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Yaoi

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Modèle:Unicode japonais

Dessin couleur de style manga, où deux jeunes hommes s'embrassent sous un parapluie.
Deux bishōnen qui s'embrassent, situation typique dans une œuvre yaoi.

Le yaoi (やおい?), aussi appelé Boys' Love, désigne dans la culture populaire japonaise un genre d'œuvres de fiction centré sur les relations sentimentales et/ou sexuelles entre personnages de sexe masculin. Le genre du yaoi concerne essentiellement la littérature ainsi que le monde du manga et de l'anime, mais se retrouve aussi à plus petite échelle dans le cadre des jeux vidéo, de la télévision et du cinéma, ainsi que d'autres types de supports. L'équivalent féminin du yaoi est le yuri.

Le yaoi est réputé pour sa forte communauté amateur dans les cercles dōjinshi. Ces productions amateurs peuvent être des créations originales ou bien des parodies d'œuvres ou de personnes existantes. Là encore la littérature et les mangas forment la majeure partie des créations yaoi amateurs.

Des œuvres de type yaoi ou approchant sont apparues tout au long du XXe siècle, mais il ne s'établit comme genre à part entière qu'au cours des années 1970 au sein des shōjo manga. Au fil des décennies qui suivent le genre se diversifie, et bien que toujours fortement lié aux démographies féminines, il touche un public de plus en plus large et diversifié en terme de sexes, de genres et de sexualités. Depuis les années 2000, la production tant professionnelle qu'amateur de yaoi s'est globalisée à l'international, se mêlant à la pratique occidentale du slash.

Définitions

Au cours de l'histoire, différents termes ont été utilisés pour désigner tout ou partie du genre ainsi que ses sous-genres. Les universitaires spécialistes en manga Mark McLelland et James Welker considèrent qu'il y a eu quatre principaux termes historiques, qu'ils définissent ainsi[1] :

Shōnen'ai (少年愛?)
Ce terme a été largement utilisé pendant les années 1970 et 1980 pour désigner les shōjo manga mettant en scène l'homosexualité masculine. Aujourd'hui il est parfois utilisé rétroactivement afin de désigner les œuvres yaoi de cette époque, mais dans le discours japonais actuel le terme a reprit son sens premier, où il désigne la pédérastie.
JUNE
Ce terme est dérivé d'un magazine yaoi éponyme qui était publié de la fin des années 1970 au milieu des années 1990, et a été utilisé pour nommer le type de mangas publié dans ce magazine. Il a aussi été utilisé pour désigner des créations yaoi amateurs, essentiellement les créations originales et non les parodies.
Yaoi (やおい?)
Est un acronyme pour yama nachi, ochi nachi, imi nachi qui peut se traduire par « pas de climax [dans la narration], pas de chute [au récit], pas de sens [à l'histoire][2] ». Ce nom autodérisoire est établit en 1979 et a été diffusé par un cercle dōjinshi influent. Il s'est popularisé au cours des années 1980 et désigne depuis les créations amateurs du genre, mais est aussi parfois utilisé comme terme-parapluie pour désigner l'ensemble des créations amateurs et professionnelles.
Boys' love (ボーイズラブ?)
Généralement écrit en katakana ou par son acronyme « BL ». Ce terme apparaît au début des années 1990 pour désigner les productions yaoi professionnelles, mais est aussi utilisé comme terme-parapluie pour désigner l'ensemble de la production amateur et professionnelle.

Il existe aussi le terme men's love (メンズラブ?) (abrégé « ML ») pour désigner les productions dont la principale cible éditoriale est le public gay, en Occident le ML est parfois nommé bara (薔薇?, lit. rose). Mais le ML reste généralement vendu sous les termes de « yaoi » ou de « BL » par les éditeurs[3].

Ces termes représentent des concepts qui se chevauchent les uns les autres, il n'y a pas de frontière exacte entre chacun d'eux[4]. De plus en Occident le sens de ces termes à tendance à changer en fonction des pays[1], notamment le terme shōnen'ai est souvent utilisé en Occident pour désigner les amours suggérées ou platoniques[5].

D'autres termes sont régulièrement utilisés dans la culture yaoi, sans toutefois être limités à cette dernière. Par exemple[6] : tanbi (歎美, 嘆美?, « esthète » ou « esthétique »), aniparo (アニパロ?, contraction de « anime parody »), sōsaku (捜索?, création originale), niji sōsaku (二次捜索?, création dérivée) et sanji sōsaku (三時捜索?, création dérivée d'une création dérivée).

