo ». Le premier d'entre-eux est le magazine Barazoku[28], publié pour la première fois en 1971. Ces magazines contiennent de nombreuses illustrations, fictions littéraires et mangas d'artistes tels que Gengoroh Tagame ou Sadao Hasegawa[52]. Ces fictions partagent des points communs avec les shōnen'ai : les histoires sont des fantaisies peu réalistes, généralement tragiques[52]. Mais si certaines d'entre-elles reprennent le stéréotype du bishōnen similaire aux shōnen'ai, les fictions « homo » offrent une large variété de stéréotypes, avec par exemple des personnages plus virils ou plus âgés. Les fictions gays sont aussi généralement moins romantiques et plus érotiques ou pornographiques que peuvent l'être les shōnen'ai[53]. Si ces magazines « homo » sont principalement à destination des hommes homosexuels ou bisexuels, ils attirent aussi un lectorat féminin[54],[55], notamment Takemiya s'inspire du contenu du magazine Barazoku pour créer ses mangas shōnen'ai[56].

En 1975 a lieu la première Comic Market, un rassemblement d'artistes amateurs, organisés en cercles dōjinshi qui produisent mangas, fictions littéraires, animes et jeux vidéo. Les adolescentes constituent la majorité des participants des premières éditions de la Comic Market[57], ces dernières sont surtout fans des productions (shōnen'ai ou non) du Groupe de l'an 24, mais aussi des groupes de glam rock et de hard rock occidentaux, devenus populaires chez les adolescentes suite aux mangas tels que Fire!. Les premières productions dōjinshi sont surtout des parodies des mangas du Groupe de l'an 24 ou d'artistes et de groupes de rock tels que David Bowie, Led Zepplin ou Queen[57]. Sous l'influence des shōnen'ai et des magazines « homo », certains dōjinshi deviennent de plus en plus homoérotiques puis ouvertement homosexuels. Par exemple un dōjinshi nommé Island publié en 1979 représente les deux membres de Led Zepplin Jimmy Page et Robert Plant en train de s'embrasser[58]. Le terme yaoi, d'abord utilisé par certains cercles pour qualifier de façon ironique leur créations, devient associé à l'homosexualité masculine en 1979 par le cercle Ravuri qui produit le dōjinshi homoérotique nommé RAPPORI: yaoi tokushū gō[59].

Face au succès des shōnen'ai et premiers yaoi, des éditeurs veulent exploiter le marcher en créant des magazines dédiés au genre. L'éditeur San shuppan, qui publiait déjà le magazine « homo » Sabu lance en 1978 le magazine June[60], suivit par le magazine Allan en 1980[61]. Ces deux magazines se spécialisent dans la publication de shōnen'ai, qu'ils décrivent comme étant « à mi-chemin entre la littérature tanbi et la pornographie »[62]. Ces magazines parlent dans leurs articles à la fois de l'homosexualité masculine et du rock et publient des mangas, fictions littéraires et illustrations produits à la fois par des membres du Groupe de l'an 24, des auteurs de yaoi amateurs et des artistes débauchés de magazines « homo »[63]. Le succès du magazine June est tel que le terme June-mono ou plus simplement June commence à concurrencer le terme shōnen'ai pour décrire les fictions homosexuelles masculines[56],[64].

Deux changements majeurs s'opèrent dans le cours des années 1980 dans les shōnen'ai et yaoi : dans la scène yaoi les shōnen mangas sont de plus en plus souvent parodiés, principalement ceux du magazine Shōnen Jump. Le manga/anime Captain Tsubasa devient extrêmement populaire et illustre un changement de paradigme dans le yaoi ; l'action se déroule désormais majoritairement au Japon, et non-plus en Occident[65]. Du côté du shōnen'ai on note aussi une dé-occidentalisation des intrigues, qui deviennent plus réalistes et positives tant dans leurs contextes que leurs graphismes, avec des protagonistes plus âgés que précédemment. Banana Fish (1985-1994) d'Akimi Yoshida et Tomoi (1986) de Wakuni Akisato marquent ce changement[49],[66].

1990-2000 : explosion du boys' love et controverse

Le succès de plus en plus grandissant des yaoi intéresse les éditeurs de magazines, qui recrutent plusieurs auteurs de yaoi dōjinshi[67]. Les années 1990 voient l'explosion des magazines dédiés au yaoi, ainsi entre 1990 et 1995, ce n'est pas moins d'une trentaine de magazines dédiés au yaoi qui voient le jour[68]. Si certains magazines ont une courte existence, d'autres s'imposent, tel BExBOY qui devient l'un des principaux magazines yaoi des années 90[55]. Les mangas de ces magazines sont essentiellement influencés par les yaoi et les mangas tels que Banana Fish, ils s'éloignent de plus en plus des standards shōnen'ai des années 70 et début 80[68],[69]. Ces magazines disent publier du « yaoi » ou du « boys' love », le terme « shōnen'ai » qui était déjà concurrencé par le terme « June » tombe définitivement en désuétude, notamment à cause de sa connotation pédophile, le terme « June » est lui aussi petit à petit remplacé du fait qu'il est lié au magazine éponyme. Au final les deux termes « yaoi » et « boys' love » s'imposent sur le marché et deviennent plus ou moins synonymes[70],[69]. En plus des mangas, on assiste à la multiplication des œuvres yaoi sur d'autres supports, tels que les anime, les drama CD et les light novels. C'est aussi durant cette période que les librairies japonaises commencent à créer des rayons dédiés intégralement au genre[71].

