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== Origine du terme Meiji ==
== Origine du terme Meiji ==
L'empereur {{japonais|[[Meiji (empereur)|Mutsuhito]]|睦仁}} prit à l'occasion de son accession au trône, selon la tradition impériale japonaise, le nom posthume de {{japonais|Meiji|明治}} qui signifie « gouvernement éclairé » (composé de {{japonais|« lumière/clarté »|明|''mei''}} et {{japonais|« gouvernement »|治|''ji''}}).
L'empereur {{japonais|[[Meiji (empereur)|Mutsuhito]]|睦仁}} prit à l'occasion de son accession au trône, selon la tradition impériale japonaise, le nom posthume de {{japonais|Meiji|明治}} qui signifie « gouvernement éclairé » (composé de {{japonais|« lumière/clarté »|明|''mei''}} et {{japonais|« gouvernement »|治|''ji''}}).
== Histoire politique ==
=== Crises du régime shogunal à la fin de l'ère Edo ===
{{article détaillé|Shogunat Tokugawa|Bakumatsu|Ishin shishi}}
Lors de ses trente dernières années d'existence, le [[shogunat Tokugawa]], qui dirige le [[Japon]] depuis [[1603]], est confronté à trois séries de crises de différentes natures qui ébranlent ses fondations. La première période de crises est déclenchée par la [[grande famine Tenpō]] qui frappe l'archipel de [[1833]] à [[1837]]. Aux centaines de milliers de morts enregistrés dans le pays<ref name="ref_auto_7">{{Harvsp|Souyri|2010|p=417}}.</ref> s'ajoute la rébellion de [[Ōshio Heihachirō]] en [[1837]], qui vise à débarrasser le pays des fonctionnaires corrompus, accusés d'avoir aggravé la crise par leur cupidité{{sfn|Souyri|2010|p=419}}. Les autorités shogunales promeuvent alors [[Mizuno Tadakuni]]. Pour répondre au mécontentement de la population, celui-ci engage les [[réformes Tenpō]]{{sfn|Souyri|2010|p=420}}, qui se soldent par un échec, et aggravent au contraire la perte de confiance envers le régime. Dans le même temps, de grands seigneurs locaux tirent leur épingle du jeu en modernisant efficacement leurs [[Han (Japon)|fiefs]] — notamment les domaines de [[Domaine de Satsuma|Satsuma]] et de [[domaine de Chōshū|Chōshū]], qui disposent de forces militaires équipées d'armes modernes{{sfn|Souyri|2010|p=421}}.


Une deuxième période de crises s'ouvre lors des [[années 1840]] et [[années 1850|1850]], dominée par les questions internationales. Lors de la [[première guerre de l'opium]], la victoire du [[Royaume-Uni]] en [[1842]], face à la [[Chine]], puissance dominante du continent, fait prendre conscience aux différentes élites du pays de la menace que représente la puissance des [[Occident]]aux pour le Japon<ref name="ref_auto_7" />. La menace se concrétise en [[1853]], lorsque l'amiral [[États-Unis|américain]] [[Matthew Perry (militaire)|Matthew Perry]] et ses « [[navires noirs]] » arrivent dans la [[baie de Tokyo|baie d'Edo]] et réclament l'ouverture de [[Diplomatie|relations diplomatiques]] et [[Commerce international|commerciales]] avec le pays{{sfn|Souyri|2010|p=426}}. En ce qui concerne la réponse à donner à ces demandes, des lignes de fracture apparaissent entre les responsables du shogunat, les [[Daimyo|grands seigneurs]], et la [[Empereur du Japon|cour impériale]] — ce qui contribue à affaiblir le pouvoir shogunal{{sfn|Souyri|2010|p=427}}. Un [[Convention de Kanagawa|traité d'amitié est finalement signé]] en 1854 avec les Américains, puis un [[Traité Harris|traité commercial avec les puissances européennes]], en 1858{{sfn|Souyri|2010|p=428}}. Si la menace militaire occidentale ne se matérialise pas lors de cette période<ref group="n">Le [[Royaume-Uni]] concentre ses efforts en Asie sur la Chine et dédie une partie de sa puissance à la lutte contre la [[Russie]] dans le [[Grand Jeu (géostratégie)|Grand Jeu]] en [[Asie centrale]]. La France se concentre sur la [[campagne de Cochinchine]] en Asie, et tente de contrer la montée en puissance de la [[Prusse]] en Europe. Les Américains sont occupés par la [[guerre de Sécession]].</ref>, l'ouverture du marché intérieur aux Occidentaux est à l'origine de plusieurs [[Crise politique|crises politiques]] et [[Crise économique|économiques]], alors qu'une [[inflation]] galopante frappe le pays{{sfn|Souyri|2010|p=430}}.
== Historique ==


[[Fichier:Taisehokan.jpg|vignette|Restitution des pouvoirs du [[Shogunat Tokugawa|shogun]] [[Tokugawa Yoshinobu]] à l'empereur [[Meiji (empereur)|Meiji]] en [[1867]].|alt=Peinture d'une grande pièce dans un palais japonais. L'empereur du Japon est visible au centre, entouré de dignitaires à genoux devant lui.]]
=== Contexte ===
À la fin des [[années 1850]], le Japon vit sous le régime du [[Shogunat Tokugawa|shôgunat des Tokugawa]], installé depuis le {{XVIIe}} siècle et dont la capitale est la ville d'[[Edo (ville)|Edo]] (ancien nom de Tokyo){{Sfn|Delalande|Truong-Loï|5=2021|p=221}}.


La troisième et dernière période de crises agite les dix dernières années du régime. Ces crises, à la fois économiques, politiques et [[Crise sociale|sociales]], provoquent la chute du régime<ref name="ref_auto_7" />. Les responsables du shogunat Tokugawa se divisent en deux branches, l'une conservatrice dirigée par [[Ii Naosuke]], l'autre réformiste. Cette dernière branche est frappée par la [[purge d'Ansei]] en [[1858]]-[[1859]], avant que l'aile conservatrice ne soit elle aussi victime de l'assassinat de son dirigeant Ii Naosuke, lors de l'[[Incident de Sakuradamon (1860)|incident de Sakuradamon]] en [[1860]]<ref name="Souyri 2010 P431" />. Les [[samouraï]]s issus des couches les plus défavorisées émergent en [[1860]]-[[1862]], comme une force politique importante, susceptible de s'opposer au pouvoir shogunal. En [[1867]], un courant d'agitation populaire et festif, le ''[[Ee ja nai ka]]'', réunit cinq à six millions de personnes dans le pays. Le rapport de force entre le shogunat Tokugawa et la maison impériale s'inverse lors de la décennie. L'empereur apparait de plus en plus comme le plus apte à assurer le salut du pays{{sfn|Souyri|2010|p=435}}. La mort du shogun [[Tokugawa Iemochi]] en [[1866]] et celle de l'empereur [[Kōmei]] en [[1867]] précipitent la transition politique. Le nouveau shogun [[Tokugawa Yoshinobu]] décide de « [[Restauration de Meiji|restituer ses pouvoirs]] » au nouvel empereur [[Meiji (empereur)|Meiji]] en {{date|décembre 1867}}. La transition ne se fait pas sans heurts, et les forces des domaines de Satsuma et de Chōshū, favorables à l'empereur, affrontent les dernières forces shogunales lors de la [[guerre de Boshin]] en [[1868]]-[[1869]]{{sfn|Souyri|2010|p=436}}.
Dès 1587, le Japon mène une politique hostile à l'installation d'étrangers sur le territoire japonais, même si des liens ont été noués, notamment avec la [[Corée]] ou les [[Pays-Bas]] et par le biais de [[Missions catholiques aux XVIe et XVIIe siècles|missions catholiques]] qui s'étaient installés à partir du [[XVIe siècle|{{XVIe}} siècle]]{{Sfn|Delalande|Truong-Loï|5=2021|p=221}}. Dès 1635, les Japonais ont interdiction officielle d'entrer ou revenir dans l'archipel sans autorisation expresse. Sauf dans le cadre d'ambassades vers la Corée et la [[Chine]], les seuls contacts avec les Occidentaux se faisaient à [[Nagasaki]]. Quant aux relations internationales et aux contacts socio-économiques, quatre lieux différents valaient frontière avec le reste du monde : Nagasaki (avec l'Occident), [[Tsushima (île)|Tsushima]] (avec la Corée), [[Matsumae]] (avec le Nord de l'île d'Hokkaidô) et [[Satsuma (Kagoshima)|Satsuma]] (avec les îles Ryûkyû)<ref>{{Article|prénom1=Seiichi|nom1=Iwao|prénom2=Teizō|nom2=Iyanaga|prénom3=Susumu|nom3=Ishii|prénom4=Shōichirō|nom4=Yoshida|titre=75. Sakoku|périodique=Dictionnaire historique du Japon|volume=17|numéro=1|date=1991|lire en ligne=https://www.persee.fr/doc/dhjap_0000-0000_1991_dic_17_1_939_t1_0097_0000_7|consulté le=2023-10-11|pages=97–98}}</ref>.


=== Premières réformes du régime (1868-1873) ===
Cet isolationnisme appelé ''[[sakoku]]'' a coïncidé avec 250 ans de paix intérieure, de relative prospérité économique et a permis de perfectionner les arts. Mais le [[Féodalité au Japon|système féodal]] rigide de classe sclérosa lentement les ''[[Han (Japon)|han]],'' particulièrement l'administration Tokugawa.
{{article connexe|Restauration de Meiji|Ère Meiji|Gouvernement de Meiji|Oligarchie de Meiji}}
[[Fichier:Mutsuhito-Emperor-Meiji-1873.png|vignette|droite|L'[[Meiji (empereur)|empereur Meiji]], photographié par [[Uchida Kuichi]] en 1873.|alt=Photo noir et blanc d'un homme assis sur un fauteuil, en tenue impériale officielle, un sabre à la hanche, un bicorne posé sur une table à gauche.]]


Dans sa première déclaration en [[1868]], l'[[Empereur du Japon|empereur]] présente une loi fondamentale {{incise|le [[Charte du serment|Serment en cinq articles]], prélude à une [[constitution]] et gage de [[liberté d'expression]]}} et indique qu'une lutte contre la hausse des prix va être entreprise. Une coalition instable est alors au pouvoir, composée du parti anti-shogunal et centrée sur les leaders du [[domaine de Satsuma]] et sur les nobles de la cour{{sfn|Hérail|Carré|Esmain|Macé|2010|p=989}}. Le nouveau gouvernement restitue leur fief aux [[Shogunat Tokugawa|Tokugawa]], cependant amputé des quatre cinquièmes de son revenu. Le début de l'ère Meiji est proclamé en {{date||octobre|1868}}. Le premier organe de gouvernement de ce nouveau régime est un conseil honorifique : celui-ci tente de maintenir encore un équilibre entre, d'une part les domaines ayant participé au renversement de l'ancien régime, d'autre part la noblesse de cour{{sfn|Hérail|Carré|Esmain|Macé|2010|p=991}}.
==== Pouvoir de l'empereur ====
{{article détaillé|Sakoku|Bakumatsu|Restauration de Meiji}}
En tant que « descendant » de la déesse du soleil, [[Amaterasu]], l’[[Empereur du Japon|empereur]] est officiellement le détenteur du pouvoir. Dans la réalité, le pouvoir est détenu par le ''[[shogun]]''. La famille [[Shogunat Tokugawa|Tokugawa]], depuis le ''shogun'' [[Tokugawa Iemitsu]], a fourni tous les ''shoguns'' du ''sakoku''. L’empereur « régnait » depuis son [[Kyōto-gosho|palais de]] [[Kyoto]], tandis que le ''shogun'' dirigeait le pays depuis [[Edo (ville)|Edo]], aujourd’hui [[Tokyo]] : deux centres d'un pouvoir bicéphale, distants de 500 kilomètres.


Lors des mois suivants sont opérés plusieurs changements d'organisation, ce qui permet l'émergence de personnalités comme [[Ōkubo Toshimichi]], [[Kido Takayoshi]] et [[Iwakura Tomomi]]. Du {{date|16 février}} au {{date|26|décembre|1868}} sont publiées {{nobr|34 ordonnances}} importantes, allant de la suppression des monnaies locales jusqu'à l'interdiction de certains [[Châtiment corporel judiciaire|châtiments corporels]]{{sfn|Hérail|Carré|Esmain|Macé|2010|p=992}}. [[Abolition du système han|Une réforme territoriale remplaçant les anciens domaines]] par des préfectures est menée à bien au deuxième semestre [[1869]]{{sfn|Hérail|Carré|Esmain|Macé|2010|p=993}}, avec comme conséquence principale une [[Centralisme au Japon|plus grande centralisation de l'État]]. Un [[Taxe foncière|impôt foncier]] est introduit en [[1873]] pour garantir une recette publique stable. De [[1868]] à [[1875]], de grandes réformes d'inspiration occidentale sont entreprises {{incise|touchant l'éducation, l'armée et le système juridique}} et des [[Conseiller étranger|experts étrangers]] sont engagés{{sfn|Hérail|Carré|Esmain|Macé|2010|p=995}}.
==== Pressions des puissances occidentales ====
{{Article détaillé|Diplomatie de la canonnière}}
À partir des années 1840-1850, les puissances occidentales font de plus en plus pression sur les pays d'Extrême-Orient pour les obliger à s'ouvrir au commerce international{{Sfn|Delalande|Truong-Loï|5=2021|p=221}}.


Fin [[1871]], Ōkubo, Kido et Iwakura laissent leur place à la tête du gouvernement pour prendre la direction de la [[mission Iwakura|mission diplomatique Iwakura]] {{incise|laquelle doit traverser les [[États-Unis]] et l'[[Europe]] pour renégocier les traités inégaux mais aussi s'informer sur les sociétés et technologies occidentales|fin}}. Le gouvernement qu'ils laissent derrière eux doit en théorie se limiter à la gestion des affaires courantes et se tenir à l'écart de décisions politiques trop critiques. [[Saigō Takamori]], [[Itagaki Taisuke]], [[Ōkuma Shigenobu]] et [[Etō Shinpei]], qui dirigent ce gouvernement d'[[Intérim (droit constitutionnel)|intérim]], se lancent au contraire dans de grandes réformes : en [[1872]], la [[École|scolarité]] est rendue obligatoire au [[Enseignement primaire|primaire]], toute forme de [[Trafic d'êtres humains au Japon|trafic d'êtres humains]] (travailleurs, prostitués…) est interdite, le [[calendrier grégorien]] est adopté et, l'année suivante, sont instituées une nouvelle taxe foncière ainsi que la [[conscription]]{{sfn|Eiko Maruko Siniawer, The New Cambridge History of Japan Volume 3|2023|p=66|id=New Cambridge History of Japan V3}}. Dans le même temps, au cours de leurs voyages, les membres de la mission Iwakura acquièrent la conviction que le [[Japon]] doit se lancer dans une modernisation radicale, pilotée par un État fort, et mise en œuvre de manière progressive. Si les réformes de ce gouvernement d'intérim ne sont pas remises en cause lors du retour de la mission Iwakura, les deux camps ont en revanche l'occasion de s'opposer au sujet du ''[[Seikanron]]'' {{incise|projet d'invasion de la [[Corée]] en [[1873]], repoussé par l'empereur, qui prend ainsi le parti d'Iwakura|fin}}<ref>{{Harvsp|Eiko Maruko Siniawer, The New Cambridge History of Japan Volume 3|2023|p=67|id=New Cambridge History of Japan V3}}.</ref>.
En [[1853]], le ''[[commodore (États-Unis)|commodore]]'' [[Matthew Perry (militaire)|Perry]] est envoyé par le gouvernement des [[États-Unis|États-Unis d'Amérique]] avec, pour mission, l'ouverture des routes commerciales. Il amène alors l'escadron des [[navires noirs]] au large d'[[Uraga]] dans la [[baie de Tokyo]]. Devant le refus du ''[[shogun]]'' d'ouvrir les ports de la ville, le ''commodore'' menace de la bombarder à l'aide de ses canons. Devant la menace réelle de la [[Industrie de l'armement|technologie militaire]] occidentale, le ''[[bakufu]]'' cède aux exigences américaines et signe les [[traités inégaux]] de la [[convention de Kanagawa]], puis du [[traité d'amitié anglo-japonais]] en [[1854]].


Les soutiens du projet d'invasion de la Corée mis en minorité, comme [[Etō Shinpei]], [[Gotō Shōjirō]], [[Saigō Takamori]], quittent le gouvernement. Certains, comme Etō, prennent la tête de rébellions locales ([[rébellion de Saga]] en [[1874]] pour Etō, [[rébellion Shinpūren]] en [[1876]]…). [[Saigō Takamori|Saigō]] en particulier prend la tête de la [[rébellion de Satsuma]] en [[1877]], dernière grande révolte de [[samouraï]]s, dont la répression achève d'asseoir la légitimité du nouvel État<ref>{{Harvsp|Eiko Maruko Siniawer, The New Cambridge History of Japan Volume 3|2023|p=68|id=New Cambridge History of Japan V3}}.</ref>.
La période suivante est marquée par des rébellions [[anticolonialisme|anticolonialistes]], des assassinats politiques et, de façon générale, une perte de confiance dans le régime shogunal. C'est cependant sous le shogunat que des missions militaires avec la [[Second Empire|France]], le [[Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande|Royaume-Uni]] et la [[Royaume de Prusse|Prusse]] sont entreprises, et que commence la modernisation du Japon sur le plan de l'armement. En France, ces missions sont organisées sous [[Napoléon III]]. Après le traité d'amitié de 1854 signé par l'amiral [[James Stirling (gouverneur d'Australie-Occidentale)|James Stirling]], les relations entre Japon et Empire britannique sont consolidées par un accord commercial ratifié en 1855 avec l'Ecossais [[James Bruce (8e comte d'Elgin)|James Bruce]].


=== Atermoiements sur la forme du régime (1873-1890) ===
En novembre [[1867]], le {{15e}} ''shogun'' Tokugawa régnant, [[Tokugawa Yoshinobu]], abdique volontairement et refuse de nommer un successeur, déclarant que son devoir était de laisser le pays s’ouvrir pour permettre son évolution. De plus, la mort de l'empereur [[Kōmei]] en janvier de la même année donne l'occasion au jeune prince [[Meiji (empereur)|Mutsuhito]], successeur de son père, d'abattre définitivement les partisans du shogunat ([[guerre de Boshin]]) et de devenir ainsi le représentant de cette réforme. Cette restauration a donc été inspirée « par le haut » et n’était pas due à une révolution populaire. Après son accession au trône, l'une des premières décisions symboliques du jeune souverain est le transfert officiel de la capitale impériale du [[Heian-kyō]] ([[Kyoto]]) à l'[[Château d'Edo|ancienne résidence des shoguns]] (qui est encore aujourd'hui le [[Palais impérial de Tokyo|palais impérial]]), à Edo, ville aussitôt rebaptisée « [[Tokyo]] », « capitale de l'Est ».
Déjà mentionnée dans la [[Charte du serment]] de [[1868]], l'adoption d'une constitution fait partie des premières promesses du régime. Ce projet devient un symbole politique fort de l'accession du Japon à un nouveau rang civilisationnel. Dès le début des [[années 1870]], des ébauches sont rédigées au sommet de l'État, mais celles-ci restent sans suite. Dans le même temps, les intellectuels s'emparent du sujet {{incise|très largement discuté dans la [[Presse écrite|presse]]}}, qui touche alors des millions de lecteurs. La [[conférence d'Osaka de 1875]] réunit plusieurs responsables d'[[Opposition (politique)|opposition]] pour en débattre. Un décret de [[1875]] réaffirme la promesse d'adoption d'une constitution, mais sans précision de date ou de délai. En [[1881]], l'[[Crise politique de 1881|accumulation de crises politiques]] (dont l'affaire du [[bureau de colonisation de Hokkaidō]]) cristallise le mécontentement de la population. Pour apaiser les oppositions, le pouvoir décide par décret de la mise en place d'une constitution et d'un [[parlement]] dans les dix ans<ref>{{Harvsp|Eiko Maruko Siniawer, The New Cambridge History of Japan Volume 3|2023|p=76|id=New Cambridge History of Japan V3}}.</ref>.


Les débats s'articulent autour de deux grandes tendances. D'un côté, les personnes à la tête du régime — comme [[Ōkubo Toshimichi|Ōkubo]], puis [[Itō Hirobumi]] — sont favorables à un [[Autoritarisme|État autoritaire et fort]], mieux à même selon eux de faire aboutir les politiques nécessaires à la modernisation du Japon. Face à eux, les tenants d'une [[Libéralisme|ligne libérale]] sont favorables à un plus grand droit laissé au peuple, garant d'une plus grande légitimité pour le régime. Cette dernière ligne est défendue par des responsables politiques comme [[Itagaki Taisuke|Itagaki]] ou [[Ōkuma Shigenobu|Ōkuma]], et rassemble de nombreux membres au sein du [[Mouvement pour la liberté et les droits du peuple]]<ref>{{Harvsp|Souyri|2010|p=466}}.</ref>, puis au sein des partis ''[[Rikken Kaishintō]]'' et ''[[Jiyūtō]]''<ref>{{Harvsp|Souyri|2010|p=468}}.</ref>. Ces mouvements deviennent rapidement populaires {{incise|à tel point que le [[Gouvernement japonais|gouvernement]] peine à les contenir}}, mais sont aussi gagnés par une certaine [[radicalité]]. Les années [[1884]]-[[1885]] connaissent un pic de violence avec des évènements comme les [[incident de Chichibu|incidents de Chichibu]] et [[Incident d'Ōsaka|ceux d'Ōsaka]], qui entraînent l'intervention de l'armée. Les plus modérés finissent par quitter ces partis, qui dès lors perdent en influence<ref>{{Harvsp|Souyri|2010|p=469}}.</ref>. Toujours en [[1885]], la population critique abondamment le manque d'autorité du gouvernement [[Relations internationales|à l'international]], lors du [[coup d'État de Gapsin]] en [[Corée]], qui menace les intérêts du [[Japon]] face à ceux de la [[Chine]]<ref>{{Harvsp|Souyri|2010|p=470}}.</ref>.
Parallèlement, la Chine est défaite face aux forces anglaise lors de la [[seconde guerre de l'opium]]. Cela offre au Japon le contre-exemple de la soumission d'une grande puissance asiatique aux puissances occidentales{{Sfn|Delalande|Truong-Loï|5=2021|p=221}}.


Le régime s'oriente alors vers une [[monarchie]] laissant le pouvoir suprême à l'[[Empereur du Japon|empereur]]<ref name="ref_auto_4">{{Harvsp|Hérail|Carré|Esmain|Macé|2010|p=1004}}.</ref>. Les institutions qui régissent l'État, modelées sur le [[Code de Taihō|régime des codes]], sont réformées en [[1885]] et un système de cabinets ministériels à l'européenne est adopté. À sa tête, est placé le cabinet du [[Premier ministre du Japon|Premier ministre]]. Le système des ''[[kazoku]]'' et des ''[[shizoku]]'' est réformé de manière à préparer l'instauration d'une [[chambre haute]] dont les membres proviendraient d'une [[aristocratie]] [[Cooptation|cooptée]]<ref>{{Harvsp|Souyri|2010|p=472}}.</ref>. Si les débats s'articulent autour de deux modèles de constitution européenne {{incise|l'une [[Royaume-Uni|britannique]] et libérale, l'autre [[Prusse|prussienne]] et autoritaire}}, le projet développé reflète le rapport de force entre les soutiens de ces deux modèles. La constitution retenue énumère un certain nombre de droits civils et dote le parlement de [[Bicamérisme|deux chambres]], dont l'une, élue au [[Scrutin direct|suffrage direct]], est autorisée à [[Pouvoir législatif|rédiger des lois]] et à [[Budget de l'État japonais|voter le budget]]. Cependant, c'est à l'empereur que répondent le gouvernement et l'armée<ref>{{Harvsp|Eiko Maruko Siniawer, The New Cambridge History of Japan Volume 3|2023|p=79|id=New Cambridge History of Japan V3}}.</ref>.
=== Début de l'ère Meiji ===
L’ère Meiji commence officiellement le {{date|23 octobre 1868}} : une partie des élites réformatrices se forment autour du prince Mutsuhito, pour reprendre en main les affaires du pays et renverser le shôgunat. La légitimité impériale est remise au centre du jeu politique pour favoriser la modernisation rapide des structures administratives, sociales et économiques du Japon. Le but étant de permettre au pays de pouvoir renforcer l'[[état-nation]] japonais et lui permettre de résister aux ambitions des pays occidentaux{{Sfn|Delalande|Truong-Loï|5=2021|p=221}}.


C'est le {{date|11|février|1889}} qu'[[Constitution de l'empire du Japon|une constitution]] est effectivement adoptée, qui fixe la répartition des pouvoirs{{sfn|Hérail|Carré|Esmain|Macé|2010|p=1022}}. La date est choisie pour correspondre à la date anniversaire de la fondation mythique du Japon par le premier empereur [[Jinmu]] et la constitution est présentée comme un « cadeau accordé par l'empereur à ses sujets »<ref>{{Harvsp|Souyri|2010|p=473}}.</ref>.
La première réforme a été la promulgation de la [[Charte du serment]] en 1868, un exposé général des objectifs des dirigeants Meiji pour relever le moral du pays et gagner un soutien financier pour le nouveau gouvernement :


<gallery mode="packed">
* Mise en place d'assemblées délibérantes ;
Fichier:Toshimichi Okubo 4.jpg|[[Ōkubo Toshimichi]], issu du [[domaine de Satsuma]], homme fort des débuts du régime.|alt=photo portrait d'un homme japonais de face en costume occidental, arborant une imposante barbe.
* Participation de toutes les classes aux affaires politiques ;
Fichier:Premier Hirobumi Ito.jpg|[[Itō Hirobumi]], issu du [[Cinq de Chōshū|domaine de Chōshū]], supervise la rédaction de la constitution sur le modèle prussien.|alt=photo portrait d'un homme japonais de face en costume occidental, arborant une barbichette.
* Abrogation des lois somptuaires et des restrictions de classe sur l'emploi ;
Fichier:Adachi Ginkō (1889) View of the Issuance of the State Constitution in the State Chamber of the New Imperial Palace (cropped and rotated).jpg|Promulgation de la [[Constitution de l'empire du Japon|constitution]] par l'empereur le {{date|11|février|1889}}.|alt=Ukyo-e présentant la salle du trône. L'empereur debout au centre est entouré d'hommes en uniformes, l'atmosphère est solennelle.
* Remplacement des « mauvaises coutumes du passé » par les « justes lois de la nature » ;
Fichier:Itagaki Taisuke.jpg|[[Itagaki Taisuke]], chef de file du ''[[Mouvement pour la liberté et les droits du peuple|Jiyū Minken Undō]]'' puis du ''[[Jiyūtō]]''.|alt=photo portrait d'un homme japonais de face en costume occidental, arborant une imposante moustache.
* Recherche de la connaissance internationale pour renforcer les fondements de la domination impériale.
Fichier:Shigenobu Okuma kimono.jpg|[[Ōkuma Shigenobu]], chef de file du ''[[Rikken Kaishintō]]''.|alt=photo d'un homme chauve habillé en costume traditionnel japonais, assis en tailleur.
</gallery>


=== Débuts du parlementarisme japonais (1890-1900) ===
La fin de la domination politique exclusive du ''[[bakufu]]'' était implicite dans la Charte, ainsi qu'un mouvement vers la participation démocratique. Pour la mettre en œuvre, une [[Constitution de l'Empire du Japon|constitution]] comportant onze articles fut élaborée en [[1889]]. En plus de fournir un nouveau Conseil d'État, les organes législatifs et les systèmes de rangs pour les nobles et les fonctionnaires, elle limita la tenure de bureau à quatre ans, permit le scrutin public ainsi qu'un nouveau système de taxation et ordonna de nouvelles règles administratives locales.
{{article détaillé|Chambre des représentants (Japon)|Chambre des pairs (Japon)|Oligarchie de Meiji|Genrō}}
Les [[Élections législatives japonaises de 1890|premières élections législatives de l'histoire du pays]] se tiennent en juillet 1890, et placent le [[Jiyūtō]] et le [[Rikken Kaishintō]] en tête de la représentation nationale, rassemblant à eux deux 170 des {{nobr|300 sièges}} de la [[Chambre des représentants du Japon|chambre des représentants]]{{sfn|Totman|2005|p=324}}. Ces deux partis s'opposent à l'[[Oligarchie de Meiji|oligarchie]] {{incise|qui tient toujours le pouvoir dans la [[Chambre des pairs (Japon)|chambre des pairs]] et qui décide de la composition du [[Gouvernement japonais|gouvernement]]|fin}}. La puissance réelle du Jiyūtō et du Rikken Kaishintō est cependant amoindrie par la faiblesse de leur base électorale. Du fait du [[suffrage censitaire]], seul 1 % des Japonais dispose du droit de vote lors de cette première élection, ce qui amoindrit la légitimité de ces partis et exclut d'autres mouvements de masse de la représentation démocratique<ref>{{Harvsp|Eiko Maruko Siniawer, The New Cambridge History of Japan Volume 3|2023|p=81|id=New Cambridge History of Japan V3}}.</ref>.


Les premiers [[Gouvernement de Meiji|gouvernements]] formés par l'oligarchie continuent de relever du [[Genrō|rapport de forces déjà présent au sein du pouvoir]]. Les représentants des clans de [[domaine de Satsuma|Satsuma]] ([[Matsukata Masayoshi]]…) et de [[Cinq de Chōshū|Chōshū]] ([[Yamagata Aritomo]], [[Itō Hirobumi]]…) se répartissent les postes avec une grande régularité<ref>{{Harvsp|Jansen|2002|p=419}}.</ref>. La chambre des représentants s'oppose régulièrement à ces gouvernements nommés par l'[[Empereur du Japon|empereur]], dans le but d'obtenir plus de pouvoir pour leur assemblée. L'obstruction passe notamment par le refus de vote du budget, tel que présenté par le gouvernement plusieurs années de suite, aspect sur lequel la chambre des représentants dispose de prérogatives{{sfn|Totman|2005|p=324}}. De son côté, le gouvernement a le droit de dissoudre la chambre des représentants {{incise|ce qu'il fait à plusieurs reprises, mais sans parvenir à faire évoluer le rapport de force|fin}}. Les mêmes personnes sont réélues, élection après élection, et la composition de la chambre des représentants évolue peu<ref>{{Harvsp|Jansen|2002|p=418}}.</ref>. Le manque d'assise du gouvernement au sein des assemblées le rend faible et instable, sa composition, ouverte aux évolutions des rapports de force au sein de l'oligarchie<ref>{{Harvsp|Taichirō Mitani, The Cambridge History of Japan Volume 6|2008|p=64|id=Cambridge History of Japan V6}}.</ref>.
[[Fichier:Seinansenso snou.jpg|vignette|220px|[[Yoshitoshi|Tsukioka Yoshitoshi]], ''Kagosima boto syutuzinzu'' (guerre japonaise à Kagoshima), ''[[ukiyo-e]]'' représentant une scène de la [[rébellion de Satsuma]], [[1879]].]]