Histoire

Avant 1970 : les prémisses du yaoi

La pratique de l'homosexualité tant masculine que féminine ainsi que la mise en valeur de l'androgynie ont été historiquement et traditionnellement acceptées au Japon, notamment dans la classe des samouraïs, au sein des établissements bouddhistes ou encore dans l'environnement autour du théâtre kabuki[7],[8]. Mais au cours de l'ère Meiji (1868-1912) le pays s'ouvre au monde occidental, et entre autres choses il importe la sexologie hollandaise qui considère l'homosexualité comme une pathologie[9], ainsi que le concept de « l'amour romantique » (attraction spirituelle entre un homme et une femme) qui n'existait jusqu'à présent pas dans la conscience japonaise. Cette nouvelle notion de l'amour, nommée ren'ai remplace rapidement les autres formes d'amour qui existaient jusqu'à présent au Japon, ces autres formes d'amour (dont l'amour homosexuel) sont alors considérées comme « barbares » et « féodales »[10].

Bien que l'homosexualité devient de plus en plus mal perçue par la société japonaise, certains artistes continuent d'exploiter le thème, mais de façon détournée[11]. Le plus célèbre d'entre-eux dans le Japon d'avant-guerre est le peintre lyrique Kashō Takabatake qui travaille notamment pour les magazines shōnen de l'époque, les illustrations de garçons qu'il publie pour le magazine Nihon shōnen deviennent rapidement l'image du « garçon idéal du Japon », ou bishōnen (美少年?, beau garçon). Ce bishōnen est notamment caractérisé par ses « ambivalentes passivité, fragilité, fugacité et douceur »[12], et est généralement représenté dans un monde homosocial, où règne une certaine tension homoérotique. La large diffusion des illustrations de Takabatake au sein du public masculin (et dans une moindre mesure féminin[13]) homoérotisent sensiblement certains environnements masculins, notamment la marine japonaise et quelques établissements scolaires, dont certains sont réputés pour leur « chasse aux éphèbes »[14]. À leur tour ces environnements masculins homoérotiques inspirent des écrivains, dont le célèbre écrivain Mori Ōgai[15],[16].

Mari Mori, fille de Mori Ōgai et romancière, rédige une trilogie mettant en scène une histoire homosexuelle entre hommes, dont le premier volume, A Lovers' Forest est publié en 1961. Cette trilogie est généralement considérée comme l'œuvre fondatrice du yaoi[17], même si Mari refuse d'être considérée comme la précurseur du genre[18]. L'auteur de yaoi Kaoru Kurimoto confesse ainsi avoir été directement inspirée par l'œuvre de Mari[19]. L'œuvre de Mari est influencée par la littérature européenne et notamment la littérature gothique[20] et pose les bases de ce qui plus tard deviendra des lieux communs du yaoi, tels que l'exotisme européen, la haute éducation et richesse des protagonistes, la différence d'âge relativement importante entre les deux membres du couples, ou encore le caractère fantaisiste voire surréaliste de l'environnement[21].

Du côté des mangas, des changements s'opèrent avec la naissance du genre du gekiga en 1957, qui se veut plus réaliste et plus ancré dans la société japonaise. Le gekiga inspire une recherche de rapports humains plus réalistes dans le manga, ce qui ouvre la voie au traitement de la sexualité dans les œuvres non-érotiques et pornographiques[22]. Notamment la mangaka Hideko Mizuno débute en 1969 le shōjo manga Fire! qui met en scène l'amour homosexuel masculin dans le milieu du rock américain et qui érotise ses protagonistes masculins, la même année une autre mangaka, Hiromi Minegishi, publie le manga Jūjika qui est très similaire à Fire![23]. Toutes les pièces sont désormais en place pour l'établissement du yaoi en tant que genre à part entière.

Seme et uke

Dessin manga couleur, ou deux hommes à moitié déshabillé se font face à face, l'homme de gauche étant dans une posture dominante par rapport à l'homme de droite.
Représentation d'un couple seme (à gauche) et uke (à droite).