Dans la continuité de Banana Fish et Tomoi, de plus en plus de shōjo mangas intègrent des éléments yaoi dans leurs intrigues sans en faire le cœur de l'histoire, avec par exemple le collectif CLAMP qui publie plusieurs mangas contenant des éléments yaoi, tels que RG Veda (1990-95), Tokyo Babylon (1991-94) ou encore Cardcaptor Sakura (1996-2000). Les shōjo mangas de CLAMP font partie des premiers mangas plus ou moins yaoi à s'exporter en Occident, et notamment en France. Si aux États-Unis les éléments yaoi de Cardcaptor Sakura ont été censurés, cela n'a pas été le cas en France[72].

Deux revues « homo » dédiées intégralement aux mangas voient le jour entre 1996 et 1997, P-Nuts et Parade. Si ces magazines n'ont qu'une durée de vie d'à peine un an, les années 90 marquent les premiers yaoi gays publiés sous la forme de volumes reliés, notamment Naburi-mono (1994), Jūjitsu Kyōshi (1994), Emono (1998) de Gengoroh Tagame ou encore Tango (1997) de Mario Kamijo[73].

Entre 1992 et 1996 a lieu la controverse du yaoi (やおい論争, yaoi ronsō?), un important débat par essais interposés dans le magazine féministe Choisir[74]. Ce débat oppose d'une part des militants gays et des militantes féministes, qui accusent le yaoi féminin d'être homophobe en donnant une vision viciée de l'homosexualité masculine[75],[76], et d'être hétérosexiste en renforçant la misogynie de la société japonaise[77]. D'autres part se trouvent des auteurs et éditeurs de yaoi, soutenus par des militants féministes et lesbiennes[78], qui estiment que le yaoi est une fantaisie féminine qui n'a pas pour but de décrire l'homosexualité masculine ni d'être réaliste[79], et présentent cette fantaisie comme un refuge face à la misogynie de la société[80], par ailleurs ils adoptent un discours queer de confusion des genres, sexes et sexualités[81] et considèrent que ce sont leurs opposants qui font preuve d'hétérosexisme[82].

Cette controverse fait partie des premières « études BL », un champ d'étude des sciences humaines sur le BL, qui est désormais considéré comme un pan important de la culture japonaise[83]. Les premières études débutent en 1991 et se focalisent sur l'étude psychanalytique de la psyché féminine et sur le rapport entre les femmes et la féminité dans la société japonaise[84]. La controverse ouvre quant à elle la voie sur l'étude du traitement des minorités dans les BL[85]. La controverse a un impact certain sur les créateurs de yaoi : par exemple l'auteur Kurihara Chiyo abandonne le yaoi pour se réorienter vers la pornographie hétérosexuelle, quand d'autres auteurs, comme Takamatsu Hisako ont prit en compte les arguments de leurs contradicteurs gays, afin de rendre leurs fictions plus admissibles pour un public gay[78].

Depuis les années 2000 : globalisation du yaoi

Diffusion

Photo couleur d'une étagère remplie de mangas.
Section « yaoi » dans une librairie Kinokuniya à San Francisco.

Le marché des œuvres yaoi s'est énormément développé ces dernières années et touche un public de plus en plus large, au Japon comme à l'étranger.

De nombreux shōjo mangas incluent des éléments BL, comme des relations ambiguës entre personnages masculins secondaires, sans pour autant en faire leur intrigue principale. Voir par exemple des œuvres telles que Angel Sanctuary, Cardcaptor Sakura, X, Tsubasa Reservoir Chronicle ou Host Club, s'adressant à un large public.

De la même façon que des artistes amateurs ont détourné les personnages de leurs séries favorites pour écrire et dessiner des dōjinshi yaoi, des fans du monde entier ont adhéré à cette subversion appelée désormais Slash (nommé d'après la barre oblique appelée slash en anglais, utilisée pour séparer les noms de deux personnages que les fans mettent en couple). Le slash reprend le principe de l'utilisation des personnages d'une œuvre et de leur mise en scène dans une relation homosexuelle, quelle que soit leur orientation dans l'œuvre d'origine. Une telle pratique s'exerce artistiquement dans les œuvres écrites dites fanfictions ou graphiques dites fanarts. Il n'est pas rare de voir confondus Slash et Yaoi dans les fanfictions et fanarts à caractère sexuel.

Annexes

Articles connexes

Bibliographie

Publications scientifiques

  • (ja) Yukari Fujimoto, « 少女マンガにおける「少年愛」の意味 » [« Le sens des shōnen'ai dans les shōjo mangas »], ニュー・フェミニズム・レビュー, vol. 2 « 女と表現──フェミ ニズム批評の現在 »,‎ , p. 280-284 (lire en ligne).
  • (en) Mark McLelland, Male homosexuality in modern Japan : cultural myths and social realities, Richmond, Curzon, , 265 p. (ISBN 978-0700713004, OCLC 70724264).
  • (en) James Welker, « Beautiful, Borrowed, and Bent: “Boys’ Love” as Girls’ Love in Shōjo Manga », Signs, University of Chicago Press, vol. 31, no 3 « New Feminist Theories of Visual Culture »,‎ , p. 841-870 (OCLC 437159155, DOI 10.1086/498987).
  • (en) Keith Vincent, « A Japanese Electra and Her Queer Progeny », Mechademia, Université du Minnesota, no 2 « Networks of Desire »,‎ , p. 64-79 (ISBN 978-0-8166-5266-2, OCLC 271760622).
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  • Hervé Brient (dir.), Le yaoi : Articles, chroniques, entretiens et mangas, Versailles, Éditions H, coll. « Manga 10 000 images » (no 1), , 2e éd., 256 p. (ISBN 979-10-90728-00-4, OCLC 868563909)
    • Jean-Paul Jennequin, « Le bara, le manga des gays », dans Le yaoi : Articles, chroniques, entretiens et mangas, p. 141-156.

Notes et références

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