En [[1894]], le déclenchement de la [[Première guerre sino-japonaise|guerre sino-japonaise en Corée]] suspend provisoirement l'opposition entre la chambre des représentants et le gouvernement, dans une forme d'« union sacrée » autour de la figure de l'empereur. En {{date||avril|1895}}, les puissances occidentales contestent certains points du [[traité de Shimonoseki]] et mettent fin à la guerre contre la Chine, ce qui favorise les échanges entre membres de l'oligarchie et responsables de partis de la chambre des représentants{{sfn|Totman|2005|p=324}}. L'oligarchie prend conscience que sans les partis de la chambre des représentants, aucune stabilité institutionnelle n'est possible, tandis que les partis de la chambre des représentants comprennent qu'ils ne pourront jamais accéder au pouvoir sans d'abord accéder au gouvernement. Les deux camps commencent ainsi à passer des alliances ponctuelles, de manière à étendre leurs zones d'influence respectives<ref>{{Harvsp|Taichirō Mitani, The Cambridge History of Japan Volume 6|2008|p=65|id=Cambridge History of Japan V6}}.</ref>.
Autre réforme importante, l’abolition de la classe guerrière des [[samouraï]]s. Les ''hans'' furent remplacés par des [[Préfectures du Japon|préfectures]] en [[1871]]. Un certain nombre de samouraïs prirent alors le parti d'abandonner volontairement le métier des armes pour se reconvertir dans le monde des affaires. Beaucoup furent ainsi placés à la tête d'entreprises créées par le pouvoir impérial, devenant donc des acteurs importants dans les débuts de l'industrialisation du pays.


En {{date|novembre 1895}} est instauré le premier gouvernement reposant sur une alliance entre l'oligarchie et un parti de la chambre des représentants. En {{date|avril 1896}}, le [[Premier ministre du Japon|Premier ministre]] Itō Hirobumi nomme le président du Jiyūtō, [[Itagaki Taisuke]], [[Ministère de l'Intérieur (Japon)|ministre de l'Intérieur]]. La recherche d'alliances entre oligarchie et partis de la chambre des représentants est renouvelée quatre fois entre [[1895]] et [[1900]], et aboutit à la formation de trois gouvernements de ce type<ref>{{Harvsp|Taichirō Mitani, The Cambridge History of Japan Volume 6|2008|p=66|id=Cambridge History of Japan V6}}.</ref>. En [[1898]], le premier gouvernement reposant exclusivement sur une alliance des partis de la chambre des représentants voit le jour. Le [[Kenseitō]], parti issu de la fusion du Jiyūtō et du Rikken Kaishintō, soutient la formation d'un gouvernement avec [[Ōkuma Shigenobu]] comme Premier ministre. Si le gouvernement ne tient que quatre mois, il inaugure la pratique des gouvernements reposant principalement sur des partis de la chambre des représentants<ref>{{Harvsp|Taichirō Mitani, The Cambridge History of Japan Volume 6|2008|p=68|id=Cambridge History of Japan V6}}.</ref>.
D'autres se mirent au service de l'État soit en entrant en politique (les premiers [[Premier ministre du Japon|Premiers ministres]] sont quasiment tous issus de cette ancienne classe guerrière), soit en participant à la création de l'[[Armée impériale japonaise]] qui fut confiée à des officiers instructeurs [[Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande|britanniques]], [[Troisième République (France)|français]] et [[Empire allemand|allemands]].


Le collège électoral de la chambre des représentants connaît une évolution importante en [[1900]]. Le seuil de taxes permettant d'être électeur est abaissé : le nombre d'électeurs passe ainsi de {{formatnum:502000}} en [[1898]] à {{formatnum:982000}} en [[1900]]. Les circonscriptions électorales sont aussi modifiées et favorisent la population urbaine au détriment des territoires ruraux<ref>{{Harvsp|Taichirō Mitani, The Cambridge History of Japan Volume 6|2008|p=71|id=Cambridge History of Japan V6}}.</ref>. Les rapports entre haute-administration et élus sont régulés par une série de décrets autour de [[1900]]. Les hauts fonctionnaires n'ont plus accès aux postes de vice-ministres, et le poste de [[Ministère de la Guerre (Japon)|ministre de la Guerre]] est limité aux militaires encore actifs les plus gradés. Le [[système des dépouilles]] et le [[pantouflage]] sont combattus, et le recrutement par concours de la fonction publique est renforcé{{sfn|Hérail|Carré|Esmain|Macé|2010|p=1039}}.
Mais cette réforme radicale ne fut pas acceptée par tous et provoqua en [[1877]] une révolte : la [[rébellion de Satsuma]], menée par l'un des fondateurs de la nouvelle ère, [[Saigō Takamori]], et qui fut aussi alimentée par des réflexes [[Xénophobie|xénophobes]] et [[Conservatisme|conservateurs]] de la société japonaise d'alors. Celle-ci fut matée au bout de six mois par les forces impériales.


<gallery mode="packed">
== Nature du Japon sous l'ère Meiji ==
Fichier:Yōshū Chikanobu Scene of the Diet.jpg|Première législature de la [[Diète du Japon|Diète]] après les élections de 1890.|alt=Ukyo-e présentant la salle principale de l'assemblée japonaise. Au premier plan sont assises deux Japonaises vêtues de robes occidentales, surplombant dans un balcon les députés réunis en demi-cercle.
Fichier:National Diet Hiroshima Temporary Building (external view).jpg|Bâtiment utilisé par la Diète à [[Hiroshima]] en [[1894]] lors de la [[première guerre sino-japonaise]].|alt=Photo en extérieur, un groupe d'hommes pose devant un bâtiment au loin.
Fichier:The Second Japnese Diet Hall 1891-1925.jpg|Bâtiment utilisé par la Diète de 1891 à 1925.|alt=photo d'un bâtiment, vu de loin.
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=== Ancrage de la pratique parlementaire (1900-1924) ===
=== Politique intérieure ===
{{article détaillé|Gouvernement de Meiji|Oligarchie de Meiji}}
{{article connexe|Démocratie Taishō|Ère Taishō|crise politique Taishō}}
Une recomposition des [[Politique au Japon|partis politiques]] s'amorce en [[1900]], lorsque [[Itō Hirobumi]] et [[Hoshi Tōru]] se rapprochent pour fonder le parti [[Rikken Seiyūkai]], unissant à la fois des anciens membres de la [[Chambre des représentants (Japon)|chambre des représentants]] issus du [[Kenseitō]] et des membres de la [[Chambre des pairs (Japon)|chambre des pairs]] de différentes tendances. Ce nouveau parti domine la politique japonaise au cours des deux décennies suivantes<ref>{{Harvsp|Taichirō Mitani, The Cambridge History of Japan Volume 6|2008|p=73|id=Cambridge History of Japan V6}}.</ref>. Si lors de cette période, ce nouveau parti est majoritaire à la [[Chambre des représentants (Japon)|chambre des représentants]], il doit y composer avec l'opposition de partis plus faibles, comme le [[Kensei Hontō]]. Ces derniers peuvent quant à eux compter sur une alliance avec la faction menée par [[Yamagata Aritomo]] à la chambre des pairs, où elle domine. Le rapport de force entre ces deux groupes perdure jusqu'à la fin de l'ère Meiji en [[1912]]<ref>{{Harvsp|Taichirō Mitani, The Cambridge History of Japan Volume 6|2008|p=74|id=Cambridge History of Japan V6}}.</ref>. Ce fonctionnement gouvernemental et parlementaire s'ancre dans la pratique politique japonaise et, lors de la décennie suivante, de [[1901]] à [[1913]], [[Katsura Tarō]] et [[Saionji Kinmochi]] occupent de façon alternée le poste de [[Premier ministre du Japon|Premier ministre]] pour le compte de ces deux familles politiques<ref name="Totman_2005" />.
Les fonctionnaires des anciens clans vainqueurs contre le ''bakufu'' des domaines de [[Domaine de Satsuma|Satsuma]], [[Domaine de Chōshū|Chōshū]], [[Domaine de Tosa|Tosa]] et [[Hizen]] prennent place dans les ministères pour les décennies à venir. Le ''triumvirat'' de l'[[alliance Satcho]], [[Ōkubo Toshimichi]], Saigō et [[Kido Takayoshi]] détient des postes clés autour du jeune empereur.


En 1913, un an après le décès de l'[[Meiji (empereur)|empereur Meiji]], la [[crise politique Taishō]] met fin à cette répartition du pouvoir et ouvre l'époque de la [[démocratie Taishō]]<ref name="Totman_2005" />. À la suite d'un conflit avec les dirigeants militaires, le premier ministre Saionji Kinmochi est contraint de démissionner. Souhaitant alors diminuer les dépenses de l'[[Armée impériale japonaise|armée]] pour faire baisser les impôts, il se heurte au refus des militaires de participer au gouvernement<ref group="n">L'armée fait partie des prérogatives de l'[[Empereur du Japon|empereur]], et statutairement c'est un militaire de haut rang qui doit être nommé [[Ministère de la Guerre (Japon)|ministre de la guerre]]. Le refus des militaires de rejoindre un gouvernement empêche donc celui-ci d'être constitué.</ref>. Katsura Tarō, un ancien militaire et membre de l'[[Oligarchie de Meiji|oligarchie]], lui succède. Il prend la décision de maintenir le budget de l'armée et s'appuie sur des personnalités de l'oligarchie et sur des proches des anciens clans [[domaine de Satsuma|Satsuma]] et [[Cinq de Chōshū|Chōshū]]. Katsura doit alors faire face à un mouvement d'opposition mené par des députés. Efficacement relayé par des journalistes issus de l'[[université Keiō]], ce mouvement rencontre un écho favorable dans l'opinion publique, ce qui entraîne des émeutes. Des journaux pro-Katsura sont pris pour cibles et mis à sac{{sfn|Souyri|2010|p=500}}. L'armée doit reculer, et accepte de participer à un gouvernement sans avoir de garantie sur son budget{{sfn|Souyri|2010|p=501}}.
L'un des principaux partisans du [[gouvernement représentatif]] était [[Itagaki Taisuke]] ([[1837]]-[[1919]]), un chef puissant de Tosa qui avait démissionné du [[Conseil d'État]] après l'[[Seikanron|affaire coréenne]] en [[1873]]. Itagaki chercha pacifiquement les moyens de se faire entendre au sein du gouvernement. Il fonda une école et un mouvement visant à établir une [[monarchie constitutionnelle]] et une [[Parlement|Assemblée législative]]. Itagaki et d'autres écrivirent le ''Mémorial de Tosa'', en [[1874]], critiquant le pouvoir illimité de l'[[oligarchie]] en place et appelant à la création immédiate d'un gouvernement représentatif.


== Relations internationales ==
En {{Date-|1871}}, les fiefs et droits féodaux sur lesquels prospéraient les ''daimyô'' sont abolis{{Sfn|Delalande|Truong-Loï|5=2021|p=221}}.
{{Article détaillé|Relations étrangères du Japon de l'ère Meiji}}


=== Le Japon, objet de l'intérêt des puissances occidentales à la fin de l'époque d'Edo ===
Entre [[1871]] et [[1873]], une série de lois foncières et fiscales furent adoptées comme base pour la politique fiscale moderne. La propriété privée fut légalisée, les actes publiés et les terres évaluées à la juste valeur marchande des impôts payés en espèces, plutôt qu'en nature comme à l'époque féodale, et à des taux légèrement inférieurs.
{{Article connexe|Rangaku|Sonnō jōi|Sakoku|Intervention française dans le Bakumatsu}}
Le Japon de l'[[époque d'Edo]] entretient des relations avec l'[[Europe]] au travers des [[Pays-Bas|Néerlandais]], ressortissants du seul État autorisé par le pouvoir à commercer avec le pays, en vertu d'une [[Sakoku|politique de contrôle strict des frontières]]. Les Pays-Bas bénéficie d'un statut de partenaire privilégié dans d'autres secteurs que le commerce et conseille régulièrement le pouvoir [[shogun]]al pour mieux analyser les demandes des autres [[Occident|puissances occidentales]]. Ils servent aussi d'intermédiaire pour introduire de [[rangaku|nouveaux savoirs dans le pays]]. C'est ainsi qu'ils fournissent le premier [[navire-école]] moderne au Japon et forment ses officiers à la guerre moderne au [[centre d'entraînement naval de Nagasaki]], en [[1855]], un an après l'arrivée des [[États-Unis|Américains]] dans le pays. Cependant, vers la fin de l'époque d'Edo, les Japonais prennent conscience que les Pays-Bas ne sont plus une puissance majeure et qu'ils ne peuvent pas être d'une aide importante en cas de conflit<ref>{{Harvsp|Souyri|2010|p=437}}.</ref>. Or, depuis la fin du {{s|XVIII}}, des [[Empire russe|Russes]] sont présents dans l'environnement immédiat du Japon, au nord, où les deux pays se croisent sur l'île de [[Sakhaline]]. De plus, la Russie cherche à négocier auprès du shogunat un bail de {{nobr|99 ans}} sur l'[[île Tsushima]], pour y établir une base militaire. Ces avancées russes sont [[Incident de Tsushima|perçues comme une menace]] par le pouvoir en place<ref name="Souyri 2010 P438">{{Harvsp|Souyri|2010|p=438}}.</ref>.


En [[1853]], l'arrivée de l'amiral américain [[Matthew Perry (militaire)|Perry]] dans la baie d'[[Tokyo|Edo]] signe la fin de la [[Sakoku|politique d'isolement du pays]]<ref name="Souyri 2010 P431" />, qui dès lors doit composer avec la présence des puissances occidentales. En [[1858]], le ''[[tairō]]'' [[Ii Naosuke]] est contraint de signer avec celles-ci une [[Traités Ansei|série de traités inégaux]], ce qui provoque la dernière grande crise du régime{{sfn|Souyri|2010|p=430}}. Tandis que Naosuke s'efforce d'engager des négociations avec les puissances étrangères afin d'éviter une guerre, il doit faire face à une opposition qui souhaite [[Sonnō jōi|expulser les étrangers du Japon]]<ref name="Souyri 2010 P431">{{Harvsp|Souyri|2010|p=431}}.</ref>. Une agitation gagne alors plusieurs régions du pays<ref>{{Harvsp|Souyri|2010|p=432}}.</ref>. L'opposition se radicalise lorsque, pour la première fois depuis plusieurs siècles, l'[[Empereur du Japon|empereur]] régnant intervient publiquement et manifeste sa désapprobation à l'égard de l'action du gouvernement shogunal. En [[1863]], l'empereur [[Kōmei]] signe l'[[ordre d'expulser les barbares]]<ref name="Souyri 2010 P431"/>. Il s'ensuit une [[Bombardement de Kagoshima|série de heurts]] avec les Occidentaux qui culmine avec le [[bombardement de Shimonoseki]] en [[1864]]. Dans le même temps, le Japon devient l'objet d'un affrontement diplomatique à distance entre la [[France]] et le [[Royaume-Uni]]. Si la France [[Mission militaire française au Japon (1867-1868)|obtient de moderniser les troupes du pouvoir shogunal]], le Royaume-Uni soutient au contraire la rébellion des clans du sud, qui finalement l'emportent et renversent le régime. Le Royaume-Uni remporte ainsi une victoire diplomatique dans le pays, qu'il exploite par la suite<ref name="Souyri 2010 P438"/>.
Après avoir rejoint le Conseil d'État en [[1875]], Itagaki, insatisfait du rythme de la réforme, organisa ses disciples et les autres promoteurs de la démocratie dans le parti [[Aikokusha]] pour inciter à la création d'un gouvernement représentatif en [[1878]]. En [[1881]], il fonde le ''[[jiyūtō]]'' (Parti libéral), influencé par les doctrines politiques françaises.


De [[1864]] à [[1882]]<ref group="n">De la fin de la [[guerre des Taiping]] en [[1864]], jusqu'à [[1882]], date à laquelle les Français prennent [[Hanoï]], et les Anglais l'[[Égypte]].</ref>{{,}}<ref>{{Harvsp|Hérail|Carré|Esmain|Macé|2010|p=990}}.</ref>, les puissances occidentales ne sont concernées que par des enjeux européens, ce qui évite au Japon de devenir un de leurs champs d'affrontements. La Russie, qui cherche à étendre son influence en [[Asie centrale]] et dans les [[Balkans]], provoque une réaction du Royaume-Uni. Paris doit faire face à l'[[Expédition du Mexique|échec de sa diplomatie au Mexique]], puis à un [[Guerre franco-allemande de 1870|affrontement militaire avec la Prusse]], en [[1870]]. De leur côté, les États-Unis sont pris dans la [[guerre de Sécession]] jusqu'en [[1865]], puis, occupés à la reconstruction du sud du pays<ref>{{Harvsp|Souyri|2010|p=439}}.</ref>. La poussée coloniale des puissances européennes ne reprend que dans les [[années 1880]], ce qui laisse pour un temps le Japon sans danger immédiat à affronter : les Britanniques colonisent la [[Birmanie britannique|Birmanie]] en [[1886]], les Français, l'[[Indochine française|Indochine]] de [[1884]] à [[1893]]{{sfn|Souyri|2010|p=480}}.
[[Ōkuma Shigenobu|Shigenobu Ōkuma]] établit le ''[[Rikken Kaishintō|kaishintō]]'' en [[1882]], parti inspiré par l'exemple d'une démocratie constitutionnelle de type britannique. En réponse, les bureaucrates du gouvernement, les élus locaux et d'autres conservateurs établissent le ''[[Rikken Teiseitō|teiseitō]]'', un parti pro-gouvernemental. De nombreuses manifestations politiques suivirent, certaines violentes, entraînant des restrictions supplémentaires des gouvernements. Ces restrictions entravent les partis politiques et conduisent à leur division. Le ''jiyutō'', qui s'était opposé au ''kaishintō'', fut dissous en [[1884]] et Ōkuma démissionna en tant que président du ''kaishintō''.


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Les chefs de gouvernement, longtemps préoccupés par les menaces violentes contre la stabilité et la scission de l'hégémonie après l'affaire de Corée, sont généralement convaincus que le gouvernement constitutionnel devrait un jour être mis en place. Le chef de file [[Chōshū]], [[Kido Takayoshi]], favorisa une forme de gouvernement constitutionnel dès [[1874]] et plusieurs propositions de garanties constitutionnelles furent rédigées. Cependant, tout en reconnaissant les réalités des pressions politiques, l'oligarchie était déterminée à garder le contrôle. Ainsi, seules des mesures modestes furent prises.
Fichier:Yokohama-Sumo-Wrestler-Defeating-a-Foreigner-1861-Ipposai-Yoshifuji.png|Caricature ''ukiyo-e'' de [[1861]] illustrant la volonté d'[[Sonnō jōi|expulser les étrangers]].|alt=caricature ukiyo-e présentant un lutteur de sumo renversant un marin occidental, d'autres hommes sont visibles dans le fond de l'image.
Fichier:NagasakiNavalTrainingCenter.jpg|Partenaires historiques du régime, les Hollandais participent à la construction du [[centre d'entraînement naval de Nagasaki]] pour le pouvoir shogunal en [[1855]].|alt=Peinture montrant le port de Nagasaki, des fortifications sont présentes le long du rivage, de nombreuses embarcations sont proches celles-ci.
Fichier:Gasshukoku suishi teitoku kōjōgaki (Oral statement by the American Navy admiral) minimal restoration.png|''Ukiyo-e'' de 1864 montrant l'amiral américain [[Matthew Perry (militaire)|Matthew Perry]].|alt=Ukiyo-e montrant trois hommes de plain-pied. Ils portent différents uniformes militaires.
Fichier:ShogunalTroops1864.jpg|Les [[Denshūtai|troupes d'élite]] du shogun sont [[Mission militaire française au Japon (1867-1868)|modernisées par les Français]] à partir de [[1867]].|alt=gravure montrant un groupe de soldats japonais en train de marcher en groupe en portant des fusils.
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=== La diplomatie japonaise tournée vers la modernisation du pays à partir de 1868 ===
=== Politique judiciaire ===
{{Article connexe|Conseiller étranger}}
La [[Conférence d'Osaka de 1873|Conférence d'Osaka]] en 1873 aboutit à la réorganisation de l'administration d'un système judiciaire indépendant et d'une chambre des anciens, ''[[genrōin]]'', chargée d'examiner les propositions de la législature. L'empereur déclare que « le gouvernement constitutionnel doit être mis en place par étapes progressives », et ordonne au Conseil des Anciens de rédiger une constitution.
Dès le début de la [[restauration de Meiji]] en [[1868]], le nouveau pouvoir fait la promesse via la [[charte du serment]] de renforcer la puissance du pays en faisant l'acquisition de nouveaux savoirs et de nouvelles technologies à l'étranger<ref>{{Harvsp|S.C.M. Paine|2017|p=5|id=S.C.M. Paine 2017}}.</ref>. Plusieurs missions diplomatiques sont envoyées dans ce but, dont la plus importante, la [[mission Iwakura]], parcourt les [[États-Unis]] et l'[[Europe]] de [[1871]] à [[1873]]. Une cinquantaine de hauts responsables, dont [[Tomomi Iwakura]] et [[Itō Hirobumi]], ainsi que de nombreux étudiants rencontrent des personnalités politiques, des industriels et des intellectuels occidentaux. Ils acquièrent ainsi la conviction que, si le Japon veut pouvoir résister aux Occidentaux, il ne peut limiter sa modernisation à quelques emprunts technologiques, et doit au contraire faire évoluer son organisation politique et sociale. En effet, l'origine de la puissance occidentale ne provient pas de son armée, mais des responsables civils qui ont permis à celle-ci de se développer<ref>{{Harvsp|S.C.M. Paine|2017|p=6|id=S.C.M. Paine 2017}}.</ref>.


À partir de [[1872]], le [[Système éducatif au Japon|système éducatif japonais]] est modernisé en s'inspirant du [[Système éducatif au Royaume-Uni|système britannique]]<ref>{{Harvsp|S.C.M. Paine|2017|p=8|id=S.C.M. Paine 2017}}.</ref>. À partir de [[1878]], La hiérarchie militaire est organisée sur le modèle de celle de la [[Prusse]], et des officiers sont envoyés se former dans ce pays. Lors des [[années 1880]] et [[1890]], la [[Marine impériale japonaise|marine de guerre]] se développe en suivant l'exemple de la ''{{Langue|en|[[Royal Navy]]}}'' britannique, et sa doctrine navale est inspirée des travaux de l'amiral américain [[Alfred Mahan]]. Une fois son [[Organisation juridictionnelle au Japon|système judiciaire]] réformé et aligné sur le système occidental, le Japon fait valoir cette avancée pour renégocier certains points des [[traités inégaux]] : désormais, les expatriés au Japon n'ont plus besoin d'une protection particulière, et les clauses d'[[extraterritorialité]] deviennent de fait caduques. Le [[traité de commerce et de navigation anglo-japonais]] de [[1894]] entérine cette avancée, et supprime ces mesures d'extraterritorialité. Les années suivantes, le Japon obtient des renégociations de traités similaires sur les mêmes bases : la modernisation du pays est alors utilisée comme un levier de négociation par la diplomatie japonaise<ref>{{Harvsp|S.C.M. Paine|2017|p=9|id=S.C.M. Paine 2017}}.</ref>.
Trois ans plus tard, la Conférence des gouverneurs préfectoraux établit des assemblées préfectorales élues. Bien que limités dans leur autorité, ces ensembles représentent une évolution dans le sens d'un gouvernement représentatif au niveau national et, en [[1880]] des assemblées sont également formées dans les villages et les villes. La même année, les délégués de vingt-quatre préfectures tiennent un congrès national pour établir la [[Ligue pour l’établissement d'une assemblée nationale]] ''(Kokkai Kisei Domei)''.


=== Des Occidentaux de nouveau présents à partir des années 1880, la Corée comme intérêt stratégique ===
Bien que le gouvernement ne s'opposât pas au [[parlementarisme]], confronté aux « droits du peuple », il continua à contrôler la situation politique. De nouvelles lois, en 1875, interdisent la presse de critiquer le gouvernement et l'examen des lois nationales. La loi sur les réunions publiques (1880) limite sévèrement les rassemblements publics en interdisant la participation des fonctionnaires et nécessitant une autorisation de la police.
À partir de la première moitié du {{s|XIX}}, le Japon observe l'avancée des [[Occident]]aux en [[Chine]]. La [[France]] et le [[Royaume-Uni]] infligent à l'empire du Milieu deux défaites importantes : lors de la [[première guerre de l'opium]], de [[1839]] à [[1842]], puis, lors de la [[seconde guerre de l'opium|seconde]], de [[1856]] à [[1860]]<ref>{{Harvsp|S.C.M. Paine|2017|p=3|id=S.C.M. Paine 2017}}.</ref>. Le sac du [[Ancien Palais d'Été|palais d'Été]] en [[1860]] impressionne les esprits japonais, et ces deux pays européens commencent à jouir d'un certain prestige dans l'archipel<ref name="Souyri 2010 P438"/>. Les [[États-Unis]] deviennent eux aussi un acteur important dans le [[Océan Pacifique|Pacifique]] à partir des [[années 1890]], ce que la diplomatie japonaise prend de plus en plus en compte : les Américains [[Renversement du royaume d'Hawaï|renversent le royaume d'Hawaï]] en [[1893]] et s'installent à [[Guam]] et aux [[Philippines]] à la suite de la [[Guerre hispano-américaine]] de [[1898]], puis, aux [[Crise des Samoa|Samoa en 1899]]. Entretenir de bonnes relations avec cette puissance devient un objectif majeur, d'autant plus qu'il s'agit d'un pays d'émigration important pour le Japon, dont les élites par ailleurs fréquentent en nombre les [[Université aux États-Unis|universités américaines]]. En prévision d'un possible [[guerre russo-japonaise|conflit avec la Russie]], le gouvernement japonais cherche par plusieurs moyens à s'attirer la bienveillance des autorités américaines, acteur probable de toute négociation de paix<ref>{{Harvsp|S.C.M. Paine|2017|p=54|id=S.C.M. Paine 2017}}.</ref>.


À partir de [[1873]], la [[Corée]] devient un enjeu stratégique pour certains hommes politiques japonais. Cette année-là, les dirigeants nippons [[Seikanron|débattent sur la question de l'invasion de la Corée]], mais l’idée est tout d'abord repoussée en raison de l'insuffisance de la préparation et de la modernisation japonaises. Ce n'est qu'en [[1875]], à l'occasion de l'[[Incident de Ganghwa]], que commence véritablement l'implication japonaise dans le pays. La péninsule ainsi que la région de la [[Mandchourie]] en Chine deviennent des objectifs majeurs à long terme, autour desquels la diplomatie japonaise se concentre lors des décennies suivantes<ref>{{Harvsp|S.C.M. Paine|2017|p=53|id=S.C.M. Paine 2017}}.</ref>. La Corée est considérée comme un objectif stratégique, d'autant plus que la [[Russie]] cherche à s'étendre dans la région. En effet, en [[1891]], le début de la construction du [[Transsibérien]] menace le projet d'extension japonaise, et une Corée sous influence russe pourrait servir de [[tête de pont]] à une invasion du Japon par la Russie. La Chine continue d'entretenir des relations tributaires avec la Corée, ce qui constitue aussi un obstacle dans les prétentions japonaises sur la péninsule<ref>{{Harvsp|S.C.M. Paine|2017|p=10|id=S.C.M. Paine 2017}}.</ref>. L'[[incident d'Imo]] en [[1882]] permet au Japon d'augmenter le nombre de ses troupes dans le pays{{sfn|Michael J. Seth 2010|p=236}}. Politiquement, le Japon est aussi actif pour s'immiscer dans la politique locale, notamment auprès des réformateurs coréens. C'est ainsi qu'il soutient une [[Coup d'État de Gapsin|tentative de coup d'État en 1884]]. Si celle-ci est un échec, le [[convention de Tientsin|traité négocié par la suite en 1885]] permet au Japon de supprimer temporairement la présence militaire chinoise en Corée{{sfn|Michael J. Seth 2010|p=239}}. La péninsule est ainsi l'objet de la [[Première guerre sino-japonaise|guerre du Japon contre la Chine]] en [[1894]]-[[1895]]{{sfn|Souyri|2010|p=481}}. Après cette date, la Chine — battue par le Japon lors de cette guerre — voit son influence réduite à néant dans la péninsule. La Russie profite de cette vacance du pouvoir pour s'immiscer dans les affaires internes de la Corée, où elle tente de faire jeu égal avec le Japon les années suivantes<ref name="ref_auto_12">{{Harvsp|S.C.M. Paine|2017|p=51|id=S.C.M. Paine 2017}}.</ref>. De plus, le Japon doit également renoncer à ses conquêtes en Chine, en raison de l'implication d'autres pays occidentaux, par le biais de la [[Triple intervention]] en {{date|avril 1895}}. La France, le Royaume-Uni, et la Russie font pression sur le Japon pour qu'il revienne sur certains points de son [[Traité de Shimonoseki|traité de paix avec la Chine]], dont son occupation de la [[péninsule du Liaodong]]. Ne pouvant s'opposer à ces puissances, le Japon est contraint de reculer, et dès [[1898]], la Russie parvient à occuper la péninsule du Liaodong. Si l'armée nippone fait une première démonstration de ses capacités, le Japon perd le fruit de ses victoires militaires en raison d'une diplomatie encore inexpérimentée. Cet échec est mis à profit, et une préparation diplomatique précède les conflits suivants<ref>{{Harvsp|S.C.M. Paine|2017|p=40|id=S.C.M. Paine 2017}}.</ref>.
Dans le cercle dirigeant, cependant, et en dépit de l'approche conservatrice de la direction, Ōkuma continue solitairement de promouvoir le style britannique : un gouvernement avec des partis politiques et un cabinet organisé par le parti majoritaire, responsable devant l'Assemblée nationale. Il appelle à des élections pour 1882 et une Assemblée nationale en [[1883]]. Ce faisant, il précipite une crise politique qui se conclut par un édit impérial en 1881, déclarant l'établissement d'une assemblée nationale en [[1890]].