La dynamique entre la figure du seme et la figure du uke apparaît dans les œuvres amateurs yaoi au cours des années 80 avant d'être reprit et généralisé par les BL commerciaux, devenant un standard du genre[24]. Le seme désigne « l'attaquant », le membre qui domine le couple et qui lors du rapport sexuel pénètre l'autre. Le uke est quand à lui le « receveur », il est le membre dominé et qui lors du rapport sexuel est pénétré[25].

Ces deux termes ont été empruntés au monde du sport japonais, avec les deux verbes semeru (攻める?, attaquer) et ukeru (受ける?, recevoir, subir) employés dans les arts martiaux japonais. L'usage d'un tel vocabulaire peut ainsi signifier que le rapport sexuel obéit à ses propres règles et codes[26].

Lors d'un rapport sexuel entre un seme et un uke, il n'est pas rare que ce dernier soit relativement violent, le seme forçant le uke, ce qui s'apparente à un viol[27]. Pour autant le uke finit par répondre positivement au rapport sexuel et atteint la jouissance. Aux yeux des auteurs et des lecteurs japonais ce « viol apparent » est en fait l'expression la « plus brute du désir et des sentiments » que le seme a pour le uke. Cette dynamique et cet acte du « viol » est similaire aux situations que l'on retrouve dans les shōjo mangas érotiques et pornographiques hétérosexuels, où le personnage féminin est elle aussi régulièrement « violée » par le personnage masculin, mais y trouve plaisir malgré tout[28].

Des critiques du yaoi tels que Keith Vincent de l'université de Boston voient dans cette dynamique seme/uke un écho à la dynamique hétérosexuelle, notant que le uke est généralement efféminé, naïf, et sujet aux attentions et aux désirs des hommes autour de lui, quand le seme apparaît comme une sorte de « prince ». Il considère ainsi que la seule différence entre les romances hétérosexuelles et yaoi vient du fait que puisque les deux protagonistes sont des hommes, aucun n'est socialement bridé, notamment dans le cadre du monde du travail[29].

D'autres critiques, telles que la spécialiste littéraire Yōko Nagakubo récusent cette lecture hétérosexuelle de la dynamique seme/uke. Nagakubo note que si le uke est essentiellement féminin, il conserve des traits masculins, et que le seme possède lui aussi des traits tant masculins que féminins[30]. De plus elle note que le rôle sexuel des deux membres du couple est déterminé par le contraste entre ces traits masculins et féminins, ce qui fait qu'un personnage peut être selon la situation un « prince » ou une « princesse », et que selon le partenaire, le personnage peut changer de rôle. Pour Nagabuko les caractéristiques masculines et féminines ne sont ainsi plus des contraintes imposées par le modèle patriarcal, mais deviennent des libertés, qui peuvent être explorées de différentes façons.

L'essayiste Yumiko Watanabe considère que la répartition des rôles entre le seme et le uke est soumise à trois facteurs différents : le statu social, la stature physique et la spiritualité du personnage. Ces trois facteurs permettent de jouer avec les rôles, ce qui a permis de créer de nombreux archétypes et stéréotypes, tels que le « sasoi uke » (quelqu'un de mentalement seme mais physiquement uke), le « hetare zeme » (un seme loser), le « jō uke » (un uke qui a le port d'une fière princesse), le « keigo zeme » (un seme qui s'adresse à son partenaire avec révérence), le « yancha uke » (un uke pervers), le « gekokujō » (lorsque le uke se met à dominer son seme), et d'autres encore. Tous ces archétypes et stéréotypes sont construits pour être contradictoires[31].

Pour Yukari Fujimoto de l'université Meiji, cette fluidité entre les genres offerte par la dynamique seme/uke permet tant à l'auteur qu'au lecteur de yaoi de « jouer avec le genre », en combinant les facteurs du genre et les dynamiques de domination comme il l'entend. Comme l'histoire se passe entre hommes et qu'il n'y a plus de différence physique entre les partenaires, l'œuvre yaoi autorise au lecteur, tant féminin que masculin d'essayer de nouvelles possibilités vis-à-vis des caractéristiques genrées traditionnelles, une femme peut expérimenter le rôle dominateur quand un homme peut expérimenter le rôle du dominé, le lecteur peut aussi décider d'être un simple spectateur[31].

Diffusion

Photo couleur d'une étagère remplie de mangas.
Section « yaoi » dans une librairie Kinokuniya à San Francisco.

Le marché des œuvres yaoi s'est énormément développé ces dernières années et touche un public de plus en plus large, au Japon comme à l'étranger.