Par la suite, le Japon accélère sa politique en Corée en soutenant le coup d'État de [[Daewongun]] et la mise en place des [[Réformes Gabo]] en [[1894]], qui lui donnent une plus grande emprise sur la péninsule{{sfn|Michael J. Seth 2010|p=247}}. En 1895, l'assassinat de la [[Myeongseong de Corée|reine Min]], soutenu par des Japonais, ainsi que le regain d'influence de la Russie, marquent un relatif recul du Japon dans le pays{{sfn|Michael J. Seth 2010|p=249}}. Entre 1895 et 1905{{sfn|Michael J. Seth 2010|p=254}}, la Russie fait alors jeu égal avec le Japon en termes d'influence. En [[1896]], le général [[Yamagata Aritomo|Yamagata]] tente de ménager les Russes en leur proposant de se répartir la Corée autour du {{38e|parallèle}}, ce qu'ils refusent. En [[1898]], la diplomatie japonaise renouvelle la proposition auprès des Russes — après que ces derniers ont obtenu la concession de [[Lüshunkou|Port-Arthur]] dans la [[péninsule du Liaodong]] —, mais celle-ci est de nouveau repoussée. Après la [[révolte des Boxers]] en [[1900]], à l'issue de laquelle les [[Protocole de paix Boxer|Russes obtiennent de nombreuses concessions en Mandchourie]], la « question russe » revêt une importance majeure. Les années suivantes, d'autres options sont proposées au pouvoir russe, de manière à obtenir des zones d'influence exclusives : la Mandchourie pour les Russes, et la Corée pour les Japonais. Ces propositions essuient de nouveaux refus, la Russie visant toujours à intégrer la [[Corée]] à sa sphère d'influence<ref name="ref_auto_12" />. L'intransigeance de la Russie sur cette question convainc les responsables japonais qu'une guerre contre ce pays est inévitable. De manière à éviter les déconvenues diplomatiques de la [[Première guerre sino-japonaise|guerre contre la Chine]] quelques années plus tôt, le Japon prend soin au préalable de nouer l'[[alliance anglo-japonaise]] en [[1902]], afin de pouvoir compter sur des soutiens lors de futures négociations de paix<ref>{{Harvsp|S.C.M. Paine|2017|p=52|id=S.C.M. Paine 2017}}.</ref>. À l'issue de la [[guerre russo-japonaise]], la défaite russe de 1905 finit d'asseoir la domination nippone sur la péninsule. C'est ainsi que le [[traité d'Eulsa]] transforme la Corée en [[protectorat]] du Japon, prélude à l’[[Traité d'annexion de la Corée|annexion du pays]] en [[1910]]{{sfn|Michael J. Seth 2010|p=254}}.
Rejetant le modèle britannique, [[Iwakura Tomomi]] et d'autres conservateurs empruntent beaucoup au [[Constitution bismarckienne|système constitutionnel]] [[Prusse|prussien]]. Un membre de l'oligarchie Meiji, [[Itō Hirobumi]], originaire de Chōshū, longtemps impliqué dans les affaires du gouvernement, fut chargé de rédiger la [[Constitution de l'Empire du Japon|constitution japonaise]]. Il mena une mission d'étude à l'étranger en 1882, passant le plus clair de son temps en [[Empire allemand|Allemagne]]. Il rejeta la [[Constitution des États-Unis]] comme « trop libérale » et le [[Constitution du Royaume-Uni|système britannique]] comme trop lourd avec un Parlement ayant trop de contrôle sur la monarchie, les modèles [[Constitutions françaises|français]] et [[Constitutions espagnoles|espagnol]] furent rejetés comme tendant vers le [[despotisme]].


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Itō est nommé responsable du nouveau Bureau d'Investigation des systèmes constitutionnels en 1884 et le Conseil d'État est remplacé en [[1885]] par un cabinet dirigé par Itō comme [[Premier ministre du Japon|Premier ministre]]. Les postes de chancelier, ministre de la [[Gauche (politique)|gauche]], et le ministre de la [[Droite (politique)|droite]], qui existaient depuis le {{s-|VII|e}}, ainsi que les postes de conseillers de l'empereur sont abolis. À leur place, le Conseil privé est créé en [[1888]] pour évaluer la future constitution et conseiller l'empereur.
Fichier:Seikanron2.jpg|Estampe japonaise montrant l'épisode du ''[[Seikanron]]'' de [[1873]], au cours duquel, pour la première fois, il est question d'envahir la Corée.|alt=''Ukiyo-e'' montrant la salle du trône. Face à l'empereur en costume traditionnel, des hommes japonais importants portent des costumes à l'occidentale et lui font face dans une posture de soumission.
Fichier:Une-Partie-De-Peche-Rus-Jpn-Qing-Dispute-Korea-Feb-15-1887.png|''Une partie de pêche'', caricature de [[Georges Ferdinand Bigot]] de [[1887]], montrant la [[Corée]] convoitée par la [[Chine]], le [[Japon]], et la [[Russie]].|alt=caricature de presse montrant trois hommes en train de pêcher dans le même petit plan d'eau. Leurs costumes montrent qu'ils viennent du Japon, de Chine, et de Russie.
Fichier:Weihaiwei surrender.jpg|''[[Nishiki-e]]'' de [[Toshihide Migita]], montrant la reddition des troupes chinoises, face aux forces japonaises.|alt=Ukiyo-e montrant des marins japonais en uniforme sur le pont d'un navire moderne. Face à eux, trois hommes en costumes chinois mandchous s'inclinent.
Fichier:Русский плакат эпохи русско-японской войны 038.jpg|Poster de propagande russe misant sur la victoire du pays.|alt=première page d'un journal russe. Un homme de très grande taille, incarnation de la Russie, domine la scène et vient de battre un Japonais de petite taille. À côté de ce dernier, d'autres hommes incarnant la Chine, les États-Unis et le Royaume-Uni, le regardent songeurs, signe des alliances du moment.
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=== Recherche d'alliances avec les Occidentaux jusqu'à la Première Guerre mondiale ===
Afin de renforcer l'autorité de l'État, le Conseil suprême de guerre est créé sous la direction de [[Yamagata Aritomo]], qui est crédité de la fondation de l'[[Armée impériale japonaise|armée japonaise moderne]] et qui allait devenir le Premier ministre du gouvernement constitutionnel. Le Conseil suprême de guerre met au point un système de style allemand avec un général, chef de cabinet, ayant un accès direct à l'empereur et qui pourrait fonctionner indépendamment du ministre des armées et des fonctionnaires civils.
{{Article connexe|Japon pendant la Première Guerre mondiale|Théâtre asiatique de la Première Guerre mondiale|Théâtre océanien de la Première Guerre mondiale|}}
[[Fichier:Black and white photo of emperor Meiji of Japan.jpg|200px|gauche|vignette|L'empereur Meiji vers la fin de son règne.]]
Lorsqu'elle est finalement accordée par l'empereur comme un signe de partage de son autorité et de don de liberté à ses sujets, la Constitution de 1889 de l'empire du Japon ([[Constitution du Japon|la Constitution de Meiji]]) instaure la Diète impériale (''[[Diète du Japon|teikoku gikai]]''). Composée d'une [[Chambre des représentants du Japon|Chambre des représentants]] élue par une partie très limitée de citoyens de sexe masculin, de plus de vingt-cinq ans et payant une taxe, soit environ un pour cent de la population, de la [[Chambre des pairs du Japon|Chambre des pairs]], composée de la [[noblesse]] et de personnes nommées par l'empereur, et un cabinet responsable devant l'empereur et indépendant du pouvoir législatif. Néanmoins, en dépit de ces changements institutionnels, la souveraineté résidait encore en l'empereur sur la base de son ascendance divine.


Le [[Japon]] densifie ses relations avec les puissances [[occident]]ales à l'issue de [[Guerre russo-japonaise|sa victoire contre la Russie en 1905]]. Son intervention en [[1901]] au sein de la [[Alliance des huit nations|coalition militaire]] contre les [[Révolte des Boxers|Boxers]] lui a déjà permis d'obtenir quelques [[Concessions étrangères en Chine|concessions en Chine]] et de développer son influence<ref name="Fairbank">[[John King Fairbank]], ''La Grande révolution chinoise 1800-1989'', Flammarion, 1989, pages 250-263.</ref>. Grâce aux traités de [[Traité de Shimonoseki|Shimonoseki en 1895]] et de [[Traité de Portsmouth|Portsmouth en 1905]], le [[Japon]] accède au rang de puissance régionale. L'[[alliance anglo-japonaise]] négociée en [[1902]] est reconduite en [[1905]] et [[1907]]. La [[Russie]] noue quant à elle quatre traités entre [[1907]] et [[1916]] ; la [[France]] en fait de même en [[1908]], suivie par les [[États-Unis]] en [[1908]], via les [[accords Root-Takahira]]. Le Japon intègre ainsi le système des puissances déjà en place en [[Asie]], sans chercher alors à remettre en cause celui-ci, se contentant de négocier quelques concessions et d'obtenir une reconnaissance de son rang au sein des puissances internationales{{sfn|Jansen|2002|p=514}}.
La nouvelle constitution spécifie une forme de gouvernement qui était encore de caractère autoritaire, avec l'empereur qui détient le pouvoir ultime et n'accorde que des concessions minimes aux droits du peuple et aux mécanismes parlementaires. Les partis sont reconnus comme faisant partie du processus politique. La Constitution de Meiji devait durer en tant que loi fondamentale jusqu'en [[1947]].


L'éclatement de la [[révolution chinoise de 1911]] fait évoluer les perspectives du Japon, et la situation en [[Chine]] devient un point de crispation pour les pouvoirs japonais. Les gouvernements qui se succèdent à l'époque ([[Saionji Kinmochi|Saionji]] et [[Yamamoto Gonnohyōe|Yamamoto]]) sont très partagés sur l'attitude à adopter, et sont tiraillés entre les aspirations incompatibles des libéraux et de l'armée. [[Sun Yat-sen]], qui s'est réfugié au Japon en [[1913]], peine à y trouver des soutiens. Cherchant à protéger ses intérêts dans le pays, le gouvernement japonais soumet [[vingt et une demandes]] au gouvernement chinois de [[Yuan Shikai]]{{sfn|Jansen|2002|p=515}}. Celui-ci est contraint d'en accepter une partie, et la Chine devient alors de fait un [[protectorat]] du Japon. Cependant, le pouvoir chinois parvient entretemps à trouver le soutien des États-Unis, encore neutres lors de la [[Première Guerre mondiale]], lesquels par la voix de [[Secrétaire d'État des États-Unis|leur secrétaire d'État]] [[William Jennings Bryan]] mettent en garde le Japon contre toute action qui « violerait la souveraineté chinoise ». Le Japon commence ainsi à s'aliéner le gouvernement des États-Unis pour de maigres avantages en Chine{{sfn|Jansen|2002|p=516}}.
Dans les premières années du gouvernement constitutionnel, les forces et les faiblesses de la Constitution de Meiji sont révélées. Les réflexes ancestraux de clans sont toujours présents, une petite élite de Satsuma et Chōshū continuent de gouverner le Japon, s'institutionnalisant comme un organe extra-constitutionnel de ''[[genrō]]s'' (État aux aînés). Collectivement, les ''genrōs'' prirent des décisions réservées à l'empereur et gouvernent ''de facto''.


== Économie ==
Tout au long de la période, cependant, les problèmes politiques sont en général résolus grâce à des compromis. Les partis politiques ont progressivement augmenté leur pouvoir sur le gouvernement et tenu un rôle de plus en plus important dans le processus politique. Entre [[1891]] et [[1895]], Itō fut Premier ministre d'un gouvernement composé majoritairement de ''genrōs'' qui voulait établir un parti de gouvernement pour contrôler la Chambre des représentants. Même si elle n'est pas pleinement réalisée, la tendance à la politique des partis a été bien établie.
=== Premières initiatives étatiques au début de l'ère Meiji ===
{{Article connexe|Fukoku kyōhei}}
L'[[industrie]] est modernisée en ayant recours au modèle des [[manufacture]]s d'État. Des usines sont créées ''ex nihilo'' grâce à du matériel acheté à crédit à l'étranger, et des usines plus anciennes — créées par des [[Daimyo|daimyō]] ou l'administration [[shogun]]ale — sont reprises par l’État{{sfn|Hérail|Carré|Esmain|Macé|2010|p=999}}. Le [[Bureau de colonisation de Hokkaidō|développement de Hokkaidō]] est aussi décidé. Les évolutions sociales rapides sont cependant à l'origine de révoltes parmi les [[samouraï]]s — comme en [[Rébellion de Saga|1874 à Saga]], et en [[rébellion de Satsuma|1877 à Satsuma]] — qui font peser de nouvelles charges sur l'État{{sfn|Hérail|Carré|Esmain|Macé|2010|p=1000}}. Pour faire face aux déficits budgétaires causés par les dépenses, le gouvernement et les banques ont recours à de nombreuses [[Création monétaire|émissions de monnaie]], ce qui fait plonger la valeur des billets en circulation, face aux pièces d'argent. En [[1880]] un [[cours forcé]] des billets est imposé et la même année, un coup de frein est donné aux dépenses visant au développement industriel<ref name="ref_auto_4" />. Cette [[crise monétaire]] entraîne une [[Dépression (économie)|dépression]] de [[1881]] à [[1886]], que le ministre des finances [[Matsukata Masayoshi]] doit affronter. Les dépenses de l'État sont réduites, et plusieurs impôts, instaurés — dont l'[[impôt sur le revenu]], en [[1887]]. Créée en [[1882]], la [[Banque du Japon]] assure la conversion des billets émis auparavant en pièces d'argent, et permet ainsi d'assainir la situation financière{{sfn|Hérail|Carré|Esmain|Macé|2010|p=1005}}.


Les entreprises créées par l'État au début de l'ère Meiji sont privatisées dix ans après leur création, ce qui permet au gouvernement de dégager des liquidités. Des [[Conglomérat (économie)|conglomérats]], comme [[Mitsubishi]] ou [[Mitsui]], se renforcent par ce biais, le plus souvent à très bon compte{{sfn|Hérail|Carré|Esmain|Macé|2010|p=1006}}. Ces entreprises nationales créées dans les [[années 1870]] concentrent leurs activités dans le domaine de la [[Chantier naval|construction navale]], des [[Arsenal|arsenaux]] et des [[Mine (gisement)|mines]]. L’État prend aussi des initiatives pour construire des usines produisant du [[ciment]], du [[verre]] et des [[Industrie textile|lainages]]<ref name="Totman 2005 P314"/>.
=== Politique religieuse ===
Dans la mesure où la restauration de Meiji avait cherché à rendre à l'empereur une position prééminente, des efforts ont été faits pour rétablir un État [[Shintoïsme|shinto]] comme mille ans auparavant. Le shinto et le [[bouddhisme]] s'étaient depuis moulés en une croyance syncrétique. Le bouddhisme ayant été étroitement lié au shogunat, il s'agissait de séparer les deux (''[[shinbutsu bunri]]''), ce qui s'exprima par la destruction de temples bouddhistes et d'autres actes violents (''[[haibutsu kishaku]]'').


La [[Agriculture|production agricole]] connaît quelques progrès entre les [[années 1860]] et les [[années 1890]]. Bien que la population augmente de près d'un tiers au cours de cette période, le pays reste exportateur de produits agricoles. La surface cultivée augmente de près de cent mille hectares de [[rizière]]s, et de {{unité|80000|hectares}} de terres agricoles sèches, la moitié de cette dernière surface étant obtenue grâce à la mise en valeur de [[Hokkaidō]]. L'amélioration des transports et le déploiement d'entrepôts plus modernes permet aussi de réduire les pertes alimentaires{{sfn|Totman|2005|p=312}}.
En outre, un nouvel État shintoïste devait être construit à cet effet. Le Bureau du culte shinto fut établi, se classant même en importance au-dessus du Conseil d'État. Les idées ''[[kokutai]]'' de l'[[Mitogaku|école Mito]] furent adoptées, et l'ascendance divine de la maison impériale soulignée. Bien que le Bureau de culte shinto fût rétrogradé en [[1872]], en [[1877]] le [[Ministère de l'Intérieur (Japon)|ministère de l'Intérieur]] contrôlait tous les sanctuaires shintoïstes et certaines sectes shintoïstes furent reconnues par l'État. Le shintoïsme fut libéré de l'administration bouddhiste et ses propriétés restaurées. Bien que le bouddhisme ait souffert du parrainage d'État de la religion shinto, il avait sa propre renaissance. Le [[christianisme]] fut également légalisé et le [[confucianisme]] resta une doctrine éthique importante.


La production minière est rapidement considérée comme une priorité, permettant d'alimenter de nouvelles usines. Sous l'impulsion de personnalités comme [[Inoue Kaoru]], l'État acquiert des mines, de manière à les moderniser, puis ouvre des écoles dans lesquelles des conseillers étrangers sont employés pour former les [[Mineur (métier)|mineurs]]. L'usage d'outils modernes, comme des pompes à vapeurs ou des explosifs, se développe. La production de [[charbon]] passe ainsi de {{unité|400000|tonnes}} dans les [[années 1860]] à {{unité|2600000|tonnes}} en [[1890]]. Entre [[1860]] et [[1900]], la production de [[cuivre]] passe quant à elle de {{unité|1000|}} à {{unité|29400|tonnes}}<ref name="Totman 2005 P313">{{Harvsp|Totman|2005|p=313}}.</ref>.
Paradoxalement, les penseurs japonais s'identifièrent de plus en plus avec les méthodes et idéologies occidentales.


Des infrastructures modernes commencent à être déployées à l'échelle du pays. En [[1895]], sont construites plus de trois mille kilomètres de lignes de [[chemin de fer]], la plupart à l'initiative d'investisseurs privés. À la même date, six mille kilomètres de [[Télégraphe|lignes télégraphiques]] parcourent le pays. À partir des [[années 1870]], le Japon développe aussi une [[marine marchande]], laquelle lui permet de contrôler 14 % des flux rentrants dans les ports du pays<ref name="Totman 2005 P313"/>.
Le [[christianisme]], qui avait été confiné à [[Nagasaki]], puis interdit dans cette ville en [[1614]] au début du shogunat, fut de nouveau autorisé sous l'ère Meiji, bien que les chrétiens fussent encore persécutés au début du règne.


Le Japon continue de dépendre de l'[[Occident]] pour plusieurs de ses importations, comme les [[Machine-outil|machines-outils]], l'[[acier]], les [[Paquetage (militaire)|équipements militaires]]. Le pays importe aussi de grandes quantités de balles de [[coton]] pour ses usines de tissu. Le Japon exporte ensuite ses cotonnades, qui au début des [[années 1890]], représentent 42 % de toutes ses exportations<ref name="Totman 2005 P314">{{Harvsp|Totman|2005|p=314}}.</ref>.
Le sentiment religieux au Japon est plutôt dilué et très tolérant. Le nombre de chrétiens japonais est de moins de 8 %.


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=== Politique économique ===
Fichier:Reiganjima Takabashi no kei by Inoue Yasuji.jpg|Pont métallique dans une ''[[Nishiki-e]]'' de [[1877]].|alt=''Ukiyo-e'' montrant un pont construit à base de poutrelles métalliques et enjambant une rivière, de nuit.
Dès 1870, les [[Histoire du transport ferroviaire au Japon|chemins de fer se sont développés]] avec l’aide, là aussi, d’ingénieurs britanniques. En [[1894]], {{unité|3380|km}} de voies étaient déjà en exploitation, 13 ans plus tard, on en comptait {{unité|4524|km}}<ref>{{Ouvrage|langue=en|auteur1=Steven J. Ericson|titre=The Sound of the Whistle|sous-titre=Railroads & the State in Meiji Japan|passage=361|éditeur=[[Harvard University Press]]|année=1996|pages totales=523|isbn=0-674-82167-X|lire en ligne=https://books.google.fr/books?id=d8pVehsEhY4C&printsec=frontcover}}.</ref>.
Fichier:東京汐留鉄道蒸気車通行図-Illustration of a Steam Locomotive Passing Shiodome in Tokyo (Tōkyō Shiodome testudō jōkisha tsūkō zu) MET DP147709.jpg|Train à vapeur arrivant à la [[gare de Shiodome]] dans une ''[[ukiyo-e]]'' de [[1872]].|alt=Ukiyo-e montrant une locomotive à vapeur entrant en gare.
Fichier:Visiting a Silver Mine by Gomi Seikichi (Meiji Memorial Picture Gallery).jpg|Peinture de l'empereur visitant une mine d'argent dans la [[préfecture d'Akita]] en [[1881]].|alt=Peinture montrant depuis l'intérieur d'un tunnel l'empereur s'engageant dans l'entrée d'une mine.
Fichier:Bank of Japan silver convertible one yen banknote 1885.jpg|Billet d'un yen de [[1885]] convertible en monnaie d'argent.|alt=Reproduction d'une billet de banque. L'imprimé fait figurer une image de la divinité Ebisu, divinité associée au commerce.
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=== Forte croissance dans la seconde moitié de l'ère Meiji ===
Enfin, une première monnaie étatique, le [[yen]], a été créée par une loi du {{date|10 mai 1871}}<ref>[[A. Piatt Andrew]], ''Quarterly Journal of Economics'', « ''The End of the Mexican Dollar'' », 18:3:321-356, 1904, {{p.|345}}.</ref>, pour remplacer le ''[[Ryō (pièce)|ryō]]'' (両), ce qui permit l’installation d’un système de taxes à l’échelon national pour le [[budget de l'État japonais]].
{{Article connexe|Sites de la révolution industrielle Meiji au Japon : sidérurgie, construction navale et extraction houillère}}
L'économie japonaise connaît une phase de forte croissance dans la seconde moitié de l'ère Meiji. Entre [[1880]] et [[1914]], le [[revenu national brut]] augmente de 4 % par an en moyenne. Cette tendance est plus accentuée entre [[1895]] et [[1905]], la production industrielle doublant lors de cette période. Le [[Industrie textile|secteur textile]] représente une part importante de cette production et joue un rôle moteur pour le reste du secteur industriel. En [[1900]], 67 % des ouvriers y travaillent et en [[1913]], la production du pays atteint la quatrième place mondiale<ref name="Souyri 2010 P491">{{Harvsp|Souyri|2010|p=491}}.</ref>. En [[1904]], l'[[industrie lourde]] bénéficie du déclenchement de la [[guerre russo-japonaise]], mais aussi, de l'essor des [[Chemin de fer|chemins de fer]] dans le pays. La production passe de sept mille tonnes d'[[acier]] en [[1901]] à {{unité|70000|tonnes}} en [[1906]], et {{unité|500000|tonnes}} en [[1919]]<ref name="Souyri 2010 P492">{{Harvsp|Souyri|2010|p=492}}.</ref>. La part des actifs travaillant pour l'industrie passe de 6 % en [[1880]] à 20 % en [[1920]]<ref name="Souyri 2010 P491"/>. En [[1918]], la part de la production industrielle dépasse la part de la production agricole dans le [[revenu national brut]]<ref name="Souyri 2010 P492"/>.


Le développement de l'[[industrie lourde]] japonaise s'accompagne de quelques particularités. L'importation de matières premières depuis l'étranger (comme le charbon et le fer) — en tant que principales sources d'approvisionnement — permet à des [[aciérie]]s comme celles de [[Yahata]] (ouverte en 1901) de prospérer au-delà de ce que permet la production locale. Celle-ci est alors essentiellement approvisionnée en minerai venant de [[Chine]] ou de [[Corée]], préfigurant la logistique industrielle qui se met en place par la suite, lors de l'exploitation des colonies japonaises<ref>{{Harvsp|Mark Metzler, The New Cambridge History of Japan Volume 3|2023|p=305|id=New Cambridge History of Japan V3}}.</ref>. La transition de la [[machine à vapeur]] vers l'[[électricité]] est tout aussi rapide au Japon<ref>{{Harvsp|Mark Metzler, The New Cambridge History of Japan Volume 3|2023|p=307|id=New Cambridge History of Japan V3}}.</ref>. Dès 1887, une première [[Centrale thermique|centrale électrique au charbon]] ouvre à [[Tokyo]], et en [[1891]], la première [[Énergie hydroélectrique|centrale hydroélectrique]] ouvre près de [[Kyoto]]. En [[1913]], {{nobr|2,3 millions}} de foyers ont accès à l'électricité, et ce chiffre double dès [[1917]]. Toujours en [[1917]], l'électricité dépasse la vapeur en puissance utilisée dans les usines du pays<ref>{{Harvsp|Mark Metzler, The New Cambridge History of Japan Volume 3|2023|p=308|id=New Cambridge History of Japan V3}}.</ref> ; elle permet le développement de certaines productions, comme celle de [[Produit fertilisant|fertilisants]], mais aussi, le fonctionnement des usines la nuit, grâce à la généralisation des [[Lampe à incandescence|ampoules électriques]]<ref>{{Harvsp|Mark Metzler, The New Cambridge History of Japan Volume 3|2023|p=309|id=New Cambridge History of Japan V3}}.</ref>.
En 1885, le Japon rejoignit une convention internationale à propos du [[système métrique]] et, petit à petit, adopta ce système (devenu complètement officiel et obligatoire dans les [[années 1950]]).


Cependant, la hausse de la production se fait souvent au détriment des travailleurs des différents secteurs. Dans l'[[agriculture]], près de la moitié des surfaces cultivées sont exploitées par des fermiers qui ne possèdent pas la terre, et qui doivent parfois reverser à leurs propriétaires près de 60 % des fruits de leur travail. Dans le [[Industrie textile|secteur textile]] où la main d’œuvre est principalement féminine, les salaires sont particulièrement bas, et les conditions de travail et d'hébergement, le plus souvent insalubres{{sfn|Souyri|2010|p=493}}. Les conditions ne sont guère différentes dans le [[Mine (gisement)|secteur minier]], et des sites comme les [[mine de cuivre d'Ashio|mines de cuivre d'Ashio]] ont à cet égard très mauvaise réputation. De telles conditions de travail rendent le recrutement de plus en plus difficile, alors qu'il est nécessaire d'augmenter la production. De nombreux ouvriers n'hésitent pas à fuir vers les grands centres urbains, ou même à l'étranger, au [[Immigration japonaise au Brésil|Brésil]] ou à [[Immigration japonaise à Hawaï|Hawaï]]<ref name="Souyri 2010 P494">{{Harvsp|Souyri|2010|p=494}}.</ref>.
L'ère Meiji marque l'inauguration de plusieurs lignes de chemin de fer{{Sfn|Delalande|Truong-Loï|5=2021|p=225}}.


À la même époque, se constitue un [[mouvement ouvrier]], réclamant l'élaboration d'un [[droit du travail]], ainsi qu'une amélioration des [[rémunération]]s et des [[conditions de travail]]. Des [[grève]]s éclatent dans le secteur de la [[métallurgie]] ([[1897]]) et des chemins de fer ([[1898]]), et en [[1898]], un premier [[Syndicat professionnel|syndicat]] clandestin est créé dans le secteur de l'[[imprimerie]]<ref name="Souyri 2010 P494"/>. La réponse des autorités est initialement violente. En [[1900]], des lois sont promulguées pour restreindre les possibilités de [[Manifestation|manifester et de se regrouper]] ; l'[[Armée impériale japonaise|armée]] et les ''[[Yakuza]]'' sont régulièrement utilisés pour réprimer les grèves. La situation se tend en particulier après l'[[incident de haute trahison]] en [[1911]] qui voit une douzaine d'[[Anarchisme|anarchistes]] tenter d'assassiner l'[[Empereur du Japon|empereur]] [[Taishō Tennō]]{{sfn|Souyri|2010|p=495}}. La première législation du travail n'est votée qu'en [[1912]], et n'est appliquée qu'à partir de [[1916]]. Celle-ci met l'accent sur les conditions de travail, plus que sur les salaires, et vise par ce biais à développer la fidélité de l'ouvrier envers son employeur, dans une vision [[Confucianisme|confucéenne]]{{sfn|Souyri|2010|p=496}}. L'âge minimum pour travailler est alors fixé à {{nobr|12 ans}} et la durée maximale du travail journalier pour les femmes et les enfants, à {{nobr|12 heures}}{{sfn|Totman|2005|p=345}}.
=== Politique sociétale ===
Une réforme spectaculaire fut la création du [[Système éducatif au Japon|système d’éducation nationale]], inspiré du modèle américain. Entre {{Date-|1872}} et {{Date-|1876}}, est édité l'''Appel à l'étude'' (''Gaumon no sumune'') de Fukuzawa Yukichi. Dans ce livre, l'auteur milite en faveur de l'enseignement des langues étrangères, de l'art oratoire et de l'ouverture d'université où le débat contradictoire pourra être pratiqué{{Sfn|Delalande|Truong-Loï|5=2021|p=221}}.


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=== Politique militaire ===
Fichier:Yahata in the taisho era.png|Aciéries à [[Yahata]] vers [[1910]].|alt=Photo d'une paysage industriel. Quelques hautes cheminées dépassent d'une nuée de bâtiments.
La marine militaire et civile s’est très fortement développée par l’achat de navires à l’étranger et la construction de nouveaux ports. L'organisation de la marine de guerre fut, notamment dans un premier temps, inspirée par celle de la [[Royal Navy]] britannique, {{refnec|avant d'être confiée à l'ingénieur naval français [[Louis-Émile Bertin]]}}.
Fichier:Big Crane of Mitsubishi Dock Yard, Nagasaki ハンマーヘッドクレーン 長崎三菱造船所 明治~大正.jpg|Grue électrique d'un chantier naval construite en [[Écosse]] et opérée par [[Mitsubishi Heavy Industries|Mitsubishi]] à [[Nagasaki]] vers [[1910]].|alt=Carte postale montrant une gigantesque grue en métal. Elle domine de très grands hangars industriels, des montagnes sont visibles au loin.
Fichier:No2 Dock Nagasaki.jpg|Chantier naval à [[Nagasaki]] vers [[1910]].|alt=Photo aérienne d'un chantier naval. On devine des formes de construction et un navire dans une cale sèche.
Fichier:Ashio Copper Mine circa 1895.JPG|[[Mine de cuivre d'Ashio]] vers [[1895]].|alt=Photo d'un paysage de montagne. Les flancs sont remplis de bâtiments industriels, une fumée monte au premier plan.
Fichier:Machine-weaving in factory. (19762209610).jpg|[[Industrie textile|Usine textile]] vers [[1910]].|alt=Photo de l'intérieur d'une usine. Alignées à perte de vue, des machines sont en fonctionnement, contrôlées par des ouvrières.
</gallery>


=== Politique étrangère ===
== Société ==
=== Démographie ===
Les contacts avec les autres pays du monde se développèrent. Des négociations conduisirent à un traité des frontières avec la [[Empire russe|Russie]] en [[1875]] ([[Traité de Saint-Pétersbourg de 1875|traité de Saint-Pétersbourg]] réglant provisoirement le problème de l'île de [[Sakhaline]] et des [[îles Kouriles]]), puis, en [[1894]], un [[Traité de commerce et de navigation anglo-japonais|traité d’égalité]] fut signé avec la [[Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande|Grande-Bretagne]].
[[Fichier:ニコライ堂から見た秋葉神社火除地(現在の秋葉原)original size.jpg|vignette|droite|Vue aérienne du quartier d'[[Akihabara]] à [[Tokyo]] en [[1889]].|alt=Photographie aérienne en noir et blanc d'un quartier de Tokyo.]]


Après une période de stabilité démographique à la fin de l'[[Époque d'Edo|ère Edo]], la population passe de trente à {{nobr|cinquante millions}} entre [[1870]] et [[1915]], cette augmentation étant soutenue par une baisse de la [[mortalité infantile]] et une hausse des naissances et de l'[[Espérance de vie humaine|espérance de vie]]. Cette croissance est rendue possible grâce à l'augmentation des importations de [[riz]] et à la mise en valeur de terres arables à [[Hokkaidō]]<ref name="Totman_2005">{{Harvsp|Totman|2005|p=335}}.</ref> — la surface des champs y passant de {{unité|45000}} à {{unité|750000|[[Unité de mesure japonaise|chō]]}} de [[1890]] à [[1920]], et la surface des [[rizière]]s, de {{formatnum:2000}} à {{unité|83000|chō}} sur la même période. La part de la population citadine connaît aussi une hausse : 28 % des Japonais vivent dans des villes de plus de dix mille habitants, contre 16 % en [[1893]]. En [[1903]], [[Tokyo]] atteint deux millions d'habitants et [[Osaka]], un million, cette dernière cité triplant sa taille en un demi-siècle. Cet essor de la population urbaine entraîne une baisse du poids de l'[[agriculture]] dans le [[Produit intérieur brut|{{Abréviation discrète|PIB|produit intérieur brut}}]] du pays, celui-ci passant de 45 % en [[1885]], à 32 % en [[1914]]{{sfn|Totman|2005|p=336}}.
L'essor du commerce international et l'industrialisation du Japon, ainsi que son passage de la [[féodalité]] à la « [[modernité]] » occidentale, se traduisirent par une course aux technologies nouvelles et par l'expansion de son empire colonial, dans une perspective de partage du monde avec l'Occident.


=== Enseignement ===
Résolument tourné vers la modernité, l'empereur Meiji invita, à grands frais, de nombreux spécialistes européens, en fonction du domaine où excellait leur nation : militaires, chimistes et médecins [[Prusse|prussiens]], puis plus globalement [[Empire allemand|allemands]] ; fonctionnaires, juristes, géomètres, recenseurs et ingénieurs navals<ref>Voir [[Louis-Émile Bertin]], qui menèrent la reconstruction/réorganisation de la [[marine japonaise]].</ref> [[Troisième République (France)|français]] ; ingénieurs industriels [[Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande|britanniques]] ; agronomes [[Pays-Bas|néerlandais]] ; etc.
{{Article détaillé|Système éducatif de l'empire du Japon}}


En [[1871]], est créé un [[Ministère de l'Éducation (Japon)|ministère de l'Éducation]], chargé de mettre en place un système éducatif à l'échelle du pays<ref name="Marius B. Jansen 2002 P404"/>. L'éducation de la population est une des priorités du régime, car celui-ci la considère comme un prérequis à la modernisation du Japon<ref name="Souyri 2010 P454">{{Harvsp|Souyri|2010|p=454}}.</ref>. Une éducation primaire obligatoire de quatre ans est instaurée. Malgré un budget insuffisant, des résultats sont assez rapidement enregistrés. Une enquête de [[1875]] relève que près de vingt mille écoles primaires sont en activité, mais que les conditions matérielles dans lesquelles elles opèrent sont assez variées : 40 % sont hébergées dans des [[Temples bouddhistes au Japon|temples bouddhistes]] (souvent d'anciennes ''[[Terakoya]]''), 33 %, dans des maisons de particuliers, et 18 %, dans des bâtiments nouveaux destinés à l'éducation<ref name="Marius B. Jansen 2002 P404">{{Harvsp|Jansen|2002|p=404}}.</ref>. La scolarisation est aussi marquée par un déficit de l'éducation des filles : toujours en [[1875]], seulement 20 % d'entre elles sont scolarisées, contre 50 % pour les garçons — ce retard ne sera rattrapé que vers [[1900]]<ref name="Souyri 2010 P454"/>. L'alphabétisation progresse assez lentement, l'absentéisme pouvant être élevé. En [[1892]], une enquête de l'armée indique que 27 % des recrues sont totalement [[Illettrisme|illettrées]], et 34 % le sont partiellement{{sfn|Jansen|2002|p=405}}. Plus largement, l'efficacité des politiques décidées au ministère se heurte à l'autonomie des autorités locales, le contenu des cours pouvant grandement varier d'une école à une autre{{sfn|Jansen|2002|p=406}}. Bien que l'éducation soit obligatoire, son financement reste à la charge des familles et des collectivités locales. Les parents sont également réticents à laisser leurs enfants aller à l'école, au lieu de les faire travailler pour financer les besoins de la famille<ref name="Marius B. Jansen 2002 P404"/>.
Cette époque est aussi caractérisée par l'expansion du territoire japonais, calquée sur le modèle occidental.


Pour pallier les différents écueils enregistrés lors des premières années, et dans le cadre de la réorganisation du gouvernement en cabinet, un premier « ministre de l'Éducation » est nommé en [[1885]], [[Mori Arinori]]. Celui-ci réforme le système éducatif et lui impose une organisation qui perdure jusqu'à la fin de la période impériale. Très centralisé{{sfn|Jansen|2002|p=409}}, le ministère de l'Éducation place un [[Système universitaire au Japon|système universitaire public]] à son sommet et constitue un réseau d'[[Liste des universités impériales du Japon|universités impériales]]<ref group="n">La première, l'[[Université de Tokyo]], est inaugurée en [[1877]]. Elle est suivie les années suivantes par l'[[Université de Kyōto]] en [[1897]] et l'[[Université du Tōhoku]] à [[Sendai]] en [[1907]]. Au total neuf universités sont créées, dont deux dans les colonies : l'[[Université nationale de Séoul|Université impériale de Keijō]] en [[1924]] et l'[[Université nationale de Taïwan|Université impériale de Taihoku]] en [[1928]].</ref> dans les plus grandes villes du pays{{sfn|Jansen|2002|p=410}}. Mori met aussi en place une [[Université de Tsukuba|école de formation à Tokyo]], chargée d'uniformiser la formation des enseignants, et ainsi, de s'assurer leur loyauté envers l'État, et non envers un pouvoir local{{sfn|Jansen|2002|p=411}}. En [[1890]], le [[Rescrit impérial sur l'éducation|Rescrit impérial]] fournit un cadre moral à l'éducation{{sfn|Jansen|2002|p=412}}. Le taux de scolarisation s'élève à 69 % dès [[1898]], et atteint presque 100 % à la fin de l'ère Meiji. En [[1907]], la durée de scolarité obligatoire est étendue à six ans{{sfn|Jansen|2002|p=537}}.
=== Culture ===
Durant cette ère, de nombreux mots ont été créés pour enrichir la [[japonais|langue japonaise]] de termes désignant essentiellement des objets ou concepts occidentaux. Contrairement aux mots créés dans la [[Japon, période contemporaine|deuxième moitié du {{s-|XX|e}}]], transposés directement depuis l'anglais, les mots créés durant l'ère Meiji l'ont été à partir des racines chinoises et des [[kanji]]s. C'est le cas par exemple de 電話 (''denwa''), qui signifie « téléphone » (électricité + parole).


Au début de l'ère Meiji, s'ouvrent également de très nombreuses écoles privées, dont le [[wikt:cursus|cursus]] est destiné à l'enseignement de l'[[anglais]] et/ou de savoirs [[occident]]aux. Si la plupart d'entre elles périclitent, certaines évoluent pour constituer les premières universités privées. Ces écoles sont en majeure partie situées à Tokyo, mais des centres culturels importants comme [[Kyoto]] sont aussi concernés. Si ces écoles sont surtout animées par des formateurs japonais, certaines d'entre elles, comme [[Université Dōshisha|Dōshisha]] à Kyoto, sont fondées par divers mouvements chrétiens<ref name="ref_auto_5">{{Harvsp|Jansen|2002|p=463}}.</ref>. D'autres, comme [[université Waseda|Waseda]] ou [[Université Keiō|Keiō]], sont liées à des personnalités politiques ou intellectuelles<ref name="ref_auto_3">{{Harvsp|Totman|2005|p=358}}.</ref>.
En [[1873]], le Japon bascule du [[Calendrier chinois|calendrier luno-solaire chinois]] au [[calendrier grégorien]]<ref name="Guimet_calendrier">[http://www.guimet-photo-japon.fr/presentation/japon.php Le Japon des années 1870-1880].</ref>. Les dates des fêtes chinoises lunaires, comme la [[Kodomo no hi|''tango'']] (端午) passent également du calendrier chinois au calendrier solaire.


Même si la jeunesse est de plus en plus éduquée, les possibilités d'ascension sociale sont réduites, puisqu'au cours des [[années 1890]], seul augmente le nombre de postes subalternes dans les entreprises{{sfn|Totman|2005|p=351}}. Dans le même temps, cette population éduquée bénéficie d'un plus large accès aux écrits de journalistes et de critiques{{sfn|Totman|2005|p=352}}. L'[[Université|enseignement universitaire]] accueille aussi de plus en plus d'étudiants, qui sont {{unité|9695}} en [[1915]]<ref name="Totman 2005 P401">{{Harvsp|Totman|2005|p=401}}.</ref>.
== Chronologie ==
=== Ouverture du pays ===
* [[1853]] : le ''commodore'' [[Matthew Perry (militaire)|Matthew Perry]] qui dirige l'expédition américano-européenne (bateaux noirs) pénètre dans la [[baie de Tokyo]]. Son but est d’ouvrir le Japon au commerce avec l’Occident. Au Japon, deux courants se forment, l’un plutôt pour le commerce avec l’Occident et l’autre totalement opposé. Le premier courant l'emporte finalement et le Japon signe la [[convention de Kanagawa]] avec Perry ({{Date|31|mars|1854}}).
* Septembre [[1864]] : la flotte occidentale composée de navires américains, britanniques, hollandais et français tente de forcer le [[détroit de Shimonoseki]] dans le [[domaine de Chōshū]] en [[Bombardement de Shimonoseki|bombardant les côtes]].
* Juillet [[1866]] : un nouveau traité ramène les droits d’importations à 5 % ce qui condamne {{quoi|les extrémistes}} et renforce le parti loyaliste.
* Printemps [[1867]] : l’agitation et les idées de réformes sont si importantes que le shogun Yoshinobu du clan des Tokugawa est contraint de renoncer au pouvoir.


<gallery mode="packed">
=== Début et fin de l'ère Meiji : [[1868]]-[[1912]] ===
Fichier:Mori Arinori.jpg|[[Mori Arinori]], premier [[Ministère de l'Éducation (Japon)|ministre de l'Éducation]] (de [[1885]] à [[1889]]), souvent crédité pour la mise en place d'un système scolaire moderne.|alt=Photo d'un homme en costume occidental, regardant vers la gauche.
* [[1868]] : début de l'ère Meiji et date symbolique d'entrée du pays dans la modernité, notamment politique et économique.
Fichier:Imperial Rescript on Education.jpg|Exemplaires du [[Rescrit impérial sur l'éducation]] de [[1890]].|alt=Photo d'un document administratif jauni par le temps.
* {{date|3|janvier|1868}} : les troupes loyalistes s’emparent du palais impérial à Kyōto. Un conseil impérial réuni sur le champ abolit le ''bakufu''. Le règne de l’empereur Mutsuhito qui n’a que quinze ans commence.
</gallery>
* {{date|6|avril|1868}} : à [[Kyōto]], l’empereur Mutsuhito prête un serment en cinq articles qui annoncent les changements prévus par le nouveau régime et l’ouverture officielle du Japon.
* Entre [[1868]] et [[1869]] : une guerre civile éclate au Japon. Guerre entre les armées des clans de Satsuma, de Chōshū, de Tosa et leurs alliés et, d’autre part, les troupes appartenant au gouvernement shogunal d’Edo et les clans qui lui restèrent fidèles.
* [[1871]] : le [[yen]] remplace l’ancienne monnaie du Japon. Le [[shinto]] (religion caractérisée par une quasi-divinisation de l’empereur) redevient une religion d’État.
* {{date|23|décembre|1871}} : début de la [[mission Iwakura]], mission diplomatique japonaise envoyée dans les pays occidentaux. Les membres de cette ambassade avaient pour tâche d'observer certains domaines scientifiques et sociaux.
* [[1872]] : un système scolaire obligatoire est instauré. Une ligne ferroviaire reliant [[Tokyo]] à [[Yokohama]] est ouverte.
* {{date|1|janvier|1873}} : le [[calendrier grégorien]] remplace le [[calendrier chinois|calendrier luni-solaire chinois]]<ref name="Guimet_calendrier" />.
* {{date|13|septembre|1873}} : fin de la mission Iwakura.
* [[1874]] : [[Chōmin Nakae]], membre de la [[mission Iwakura]] resté en France, revient au Japon et traduit en [[chinois classique]] une partie du ''[[Du contrat social|Contrat social]]'' de [[Jean-Jacques Rousseau]], afin d'en faire profiter les [[Japonais (peuple)|Japonais]] et les autres peuples d'Asie<ref>Évelyne Pieiller, ''Le Monde diplomatique'', [[octobre 2012]], [http://www.monde-diplomatique.fr/2012/10/PIEILLER/48272 lire en ligne].</ref>.
* [[1876]] : interdiction du port du sabre ce qui va accentuer les révoltes de guerriers pauvres.[[Saigō Takamori]] mènera la plus grande et la dernière d'entre elles en 1877 dans le sud de Kyûshû.
* [[1877]] : création de l'[[université de Tokyo]].
* {{date|10|octobre|1882}} : le ''Nihon Ginkō'' est créé (la [[banque du Japon]]).
* [[1874-1890]] : Le [[Mouvement pour la liberté et les droits du peuple]] (Jiyû minken undô) oppose les premiers démocrates et le gouvernement et voit l'émergence des premiers partis politiques, Parti de la liberté [[Jiyûtô]] et Parti progressiste [[Kaishintô]]. Les partisans du Mouvement militent pour l'établissement d'un Parlement ainsi que d'une constitution garantissant les libertés fondamentales. Des révoltes paysannes éclatent en parallèle du Mouvement et en lien avec lui.
* {{date|11|février|1889}} : la première [[Constitution japonaise|Constitution]] de l'histoire du pays donne à l'empereur des pouvoirs très importants et institue un régime représentatif. Elle établit deux chambres, l’une élue au suffrage censitaire, l’autre la Chambre des pairs.
* Entre [[1894]] et [[1895]] : la [[Guerre sino-japonaise (1894-1895)|guerre éclate entre la Chine et le Japon]] (sino-japonaise). Le conflit est dû aux problèmes d’expansion territoriale. Le Japon le remporte facilement.
* [[1890]] : première session parlementaire sous la constitution Meiji.
* [[1895]] : [[Taïwan]] est annexé.
* [[1900]] : le Japon participe, aux côtés des puissances occidentales, à la répression de la [[révolte des Boxers]] en Chine.
* [[1902]] : le Japon s’allie à la [[Grande-Bretagne]] rivale de la [[Russie]] en Asie.
* [[1904]] et [[1905]] : le Japon entre en conflit avec la Russie ([[guerre russo-japonaise]]).
* {{date|5|septembre|1905}} : [[traité de Portsmouth]], qui met fin à la [[guerre russo-japonaise]].
* [[1907]] : accords [[Traité franco-japonais (1907)|franco-japonais]] et russo-japonais.
* [[1910]] : [[Traité d'annexion de la Corée|colonisation de la]] Corée.
* [[1912]] : fin de l’Ère Meiji avec la mort de l’empereur [[Mutsuhito]]. Son fils [[Yoshihito]] lui succède.


=== Pratiques religieuses ===
== Modernisations ==
{{Article connexe|Shinshūkyō}}
{{...}}


==== Shintō ====
== Les principales réformes et leurs conséquences ==
{{Article connexe|Shintoïsme d'État|Kokugaku|Kokutai|Système moderne de classement des sanctuaires shinto}}


À la fin de l'[[époque d'Edo]], le [[Shintoïsme|shintoïsme (''shintō'')]] connaît un mouvement de rénovation. Initialement constitué autour d'un ensemble de rites de la cour au {{s|VII}}, le ''shintō'' évolue au [[Moyen Âge]] sous l'influence du [[bouddhisme]] et intègre différents éléments et croyances liés aux ''[[Kami (divinité)|Kami]]''. Au {{s|XVIII}}, les écoles de pensée ''[[Mitogaku]]'' et ''[[Kokugaku]]'' commencent à envisager ce courant religieux comme un socle possible de modernisation du pays. L'idée de la vénération de l'[[Empereur du Japon|empereur]] commence à toucher la population au travers de slogans politiques comme ''[[Sonnō jōi]]'' (« vénérez l'empereur, expulsez les étrangers »). En plaçant en son centre la figure de l'empereur, la [[restauration de Meiji]] favorise le ''shintō'' pour fournir à l'État ses rites et sa légitimité{{sfn|Shimazono Susumu|2009|p=99|id=Shimazono 2009}}.
=== Économie ===
[[Fichier:Oyubari Coal Mine 1912.jpg|vignette|250px|La mine de charbon [[Mitsubishi]] d'Ōyūbari et son chemin de fer, à [[Yūbari (ville)|Yūbari]] sur [[Hokkaidō]] en [[1912]].]]
* [[Révolution industrielle|Industrialisation]] rapide et à marche forcée : le [[Japon]], au bout de quelques décennies, a une croissance supérieure à celle de l'[[Allemagne]], et figure parmi les grandes puissances industrielles . Quasi nulle à la fin du {{XIXe siècle}}, la production d'[[acier]] passe durant les [[années 1900]] de presque rien à près de {{unité|200|milliers}} de tonnes<ref>{{pdf}} [http://www.hydroretro.net/etudegh/acier_historique.pdf G. Hartmann, « L'Acier historique », ''Hydroretro'', {{p.|15}}].</ref>.
* Constitution de ''[[zaibatsu]]'', tels [[Mitsubishi]], [[Mitsui]], [[Sumitomo]], [[Yasuda]].
* Colonisation d'[[Hokkaidō]], jusqu'alors distincte de l'empire du Japon sous le nom d'Ezochi, après la répression de la [[République indépendante d'Ezo]] en [[1869]]. L'annexion de l'île manifeste un caractère pionnier pouvant permettre la compréhension de la politique extérieure japonaise qui suivra la Restauration de Meiji<ref>{{Article |langue=français |auteur1=Noémi Godefroy |titre=Hokkaidō, an zéro |périodique=Cipango [En ligne] |date=mis en ligne le 17 juin 2013| consulté le=9 janvier 2021|lire en ligne=https://journals.openedition.org/cipango/1517 |pages= }}</ref>.


De [[1868]] à [[1890]], le ''shintō'' renouvelle son corpus idéologique<ref name="Shimazono 2009 P95"/>. La [[proclamation Taikyō]] de [[1870]] consacre le [[droit divin|caractère divin de l'empereur]]{{sfn|Shimazono Susumu|2009|p=100|id=Shimazono 2009}}. Les [[Sanctuaire shinto|sanctuaires]] sont intégrés à l'État en tant qu'institutions de la puissance publique, et traités comme ne relevant pas d'une religion. Les rituels ''shintō'' mis en œuvre au sein de la maison impériale connaissent une rénovation. Les différents sanctuaires sont réorganisés à travers un [[Système moderne de classement des sanctuaires shinto|réseau national hiérarchisé]]<ref group="n">[[Minatogawa-jinja]] est consacré en [[1871]] à [[Kobe|Kōbe]], [[Toyokuni-jinja (Kyoto)|Toyokuni-jinja]] est restauré en [[1880]] à [[Kyoto|Kyōto]], [[Abeno-jinja]] en [[1882]] à [[Osaka|Ōsaka]], [[Kashihara-jingū]] en [[1889]] à [[Nara]]. Voir {{Harvsp|Shimazono Susumu|2009|p=112|id=Shimazono 2009}}</ref> dirigé par le [[sanctuaire d'Ise]]<ref name="Shimazono 2009 P95">{{Harvsp|Shimazono Susumu|2009|p=95|id=Shimazono 2009}}.</ref>. La portée de cette évolution reste toutefois limitée, non seulement en raison des faibles compétences des représentants du shintō, des dissensions qui éclatent entre eux<ref group="n">Une querelle porte en particulier sur le nombre de dieux majeurs, trois ou quatre, à inclure dans le panthéon shintō.</ref> et de son très faible financement, mais également, à cause de l'opposition des pouvoirs bouddhistes, en particulier après l'épisode de ''[[Shinbutsu bunri]]'', de [[1868]] à [[1872]]{{sfn|Shimazono Susumu|2009|p=108|id=Shimazono 2009}}. La formation des [[Kannushi|prêtres (''kannushi'')]] est cependant centralisée et améliorée au sein du sanctuaire d'Ise, où le prince [[Kuni Asahiko]] crée un groupe de travail en [[1878]], et par la suite, prend d'autres initiatives de ce type, comme la fondation du [[Université Kokugakuin|Kokugakuin]] en [[1882]]<ref name="Shimazono 2009 P95" />.
=== Technique ===
* Création d'une ligne télégraphique entre [[Tokyo]] et [[Yokohama]] en [[1869]].
* Création d'une ligne de chemin de fer entre Tokyo et Yokohama en [[1872]].
* Premier pont en fer sur la rivière [[Sumida-gawa|Sumida]] en [[1887]].
* Création de l'unité monétaire japonaise en [[1871]], introduction de la monnaie fiduciaire ([[yen]]) sous forme de billets de banque convertibles en argent ([[1885]]), et mise en place d'un système bancaire ([[1882]]). C'est le point de départ de l'industrialisation du [[Japon]].


À partir de [[1890]] et jusqu'à la [[guerre russo-japonaise]] en [[1905]], la doctrine du ''shintō'' se consolide progressivement<ref name="Shimazono 2009 P95"/>. La période commence avec la promulgation de la [[constitution de l'empire du Japon]] et du [[rescrit impérial sur l'éducation]] en [[1890]], ces documents fondamentaux réaffirmant la primauté et la centralité de l'empereur au sein de l'État. Les rituels ''shintō'' sont légitimés en tant qu'outils de vénération de l'empereur<ref name="Shimazono 2009 P95"/>. Ils s'inscrivent dans les usages populaires au travers des pratiques imposées aux élèves et auxquelles se joint à l'occasion la population locale (visites de sanctuaires, fêtes scolaires…){{sfn|Shimazono Susumu|2009|p=103|id=Shimazono 2009}}. Signe d'un début d'enracinement chez les Japonais, des associations locales se constituent par endroits, pour aider à financer le fonctionnement de sanctuaires locaux, ou faire campagne auprès de la [[Diète du Japon|Diète]] pour obtenir des financements<ref name="Shimazono 2009 P118">{{Harvsp|Shimazono Susumu|2009|p=118|id=Shimazono 2009}}.</ref>. [[Tokyo]] commence à se transformer en un site de grands rituels ''shintō'', à l'image de ce qu'est encore [[Kyoto|Kyōto]]. Après la [[première guerre sino-japonaise]] de [[1895]], le [[Yasukuni-jinja]] (construit en [[1869]]) est consacré en tant que lieu d'hommage national aux âmes des soldats morts pour le pays — et ce rôle est rappelé à l'issue de la guerre russo-japonaise de [[1905]]{{sfn|Shimazono Susumu|2009|p=106|id=Shimazono 2009}}.
=== Politique, religion et société ===
[[Fichier:4 MatsukataM.jpg|250px|vignette|[[Masayoshi Matsukata]], quatrième Premier ministre de l'[[empire du Japon]] sous l'ère Meiji.]]
* Mot d'ordre : « esprit japonais et méthodes occidentales ».
* Restauration du pouvoir de l'empereur, le ''[[shogun]]'' étant discrédité après l'accord passé lors de l'expédition américaine [[Matthew Perry (militaire)|Perry]].
* [[Séparation des pouvoirs|Séparation du pouvoir législatif et exécutif]].
* Organisation administrative et territoriale sur le modèle français ([[abolition du système han]] et création des [[préfectures du Japon|préfectures]] en [[1871]]).
* [[constitution Meiji|Constitution]] en [[1889]], d'inspiration [[Constitution bismarckienne|allemande]] (monarchie parlementaire donnant de larges pouvoirs à l'exécutif et un rôle limité au parlement).
* Calendrier luni-solaire d'origine chinoise remplacé par le [[calendrier grégorien]] en [[1873]].
* Reconstitution du [[shintoïsme]] qui devient la religion nationale, séparée clairement du [[bouddhisme]].
* Mise en place d'un nouveau [[système éducatif au Japon|système éducatif]], d'inspiration américaine.


L'intégration du ''shintō'' au sein de l'appareil d'État se poursuit de la fin de l'ère Meiji et lors de l'[[ère Taishō]], et touche plus largement la population nippone. D'un côté, l'État parfait son contrôle sur l'institution shintō tout en assurant son financement, de l'autre, le ''shintō'' fournit à l'État, à la fois une base idéologique et un réseau de sanctuaires permettant de mobiliser en profondeur la population japonaise<ref name="Shimazono 2009 P95"/>. À partir de [[1906]], les prêtres reçoivent de l'argent de l'État lorsqu'ils assurent des rituels publics{{sfn|Shimazono Susumu|2009|p=114|id=Shimazono 2009}}, tout comme l'école [[Université Kokugakuin|Kokugakuin]] chargée de la formation des prêtres, ainsi que les sanctuaires préfectoraux{{sfn|Shimazono Susumu|2009|p=117|id=Shimazono 2009}}. Au début de cette période, le financement dont bénéficient les quelque quinze mille prêtres, reste très limité. De même, le sous-financement des sanctuaires pousse nombre d'entre eux à se rapprocher pour fusionner : leur nombre passe de deux cent mille en [[1906]] à cent vingt mille en [[1914]]<ref name="Shimazono 2009 P118"/>. Signe d'une plus grande pénétration au sein de la population, la construction du [[Meiji-jingū]] de [[1915]] à [[1920]] mobilise un très grand nombre de volontaires dans tout le pays{{sfn|Shimazono Susumu|2009|p=120|id=Shimazono 2009}}.
== Expansion militaire ==
* Annexion des [[îles Ryūkyū]] ([[1879]]).
* Guerre avec la [[Chine]] ([[1894]]-[[1895]]) (voir [[guerre sino-japonaise (1894-1895)|guerre sino-japonaise]]).
* Annexion de [[Taïwan]] ([[1895]]).
* Guerre avec la [[Russie impériale|Russie]] ([[1904]]-[[1905]]) (voir [[guerre russo-japonaise]]).
* Annexion de la [[Corée]] ([[1910]]).


<gallery mode="packed">
== Autres faits marquants ==
Fichier:Tokyo Shokonsha.JPG|''[[Yasukuni-jinja]]'' (ici vers 1873), un des premiers sanctuaires [[Shintoïsme|shintō]] construits à [[Tokyo]].|alt=Photo d'un temple pris face à l'entrée. Le cadrage du cliché accentue la symétrie du bâtiment.
* Déplacement de la capitale de [[Kyōto]] à Tokyo le {{date|6 novembre 1868}}.
</gallery>
* Serment des cinq articles ([[avril 1868]]) :
** Art. 1 : les nouvelles décisions sont prises par voie de discussion publique.
** Art. 2 : les affaires du gouvernement sont réglées ensemble par les supérieurs et inférieurs.
** Art. 3 : chacun doit pouvoir accomplir sa vocation.
** Art. 4 : les coutumes pernicieuses sont abolies.
** Art. 5 : le savoir sera recherché dans le monde entier.
Débutent alors une lutte contre le temps perdu et la fin de l'isolement volontaire.
* L'instruction devient obligatoire ([[1871]]).
* La Constitution Meiji est promulguée ([[1889]]) .