De nombreux shōjo mangas incluent des éléments BL, comme des relations ambiguës entre personnages masculins secondaires, sans pour autant en faire leur intrigue principale. Voir par exemple des œuvres telles que Angel Sanctuary, Cardcaptor Sakura, X, Tsubasa Reservoir Chronicle ou Host Club, s'adressant à un large public.

De la même façon que des artistes amateurs ont détourné les personnages de leurs séries favorites pour écrire et dessiner des dōjinshi yaoi, des fans du monde entier ont adhéré à cette subversion appelée désormais Slash (nommé d'après la barre oblique appelée slash en anglais, utilisée pour séparer les noms de deux personnages que les fans mettent en couple). Le slash reprend le principe de l'utilisation des personnages d'une œuvre et de leur mise en scène dans une relation homosexuelle, quelle que soit leur orientation dans l'œuvre d'origine. Une telle pratique s'exerce artistiquement dans les œuvres écrites dites fanfictions ou graphiques dites fanarts. Il n'est pas rare de voir confondus Slash et Yaoi dans les fanfictions et fanarts à caractère sexuel.

Notes et références

  1. a et b McLelland et Welker 2015, p. 5.
  2. Brient 2008, p. 5.
  3. Tina Anderson, interview par Bamboo, Casey, Sara, GloBL and Gay Comics, Chicks on Anime, Anime News Network,  (consulté le ).
  4. McLelland et Welker 2015, p. 9-12.
  5. Brient 2008, p. 6.
  6. McLelland et Welker 2015, p. 6.
  7. de Bats 2008, p. 133-134.
  8. McLelland et Welker 2015, p. 6-7.
  9. de Bats 2008, p. 136.
  10. McLelland et Welker 2015, p. 7.
  11. McLelland et Welker 2015, p. 7-8.
  12. Hartley 2015, p. 22.
  13. Hartley 2015, p. 26.
  14. de Bats 2008, p. 136-137.
  15. de Bats 2008, p. 137.
  16. Vincent 2007, p. 77.
  17. Vincent 2007, p. 64.
  18. Hartley 2015, p. 24.
  19. Nagaike 2012, p. 37.
  20. Vincent 2007, p. 67.
  21. Vincent 2007, p. 65-67.
  22. Brient 2008, p. 7.
  23. Welker 2015, p. 45.
  24. Fujimoto 2015, p. 77.
  25. McLelland et Welker 2015, p. 10.
  26. Namtrac 2008, p. 81.
  27. Namtrac 2008, p. 70.
  28. Namtrac 2008, p. 70-71.
  29. Vincent 2007, p. 73-74.
  30. Fujimoto 2015, p. 84.
  31. a et b Fujimoto 2015, p. 85.

Bibliographie

Publications scientifiques

  • (en) Keith Vincent, « A Japanese Electra and Her Queer Progeny », Mechademia, Université du Minnesota, no 2 « Networks of Desire »,‎ , p. 64-79 (ISBN 978-0-8166-5266-2, OCLC 271760622).
  • (en) Kazumi Nagaike, Fantasies of Cross-dressing : Japanese Women Write Male-Male Erotica, Boston, Éditions Brill, coll. « Brill's Japanese Studies Library », , 238 p. (ISBN 978-9004227002, OCLC 794328546).
  • (en) Boys Love Manga and Beyond : History, Culture, and Community in Japan, Jackson, Université du Mississippi, , 303 p. (ISBN 978-1626743090, OCLC 878837806).
    • (en) Mark McLelland et James Welker, « An Introduction to “Boys Love” in Japan », dans Boys Love Manga and Beyond : History, Culture, and Community in Japan, p. 3-20.
    • (en) Barbara Hartley, « A Genealogy of Boys Love : The Gaze of the Girl and the Bishōnen Body in the Prewar Images of Takabatake Kashō », dans Boys Love Manga and Beyond : History, Culture, and Community in Japan, p. 21-41.
    • (en) James Welker, « A Brief History of Shōnen'ai, Yaoi and Boys Love », dans Boys Love Manga and Beyond : History, Culture, and Community in Japan, p. 21-41.
    • (en) Yukari Fujimoto, « The Evolution of BL as “Playing with Gender” : Viewing the Genesis and Development of BL from a Contemporary Perspective », dans Boys Love Manga and Beyond : History, Culture, and Community in iapan, p. 76-92.

Publications de vulgarisation

Articles connexes