== Postérité ==
==== Bouddhisme ====
{{Article connexe|Bouddhisme au Japon|Haibutsu kishaku|Shinbutsu bunri|Kokugaku}}
[[Fichier:Nagane Tanaka Haibutsu Kishaku.jpg|vignette|Destruction de cloches bouddhistes pendant le [[Haibutsu kishaku]] vers [[1870]].|alt=dessin d'une scène dans l'arrière-cour d'un temple. Trois hommes s'affairent pour détruire à coups de masse une cloche aussi large qu'un être humain.]]
Le [[Bouddhisme au Japon|bouddhisme]] est durement touché lors de la [[restauration de Meiji]]. Au cours des siècles, un [[syncrétisme]] s'est développé entre bouddhisme et [[Shintoïsme|shintō]]<ref name="Yoshiya Abe 1968 P319"/>. Influencé par les préceptes des ''[[Kokugaku]]''{{sfn|Deal|Ruppert|2015|p=211}}{{,}}<ref group="n">[[Motoori Norinaga]] (1730–1801) et [[Hirata Atsutane]] (1776–1843) en particulier se sont montrés très virulents dans les critiques du bouddhisme.</ref>, le ''[[Jingi-kan]]'', qui au sein de l'État dirige les affaires liées au shintō, ordonne le {{date|4 avril 1868}} une [[Shinbutsu bunri|séparation des deux religions]] et une [[Haibutsu kishaku|épuration des sanctuaires]]<ref name="Yoshiya Abe 1968 P319">{{Harvsp|Yoshiya Abe|1968|p=319|id=Yoshiya Abe 1968}}.</ref>. Le but est alors de lutter contre l'influence des pouvoirs bouddhistes sur la société, perçus comme des éléments conservateurs s'opposant à la modernisation du pays{{sfn|Deal|Ruppert|2015|p=211}}. Ordre est donné aux prêtres bouddhistes exerçant dans des [[Sanctuaire shinto|sanctuaires]] [[syncrétisme|syncrétiques]] de se convertir au shintō ou de démissionner. Les objets de culte comme les statues et les textes sacrés doivent être évacués. La plupart des prêtres font le choix de se convertir, et vont jusqu'à afficher ce renoncement en prenant des [[concubine]]s ou en mangeant de la viande de manière ostentatoire, pratiques proscrites pour les prêtres bouddhistes{{sfn|Yoshiya Abe|1968|p=320|id=Yoshiya Abe 1968}}. Souvent violent, ce processus entraîne de nombreux pillages de [[Temples bouddhistes au Japon|temples]] et destructions d'objets{{sfn|Yoshiya Abe|1968|p=321|id=Yoshiya Abe 1968}}. Le gouvernement prend quelques mesures pour éviter les débordements, mais celles-ci sont variablement interprétées par les autorités locales, et les troubles persistent jusqu'au début des [[années 1870]]. Des cloches sont fondues pour en faire des armes, des statues sont profanées, et des temples sont saisis par les autorités locales, comme à [[Province de Satsuma|Satsuma]]{{sfn|Yoshiya Abe|1968|p=323|id=Yoshiya Abe 1968}}. Dans les régions les plus durement touchées, la plupart des temples sont détruits et de nombreux moines, tués{{sfn|Deal|Ruppert|2015|p=212}}. Cette politique touche variablement les différents courants bouddhistes. Nombre de prêtres des temples du [[Shingon]] et du [[Tendai]] se convertissent au shintō, tandis que le [[Jōdo shinshū]] se montre plus virulent dans son opposition, allant jusqu'à déclencher des émeutes pour protéger ses temples{{sfn|Yoshiya Abe|1968|p=328|id=Yoshiya Abe 1968}}. Cette politique contre le bouddhisme s'infléchit en [[1872]], et les relations avec l'État se normalisent{{sfn|Yoshiya Abe|1968|p=329|id=Yoshiya Abe 1968}}.


Cet épisode de violences envers le bouddhisme pousse certains croyants réformateurs à s'interroger sur la place de cette religion dans la société nippone et sur ses apports. Des réformes de plusieurs types sont proposées et un nouveau bouddhisme, ou ''shin bukkyō'', voit le jour sous plusieurs formes, tandis qu'émergent des figures comme [[Kiyozawa Manshi]]{{sfn|Deal|Ruppert|2015|p=213}}. Le [[Bhikshu|bouddhisme monastique]] connaît également des évolutions — sous l'influence de [[Fukuda Gyōkai]] ([[Terre pure]]) ou Shaku Unshō ([[Shingon]]) — et le respect des [[Shramanera|dix règles du bouddhisme]] est réaffirmé. Plus généralement, les bouddhistes tirent profit de la méfiance envers le [[christianisme]] qui s'installe dans le pays à partir des [[années 1880]], d'une part en réaffirmant leur loyauté envers l'[[Empereur du Japon|empereur]]{{sfn|Deal|Ruppert|2015|p=215}}, d'autre part en cherchant à aligner leurs intérêts avec ceux des [[Nationalisme japonais|nationalistes]]. C'est ainsi que de nombreux moines exploitent politiquement l'incident causé par [[Uchimura Kanzō]] en [[1891]] — importante affaire médiatique déclenchée par cet enseignant chrétien ayant hésité à se prosterner devant l'image de l'empereur. Une personnalité comme [[Inoue Enryō]] cherche à démontrer que les préceptes du bouddhisme sont compatibles avec la science, et affirme que le bouddhisme est même supérieur au christianisme dans sa [[scientificité]]{{sfn|Deal|Ruppert|2015|p=216}}. [[Tanaka Chigaku]] développe une école dont la doctrine soutient l'[[Pan-asianisme|expansionnisme japonais]] en [[Asie]]{{sfn|Deal|Ruppert|2015|p=217}}.
=== Formation de l'état-nation japonais ===
La légitimité de l'empereur permet d'unifier le territoire autour de sa personne tout en conservant les formes traditionnelles de légitimité{{Sfn|Delalande|Truong-Loï|5=2021|p=225}}. Le lien entre la population et l'empereur se renforce d'autant plus facilement que l'empereur peut se déplacer à l'intérieur du Japon grâce aux nouvelles lignes de chemin de fer{{Sfn|Delalande|Truong-Loï|5=2021|p=225}}.


==== Christianisme ====
=== Développement économique et technologique ===
Tout au long de l'[[époque d'Edo]], le [[christianisme]] est victime de persécutions. En [[1865]], à [[Urakami]] dans la région de [[Nagasaki]], près de trois mille [[Kakure kirishitan|chrétiens qui dissimulaient leur foi]] sont déportés et emprisonnés. Ce n'est qu'en [[1873]] que la pratique du christianisme est officiellement autorisée par les nouvelles autorités. À partir de [[1868]], des [[conseillers étrangers]] invités dans le pays pour former les Japonais aux techniques [[occident]]ales profitent de leur position pour pratiquer un [[prosélytisme]] pro-chrétien auprès de leurs étudiants. [[Leroy Lansing Janes]] est ainsi à l'origine du [[Kumamoto Band]]<ref name="ref_auto_5" />, un groupe de convertis qui rejoignent par la suite [[Kyoto]] et l'[[Université Dōshisha]] — fondée par le missionnaire protestant [[Joseph Hardy Neesima|Neesima]] — et constituent une part importante de son corps enseignant{{sfn|Jansen|2002|p=465}}. À [[Sapporo]], c'est [[William Smith Clark]] qui convertit une partie des étudiants de la future [[Université de Hokkaidō]] ; l'un d'eux, [[Uchimura Kanzō]], joue un rôle central dans l'essor du mouvement chrétien ''[[Mukyōkai]]''{{sfn|Jansen|2002|p=466}}. À [[Yokohama]], où réside une communauté étrangère importante, c'est la figure du missionnaire [[James Curtis Hepburn]] qui est prédominante{{sfn|Jansen|2002|p=467}}. À côté de ce [[protestantisme]] qui recrute essentiellement dans les couches aisées d'un Japon urbain, des missionnaires [[Catholicisme|catholiques]] sont plutôt actifs dans les régions les plus rurales. Des [[Église orthodoxe russe|orthodoxes]] sont aussi présents dans la région de [[Hakodate]], où [[Nicolas du Japon]] exerce depuis [[1861]]. Cette diffusion du christianisme connaît un certain dynamisme dans les [[années 1880]], mais dès la fin de la même décennie, celle-ci se heurte à la poussée d'un certain conservatisme politique{{sfn|Jansen|2002|p=468}}.
L'ouverture du pays aux techniques étrangères permit à l'archipel d'être l'une des rares contrées d'[[Asie]] à n’avoir jamais été « colonisée » par aucun autre pays. Au contraire, l'empire du Japon devient à son tour, quelques années plus tard, une « puissance coloniale » importante : la [[Guerre sino-japonaise (1894-1895)|première guerre sino-japonaise]] en [[1894]]-[[1895]] permet à l'[[empire du Japon]] (par le [[traité de Shimonoseki]]) de s'approprier [[Taïwan]], l'archipel des [[Pescadores]] et la presqu'île du [[Péninsule du Liaodong|Liaodong]], ainsi que de placer la [[Corée]] dans sa sphère d'influence (signature d'un traité d'alliance militaire).


=== Condition féminine ===
Au prix d'une guerre civile, l'empereur Meiji a atteint à la fin de son règne son but principal : amener le [[Japon]] à la hauteur des puissances occidentales en établissant un pouvoir central fort. Ce sont tous les efforts menés durant l'ère Meiji, véritable révolution politique, sociale, industrielle, et militaire, qui permirent au pays du soleil levant d'obtenir une victoire éclatante durant la [[guerre russo-japonaise]] ([[1905]]). Cette première victoire d'une puissance orientale sur une puissance occidentale dans l'histoire contemporaine fit apparaître dans l'opinion publique le spectre du « [[péril jaune]] », et, dans une certaine mesure, la [[Expansionnisme du Japon Shōwa|politique expansionniste du Japon sous l'ère Shōwa]] est en continuité avec la politique de l'ère Meiji. Pour le gouvernement japonais, au début du {{XXe siècle}} l'alternative est d'étendre son influence sur l'Asie ou de passer sous l'influence de l'Occident, autrement dit coloniser ou être colonisé. C'est dans l'optique de rester une grande puissance qu'est mise en place la [[sphère de coprospérité de la grande Asie orientale]].
{{article connexe|Femmes au Japon|Féminisme au Japon}}
Dès le début de l'ère Meiji, les classes les plus favorisées suivent l'exemple de l'[[Occident]], et la condition des femmes évolue quelque peu. L'époque voit disparaître certains usages, comme le [[noircissement des dents]] et la tonte des sourcils, alors que se diffuse la mode des cheveux longs. Certaines lois deviennent plus favorables aux femmes, comme celle de [[1870]] octroyant aux [[concubine]]s la même protection que les épouses légitimes, ou celle de [[1872]] qui libère les [[Prostitution|prostituées]] de leurs anciennes servitudes<ref>{{Harvsp|Totman|2005|p=308}}.</ref>. La question du [[Condition féminine|statut de la femme]] dans la société devient un thème important de débat, notamment porté par le [[mouvement pour la liberté et les droits du peuple]], dans les années 1870 et 1880. Associée à ce mouvement, la revue ''[[Meirokusha|Meiroku zasshi]]'' propose des traductions de textes de [[Herbert Spencer|Spencer]], [[John Stuart Mill|Mill]] et [[Millicent Fawcett]] sur les [[droits des femmes]], et ses pages témoignent de nombreux débats à ce sujet. L'angle adopté est cependant davantage celui du [[droit naturel]] que celui du droit des femmes proprement dit. Ce dernier concept sera plus développé sous la plume de [[Fukuzawa Yukichi]], dans ''Nihon fujinron'' (en [[1885]]). Une revue comme ''[[Jogaku zasshi]]'', éditée à partir de [[1885]], permet à des auteures comme [[Kishida Toshiko]] et [[Shimizu Shikin]] d'y développer leurs idées sur divers sujets, comme l'émancipation et l'éducation des femmes, ainsi que les questions familiales<ref>{{Harvsp|Tomi Suzuki, The Cambridge History of Japanese Literature|2016|p=562|id=Cambridge History of Japanese Literature}}.</ref>.


Le tournant [[Conservatisme|conservateur]] que prend le pays à partir de [[1890]] contrarie cependant la réalisation de ces diverses aspirations libérales. Cette année-là, les femmes se voient interdire la participation à des [[Rassemblement politique|meetings politiques]] ou l'adhésion à des [[Parti politique|partis]]<ref name="Totman 2005 P348">{{Harvsp|Totman|2005|p=348}}.</ref>, et un retour à une tradition [[Confucianisme|confucianiste]], défavorable aux femmes, est sensible dans l'adoption du [[rescrit impérial sur l'éducation]] la même année. En [[1898]], le [[Droit japonais|code civil japonais]] renforce le poids des hommes dans les [[Droit des successions|questions d'héritage]]<ref name="Cambridge History of Japanese P563">{{Harvsp|Tomi Suzuki, The Cambridge History of Japanese Literature|2016|p=563|id=Cambridge History of Japanese Literature}}.</ref>. En [[1899]], si le [[Ministère de l'Éducation (Japon)|ministère de l'Éducation]] crée des lycées réservés aux femmes<ref name="Totman 2005 P348"/>, ceux-ci sont institutionnellement classés comme inférieurs à ceux réservés aux hommes, et n'ouvrent pas l'accès aux [[Enseignement supérieur|études universitaires]]<ref name="Cambridge History of Japanese P563"/>. Toujours en [[1899]], est publié un rescrit imposant un cadre moral à l'éducation dispensée aux jeunes filles dans ces établissements : ce nouveau texte introduit le concept de ''[[Bonne épouse, sage mère|ryōsai kenbo]]'' (« Bonne épouse, sage mère ») et fixe ainsi l'objectif de la scolarisation des femmes. Ce concept de ''ryōsai kenbo'' est largement relayé dans la presse féminine jusqu'à l'après-guerre<ref>{{Article|langue=en|auteur1=Koyama Shizuko|titre=Ryosai Kenbo: The Educational Ideal of ‘Good Wife, Wise Mother’ in Modern Japan (The Intimate and the Public in Asian and GlobalPerspectives.)|périodique=Educational Studies in Japan: International Yearbook|numéro=8|date=2014|pages=159-161|lire en ligne=https://www.jstage.jst.go.jp/article/esjkyoiku/8/0/8_159/_pdf|consulté le=30 mai 2023}}.</ref>. Pour combattre cette situation, un journal féministe comme ''Sekai Fujin'' est créé en [[1907]] par [[Fukuda Hideko]]<ref>{{Harvsp|Totman|2005|p=349}}.</ref>, et, en [[1901]], [[Tsuda Umeko]] fonde une école réservée aux femmes : le [[collège Tsuda]]<ref>{{Harvsp|Totman|2005|p=350}}.</ref>.
=== Impact ===
Un grand nombre des mesures prises durant l'ère Meiji perdurent dans le Japon moderne (devenu néanmoins pacifiste après la [[Seconde Guerre mondiale]]) : instruction obligatoire, institution du yen comme monnaie nationale, ouverture sur l'Occident, administration centrale s'appuyant sur des préfectures, entre autres. Le Japon n'a pas renoncé à son statut de grande puissance, et a longtemps possédé le deuxième [[Produit intérieur brut|PIB]] au monde derrière les [[États-Unis]] (8,05 % du [[PIB mondial]], en [[2007]])<ref>D'après rapport de la [[Banque mondiale]], ''gross domestic product 2007''.</ref> jusqu'à ce que la [[Chine]] le rattrape en [[2010]]<ref>Voir [http://data.worldbank.org/indicator/NY.GDP.MKTP.CD].</ref>.


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== Dans la culture populaire ==
Fichier:First female study-abroad students.jpg|Premières étudiantes japonaises envoyées étudier aux [[États-Unis]], dont [[Tsuda Umeko]] (deuxième à droite).|alt=Photo de cinq filles japonaises en costumes de la Belle Époque. Quatre sont assises et une, debout au centre.
[[Fichier:Khalili Collections A Composite Imaginary View of Japan.jpg|vignette|Une composition imaginaire du Japon réalisée durant l'ère Meiji. Oeuvre en soie d'un artiste inconnu, issue de la collection de [[Nasser David Khalili]].]]
Fichier:Telephone-operators-Japan-1902.jpg|Japonaises travaillant comme opératrices téléphoniques en [[1902]].|alt=Photographie d'une très grande salle de travail ; un mur est intégralement occupé par des appareils téléphoniques ; une vingtaine de femmes assises et visibles de dos y travaillent.
[[Fichier:Khalili Collections Set of four padded silk panels 1.jpg|vignette|alt=Paysage agricole montrant de nombreuses personnes au travail.|Le travail du riz, de la soie et du thé, sur un panneau réalisé pendant l'ére Meiji. Oeuvre en soie et peinture d'un artiste qui a signé ''Sekka'', issue de la collection de Nasser David Khalili.]]
</gallery>
* ''[[Je suis un chat]]'', Soseki, roman qui décrit du point de vue d'un chat les mutations que traverse la société japonaise sous l'ère Meiji.
* ''[[Au temps de Botchan]]'', [[manga]] en 5 volumes de [[Jirō Taniguchi]] (dessin) et {{Lien|langue=ja|trad=関川夏央|fr=Natsuo Sekikawa}} (scénario).
* ''Rurôni Kenshin'' ([[Kenshin le vagabond]]), dessin animé en 95 épisodes de 25 min de Watsuki Nobuhiro, années de production : 1996-1998, Studio Gallop.
* ''[[Dai Gyakuten Saiban: Naruhodō Ryūnosuke no Bōken]],'' jeu vidéo d'aventure développé par Capcom se déroulant pendant l’ère Meiji.
* un temple portant le nom de [[Meiji Jingū]] a été construit à [[Tokyo]].


== Notes et références ==
=== Média ===
{{voir aussi|Censure de l'empire du Japon|Propagande japonaise durant la Seconde Guerre mondiale}}
À la fin de l'[[époque d'Edo]], le [[Japon]] dispose d'une certaine tradition dans l'édition de [[prospectus]] traitant de l'actualité. Dans les grandes villes comme Edo ([[Tokyo|Tōkyō]]), [[Kyoto|Kyōto]] et [[Osaka|Ōsaka]], on édite des ''[[kawara-ban]]'' qui peuvent à l'occasion traiter d'évènement politiques. L'essentiel de la production vise alors les élites, capables de comprendre le [[chinois classique]], mais également, le peuple qui a accès à du contenu illustré. À l'initiative du nouveau régime, un premier journal à l'[[occident]]ale voit le jour en [[1870]], le ''Yokohama Mainichi''<ref>{{Harvsp|Tsuchiya Reiko, The New Cambridge History of Japan Volume 3|2023|p=647|id=New Cambridge History of Japan V3}}.</ref>. Dès [[1872]], à Tōkyō, sont créés cinq quotidiens qui reprennent cette forme. Ces journaux traitent assez largement de politique, et à l'occasion, critiquent le gouvernement, ce qui entraîne en [[1875]] l'adoption d'une première loi sur la presse et la diffamation, permettant de mettre en place une certaine forme de [[censure]]. Les différents titres de presse se spécialisent : d'un côté les « grands journaux », traitant de politique, de l'autre les « tabloïds », traitant de faits divers ou d'événements à sensation. Cette seconde catégorie de journal voit apparaitre le ''[[Yomiuri shinbun]]'' à Tōkyō en [[1874]] et le ''[[Asahi shinbun]]'' à Ōsaka en [[1879]]. À côté de ces titres se constituent aussi des journaux comme le ''[[Jiji shimpō]]'' (créé par [[Fukuzawa Yukichi]] en [[1882]]) ou le ''[[Kokumin Shimbun]]'' (créé par [[Tokutomi Sohō]] en [[1890]]) qui attirent à eux un lectorat plus intéressé par les grandes questions politiques et sociales de cette époque<ref>{{Harvsp|Tsuchiya Reiko, The New Cambridge History of Japan Volume 3|2023|p=648|id=New Cambridge History of Japan V3}}.</ref>.

La [[Première guerre sino-japonaise|guerre sino-japonaise]] de [[1894]]-[[1895]] et la [[guerre russo-japonaise]] de [[1904]]-[[1905]] jouent le rôle de catalyseurs pour le développement du tirage et de l'influence de la presse japonaise. Dans la perspective de contrôler l'opinion publique, les militaires et le pouvoir politique ne tardent pas à encadrer drastiquement ce qui peut être publié, tout en facilitant l'accès des journalistes au théâtre des opérations. C'est ainsi que, lors de la guerre sino-japonaise, une centaine de journalistes et d'artistes sont présents dans la [[corée|péninsule coréenne]], sous encadrement militaire. La maison d'édition ''[[Hakubunkan]]'' profite assez largement de ces opérations en publiant tous les dix jours un compte rendu des opérations militaires. Le succès de cette publication est si important qu'en [[1895]], il permet à ''Hakubunkan'' de financer le lancement de toute une série de nouvelles revues, telles que ''[[Taiyō (magazine)|Taiyō]]'' ou ''[[Shōnen Sekai]]''. Cette entreprise inaugure alors un modèle d'édition et un modèle économique qui sont repris par la concurrence. Lors de la guerre russo-japonaise, le [[télégraphe]] joue un rôle important en permettant aux informations de circuler beaucoup plus rapidement. Cette accélération favorise la presse, qui peut alors rendre compte au jour le jour des opérations militaires, la circulation de certains titres doublant lors du conflit<ref>{{Harvsp|Tsuchiya Reiko, The New Cambridge History of Japan Volume 3|2023|p=649|id=New Cambridge History of Japan V3}}.</ref>. C'est aussi lors de la guerre russo-japonaise que les premiers reportages cinématographiques voient le jour, profitant du développement du [[Cinéma japonais|cinéma au Japon]]. Le gouvernement se heurte également aux limites de son propre contrôle. Le {{date|5 septembre 1905}}, éclatent les [[émeute de Hibiya|émeutes de Hibiya]], déclenchées par plusieurs journaux qui manifestent ainsi leur opposition au traité de paix, jugé trop clément pour la [[Russie]]. Si les médias démontrent déjà le rôle qu'ils peuvent jouer pour façonner l'opinion dans un sens favorable au pouvoir politique, ces mêmes médias sont déjà capables d'être des relais politiques pour d'autres causes<ref name="ref_auto_30">{{Harvsp|Tsuchiya Reiko, The New Cambridge History of Japan Volume 3|2023|p=650|id=New Cambridge History of Japan V3}}.</ref>.

<gallery mode="packed">
Fichier:1885 Osaka flood kawaraban.png|''[[Kawara-ban]]'' de [[1885]] traitant d'inondations dans la région du [[Kansai]].|alt=Page d'un journal consistant en trois dessins superposés montrant des scènes d'inondation.
Fichier:Asahi-Shimbun-First-Issue-Front-Page-January 25-1879.png|Premier numéro de l'''[[Asahi shinbun]]'' en [[1879]].|alt=Première page d'un journal. Le titre apparait en grands caractères en haut, et plusieurs rubriques se dégagent dans le bloc de texte en dessous.
Fichier:Hibiya Incendiary Incident1.JPG|L'[[émeute de Hibiya]] en [[1905]]. La photo montre l'influence que dès cette époque, peuvent avoir les médias de masse au Japon.|alt=Photo d'une foule en extérieur, les personnes la composant tournent le dos au photographe.
</gallery>

== Productions artistiques ==
=== Littérature ===
{{Article connexe|Littérature japonaise}}

==== Influence occidentale et réflexions sur la japonité (1868-1910) ====
L'[[Occident]] influence la littérature [[japon]]aise de manière non négligeable et fait évoluer certaines de ses formes d'expression. Le [[Roman (littérature)|roman]] utilisé comme support de critique sociale et politique par des auteurs étrangers, comme [[Benjamin Disraeli|Disraeli]] ou [[Edward Bulwer-Lytton|Bulwer-Lytton]], inspire plusieurs intellectuels issus du mouvement [[Meirokusha]], ce qui déclenche un désir de découvrir les littératures nationales européennes. ''[[Ukigumo]]'' — publié par [[Futabatei Shimei]] en [[1887]], et considéré comme le premier roman moderne japonais — s'inspire ainsi de la [[littérature russe]] de la même époque. Les grandes figures de la période s'affirment autour de [[1900]]<ref>{{Harvsp|Jansen|2002|p=479}}.</ref>. [[Natsume Sōseki]] — qui a étudié à [[Londres]] et qui succède à [[Lafcadio Hearn]] à la tête de la chaire de [[littérature anglaise]] de l'[[université de Tokyo]] — s'impose avec des œuvres comme ''[[Je suis un chat]]'' ([[1904]]) ou ''[[Le Pauvre Cœur des hommes]]'' ([[1914]]). Dans ces œuvres à la [[Roman psychologique|dimension introspective]], l'auteur critique la société de son époque, repoussant à la fois le [[Nationalisme japonais|nationalisme de son temps]] et les emprunts injustifiés à l'Occident<ref>{{Harvsp|Jansen|2002|p=480-481}}.</ref>. [[Mori Ōgai]], qui a reçu une éducation médicale militaire en [[Prusse]], se fait d'abord connaître comme [[critique littéraire]]. Il est l'auteur d'une œuvre abondante où il a recours à un traitement proche du [[Naturalisme (littérature)|naturalisme]], qu'il applique au [[Genre littéraire|genre]] du [[roman historique]]. [[Tōson Shimazaki|Shimazaki Tōson]] fait quant à lui office de précurseur du style [[watakushi shōsetsu]], ou ''I-novel'', en publiant ''Hakai'' en [[1906]]<ref>{{Harvsp|Jansen|2002|p=482}}.</ref>.

D'autres genres littéraires, comme la [[Poésie japonaise|poésie]] et le [[Théâtre japonais|théâtre]], connaissent eux aussi une influence occidentale, bien que perdure la popularité de formes bien établies, comme le ''[[kabuki]]'' ou le ''[[Nô|nō]]''. Un acteur de ''kabuki'' comme [[Ichikawa Danjūrō IX]] tente sans trop de succès de faire évoluer son jeu d'acteur et son maquillage en faveur d'une expression plus réaliste. Un poète comme [[Masaoka Shiki]] rencontre plus de succès en modernisant les formes du ''[[haïku|haiku]]'' et du ''[[tanka (poésie)|tanka]]''. Des formes nouvelles émergent par ailleurs, comme le ''[[shintaishi]]'' pour la poésie. À la fin des [[années 1880]], dans la région d'[[Osaka|Ōsaka]], le théâtre voit apparaître la forme du ''[[shinpa]]'', qui lors de la décennie suivante, s'étend à [[Tokyo|Tōkyō]], où il se mue en ''[[shingeki]]''. Cette dernière forme intègre des femmes à ses troupes de comédiens (contrairement au ''[[kabuki]]'', dont les acteurs sont exclusivement masculins), et son répertoire comprend des pièces européennes, notamment celles du dramaturge norvégien [[Henrik Ibsen]]<ref>{{Harvsp|Totman|2005|p=363}}.</ref>.

Lors de la première moitié de l'époque impériale, se manifeste un mouvement de réflexion sur la [[littérature]]. Inspirées par le travail de [[Hippolyte Taine|Taine]] sur l'''Histoire de la littérature britannique'' ([[1864]]), plusieurs publications cherchent à proposer des compilations censées incarner les classiques d'une [[littérature japonaise|littérature nationale japonaise]], ou à retracer l'histoire de celle-ci (publication en [[1890]] du ''Nihon bungakushi'' de Takatsu Kuwasaburō et Mikami Sanji)<ref>{{Harvsp|Tomi Suzuki, The Cambridge History of Japanese Literature|2016|p=565|id=Cambridge History of Japanese Literature}}.</ref>. Le but recherché est alors de mettre en évidence les supposés signes distinctifs de l'« identité japonaise » en relevant les caractères récurrents de la littérature à travers les âges<ref>{{Harvsp|Tomi Suzuki, The Cambridge History of Japanese Literature|2016|p=566|id=Cambridge History of Japanese Literature}}.</ref>. À ce titre, ''[[Le Dit du Genji]]'', écrit intégralement en [[kana]], est vu comme l'une des incarnations de cette identité purement japonaise<ref>{{Harvsp|Tomi Suzuki, The Cambridge History of Japanese Literature|2016|p=567|id=Cambridge History of Japanese Literature}}.</ref>. Divers cercles littéraires publient aussi de très nombreuses revues de critique littéraire, ou ''[[Dōjinshi|dōjin zasshi]]''. Ces publications — souvent éphémères, et dont la diffusion est limitée — regroupent par affinité des étudiants de l'[[université de Tokyo|université impériale de Tokyo]] et de l'[[université Waseda]] (où est publié ''[[Waseda bungaku]]'' à partir de [[1891]]), deux grands pôles littéraires de cette époque. La revue ''[[Shirakaba (revue)|Shirakaba]]'', publiée à partir de [[1910]], jouit aussi d'une certaine notoriété<ref>{{Harvsp|Totman|2005|p=364}}.</ref>.

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Fichier:Futabatei Shimei in 1908.jpg|[[Futabatei Shimei]], auteur de ''[[Ukigumo]]'' ([[1887]]).|alt=Photo d'homme portant un chapeau épais et un lourd manteau.
Fichier:Natsume Soseki photo.jpg|[[Natsume Sōseki]], auteur de ''[[Je suis un chat]]'' ([[1904]]) et ''[[Le Pauvre Cœur des hommes]]'' ([[1914]]).|alt=Photo d'homme en costume de ville, se tenant la tête avec la main droite.
Fichier:Mori Ōgai in Mukden 1905.jpg|[[Mori Ōgai]], auteur de nombreux [[roman historique|romans historiques]].|alt=Photo d'homme dans son bureau.
Fichier:Shimazaki Toson2.jpg|[[Tōson Shimazaki]], figure du [[Naturalisme (littérature)|naturalisme]] japonais et du ''[[watakushi shōsetsu]]''.|alt=Photo d'homme portant de fines lunettes ovales.
Fichier:Shirakaba first issue.jpg|Premier numéro de la revue ''[[Shirakaba (revue)|Shirakaba]]'' ([[1910]]).|alt=Couverture d'une revue, illustrée d'une gravure montrant un arbre stylisé.
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=== Peinture ===
{{Article détaillé|Nihonga|Yō-ga (peinture)}}

Au début de l'ère Meiji, se développe un style de [[Peinture (art)|peinture]] à l'[[occident]]ale, appelé ''[[Yō-ga (peinture)|yō-ga]]''. Le [[conseiller étranger]] [[italie]]n [[Antonio Fontanesi]] est recruté pour enseigner la peinture au sein de la ''[[École impériale d'ingénieurs du Japon|Kōbu Daigakkō]]''. Le but initial est de rendre les Japonais capables de réaliser des dessins fidèles, compétence préalable à la mise en œuvre de grands chantiers de modernisation, du [[chemin de fer]] à la [[Chantier naval|construction navale]]<ref>{{Harvsp|Jansen|2002|p=476}}.</ref>. Les techniques issues de cette approche utilitariste ne tardent pas à être reprises dans des démarches plus artistiques. Certains Japonais comme [[Kuroda Seiki]] étudient les [[Beaux-arts (disciplines)|beaux-arts]] à [[Paris]], et rapportent au [[Japon]] diverses connaissances sur les grands courants artistiques alors en vogue dans la capitale française. Les techniques comme la [[peinture à l'huile]], l'[[aquarelle]], ou le [[pastel]] singularisent la ''yō-ga'', comparée aux productions japonaises traditionnelles, tout comme certains types de sujets, comme le [[Nu (genre artistique)|nu]]<ref>{{Article|langue=en|titre=Three Movements You've Never Heard Of: Yōga Painting, Nabis, Juste Milieu|périodique=Art Space|date=23 mars 2017|lire en ligne=https://www.artspace.com/magazine/art_101/book_report/three-movements-youve-never-heard-of-yoga-painting-nabis-juste-milieu-54594|consulté le=25 mai 2023}}.</ref>.

En réaction à ce qui est perçu comme un excès d'[[occidentalisation]], se développe le style ''[[nihonga]]''. Le conseiller étranger [[Ernest Fenollosa]], qui enseigne à l'[[université de Tokyo]], et l'un de ses étudiants [[Okakura Kakuzō]], prennent des initiatives menant à la création de l'[[École des beaux-arts de Tokyo]] en [[1887]]. Le but recherché est d'intégrer certaines techniques occidentales, tout en conservant un style japonais. Des représentants de l'[[école Kanō]] sont recrutés pour y enseigner, comme [[Kanō Hōgai]] et [[Hashimoto Gahō]], et l'école forme les premiers représentants de ce style, comme [[Shimomura Kanzan]], [[Yokoyama Taikan]], ou encore [[Hishida Shunsō]]. Fenollosa se rend aussi à [[Kyoto]], où certains groupes locaux sont dans une démarche similaire — comme l'[[Maruyama Ōkyo|école Murayama]] ou encore l'[[école Shijō]] (d'où est issu [[Takeuchi Seihō]], l'un des futurs grands représentants du ''[[Nihonga]]'')<ref>{{Article|langue=en|auteur1=Roderick Conway Morris|titre=The Meiji Crisis in Japanese Art|périodique=The New-York Times|date=27 mars 2013|lire en ligne=https://www.nytimes.com/2013/03/28/arts/28iht-conway28.html|consulté le=25 mai 2023}}.</ref>.

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Fichier:Under the Shade of a Tree by Kuroda Seiki (Woodone Museum of Art).png|''Sous un arbre'' de [[Kuroda Seiki]] ([[1898]]).|alt=Peinture d'un femme allongée dans l'herbe en costume traditionnel japonais.
Fichier:Kuroda Seiki - Morning toilette (now lost in a fire).jpg|''Toilette du matin'', [[Nu (genre artistique)|nu]] de [[Kuroda Seiki]] ([[1893]]).|alt=Peinture d'une femme nue debout devant un miroir.
Fichier:Old Woman by Wada Eisaku (National Museum of Modern Art, Tokyo).jpg|''Femme âgée'' de {{lien|Wada Eisaku}} ([[1908]]).|alt=Peinture d'une vieille femme en bord de mer lors d'un coucher de soleil.
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=== Musique ===
Les premiers groupes de [[musique occidentale]] — des ensembles de [[musique militaire]] — sont actifs dès la fin de l'[[ère Keiō]]. Au début de l'ère Meiji, l'armée et la marine disposent l'une et l'autre d'[[orchestre]]s qui participent aux cérémonies ou à des représentations musicales. Dans ces deux institutions, des [[Chef d'orchestre|chefs]] étrangers forment les musiciens japonais. Lorsque ces derniers retournent à la vie civile, certains parmi eux deviennent à leur tour des formateurs et ainsi, participent assez largement à la diffusion de la musique occidentale dans le pays. Les musiciens officiels de la cour, qui jusque-là étaient des spécialistes du ''[[gagaku]]'', reçoivent eux aussi une formation pratique et théorique dans ce domaine, et jouent pour la première fois le {{date|3 novembre 1876}} des morceaux de ce type à l'occasion de l'anniversaire de l'[[Empereur du Japon|empereur]]. Le [[Système éducatif de l'empire du Japon|projet éducatif du régime de Meiji]] accorde également de l'importance à la musique occidentale, et dès la promulgation de la loi sur l'éducation de [[1872]], une place est réservée à celle-ci dans le cursus. Des formateurs étrangers sont recrutés pour participer à la mise en œuvre de cette politique ([[Luther Whiting Mason]], puis [[Franz Eckert]]). La formation des futurs enseignants débute réellement en [[1880]], et un premier manuel scolaire est publié en [[1881]]{{sfn|Mehl|2013|p=217}}. En [[1887]], est aussi créé un comité musical, futur département de musique de l'[[Université des arts de Tokyo]]. Des étudiants japonais sont aussi envoyés à l'étranger pour y étudier, comme [[Nobu Kōda]]{{sfn|Mehl|2013|p=218}}, et d'autres composent des morceaux alliant tradition japonaise et technique occidentale — comme le ''[[Kōjō no tsuki]]'', composé en [[1901]] par [[Rentarō Taki]]<ref>{{Harvsp|Totman|2005|p=367}}.</ref>. Pour répondre aux besoins, plusieurs entreprises de construction d'instruments sont fondées à la même époque, comme [[Yamaha]] pour les [[harmonium]]s ([[1887]]) ou Suzuki pour les violons ([[1887]]). Au début du {{s|XX}}, le [[Japon]] forme de nombreux musiciens venus de ses colonies et diffuse la musique occidentale dans ces territoires{{sfn|Mehl|2013|p=218}}.

Le ''gagaku'', ou « musique raffinée », est utilisé lors des rites impériaux et jouit d'un certain dynamisme. Ce genre a connu un renouveau pendant l'[[époque d'Edo]] grâce à des financements du [[Shogunat Tokugawa|shogunat]]{{sfn|Tsukahara|2013|p=225}}. Le {{date|7 novembre 1870}}, le ''[[Jingi-kan]]'', bureau chargé du [[Shintoïsme|shintō]], fonde le ''Gagaku Kyoku'', organisme consacré à la supervision de ce [[genre musical]]{{sfn|Tsukahara|2013|p=226}}. Entre [[1876]] et [[1888]], les musiciens de cette institution commencent à compiler le ''Meiji sentei-fu'', recueil du répertoire du ''gagaku'', participant ainsi à la codification de celui-ci{{sfn|Tsukahara|2013|p=227}}. Le ''gagaku'' est aussi utilisé dans les relations que le pays entretient avec le monde extérieur. Des représentations musicales de ce type accompagnent la réception de dignitaires étrangers, et les [[Liste des Expositions universelles|expositions universelles]] qui se tiennent en [[Europe]] en [[1867]], [[1873]] et [[1878]], reçoivent des musiciens et des [[Instrument de musique|instruments]] relevant de ce genre musical{{sfn|Tsukahara|2013|p=230}}. De la même façon, des mélodies inspirées du ''gagaku'' — comme ''Kuni no shizume'', ou encore ''Inochi wo sutete'' — sont composées pour les cérémonies de l'armée et de la marine, et sont ensuite [[Orchestration|adaptées à leurs orchestres respectifs]]{{sfn|Tsukahara|2013|p=232}}. L'[[Système éducatif au Japon|éducation]], elle aussi, est gratifiée de mélodies de ce type pour ses cérémonies. En [[1893]], lorsque le gouvernement publie un livret de huit chants destinés à être interprétés lors des festivals de l'année, cinq d'entre eux appartiennent à cette catégorie{{sfn|Tsukahara|2013|p=237}}.

Dans les campagnes, subsistent différentes formes chantées populaires. Les ''[[enka|sōshi enka]]'' pratiquent le chant de rue, dont les paroles critiquent souvent le pouvoir [[Satire|de manière satirique]]<ref>{{Harvsp|Taylor Atkins|2017|p=96}}.</ref>. [[Soeda Azenbō]], qui commence à parcourir le pays à la fin des [[années 1880]], est une des figures les plus connues de cet art : ses chants sont souvent imprimés et vendus dans tout le pays sous forme de feuilles volantes<ref>{{Harvsp|Taylor Atkins|2017|p=97}}.</ref>.

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Fichier:Die Gartenlaube (1883) b 357.jpg|Instruments de ''[[gagaku]]'' présentés dans un journal de [[Vienne (Autriche)|Vienne]] en [[1883]].|alt=Gravure présentant divers instruments de musique.
Fichier:Yamaha organ 1890.jpg|[[Harmonium]] fabriqué par [[Yamaha]] en [[1890]].|alt=Photo d'un petit piano droit.
Fichier:Illustration of a concert in Rokumeikan.jpg|Concert de musique occidentale vers la fin de l'ère Meiji|alt=''Ukiyo-e'' présentant des musiciens utilisant divers instruments (piano, flutte traversière, violons, violoncelle) et un chœur d'une dizaine de personnes.
Fichier:1-01 分列行進曲.ogg|''[[Battōtai (marche militaire)|Battōtai]]'', marche militaire dont les paroles sont composées par [[Masakazu Toyama]], sur un air de [[Charles Leroux (chef d'orchestre)|Charles Leroux]].
Fichier:Kojonotsuki.ogg|''[[Kōjō no tsuki]]'' composé en [[1901]] par [[Rentarō Taki]].
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=== Architecture ===
{{Article connexe|Architecture éclectique occidentalo-japonaise|Giyōfū|Liste des biens culturels importants du Japon (ère Shōwa : bâtiments)}}

À partir du début de l'ère Meiji, l'[[architecture japonaise]] intègre les influences [[occident]]ales par plusieurs canaux. Au début de la période, peu d'architectes étrangers travaillent dans le pays, tels [[Thomas Waters]] — qui à [[Osaka]], produit l'hôtel des monnaies, ainsi que la résidence [[Senpukan]], l'un des premiers bâtiments de style occidental au Japon. Certains de ces architectes, recrutés comme [[Conseiller étranger|conseillers étrangers]] et travaillant dans l'archipel comme enseignants, sont chargés de transmettre aux étudiants japonais les techniques et les styles de construction occidentaux. C'est le cas de [[Charles Alfred Chastel de Boinville]] et de [[Giovanni Vincenzo Cappelletti]], ou encore, de [[Josiah Conder (architecte)|Josiah Conder]] — ce dernier étant chargé des premiers cours d'architecture de l'[[université de Tokyo]]. Ce transfert de savoirs est également assuré par de nombreux étudiants japonais envoyés en [[Europe]] et aux [[États-Unis]] grâce à des [[Bourse d'études|bourses]] du gouvernement, lesquels pour la plupart, une fois leurs études achevées, reviennent au pays pour y enseigner l'architecture à leur tour. C'est le cas de [[Yamaguchi Hanroku]] ou de [[Nakamura Junpei]] qui étudient à [[Paris]], ou de [[Tatsuno Kingo]] qui étudie à [[Londres]]<ref name="European influence in Japanese architecture"/>.

L'architecture pseudo-occidentale (ou ''[[giyōfū]]'') qui apparaît au début de l'ère Meiji doit composer avec les limites techniques de l'époque. Dans un premier temps, les Japonais utilisent leurs traditionnelles techniques de construction en bois et se contentent d'imiter le seul aspect extérieur des bâtiments (comme à l'[[Basilique des Vingt-Six-Martyrs-du-Japon de Nagasaki|église d'Ōura]], à [[Nagasaki]]). Par la suite, ils ont recours aux techniques occidentales, une fois celles-ci pleinement assimilées. Le bâtiment de la Banque du Japon, construit en [[1896]] par [[Tatsuno Kingo]], apparait comme le premier bâtiment de ce style, conçu et construit uniquement par des Japonais maitrisant les techniques occidentales<ref name="European influence in Japanese architecture">{{Article|langue=en|auteur1=Jean-Sébastien Cluzel|titre=European influence in Japanese architecture (1860-1930)|périodique=Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe|issn=2677-6588|date=22 juin 2020|lire en ligne=https://ehne.fr/en/encyclopedia/themes/arts-in-europe/art-europe-challenged-other/european-influence-in-japanese-architecture-1860-1930|consulté le=19 mai 2023}}.</ref>. Un architecte comme [[Katayama Tōkuma]] s'illustre aussi en intégrant différents styles européens en fonction de ses réalisations : [[Architecture baroque|style baroque]] pour le [[musée national de Nara]] ([[1894]]), [[style Second Empire]] pour le [[musée national de Kyoto]] ([[1895]]), [[Architecture néo-classique|style néoclassique]] pour le ''hyōkeikan'' du [[musée national de Tokyo]] ([[1908]]), et style inspiré des palais royaux européens de l'époque pour le [[palais d'Akasaka]]. L'autre grande figure de ce courant architectural sous l'ère Meiji est [[Tsumaki Yorinaka]], à qui l'on doit notamment le bâtiment du [[musée préfectural d'histoire et de culture de Kanagawa]], conçu dans un style néobaroque, alors en vogue en [[Allemagne]]. Les [[anciens bureaux du gouvernement de Hokkaidō]], le ''[[Rokumeikan]]'' (aujourd'hui détruit), ou encore l'[[ancienne école Kaichi]], constituent d'autres bâtiments remarquables relevant de ce style ''giyōfū''<ref>{{Chapitre|langue=en|auteur1=Dallas Finn|titre chapitre=Reassessing the Rokumeikan|auteurs ouvrage=Ellen P. Conant|titre ouvrage=Challenging Past and Present, The Metamorphosis of Nineteenth-Century Japanese Art|éditeur=University of Hawaii Press|mois=février|année=2006|isbn=9780824840594|doi=10.1515/9780824840594|passage=223-239}}, {{p.|223}}</ref>.

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Fichier:Kyu-Zoheiryo-Chuzosho-Shomengenkan-20070323.JPG|Hôtel des monnaies à [[Osaka]], conçu par [[Thomas Waters]] en [[1871]].|alt=Photo d'un bâtiment, dont la façade est composée de colonnes.
Fichier:140927 Nara National Museum Nara Japan01bs5.jpg|Le [[musée national de Nara]] conçu par [[Katayama Tōkuma]] emprunte au [[Architecture baroque|style baroque]].|alt=Photo de l'entrée d'un bâtiment : une porte monumentale est entourée de colonnes rondes.
Fichier:京都国立博物館 - panoramio (2).jpg|Le [[musée national de Kyoto]] conçu par [[Katayama Tōkuma]] emprunte au [[style Second Empire]].|alt=Photo de l'entrée d'un bâtiment : l'entrée est composée de trois grandes portes identiques, séparées par des formes de colonnes carrées.
Fichier:Akasaka Palace 6.jpg|Le [[palais d'Akasaka]] conçu par [[Katayama Tōkuma]] emprunte au style des palais royaux européens de la même époque.|alt=Photo d'un palais : de chaque côté d'un corps central, sont présentes deux ailes identiques et de même hauteur que le reste du bâtiment.
Fichier:Hokkaido Prefectural Office02s5s4272.jpg|[[Anciens bureaux du gouvernement de Hokkaidō]].|alt=Photo d'un bâtiment composé de trois blocs identiques et alignés en façade, une coupole surmonte le bloc central.
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== Sources ==
=== Notes ===
{{Références|groupe="n"}}

=== Références ===
{{Traduction/Référence|en|Meiji period|3=488077091}}
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{{Références}}
{{Références}}

=== Bibliographie ===
{{légende plume}}
* '''Publications généralistes sur l'Histoire du Japon :'''
** {{Ouvrage|langue=fr|prénom1=Francine|nom1=Hérail|lien auteur1=Francine Hérail|directeur1=oui|prénom2=Guillaume|nom2=Carré|prénom3=Jean|nom3=Esmain|prénom4=François|nom4=Macé|prénom5=Pierre|nom5=Souyri|lien auteur5=Pierre François Souyri|titre=Histoire du Japon|sous-titre=des origines à nos jours|lieu=Paris|éditeur=[[Hermann (éditions)|Éditions Hermann]]|année=2010|mois=février|pages totales=1413|isbn=978-2-7056-6640-8|plume=oui}}.
** {{Ouvrage|langue=fr|prénom1=Pierre François|nom1=Souyri|lien auteur1=Pierre François Souyri|titre=Nouvelle Histoire du Japon|lieu=Paris|éditeur=[[Éditions Perrin]]|année=2010|mois=septembre|pages totales=627|isbn=978-2-262-02246-4|oclc=683200336|plume=oui}}.
** {{Ouvrage|langue=en|prénom1=Conrad|nom1=Totman|lien auteur1=Conrad Totman|titre=A History of Japan|éditeur=[[Wiley-Blackwell]]|année=2005|mois=janvier|pages totales=720|isbn=978-1-4051-2359-4|plume=oui}}.
** {{Ouvrage|langue=en|prénom1=William M.|nom1=Tsutsui|directeur1=oui|titre=A Companion to Japanese History|lieu=Malden|éditeur=[[Wiley-Blackwell|Blackwell Publishing]]|année=2007|pages totales=632|isbn=978-1-4051-1690-9|lire en ligne=https://books.google.com/books?id=BOOdEAAAQBAJ&printsec=frontcover|id=companion}}.
* '''Publications spécialisées dans une période de l'Histoire du Japon :'''
** {{Ouvrage|langue=en|prénom1=Marius B.|nom1=Jansen|lien auteur=Marius B. Jansen|titre=The Making of Modern Japan|éditeur=[[Harvard University Press]]|année=2002|mois=octobre|pages totales=936|isbn=978-0674009912|oclc=433521007|lire en ligne=https://books.google.fr/books?id=9fJxAAAAMAAJ|plume=oui}}.
** {{Ouvrage|langue=en|auteur1=Peter Duus|directeur1=oui|titre=The Cambridge History of Japan|volume=6|titre volume=The twentieth Century|éditeur=[[Cambridge University Press]]|année=2008|mois=mars|pages totales=888|isbn=9780521223577|doi=10.1017/CHOL9780521223577|lire en ligne=https://books.google.fr/books?id=47_8zAEACAAJ|id=Cambridge History of Japan V6|plume=oui}}.
** {{Ouvrage|langue=en|auteur1=Laura Hein|directeur1=oui|titre=The New Cambridge History of Japan|volume=3|titre volume=The Modern Japanese Nation and Empire, c.1868 to the Twenty-First Century|éditeur=[[Cambridge University Press]]|année=2023|mois=juin|pages totales=860|isbn=9781107196131|id=New Cambridge History of Japan V3|plume=oui}}.
** {{Ouvrage|langue=en|auteur1=S.C.M. Paine|titre=The Japanese Empire|sous-titre=Grand Strategy from the Meiji Restoration to the Pacific War|lieu=Cambridge, United Kingdom/New York, NY|éditeur=[[Cambridge University Press]]|année=2017|mois=mars|pages totales=218|isbn=978-1107676169|id=S.C.M. Paine 2017|plume=oui}}.
* '''Publications spécialisées dans la société du Japon :'''
** {{Ouvrage|langue=fr|auteur1=Lévy Christine|directeur1=oui|titre=Genre et modernité au Japon|sous-titre=La revue Seitô et la femme nouvelle|lieu=Rennes|éditeur=[[Presses universitaires de Rennes]]|année=2014|mois=janvier|pages totales=362|isbn=9782753528642|présentation en ligne=https://www.pur-editions.fr/product/ean/9782753528642/genre-et-modernite-au-japon}}.
** {{Article|langue=en|auteur1=Ben-Ami Shillony|titre=Universities and Students in Wartime Japan|périodique=The Journal of Asian Studies|volume=45|numéro=4|date=août 1986|pages=769-787|doi=10.2307/2056086|jstor=2056086|consulté le=21 mai 2023|plume=oui}}.
** {{Article|langue=en|prénom1=Hans Martin|nom1=Krämer|titre=Beyond the Dark Valley: Reinterpreting Christian Reactions to the 1939 Religious Organizations Law|périodique=Japanese Journal of Religious Studies|volume=38|numéro=1|date=2011|pages=181-211|doi=10.18874/jjrs.38.1.2011.181-211|consulté le=23 mai 2023|plume=oui}}.
** {{Article|langue=en|auteur1=Yoshiya Abe|titre=Religious Freedom under the Meiji Constitution|périodique=Contemporary Religions in Japan|volume=9|numéro=4|date=1968|pages=268-338|jstor=30233033|consulté le=23 mai 2023|id=Yoshiya Abe 1968|plume=oui}}.
** {{Ouvrage|langue=en|prénom1=William E.|nom1=Deal|auteur2=Brian Ruppert|titre=A Cultural History of Japanese Buddhism|lieu=Oxford|éditeur=Wiley Blackwell|année=2015|pages totales=314|isbn=978-1-405-16700-0|plume=oui}}.
** {{Article|langue=en|auteur1=Shimazono Susumu|titre=State Shinto in the Lives of the People|sous-titre=The Establishment of Emperor Worship, Modern Nationalism, and Shrine Shinto in Late Meiji|périodique=The Japanese Journal of Religious Studies|volume=36|numéro=1|date=2009|pages=93-124|jstor=30233855|doi=10.18874/jjrs.36.1.2009.93-124|consulté le=28 mai 2023|id=Shimazono 2009|plume=oui}}.
** {{Article|langue=en|auteur1=Tsuchida Motoko|titre=A History of Japanese Emigration from the 1860s to the 1990s|périodique=In Temporary Workers or Future Citizens ?|éditeur=Palgrave Macmillan|date=1998|pages=77-119|doi=10.1007/978-1-349-14418-1_4|consulté le=28 septembre 2023|plume=oui}}.
** {{Ouvrage|langue=fr|auteur1=Pierre-François Souyri|titre=Moderne sans être occidental. Aux origines du Japon aujourd'hui|lieu=Paris|éditeur=[[Éditions Gallimard]]|année=2016|mois=mai|pages totales=496|isbn=978-2070125692|plume=oui}}.
* '''Publications spécialisées dans la culture du Japon :'''
** {{Ouvrage|langue=en|prénom1=E.|nom1=Taylor Atkins|titre=A History of Popular Culture in Japan|sous-titre=From the Seventeenth Century to the Present|éditeur=Bloomsbury Academic|année=2017|mois=octobre|pages totales=288|isbn=978-1474258548|lire en ligne=https://www.google.fr/books/edition/A_History_of_Popular_Culture_in_Japan/DK41DwAAQBAJ|plume=oui}}.
** {{Ouvrage|langue=en|auteur1=Mitsuyo Wada-Marciano|titre=Nippon Modern|sous-titre=Japanese Cinema of the 1920s|lieu=Honolulu, T. H.|éditeur=University of Hawaii Press|année=2008|mois=janvier|pages totales=198|isbn=978-0824832407|lire en ligne=https://www.google.fr/books/edition/Nippon_Modern/dIc0RBYMs9kC|id=Mitsuyo Wada-Marciano 2008|plume=oui}}.
** {{Ouvrage|langue=en|prénom1=Haruo|nom1=Shirane|prénom2=Tomi|nom2=Suzuki|prénom3=David|nom3=Lurie|titre=The Cambridge History of Japanese Literature|lieu=Cambridge|éditeur=[[Cambridge University Press]]|année=2016|mois=mars|pages totales=865|isbn=978-1-107-02903-3|id=Cambridge History of Japanese Literature|plume=oui}}.
** {{Ouvrage|langue=en|auteur1=David B. Stewart|titre=The Making of a Modern Japanese Architecture|sous-titre=From the Founders to Shinohara and Isozaki|éditeur=Kodansha International|année=2002|pages totales=304|isbn=9784770029331|lire en ligne=https://books.google.fr/books?id=mB7qAAAAMAAJ}}.
** {{Article|langue=en|auteur1=Margaret Mehl|titre=Western Art Music in Japan: A Success Story?|périodique=Nineteenth-Century Music Review|volume=10|numéro=2|date=2013|pages=211-222|doi=10.1017/s1479409813000232|consulté le=22 mai 2023|plume=oui}}.
** {{Article|langue=en|auteur1=Yasuko Tsukahara|titre=State Ceremony and Music in Meiji-era Japan|périodique=Nineteenth-Century Music Review|volume=10|numéro=2|date=2013|pages=223-238|doi=10.1017/s1479409813000244|consulté le=22 mai 2023|plume=oui}}.
* '''Publications spécialisées dans l'historiographie de la période :'''
**{{Article
| langue = en
| auteur1 = Daniel V. Botsman
| titre = The Meiji Restoration and the Politics of Post-War Commemoration: 1968/2018
| périodique = Japanese Studies
| volume = 38
| numéro = 3
| date = 2018
| pages = 289-304
| lire en ligne = https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/10371397.2018.1528852
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| consulté le = 16 janvier 2024
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**{{Article
| langue = en
| auteur1 = Nick Kapur
| titre = The Empire Strikes Back? The 1968 Meiji Centennial Celebrations and the Revival of Japanese Nationalism
| périodique = Japanese Studies
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| consulté le = 16 janvier 2024
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**{{Article
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| auteur1 = Takagi Hiroshi
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| consulté le = 16 janvier 2024
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**{{Article
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== Voir aussi ==
== Voir aussi ==
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=== Bibliographie ===
* {{Ouvrage|auteur1=Jean-Jacques Tschudin|auteur2=Claude Hamon|titre=La Nation en marche. Études sur le Japon impérial de Meiji|éditeur=[[Éditions Philippe Picquier|Picquier]]|année=1999|isbn=}}
* [[Pierre François Souyri]], ''Moderne sans être occidental. Aux origines du Japon d'aujourd'hui'', Gallimard, 2016
* {{Ouvrage|langue=fr|auteur1=Eddy Dufourmont|titre=Histoire politique du Japon|sous-titre=de 1853 à nos jours|lieu=Pessac|éditeur=Presses universitaires de Bordeaux|année=2017|pages totales=496|isbn=979-10-300-0104-4}}
* {{Ouvrage|auteur1=Lionel Babicsz|titre=Le Japon face à la Corée à l’époque Meiji|éditeur=[[Maisonneuve et Larose]]|année=2002|isbn=}}
* {{Ouvrage|auteur1=E. Lozerand|directeur1=oui|auteur2=C. Galan|directeur2=oui|titre=La Famille japonaise moderne. Discours et débats (1868-1926)|éditeur=Picquier|année=2011|isbn=}}
* E. Lozerand, ''Littérature et génie national : naissance d'une histoire littéraire dans le Japon du {{s-|XIX}}'', [[Les Belles Lettres]], 2005
* {{Ouvrage|langue=fr|auteur1=Nicolas DELALANDE|auteur2=Blaise TRUONG-LOÏ|titre=Histoire politique du {{s-|XIX}}|lieu=Paris|éditeur=Presses de Science Po|date=2021|pages totales=422|isbn=978-2-7246-3775-5|lire en ligne=https://www.cairn.info/histoire-politique-du-xixe-siecle--9782724637755.htm}}

=== Articles connexes ===
=== Articles connexes ===
* [[Histoire de l'Armée impériale japonaise]]
* [[Histoire de l'Armée impériale japonaise]]

Dernière version du 20 avril 2024 à 10:56

Ère Meiji
Rue de Tokyo, 1905.
Dates
Début
1868
Fin
1912
Époques
Précédente
Suivante

L'ère Meiji (明治時代, Meiji jidai?) est une ère de l'histoire du Japon comprise entre 1868 et 1912.

Inaugurée par la restauration de Meiji, elle se situe entre l'ère Keiō (fin de l'époque d'Edo) et l'ère Taishō. Elle symbolise la fin de la politique d'isolement volontaire appelée sakoku et le début d'une politique de modernisation du Japon. Elle se caractérise également par un basculement du système féodal vers un système industriel à l'occidentale. Ces bouleversements sociaux, politiques et culturels déboucheront sur diverses avancées dans les domaines de l’industrie, de l’économie, de l’agriculture et en matière d’échanges commerciaux.

Origine du terme Meiji[modifier | modifier le code]

L'empereur Mutsuhito (睦仁?) prit à l'occasion de son accession au trône, selon la tradition impériale japonaise, le nom posthume de Meiji (明治?) qui signifie « gouvernement éclairé » (composé de « lumière/clarté » (, mei?) et « gouvernement » (, ji?)).

Histoire politique[modifier | modifier le code]

Crises du régime shogunal à la fin de l'ère Edo[modifier | modifier le code]

Lors de ses trente dernières années d'existence, le shogunat Tokugawa, qui dirige le Japon depuis 1603, est confronté à trois séries de crises de différentes natures qui ébranlent ses fondations. La première période de crises est déclenchée par la grande famine Tenpō qui frappe l'archipel de 1833 à 1837. Aux centaines de milliers de morts enregistrés dans le pays[1] s'ajoute la rébellion de Ōshio Heihachirō en 1837, qui vise à débarrasser le pays des fonctionnaires corrompus, accusés d'avoir aggravé la crise par leur cupidité[2]. Les autorités shogunales promeuvent alors Mizuno Tadakuni. Pour répondre au mécontentement de la population, celui-ci engage les réformes Tenpō[3], qui se soldent par un échec, et aggravent au contraire la perte de confiance envers le régime. Dans le même temps, de grands seigneurs locaux tirent leur épingle du jeu en modernisant efficacement leurs fiefs — notamment les domaines de Satsuma et de Chōshū, qui disposent de forces militaires équipées d'armes modernes[4].

Une deuxième période de crises s'ouvre lors des années 1840 et 1850, dominée par les questions internationales. Lors de la première guerre de l'opium, la victoire du Royaume-Uni en 1842, face à la Chine, puissance dominante du continent, fait prendre conscience aux différentes élites du pays de la menace que représente la puissance des Occidentaux pour le Japon[1]. La menace se concrétise en 1853, lorsque l'amiral américain Matthew Perry et ses « navires noirs » arrivent dans la baie d'Edo et réclament l'ouverture de relations diplomatiques et commerciales avec le pays[5]. En ce qui concerne la réponse à donner à ces demandes, des lignes de fracture apparaissent entre les responsables du shogunat, les grands seigneurs, et la cour impériale — ce qui contribue à affaiblir le pouvoir shogunal[6]. Un traité d'amitié est finalement signé en 1854 avec les Américains, puis un traité commercial avec les puissances européennes, en 1858[7]. Si la menace militaire occidentale ne se matérialise pas lors de cette période[n 1], l'ouverture du marché intérieur aux Occidentaux est à l'origine de plusieurs crises politiques et économiques, alors qu'une inflation galopante frappe le pays[8].

Peinture d'une grande pièce dans un palais japonais. L'empereur du Japon est visible au centre, entouré de dignitaires à genoux devant lui.
Restitution des pouvoirs du shogun Tokugawa Yoshinobu à l'empereur Meiji en 1867.

La troisième et dernière période de crises agite les dix dernières années du régime. Ces crises, à la fois économiques, politiques et sociales, provoquent la chute du régime[1]. Les responsables du shogunat Tokugawa se divisent en deux branches, l'une conservatrice dirigée par Ii Naosuke, l'autre réformiste. Cette dernière branche est frappée par la purge d'Ansei en 1858-1859, avant que l'aile conservatrice ne soit elle aussi victime de l'assassinat de son dirigeant Ii Naosuke, lors de l'incident de Sakuradamon en 1860[9]. Les samouraïs issus des couches les plus défavorisées émergent en 1860-1862, comme une force politique importante, susceptible de s'opposer au pouvoir shogunal. En 1867, un courant d'agitation populaire et festif, le Ee ja nai ka, réunit cinq à six millions de personnes dans le pays. Le rapport de force entre le shogunat Tokugawa et la maison impériale s'inverse lors de la décennie. L'empereur apparait de plus en plus comme le plus apte à assurer le salut du pays[10]. La mort du shogun Tokugawa Iemochi en 1866 et celle de l'empereur Kōmei en 1867 précipitent la transition politique. Le nouveau shogun Tokugawa Yoshinobu décide de « restituer ses pouvoirs » au nouvel empereur Meiji en . La transition ne se fait pas sans heurts, et les forces des domaines de Satsuma et de Chōshū, favorables à l'empereur, affrontent les dernières forces shogunales lors de la guerre de Boshin en 1868-1869[11].

Premières réformes du régime (1868-1873)[modifier | modifier le code]

Photo noir et blanc d'un homme assis sur un fauteuil, en tenue impériale officielle, un sabre à la hanche, un bicorne posé sur une table à gauche.
L'empereur Meiji, photographié par Uchida Kuichi en 1873.

Dans sa première déclaration en 1868, l'empereur présente une loi fondamentale — le Serment en cinq articles, prélude à une constitution et gage de liberté d'expression — et indique qu'une lutte contre la hausse des prix va être entreprise. Une coalition instable est alors au pouvoir, composée du parti anti-shogunal et centrée sur les leaders du domaine de Satsuma et sur les nobles de la cour[12]. Le nouveau gouvernement restitue leur fief aux Tokugawa, cependant amputé des quatre cinquièmes de son revenu. Le début de l'ère Meiji est proclamé en . Le premier organe de gouvernement de ce nouveau régime est un conseil honorifique : celui-ci tente de maintenir encore un équilibre entre, d'une part les domaines ayant participé au renversement de l'ancien régime, d'autre part la noblesse de cour[13].

Lors des mois suivants sont opérés plusieurs changements d'organisation, ce qui permet l'émergence de personnalités comme Ōkubo Toshimichi, Kido Takayoshi et Iwakura Tomomi. Du au sont publiées 34 ordonnances importantes, allant de la suppression des monnaies locales jusqu'à l'interdiction de certains châtiments corporels[14]. Une réforme territoriale remplaçant les anciens domaines par des préfectures est menée à bien au deuxième semestre 1869[15], avec comme conséquence principale une plus grande centralisation de l'État. Un impôt foncier est introduit en 1873 pour garantir une recette publique stable. De 1868 à 1875, de grandes réformes d'inspiration occidentale sont entreprises — touchant l'éducation, l'armée et le système juridique — et des experts étrangers sont engagés[16].

Fin 1871, Ōkubo, Kido et Iwakura laissent leur place à la tête du gouvernement pour prendre la direction de la mission diplomatique Iwakura — laquelle doit traverser les États-Unis et l'Europe pour renégocier les traités inégaux mais aussi s'informer sur les sociétés et technologies occidentales. Le gouvernement qu'ils laissent derrière eux doit en théorie se limiter à la gestion des affaires courantes et se tenir à l'écart de décisions politiques trop critiques. Saigō Takamori, Itagaki Taisuke, Ōkuma Shigenobu et Etō Shinpei, qui dirigent ce gouvernement d'intérim, se lancent au contraire dans de grandes réformes : en 1872, la scolarité est rendue obligatoire au primaire, toute forme de trafic d'êtres humains (travailleurs, prostitués…) est interdite, le calendrier grégorien est adopté et, l'année suivante, sont instituées une nouvelle taxe foncière ainsi que la conscription[17]. Dans le même temps, au cours de leurs voyages, les membres de la mission Iwakura acquièrent la conviction que le Japon doit se lancer dans une modernisation radicale, pilotée par un État fort, et mise en œuvre de manière progressive. Si les réformes de ce gouvernement d'intérim ne sont pas remises en cause lors du retour de la mission Iwakura, les deux camps ont en revanche l'occasion de s'opposer au sujet du Seikanron — projet d'invasion de la Corée en 1873, repoussé par l'empereur, qui prend ainsi le parti d'Iwakura[18].

Les soutiens du projet d'invasion de la Corée mis en minorité, comme Etō Shinpei, Gotō Shōjirō, Saigō Takamori, quittent le gouvernement. Certains, comme Etō, prennent la tête de rébellions locales (rébellion de Saga en 1874 pour Etō, rébellion Shinpūren en 1876…). Saigō en particulier prend la tête de la rébellion de Satsuma en 1877, dernière grande révolte de samouraïs, dont la répression achève d'asseoir la légitimité du nouvel État[19].

Atermoiements sur la forme du régime (1873-1890)[modifier | modifier le code]

Déjà mentionnée dans la Charte du serment de 1868, l'adoption d'une constitution fait partie des premières promesses du régime. Ce projet devient un symbole politique fort de l'accession du Japon à un nouveau rang civilisationnel. Dès le début des années 1870, des ébauches sont rédigées au sommet de l'État, mais celles-ci restent sans suite. Dans le même temps, les intellectuels s'emparent du sujet — très largement discuté dans la presse —, qui touche alors des millions de lecteurs. La conférence d'Osaka de 1875 réunit plusieurs responsables d'opposition pour en débattre. Un décret de 1875 réaffirme la promesse d'adoption d'une constitution, mais sans précision de date ou de délai. En 1881, l'accumulation de crises politiques (dont l'affaire du bureau de colonisation de Hokkaidō) cristallise le mécontentement de la population. Pour apaiser les oppositions, le pouvoir décide par décret de la mise en place d'une constitution et d'un parlement dans les dix ans[20].

Les débats s'articulent autour de deux grandes tendances. D'un côté, les personnes à la tête du régime — comme Ōkubo, puis Itō Hirobumi — sont favorables à un État autoritaire et fort, mieux à même selon eux de faire aboutir les politiques nécessaires à la modernisation du Japon. Face à eux, les tenants d'une ligne libérale sont favorables à un plus grand droit laissé au peuple, garant d'une plus grande légitimité pour le régime. Cette dernière ligne est défendue par des responsables politiques comme Itagaki ou Ōkuma, et rassemble de nombreux membres au sein du Mouvement pour la liberté et les droits du peuple[21], puis au sein des partis Rikken Kaishintō et Jiyūtō[22]. Ces mouvements deviennent rapidement populaires — à tel point que le gouvernement peine à les contenir —, mais sont aussi gagnés par une certaine radicalité. Les années 1884-1885 connaissent un pic de violence avec des évènements comme les incidents de Chichibu et ceux d'Ōsaka, qui entraînent l'intervention de l'armée. Les plus modérés finissent par quitter ces partis, qui dès lors perdent en influence[23]. Toujours en 1885, la population critique abondamment le manque d'autorité du gouvernement à l'international, lors du coup d'État de Gapsin en Corée, qui menace les intérêts du Japon face à ceux de la Chine[24].

Le régime s'oriente alors vers une monarchie laissant le pouvoir suprême à l'empereur[25]. Les institutions qui régissent l'État, modelées sur le régime des codes, sont réformées en 1885 et un système de cabinets ministériels à l'européenne est adopté. À sa tête, est placé le cabinet du Premier ministre. Le système des kazoku et des shizoku est réformé de manière à préparer l'instauration d'une chambre haute dont les membres proviendraient d'une aristocratie cooptée[26]. Si les débats s'articulent autour de deux modèles de constitution européenne — l'une britannique et libérale, l'autre prussienne et autoritaire —, le projet développé reflète le rapport de force entre les soutiens de ces deux modèles. La constitution retenue énumère un certain nombre de droits civils et dote le parlement de deux chambres, dont l'une, élue au suffrage direct, est autorisée à rédiger des lois et à voter le budget. Cependant, c'est à l'empereur que répondent le gouvernement et l'armée[27].

C'est le qu'une constitution est effectivement adoptée, qui fixe la répartition des pouvoirs[28]. La date est choisie pour correspondre à la date anniversaire de la fondation mythique du Japon par le premier empereur Jinmu et la constitution est présentée comme un « cadeau accordé par l'empereur à ses sujets »[29].

Débuts du parlementarisme japonais (1890-1900)[modifier | modifier le code]

Les premières élections législatives de l'histoire du pays se tiennent en juillet 1890, et placent le Jiyūtō et le Rikken Kaishintō en tête de la représentation nationale, rassemblant à eux deux 170 des 300 sièges de la chambre des représentants[30]. Ces deux partis s'opposent à l'oligarchie — qui tient toujours le pouvoir dans la chambre des pairs et qui décide de la composition du gouvernement. La puissance réelle du Jiyūtō et du Rikken Kaishintō est cependant amoindrie par la faiblesse de leur base électorale. Du fait du suffrage censitaire, seul 1 % des Japonais dispose du droit de vote lors de cette première élection, ce qui amoindrit la légitimité de ces partis et exclut d'autres mouvements de masse de la représentation démocratique[31].

Les premiers gouvernements formés par l'oligarchie continuent de relever du rapport de forces déjà présent au sein du pouvoir. Les représentants des clans de Satsuma (Matsukata Masayoshi…) et de Chōshū (Yamagata Aritomo, Itō Hirobumi…) se répartissent les postes avec une grande régularité[32]. La chambre des représentants s'oppose régulièrement à ces gouvernements nommés par l'empereur, dans le but d'obtenir plus de pouvoir pour leur assemblée. L'obstruction passe notamment par le refus de vote du budget, tel que présenté par le gouvernement plusieurs années de suite, aspect sur lequel la chambre des représentants dispose de prérogatives[30]. De son côté, le gouvernement a le droit de dissoudre la chambre des représentants — ce qu'il fait à plusieurs reprises, mais sans parvenir à faire évoluer le rapport de force. Les mêmes personnes sont réélues, élection après élection, et la composition de la chambre des représentants évolue peu[33]. Le manque d'assise du gouvernement au sein des assemblées le rend faible et instable, sa composition, ouverte aux évolutions des rapports de force au sein de l'oligarchie[34].

En 1894, le déclenchement de la guerre sino-japonaise en Corée suspend provisoirement l'opposition entre la chambre des représentants et le gouvernement, dans une forme d'« union sacrée » autour de la figure de l'empereur. En , les puissances occidentales contestent certains points du traité de Shimonoseki et mettent fin à la guerre contre la Chine, ce qui favorise les échanges entre membres de l'oligarchie et responsables de partis de la chambre des représentants[30]. L'oligarchie prend conscience que sans les partis de la chambre des représentants, aucune stabilité institutionnelle n'est possible, tandis que les partis de la chambre des représentants comprennent qu'ils ne pourront jamais accéder au pouvoir sans d'abord accéder au gouvernement. Les deux camps commencent ainsi à passer des alliances ponctuelles, de manière à étendre leurs zones d'influence respectives[35].

En est instauré le premier gouvernement reposant sur une alliance entre l'oligarchie et un parti de la chambre des représentants. En , le Premier ministre Itō Hirobumi nomme le président du Jiyūtō, Itagaki Taisuke, ministre de l'Intérieur. La recherche d'alliances entre oligarchie et partis de la chambre des représentants est renouvelée quatre fois entre 1895 et 1900, et aboutit à la formation de trois gouvernements de ce type[36]. En 1898, le premier gouvernement reposant exclusivement sur une alliance des partis de la chambre des représentants voit le jour. Le Kenseitō, parti issu de la fusion du Jiyūtō et du Rikken Kaishintō, soutient la formation d'un gouvernement avec Ōkuma Shigenobu comme Premier ministre. Si le gouvernement ne tient que quatre mois, il inaugure la pratique des gouvernements reposant principalement sur des partis de la chambre des représentants[37].

Le collège électoral de la chambre des représentants connaît une évolution importante en 1900. Le seuil de taxes permettant d'être électeur est abaissé : le nombre d'électeurs passe ainsi de 502 000 en 1898 à 982 000 en 1900. Les circonscriptions électorales sont aussi modifiées et favorisent la population urbaine au détriment des territoires ruraux[38]. Les rapports entre haute-administration et élus sont régulés par une série de décrets autour de 1900. Les hauts fonctionnaires n'ont plus accès aux postes de vice-ministres, et le poste de ministre de la Guerre est limité aux militaires encore actifs les plus gradés. Le système des dépouilles et le pantouflage sont combattus, et le recrutement par concours de la fonction publique est renforcé[39].

Ancrage de la pratique parlementaire (1900-1924)[modifier | modifier le code]

Une recomposition des partis politiques s'amorce en 1900, lorsque Itō Hirobumi et Hoshi Tōru se rapprochent pour fonder le parti Rikken Seiyūkai, unissant à la fois des anciens membres de la chambre des représentants issus du Kenseitō et des membres de la chambre des pairs de différentes tendances. Ce nouveau parti domine la politique japonaise au cours des deux décennies suivantes[40]. Si lors de cette période, ce nouveau parti est majoritaire à la chambre des représentants, il doit y composer avec l'opposition de partis plus faibles, comme le Kensei Hontō. Ces derniers peuvent quant à eux compter sur une alliance avec la faction menée par Yamagata Aritomo à la chambre des pairs, où elle domine. Le rapport de force entre ces deux groupes perdure jusqu'à la fin de l'ère Meiji en 1912[41]. Ce fonctionnement gouvernemental et parlementaire s'ancre dans la pratique politique japonaise et, lors de la décennie suivante, de 1901 à 1913, Katsura Tarō et Saionji Kinmochi occupent de façon alternée le poste de Premier ministre pour le compte de ces deux familles politiques[42].

En 1913, un an après le décès de l'empereur Meiji, la crise politique Taishō met fin à cette répartition du pouvoir et ouvre l'époque de la démocratie Taishō[42]. À la suite d'un conflit avec les dirigeants militaires, le premier ministre Saionji Kinmochi est contraint de démissionner. Souhaitant alors diminuer les dépenses de l'armée pour faire baisser les impôts, il se heurte au refus des militaires de participer au gouvernement[n 2]. Katsura Tarō, un ancien militaire et membre de l'oligarchie, lui succède. Il prend la décision de maintenir le budget de l'armée et s'appuie sur des personnalités de l'oligarchie et sur des proches des anciens clans Satsuma et Chōshū. Katsura doit alors faire face à un mouvement d'opposition mené par des députés. Efficacement relayé par des journalistes issus de l'université Keiō, ce mouvement rencontre un écho favorable dans l'opinion publique, ce qui entraîne des émeutes. Des journaux pro-Katsura sont pris pour cibles et mis à sac[43]. L'armée doit reculer, et accepte de participer à un gouvernement sans avoir de garantie sur son budget[44].

Relations internationales[modifier | modifier le code]

Le Japon, objet de l'intérêt des puissances occidentales à la fin de l'époque d'Edo[modifier | modifier le code]

Le Japon de l'époque d'Edo entretient des relations avec l'Europe au travers des Néerlandais, ressortissants du seul État autorisé par le pouvoir à commercer avec le pays, en vertu d'une politique de contrôle strict des frontières. Les Pays-Bas bénéficie d'un statut de partenaire privilégié dans d'autres secteurs que le commerce et conseille régulièrement le pouvoir shogunal pour mieux analyser les demandes des autres puissances occidentales. Ils servent aussi d'intermédiaire pour introduire de nouveaux savoirs dans le pays. C'est ainsi qu'ils fournissent le premier navire-école moderne au Japon et forment ses officiers à la guerre moderne au centre d'entraînement naval de Nagasaki, en 1855, un an après l'arrivée des Américains dans le pays. Cependant, vers la fin de l'époque d'Edo, les Japonais prennent conscience que les Pays-Bas ne sont plus une puissance majeure et qu'ils ne peuvent pas être d'une aide importante en cas de conflit[45]. Or, depuis la fin du XVIIIe siècle, des Russes sont présents dans l'environnement immédiat du Japon, au nord, où les deux pays se croisent sur l'île de Sakhaline. De plus, la Russie cherche à négocier auprès du shogunat un bail de 99 ans sur l'île Tsushima, pour y établir une base militaire. Ces avancées russes sont perçues comme une menace par le pouvoir en place[46].

En 1853, l'arrivée de l'amiral américain Perry dans la baie d'Edo signe la fin de la politique d'isolement du pays[9], qui dès lors doit composer avec la présence des puissances occidentales. En 1858, le tairō Ii Naosuke est contraint de signer avec celles-ci une série de traités inégaux, ce qui provoque la dernière grande crise du régime[8]. Tandis que Naosuke s'efforce d'engager des négociations avec les puissances étrangères afin d'éviter une guerre, il doit faire face à une opposition qui souhaite expulser les étrangers du Japon[9]. Une agitation gagne alors plusieurs régions du pays[47]. L'opposition se radicalise lorsque, pour la première fois depuis plusieurs siècles, l'empereur régnant intervient publiquement et manifeste sa désapprobation à l'égard de l'action du gouvernement shogunal. En 1863, l'empereur Kōmei signe l'ordre d'expulser les barbares[9]. Il s'ensuit une série de heurts avec les Occidentaux qui culmine avec le bombardement de Shimonoseki en 1864. Dans le même temps, le Japon devient l'objet d'un affrontement diplomatique à distance entre la France et le Royaume-Uni. Si la France obtient de moderniser les troupes du pouvoir shogunal, le Royaume-Uni soutient au contraire la rébellion des clans du sud, qui finalement l'emportent et renversent le régime. Le Royaume-Uni remporte ainsi une victoire diplomatique dans le pays, qu'il exploite par la suite[46].

De 1864 à 1882[n 3],[48], les puissances occidentales ne sont concernées que par des enjeux européens, ce qui évite au Japon de devenir un de leurs champs d'affrontements. La Russie, qui cherche à étendre son influence en Asie centrale et dans les Balkans, provoque une réaction du Royaume-Uni. Paris doit faire face à l'échec de sa diplomatie au Mexique, puis à un affrontement militaire avec la Prusse, en 1870. De leur côté, les États-Unis sont pris dans la guerre de Sécession jusqu'en 1865, puis, occupés à la reconstruction du sud du pays[49]. La poussée coloniale des puissances européennes ne reprend que dans les années 1880, ce qui laisse pour un temps le Japon sans danger immédiat à affronter : les Britanniques colonisent la Birmanie en 1886, les Français, l'Indochine de 1884 à 1893[50].

La diplomatie japonaise tournée vers la modernisation du pays à partir de 1868[modifier | modifier le code]

Dès le début de la restauration de Meiji en 1868, le nouveau pouvoir fait la promesse via la charte du serment de renforcer la puissance du pays en faisant l'acquisition de nouveaux savoirs et de nouvelles technologies à l'étranger[51]. Plusieurs missions diplomatiques sont envoyées dans ce but, dont la plus importante, la mission Iwakura, parcourt les États-Unis et l'Europe de 1871 à 1873. Une cinquantaine de hauts responsables, dont Tomomi Iwakura et Itō Hirobumi, ainsi que de nombreux étudiants rencontrent des personnalités politiques, des industriels et des intellectuels occidentaux. Ils acquièrent ainsi la conviction que, si le Japon veut pouvoir résister aux Occidentaux, il ne peut limiter sa modernisation à quelques emprunts technologiques, et doit au contraire faire évoluer son organisation politique et sociale. En effet, l'origine de la puissance occidentale ne provient pas de son armée, mais des responsables civils qui ont permis à celle-ci de se développer[52].

À partir de 1872, le système éducatif japonais est modernisé en s'inspirant du système britannique[53]. À partir de 1878, La hiérarchie militaire est organisée sur le modèle de celle de la Prusse, et des officiers sont envoyés se former dans ce pays. Lors des années 1880 et 1890, la marine de guerre se développe en suivant l'exemple de la Royal Navy britannique, et sa doctrine navale est inspirée des travaux de l'amiral américain Alfred Mahan. Une fois son système judiciaire réformé et aligné sur le système occidental, le Japon fait valoir cette avancée pour renégocier certains points des traités inégaux : désormais, les expatriés au Japon n'ont plus besoin d'une protection particulière, et les clauses d'extraterritorialité deviennent de fait caduques. Le traité de commerce et de navigation anglo-japonais de 1894 entérine cette avancée, et supprime ces mesures d'extraterritorialité. Les années suivantes, le Japon obtient des renégociations de traités similaires sur les mêmes bases : la modernisation du pays est alors utilisée comme un levier de négociation par la diplomatie japonaise[54].

Des Occidentaux de nouveau présents à partir des années 1880, la Corée comme intérêt stratégique[modifier | modifier le code]

À partir de la première moitié du XIXe siècle, le Japon observe l'avancée des Occidentaux en Chine. La France et le Royaume-Uni infligent à l'empire du Milieu deux défaites importantes : lors de la première guerre de l'opium, de 1839 à 1842, puis, lors de la seconde, de 1856 à 1860[55]. Le sac du palais d'Été en 1860 impressionne les esprits japonais, et ces deux pays européens commencent à jouir d'un certain prestige dans l'archipel[46]. Les États-Unis deviennent eux aussi un acteur important dans le Pacifique à partir des années 1890, ce que la diplomatie japonaise prend de plus en plus en compte : les Américains renversent le royaume d'Hawaï en 1893 et s'installent à Guam et aux Philippines à la suite de la Guerre hispano-américaine de 1898, puis, aux Samoa en 1899. Entretenir de bonnes relations avec cette puissance devient un objectif majeur, d'autant plus qu'il s'agit d'un pays d'émigration important pour le Japon, dont les élites par ailleurs fréquentent en nombre les universités américaines. En prévision d'un possible conflit avec la Russie, le gouvernement japonais cherche par plusieurs moyens à s'attirer la bienveillance des autorités américaines, acteur probable de toute négociation de paix[56].

À partir de 1873, la Corée devient un enjeu stratégique pour certains hommes politiques japonais. Cette année-là, les dirigeants nippons débattent sur la question de l'invasion de la Corée, mais l’idée est tout d'abord repoussée en raison de l'insuffisance de la préparation et de la modernisation japonaises. Ce n'est qu'en 1875, à l'occasion de l'Incident de Ganghwa, que commence véritablement l'implication japonaise dans le pays. La péninsule ainsi que la région de la Mandchourie en Chine deviennent des objectifs majeurs à long terme, autour desquels la diplomatie japonaise se concentre lors des décennies suivantes[57]. La Corée est considérée comme un objectif stratégique, d'autant plus que la Russie cherche à s'étendre dans la région. En effet, en 1891, le début de la construction du Transsibérien menace le projet d'extension japonaise, et une Corée sous influence russe pourrait servir de tête de pont à une invasion du Japon par la Russie. La Chine continue d'entretenir des relations tributaires avec la Corée, ce qui constitue aussi un obstacle dans les prétentions japonaises sur la péninsule[58]. L'incident d'Imo en 1882 permet au Japon d'augmenter le nombre de ses troupes dans le pays[59]. Politiquement, le Japon est aussi actif pour s'immiscer dans la politique locale, notamment auprès des réformateurs coréens. C'est ainsi qu'il soutient une tentative de coup d'État en 1884. Si celle-ci est un échec, le traité négocié par la suite en 1885 permet au Japon de supprimer temporairement la présence militaire chinoise en Corée[60]. La péninsule est ainsi l'objet de la guerre du Japon contre la Chine en 1894-1895[61]. Après cette date, la Chine — battue par le Japon lors de cette guerre — voit son influence réduite à néant dans la péninsule. La Russie profite de cette vacance du pouvoir pour s'immiscer dans les affaires internes de la Corée, où elle tente de faire jeu égal avec le Japon les années suivantes[62]. De plus, le Japon doit également renoncer à ses conquêtes en Chine, en raison de l'implication d'autres pays occidentaux, par le biais de la Triple intervention en . La France, le Royaume-Uni, et la Russie font pression sur le Japon pour qu'il revienne sur certains points de son traité de paix avec la Chine, dont son occupation de la péninsule du Liaodong. Ne pouvant s'opposer à ces puissances, le Japon est contraint de reculer, et dès 1898, la Russie parvient à occuper la péninsule du Liaodong. Si l'armée nippone fait une première démonstration de ses capacités, le Japon perd le fruit de ses victoires militaires en raison d'une diplomatie encore inexpérimentée. Cet échec est mis à profit, et une préparation diplomatique précède les conflits suivants[63].

Par la suite, le Japon accélère sa politique en Corée en soutenant le coup d'État de Daewongun et la mise en place des Réformes Gabo en 1894, qui lui donnent une plus grande emprise sur la péninsule[64]. En 1895, l'assassinat de la reine Min, soutenu par des Japonais, ainsi que le regain d'influence de la Russie, marquent un relatif recul du Japon dans le pays[65]. Entre 1895 et 1905[66], la Russie fait alors jeu égal avec le Japon en termes d'influence. En 1896, le général Yamagata tente de ménager les Russes en leur proposant de se répartir la Corée autour du 38e parallèle, ce qu'ils refusent. En 1898, la diplomatie japonaise renouvelle la proposition auprès des Russes — après que ces derniers ont obtenu la concession de Port-Arthur dans la péninsule du Liaodong —, mais celle-ci est de nouveau repoussée. Après la révolte des Boxers en 1900, à l'issue de laquelle les Russes obtiennent de nombreuses concessions en Mandchourie, la « question russe » revêt une importance majeure. Les années suivantes, d'autres options sont proposées au pouvoir russe, de manière à obtenir des zones d'influence exclusives : la Mandchourie pour les Russes, et la Corée pour les Japonais. Ces propositions essuient de nouveaux refus, la Russie visant toujours à intégrer la Corée à sa sphère d'influence[62]. L'intransigeance de la Russie sur cette question convainc les responsables japonais qu'une guerre contre ce pays est inévitable. De manière à éviter les déconvenues diplomatiques de la guerre contre la Chine quelques années plus tôt, le Japon prend soin au préalable de nouer l'alliance anglo-japonaise en 1902, afin de pouvoir compter sur des soutiens lors de futures négociations de paix[67]. À l'issue de la guerre russo-japonaise, la défaite russe de 1905 finit d'asseoir la domination nippone sur la péninsule. C'est ainsi que le traité d'Eulsa transforme la Corée en protectorat du Japon, prélude à l’annexion du pays en 1910[66].

Recherche d'alliances avec les Occidentaux jusqu'à la Première Guerre mondiale[modifier | modifier le code]

Le Japon densifie ses relations avec les puissances occidentales à l'issue de sa victoire contre la Russie en 1905. Son intervention en 1901 au sein de la coalition militaire contre les Boxers lui a déjà permis d'obtenir quelques concessions en Chine et de développer son influence[68]. Grâce aux traités de Shimonoseki en 1895 et de Portsmouth en 1905, le Japon accède au rang de puissance régionale. L'alliance anglo-japonaise négociée en 1902 est reconduite en 1905 et 1907. La Russie noue quant à elle quatre traités entre 1907 et 1916 ; la France en fait de même en 1908, suivie par les États-Unis en 1908, via les accords Root-Takahira. Le Japon intègre ainsi le système des puissances déjà en place en Asie, sans chercher alors à remettre en cause celui-ci, se contentant de négocier quelques concessions et d'obtenir une reconnaissance de son rang au sein des puissances internationales[69].

L'éclatement de la révolution chinoise de 1911 fait évoluer les perspectives du Japon, et la situation en Chine devient un point de crispation pour les pouvoirs japonais. Les gouvernements qui se succèdent à l'époque (Saionji et Yamamoto) sont très partagés sur l'attitude à adopter, et sont tiraillés entre les aspirations incompatibles des libéraux et de l'armée. Sun Yat-sen, qui s'est réfugié au Japon en 1913, peine à y trouver des soutiens. Cherchant à protéger ses intérêts dans le pays, le gouvernement japonais soumet vingt et une demandes au gouvernement chinois de Yuan Shikai[70]. Celui-ci est contraint d'en accepter une partie, et la Chine devient alors de fait un protectorat du Japon. Cependant, le pouvoir chinois parvient entretemps à trouver le soutien des États-Unis, encore neutres lors de la Première Guerre mondiale, lesquels par la voix de leur secrétaire d'État William Jennings Bryan mettent en garde le Japon contre toute action qui « violerait la souveraineté chinoise ». Le Japon commence ainsi à s'aliéner le gouvernement des États-Unis pour de maigres avantages en Chine[71].

Économie[modifier | modifier le code]

Premières initiatives étatiques au début de l'ère Meiji[modifier | modifier le code]

L'industrie est modernisée en ayant recours au modèle des manufactures d'État. Des usines sont créées ex nihilo grâce à du matériel acheté à crédit à l'étranger, et des usines plus anciennes — créées par des daimyō ou l'administration shogunale — sont reprises par l’État[72]. Le développement de Hokkaidō est aussi décidé. Les évolutions sociales rapides sont cependant à l'origine de révoltes parmi les samouraïs — comme en 1874 à Saga, et en 1877 à Satsuma — qui font peser de nouvelles charges sur l'État[73]. Pour faire face aux déficits budgétaires causés par les dépenses, le gouvernement et les banques ont recours à de nombreuses émissions de monnaie, ce qui fait plonger la valeur des billets en circulation, face aux pièces d'argent. En 1880 un cours forcé des billets est imposé et la même année, un coup de frein est donné aux dépenses visant au développement industriel[25]. Cette crise monétaire entraîne une dépression de 1881 à 1886, que le ministre des finances Matsukata Masayoshi doit affronter. Les dépenses de l'État sont réduites, et plusieurs impôts, instaurés — dont l'impôt sur le revenu, en 1887. Créée en 1882, la Banque du Japon assure la conversion des billets émis auparavant en pièces d'argent, et permet ainsi d'assainir la situation financière[74].

Les entreprises créées par l'État au début de l'ère Meiji sont privatisées dix ans après leur création, ce qui permet au gouvernement de dégager des liquidités. Des conglomérats, comme Mitsubishi ou Mitsui, se renforcent par ce biais, le plus souvent à très bon compte[75]. Ces entreprises nationales créées dans les années 1870 concentrent leurs activités dans le domaine de la construction navale, des arsenaux et des mines. L’État prend aussi des initiatives pour construire des usines produisant du ciment, du verre et des lainages[76].

La production agricole connaît quelques progrès entre les années 1860 et les années 1890. Bien que la population augmente de près d'un tiers au cours de cette période, le pays reste exportateur de produits agricoles. La surface cultivée augmente de près de cent mille hectares de rizières, et de 80 000 hectares de terres agricoles sèches, la moitié de cette dernière surface étant obtenue grâce à la mise en valeur de Hokkaidō. L'amélioration des transports et le déploiement d'entrepôts plus modernes permet aussi de réduire les pertes alimentaires[77].

La production minière est rapidement considérée comme une priorité, permettant d'alimenter de nouvelles usines. Sous l'impulsion de personnalités comme Inoue Kaoru, l'État acquiert des mines, de manière à les moderniser, puis ouvre des écoles dans lesquelles des conseillers étrangers sont employés pour former les mineurs. L'usage d'outils modernes, comme des pompes à vapeurs ou des explosifs, se développe. La production de charbon passe ainsi de 400 000 tonnes dans les années 1860 à 2 600 000 tonnes en 1890. Entre 1860 et 1900, la production de cuivre passe quant à elle de 1 000 à 29 400 tonnes[78].

Des infrastructures modernes commencent à être déployées à l'échelle du pays. En 1895, sont construites plus de trois mille kilomètres de lignes de chemin de fer, la plupart à l'initiative d'investisseurs privés. À la même date, six mille kilomètres de lignes télégraphiques parcourent le pays. À partir des années 1870, le Japon développe aussi une marine marchande, laquelle lui permet de contrôler 14 % des flux rentrants dans les ports du pays[78].

Le Japon continue de dépendre de l'Occident pour plusieurs de ses importations, comme les machines-outils, l'acier, les équipements militaires. Le pays importe aussi de grandes quantités de balles de coton pour ses usines de tissu. Le Japon exporte ensuite ses cotonnades, qui au début des années 1890, représentent 42 % de toutes ses exportations[76].

Forte croissance dans la seconde moitié de l'ère Meiji[modifier | modifier le code]

L'économie japonaise connaît une phase de forte croissance dans la seconde moitié de l'ère Meiji. Entre 1880 et 1914, le revenu national brut augmente de 4 % par an en moyenne. Cette tendance est plus accentuée entre 1895 et 1905, la production industrielle doublant lors de cette période. Le secteur textile représente une part importante de cette production et joue un rôle moteur pour le reste du secteur industriel. En 1900, 67 % des ouvriers y travaillent et en 1913, la production du pays atteint la quatrième place mondiale[79]. En 1904, l'industrie lourde bénéficie du déclenchement de la guerre russo-japonaise, mais aussi, de l'essor des chemins de fer dans le pays. La production passe de sept mille tonnes d'acier en 1901 à 70 000 tonnes en 1906, et 500 000 tonnes en 1919[80]. La part des actifs travaillant pour l'industrie passe de 6 % en 1880 à 20 % en 1920[79]. En 1918, la part de la production industrielle dépasse la part de la production agricole dans le revenu national brut[80].

Le développement de l'industrie lourde japonaise s'accompagne de quelques particularités. L'importation de matières premières depuis l'étranger (comme le charbon et le fer) — en tant que principales sources d'approvisionnement — permet à des aciéries comme celles de Yahata (ouverte en 1901) de prospérer au-delà de ce que permet la production locale. Celle-ci est alors essentiellement approvisionnée en minerai venant de Chine ou de Corée, préfigurant la logistique industrielle qui se met en place par la suite, lors de l'exploitation des colonies japonaises[81]. La transition de la machine à vapeur vers l'électricité est tout aussi rapide au Japon[82]. Dès 1887, une première centrale électrique au charbon ouvre à Tokyo, et en 1891, la première centrale hydroélectrique ouvre près de Kyoto. En 1913, 2,3 millions de foyers ont accès à l'électricité, et ce chiffre double dès 1917. Toujours en 1917, l'électricité dépasse la vapeur en puissance utilisée dans les usines du pays[83] ; elle permet le développement de certaines productions, comme celle de fertilisants, mais aussi, le fonctionnement des usines la nuit, grâce à la généralisation des ampoules électriques[84].

Cependant, la hausse de la production se fait souvent au détriment des travailleurs des différents secteurs. Dans l'agriculture, près de la moitié des surfaces cultivées sont exploitées par des fermiers qui ne possèdent pas la terre, et qui doivent parfois reverser à leurs propriétaires près de 60 % des fruits de leur travail. Dans le secteur textile où la main d’œuvre est principalement féminine, les salaires sont particulièrement bas, et les conditions de travail et d'hébergement, le plus souvent insalubres[85]. Les conditions ne sont guère différentes dans le secteur minier, et des sites comme les mines de cuivre d'Ashio ont à cet égard très mauvaise réputation. De telles conditions de travail rendent le recrutement de plus en plus difficile, alors qu'il est nécessaire d'augmenter la production. De nombreux ouvriers n'hésitent pas à fuir vers les grands centres urbains, ou même à l'étranger, au Brésil ou à Hawaï[86].

À la même époque, se constitue un mouvement ouvrier, réclamant l'élaboration d'un droit du travail, ainsi qu'une amélioration des rémunérations et des conditions de travail. Des grèves éclatent dans le secteur de la métallurgie (1897) et des chemins de fer (1898), et en 1898, un premier syndicat clandestin est créé dans le secteur de l'imprimerie[86]. La réponse des autorités est initialement violente. En 1900, des lois sont promulguées pour restreindre les possibilités de manifester et de se regrouper ; l'armée et les Yakuza sont régulièrement utilisés pour réprimer les grèves. La situation se tend en particulier après l'incident de haute trahison en 1911 qui voit une douzaine d'anarchistes tenter d'assassiner l'empereur Taishō Tennō[87]. La première législation du travail n'est votée qu'en 1912, et n'est appliquée qu'à partir de 1916. Celle-ci met l'accent sur les conditions de travail, plus que sur les salaires, et vise par ce biais à développer la fidélité de l'ouvrier envers son employeur, dans une vision confucéenne[88]. L'âge minimum pour travailler est alors fixé à 12 ans et la durée maximale du travail journalier pour les femmes et les enfants, à 12 heures[89].

Société[modifier | modifier le code]

Démographie[modifier | modifier le code]

Photographie aérienne en noir et blanc d'un quartier de Tokyo.
Vue aérienne du quartier d'Akihabara à Tokyo en 1889.

Après une période de stabilité démographique à la fin de l'ère Edo, la population passe de trente à cinquante millions entre 1870 et 1915, cette augmentation étant soutenue par une baisse de la mortalité infantile et une hausse des naissances et de l'espérance de vie. Cette croissance est rendue possible grâce à l'augmentation des importations de riz et à la mise en valeur de terres arables à Hokkaidō[42] — la surface des champs y passant de 45 000 à 750 000 chō de 1890 à 1920, et la surface des rizières, de 2 000 à 83 000 chō sur la même période. La part de la population citadine connaît aussi une hausse : 28 % des Japonais vivent dans des villes de plus de dix mille habitants, contre 16 % en 1893. En 1903, Tokyo atteint deux millions d'habitants et Osaka, un million, cette dernière cité triplant sa taille en un demi-siècle. Cet essor de la population urbaine entraîne une baisse du poids de l'agriculture dans le PIB du pays, celui-ci passant de 45 % en 1885, à 32 % en 1914[90].

Enseignement[modifier | modifier le code]

En 1871, est créé un ministère de l'Éducation, chargé de mettre en place un système éducatif à l'échelle du pays[91]. L'éducation de la population est une des priorités du régime, car celui-ci la considère comme un prérequis à la modernisation du Japon[92]. Une éducation primaire obligatoire de quatre ans est instaurée. Malgré un budget insuffisant, des résultats sont assez rapidement enregistrés. Une enquête de 1875 relève que près de vingt mille écoles primaires sont en activité, mais que les conditions matérielles dans lesquelles elles opèrent sont assez variées : 40 % sont hébergées dans des temples bouddhistes (souvent d'anciennes Terakoya), 33 %, dans des maisons de particuliers, et 18 %, dans des bâtiments nouveaux destinés à l'éducation[91]. La scolarisation est aussi marquée par un déficit de l'éducation des filles : toujours en 1875, seulement 20 % d'entre elles sont scolarisées, contre 50 % pour les garçons — ce retard ne sera rattrapé que vers 1900[92]. L'alphabétisation progresse assez lentement, l'absentéisme pouvant être élevé. En 1892, une enquête de l'armée indique que 27 % des recrues sont totalement illettrées, et 34 % le sont partiellement[93]. Plus largement, l'efficacité des politiques décidées au ministère se heurte à l'autonomie des autorités locales, le contenu des cours pouvant grandement varier d'une école à une autre[94]. Bien que l'éducation soit obligatoire, son financement reste à la charge des familles et des collectivités locales. Les parents sont également réticents à laisser leurs enfants aller à l'école, au lieu de les faire travailler pour financer les besoins de la famille[91].

Pour pallier les différents écueils enregistrés lors des premières années, et dans le cadre de la réorganisation du gouvernement en cabinet, un premier « ministre de l'Éducation » est nommé en 1885, Mori Arinori. Celui-ci réforme le système éducatif et lui impose une organisation qui perdure jusqu'à la fin de la période impériale. Très centralisé[95], le ministère de l'Éducation place un système universitaire public à son sommet et constitue un réseau d'universités impériales[n 4] dans les plus grandes villes du pays[96]. Mori met aussi en place une école de formation à Tokyo, chargée d'uniformiser la formation des enseignants, et ainsi, de s'assurer leur loyauté envers l'État, et non envers un pouvoir local[97]. En 1890, le Rescrit impérial fournit un cadre moral à l'éducation[98]. Le taux de scolarisation s'élève à 69 % dès 1898, et atteint presque 100 % à la fin de l'ère Meiji. En 1907, la durée de scolarité obligatoire est étendue à six ans[99].

Au début de l'ère Meiji, s'ouvrent également de très nombreuses écoles privées, dont le cursus est destiné à l'enseignement de l'anglais et/ou de savoirs occidentaux. Si la plupart d'entre elles périclitent, certaines évoluent pour constituer les premières universités privées. Ces écoles sont en majeure partie situées à Tokyo, mais des centres culturels importants comme Kyoto sont aussi concernés. Si ces écoles sont surtout animées par des formateurs japonais, certaines d'entre elles, comme Dōshisha à Kyoto, sont fondées par divers mouvements chrétiens[100]. D'autres, comme Waseda ou Keiō, sont liées à des personnalités politiques ou intellectuelles[101].

Même si la jeunesse est de plus en plus éduquée, les possibilités d'ascension sociale sont réduites, puisqu'au cours des années 1890, seul augmente le nombre de postes subalternes dans les entreprises[102]. Dans le même temps, cette population éduquée bénéficie d'un plus large accès aux écrits de journalistes et de critiques[103]. L'enseignement universitaire accueille aussi de plus en plus d'étudiants, qui sont 9 695 en 1915[104].

Pratiques religieuses[modifier | modifier le code]

Shintō[modifier | modifier le code]

À la fin de l'époque d'Edo, le shintoïsme (shintō) connaît un mouvement de rénovation. Initialement constitué autour d'un ensemble de rites de la cour au VIIe siècle, le shintō évolue au Moyen Âge sous l'influence du bouddhisme et intègre différents éléments et croyances liés aux Kami. Au XVIIIe siècle, les écoles de pensée Mitogaku et Kokugaku commencent à envisager ce courant religieux comme un socle possible de modernisation du pays. L'idée de la vénération de l'empereur commence à toucher la population au travers de slogans politiques comme Sonnō jōi (« vénérez l'empereur, expulsez les étrangers »). En plaçant en son centre la figure de l'empereur, la restauration de Meiji favorise le shintō pour fournir à l'État ses rites et sa légitimité[105].

De 1868 à 1890, le shintō renouvelle son corpus idéologique[106]. La proclamation Taikyō de 1870 consacre le caractère divin de l'empereur[107]. Les sanctuaires sont intégrés à l'État en tant qu'institutions de la puissance publique, et traités comme ne relevant pas d'une religion. Les rituels shintō mis en œuvre au sein de la maison impériale connaissent une rénovation. Les différents sanctuaires sont réorganisés à travers un réseau national hiérarchisé[n 5] dirigé par le sanctuaire d'Ise[106]. La portée de cette évolution reste toutefois limitée, non seulement en raison des faibles compétences des représentants du shintō, des dissensions qui éclatent entre eux[n 6] et de son très faible financement, mais également, à cause de l'opposition des pouvoirs bouddhistes, en particulier après l'épisode de Shinbutsu bunri, de 1868 à 1872[108]. La formation des prêtres (kannushi) est cependant centralisée et améliorée au sein du sanctuaire d'Ise, où le prince Kuni Asahiko crée un groupe de travail en 1878, et par la suite, prend d'autres initiatives de ce type, comme la fondation du Kokugakuin en 1882[106].

À partir de 1890 et jusqu'à la guerre russo-japonaise en 1905, la doctrine du shintō se consolide progressivement[106]. La période commence avec la promulgation de la constitution de l'empire du Japon et du rescrit impérial sur l'éducation en 1890, ces documents fondamentaux réaffirmant la primauté et la centralité de l'empereur au sein de l'État. Les rituels shintō sont légitimés en tant qu'outils de vénération de l'empereur[106]. Ils s'inscrivent dans les usages populaires au travers des pratiques imposées aux élèves et auxquelles se joint à l'occasion la population locale (visites de sanctuaires, fêtes scolaires…)[109]. Signe d'un début d'enracinement chez les Japonais, des associations locales se constituent par endroits, pour aider à financer le fonctionnement de sanctuaires locaux, ou faire campagne auprès de la Diète pour obtenir des financements[110]. Tokyo commence à se transformer en un site de grands rituels shintō, à l'image de ce qu'est encore Kyōto. Après la première guerre sino-japonaise de 1895, le Yasukuni-jinja (construit en 1869) est consacré en tant que lieu d'hommage national aux âmes des soldats morts pour le pays — et ce rôle est rappelé à l'issue de la guerre russo-japonaise de 1905[111].

L'intégration du shintō au sein de l'appareil d'État se poursuit de la fin de l'ère Meiji et lors de l'ère Taishō, et touche plus largement la population nippone. D'un côté, l'État parfait son contrôle sur l'institution shintō tout en assurant son financement, de l'autre, le shintō fournit à l'État, à la fois une base idéologique et un réseau de sanctuaires permettant de mobiliser en profondeur la population japonaise[106]. À partir de 1906, les prêtres reçoivent de l'argent de l'État lorsqu'ils assurent des rituels publics[112], tout comme l'école Kokugakuin chargée de la formation des prêtres, ainsi que les sanctuaires préfectoraux[113]. Au début de cette période, le financement dont bénéficient les quelque quinze mille prêtres, reste très limité. De même, le sous-financement des sanctuaires pousse nombre d'entre eux à se rapprocher pour fusionner : leur nombre passe de deux cent mille en 1906 à cent vingt mille en 1914[110]. Signe d'une plus grande pénétration au sein de la population, la construction du Meiji-jingū de 1915 à 1920 mobilise un très grand nombre de volontaires dans tout le pays[114].

Bouddhisme[modifier | modifier le code]

dessin d'une scène dans l'arrière-cour d'un temple. Trois hommes s'affairent pour détruire à coups de masse une cloche aussi large qu'un être humain.
Destruction de cloches bouddhistes pendant le Haibutsu kishaku vers 1870.

Le bouddhisme est durement touché lors de la restauration de Meiji. Au cours des siècles, un syncrétisme s'est développé entre bouddhisme et shintō[115]. Influencé par les préceptes des Kokugaku[116],[n 7], le Jingi-kan, qui au sein de l'État dirige les affaires liées au shintō, ordonne le une séparation des deux religions et une épuration des sanctuaires[115]. Le but est alors de lutter contre l'influence des pouvoirs bouddhistes sur la société, perçus comme des éléments conservateurs s'opposant à la modernisation du pays[116]. Ordre est donné aux prêtres bouddhistes exerçant dans des sanctuaires syncrétiques de se convertir au shintō ou de démissionner. Les objets de culte comme les statues et les textes sacrés doivent être évacués. La plupart des prêtres font le choix de se convertir, et vont jusqu'à afficher ce renoncement en prenant des concubines ou en mangeant de la viande de manière ostentatoire, pratiques proscrites pour les prêtres bouddhistes[117]. Souvent violent, ce processus entraîne de nombreux pillages de temples et destructions d'objets[118]. Le gouvernement prend quelques mesures pour éviter les débordements, mais celles-ci sont variablement interprétées par les autorités locales, et les troubles persistent jusqu'au début des années 1870. Des cloches sont fondues pour en faire des armes, des statues sont profanées, et des temples sont saisis par les autorités locales, comme à Satsuma[119]. Dans les régions les plus durement touchées, la plupart des temples sont détruits et de nombreux moines, tués[120]. Cette politique touche variablement les différents courants bouddhistes. Nombre de prêtres des temples du Shingon et du Tendai se convertissent au shintō, tandis que le Jōdo shinshū se montre plus virulent dans son opposition, allant jusqu'à déclencher des émeutes pour protéger ses temples[121]. Cette politique contre le bouddhisme s'infléchit en 1872, et les relations avec l'État se normalisent[122].

Cet épisode de violences envers le bouddhisme pousse certains croyants réformateurs à s'interroger sur la place de cette religion dans la société nippone et sur ses apports. Des réformes de plusieurs types sont proposées et un nouveau bouddhisme, ou shin bukkyō, voit le jour sous plusieurs formes, tandis qu'émergent des figures comme Kiyozawa Manshi[123]. Le bouddhisme monastique connaît également des évolutions — sous l'influence de Fukuda Gyōkai (Terre pure) ou Shaku Unshō (Shingon) — et le respect des dix règles du bouddhisme est réaffirmé. Plus généralement, les bouddhistes tirent profit de la méfiance envers le christianisme qui s'installe dans le pays à partir des années 1880, d'une part en réaffirmant leur loyauté envers l'empereur[124], d'autre part en cherchant à aligner leurs intérêts avec ceux des nationalistes. C'est ainsi que de nombreux moines exploitent politiquement l'incident causé par Uchimura Kanzō en 1891 — importante affaire médiatique déclenchée par cet enseignant chrétien ayant hésité à se prosterner devant l'image de l'empereur. Une personnalité comme Inoue Enryō cherche à démontrer que les préceptes du bouddhisme sont compatibles avec la science, et affirme que le bouddhisme est même supérieur au christianisme dans sa scientificité[125]. Tanaka Chigaku développe une école dont la doctrine soutient l'expansionnisme japonais en Asie[126].

Christianisme[modifier | modifier le code]

Tout au long de l'époque d'Edo, le christianisme est victime de persécutions. En 1865, à Urakami dans la région de Nagasaki, près de trois mille chrétiens qui dissimulaient leur foi sont déportés et emprisonnés. Ce n'est qu'en 1873 que la pratique du christianisme est officiellement autorisée par les nouvelles autorités. À partir de 1868, des conseillers étrangers invités dans le pays pour former les Japonais aux techniques occidentales profitent de leur position pour pratiquer un prosélytisme pro-chrétien auprès de leurs étudiants. Leroy Lansing Janes est ainsi à l'origine du Kumamoto Band[100], un groupe de convertis qui rejoignent par la suite Kyoto et l'Université Dōshisha — fondée par le missionnaire protestant Neesima — et constituent une part importante de son corps enseignant[127]. À Sapporo, c'est William Smith Clark qui convertit une partie des étudiants de la future Université de Hokkaidō ; l'un d'eux, Uchimura Kanzō, joue un rôle central dans l'essor du mouvement chrétien Mukyōkai[128]. À Yokohama, où réside une communauté étrangère importante, c'est la figure du missionnaire James Curtis Hepburn qui est prédominante[129]. À côté de ce protestantisme qui recrute essentiellement dans les couches aisées d'un Japon urbain, des missionnaires catholiques sont plutôt actifs dans les régions les plus rurales. Des orthodoxes sont aussi présents dans la région de Hakodate, où Nicolas du Japon exerce depuis 1861. Cette diffusion du christianisme connaît un certain dynamisme dans les années 1880, mais dès la fin de la même décennie, celle-ci se heurte à la poussée d'un certain conservatisme politique[130].

Condition féminine[modifier | modifier le code]

Dès le début de l'ère Meiji, les classes les plus favorisées suivent l'exemple de l'Occident, et la condition des femmes évolue quelque peu. L'époque voit disparaître certains usages, comme le noircissement des dents et la tonte des sourcils, alors que se diffuse la mode des cheveux longs. Certaines lois deviennent plus favorables aux femmes, comme celle de 1870 octroyant aux concubines la même protection que les épouses légitimes, ou celle de 1872 qui libère les prostituées de leurs anciennes servitudes[131]. La question du statut de la femme dans la société devient un thème important de débat, notamment porté par le mouvement pour la liberté et les droits du peuple, dans les années 1870 et 1880. Associée à ce mouvement, la revue Meiroku zasshi propose des traductions de textes de Spencer, Mill et Millicent Fawcett sur les droits des femmes, et ses pages témoignent de nombreux débats à ce sujet. L'angle adopté est cependant davantage celui du droit naturel que celui du droit des femmes proprement dit. Ce dernier concept sera plus développé sous la plume de Fukuzawa Yukichi, dans Nihon fujinron (en 1885). Une revue comme Jogaku zasshi, éditée à partir de 1885, permet à des auteures comme Kishida Toshiko et Shimizu Shikin d'y développer leurs idées sur divers sujets, comme l'émancipation et l'éducation des femmes, ainsi que les questions familiales[132].

Le tournant conservateur que prend le pays à partir de 1890 contrarie cependant la réalisation de ces diverses aspirations libérales. Cette année-là, les femmes se voient interdire la participation à des meetings politiques ou l'adhésion à des partis[133], et un retour à une tradition confucianiste, défavorable aux femmes, est sensible dans l'adoption du rescrit impérial sur l'éducation la même année. En 1898, le code civil japonais renforce le poids des hommes dans les questions d'héritage[134]. En 1899, si le ministère de l'Éducation crée des lycées réservés aux femmes[133], ceux-ci sont institutionnellement classés comme inférieurs à ceux réservés aux hommes, et n'ouvrent pas l'accès aux études universitaires[134]. Toujours en 1899, est publié un rescrit imposant un cadre moral à l'éducation dispensée aux jeunes filles dans ces établissements : ce nouveau texte introduit le concept de ryōsai kenbo (« Bonne épouse, sage mère ») et fixe ainsi l'objectif de la scolarisation des femmes. Ce concept de ryōsai kenbo est largement relayé dans la presse féminine jusqu'à l'après-guerre[135]. Pour combattre cette situation, un journal féministe comme Sekai Fujin est créé en 1907 par Fukuda Hideko[136], et, en 1901, Tsuda Umeko fonde une école réservée aux femmes : le collège Tsuda[137].

Média[modifier | modifier le code]

À la fin de l'époque d'Edo, le Japon dispose d'une certaine tradition dans l'édition de prospectus traitant de l'actualité. Dans les grandes villes comme Edo (Tōkyō), Kyōto et Ōsaka, on édite des kawara-ban qui peuvent à l'occasion traiter d'évènement politiques. L'essentiel de la production vise alors les élites, capables de comprendre le chinois classique, mais également, le peuple qui a accès à du contenu illustré. À l'initiative du nouveau régime, un premier journal à l'occidentale voit le jour en 1870, le Yokohama Mainichi[138]. Dès 1872, à Tōkyō, sont créés cinq quotidiens qui reprennent cette forme. Ces journaux traitent assez largement de politique, et à l'occasion, critiquent le gouvernement, ce qui entraîne en 1875 l'adoption d'une première loi sur la presse et la diffamation, permettant de mettre en place une certaine forme de censure. Les différents titres de presse se spécialisent : d'un côté les « grands journaux », traitant de politique, de l'autre les « tabloïds », traitant de faits divers ou d'événements à sensation. Cette seconde catégorie de journal voit apparaitre le Yomiuri shinbun à Tōkyō en 1874 et le Asahi shinbun à Ōsaka en 1879. À côté de ces titres se constituent aussi des journaux comme le Jiji shimpō (créé par Fukuzawa Yukichi en 1882) ou le Kokumin Shimbun (créé par Tokutomi Sohō en 1890) qui attirent à eux un lectorat plus intéressé par les grandes questions politiques et sociales de cette époque[139].

La guerre sino-japonaise de 1894-1895 et la guerre russo-japonaise de 1904-1905 jouent le rôle de catalyseurs pour le développement du tirage et de l'influence de la presse japonaise. Dans la perspective de contrôler l'opinion publique, les militaires et le pouvoir politique ne tardent pas à encadrer drastiquement ce qui peut être publié, tout en facilitant l'accès des journalistes au théâtre des opérations. C'est ainsi que, lors de la guerre sino-japonaise, une centaine de journalistes et d'artistes sont présents dans la péninsule coréenne, sous encadrement militaire. La maison d'édition Hakubunkan profite assez largement de ces opérations en publiant tous les dix jours un compte rendu des opérations militaires. Le succès de cette publication est si important qu'en 1895, il permet à Hakubunkan de financer le lancement de toute une série de nouvelles revues, telles que Taiyō ou Shōnen Sekai. Cette entreprise inaugure alors un modèle d'édition et un modèle économique qui sont repris par la concurrence. Lors de la guerre russo-japonaise, le télégraphe joue un rôle important en permettant aux informations de circuler beaucoup plus rapidement. Cette accélération favorise la presse, qui peut alors rendre compte au jour le jour des opérations militaires, la circulation de certains titres doublant lors du conflit[140]. C'est aussi lors de la guerre russo-japonaise que les premiers reportages cinématographiques voient le jour, profitant du développement du cinéma au Japon. Le gouvernement se heurte également aux limites de son propre contrôle. Le , éclatent les émeutes de Hibiya, déclenchées par plusieurs journaux qui manifestent ainsi leur opposition au traité de paix, jugé trop clément pour la Russie. Si les médias démontrent déjà le rôle qu'ils peuvent jouer pour façonner l'opinion dans un sens favorable au pouvoir politique, ces mêmes médias sont déjà capables d'être des relais politiques pour d'autres causes[141].

Productions artistiques[modifier | modifier le code]

Littérature[modifier | modifier le code]

Influence occidentale et réflexions sur la japonité (1868-1910)[modifier | modifier le code]

L'Occident influence la littérature japonaise de manière non négligeable et fait évoluer certaines de ses formes d'expression. Le roman utilisé comme support de critique sociale et politique par des auteurs étrangers, comme Disraeli ou Bulwer-Lytton, inspire plusieurs intellectuels issus du mouvement Meirokusha, ce qui déclenche un désir de découvrir les littératures nationales européennes. Ukigumo — publié par Futabatei Shimei en 1887, et considéré comme le premier roman moderne japonais — s'inspire ainsi de la littérature russe de la même époque. Les grandes figures de la période s'affirment autour de 1900[142]. Natsume Sōseki — qui a étudié à Londres et qui succède à Lafcadio Hearn à la tête de la chaire de littérature anglaise de l'université de Tokyo — s'impose avec des œuvres comme Je suis un chat (1904) ou Le Pauvre Cœur des hommes (1914). Dans ces œuvres à la dimension introspective, l'auteur critique la société de son époque, repoussant à la fois le nationalisme de son temps et les emprunts injustifiés à l'Occident[143]. Mori Ōgai, qui a reçu une éducation médicale militaire en Prusse, se fait d'abord connaître comme critique littéraire. Il est l'auteur d'une œuvre abondante où il a recours à un traitement proche du naturalisme, qu'il applique au genre du roman historique. Shimazaki Tōson fait quant à lui office de précurseur du style watakushi shōsetsu, ou I-novel, en publiant Hakai en 1906[144].

D'autres genres littéraires, comme la poésie et le théâtre, connaissent eux aussi une influence occidentale, bien que perdure la popularité de formes bien établies, comme le kabuki ou le . Un acteur de kabuki comme Ichikawa Danjūrō IX tente sans trop de succès de faire évoluer son jeu d'acteur et son maquillage en faveur d'une expression plus réaliste. Un poète comme Masaoka Shiki rencontre plus de succès en modernisant les formes du haiku et du tanka. Des formes nouvelles émergent par ailleurs, comme le shintaishi pour la poésie. À la fin des années 1880, dans la région d'Ōsaka, le théâtre voit apparaître la forme du shinpa, qui lors de la décennie suivante, s'étend à Tōkyō, où il se mue en shingeki. Cette dernière forme intègre des femmes à ses troupes de comédiens (contrairement au kabuki, dont les acteurs sont exclusivement masculins), et son répertoire comprend des pièces européennes, notamment celles du dramaturge norvégien Henrik Ibsen[145].

Lors de la première moitié de l'époque impériale, se manifeste un mouvement de réflexion sur la littérature. Inspirées par le travail de Taine sur l'Histoire de la littérature britannique (1864), plusieurs publications cherchent à proposer des compilations censées incarner les classiques d'une littérature nationale japonaise, ou à retracer l'histoire de celle-ci (publication en 1890 du Nihon bungakushi de Takatsu Kuwasaburō et Mikami Sanji)[146]. Le but recherché est alors de mettre en évidence les supposés signes distinctifs de l'« identité japonaise » en relevant les caractères récurrents de la littérature à travers les âges[147]. À ce titre, Le Dit du Genji, écrit intégralement en kana, est vu comme l'une des incarnations de cette identité purement japonaise[148]. Divers cercles littéraires publient aussi de très nombreuses revues de critique littéraire, ou dōjin zasshi. Ces publications — souvent éphémères, et dont la diffusion est limitée — regroupent par affinité des étudiants de l'université impériale de Tokyo et de l'université Waseda (où est publié Waseda bungaku à partir de 1891), deux grands pôles littéraires de cette époque. La revue Shirakaba, publiée à partir de 1910, jouit aussi d'une certaine notoriété[149].

Peinture[modifier | modifier le code]

Au début de l'ère Meiji, se développe un style de peinture à l'occidentale, appelé yō-ga. Le conseiller étranger italien Antonio Fontanesi est recruté pour enseigner la peinture au sein de la Kōbu Daigakkō. Le but initial est de rendre les Japonais capables de réaliser des dessins fidèles, compétence préalable à la mise en œuvre de grands chantiers de modernisation, du chemin de fer à la construction navale[150]. Les techniques issues de cette approche utilitariste ne tardent pas à être reprises dans des démarches plus artistiques. Certains Japonais comme Kuroda Seiki étudient les beaux-arts à Paris, et rapportent au Japon diverses connaissances sur les grands courants artistiques alors en vogue dans la capitale française. Les techniques comme la peinture à l'huile, l'aquarelle, ou le pastel singularisent la yō-ga, comparée aux productions japonaises traditionnelles, tout comme certains types de sujets, comme le nu[151].

En réaction à ce qui est perçu comme un excès d'occidentalisation, se développe le style nihonga. Le conseiller étranger Ernest Fenollosa, qui enseigne à l'université de Tokyo, et l'un de ses étudiants Okakura Kakuzō, prennent des initiatives menant à la création de l'École des beaux-arts de Tokyo en 1887. Le but recherché est d'intégrer certaines techniques occidentales, tout en conservant un style japonais. Des représentants de l'école Kanō sont recrutés pour y enseigner, comme Kanō Hōgai et Hashimoto Gahō, et l'école forme les premiers représentants de ce style, comme Shimomura Kanzan, Yokoyama Taikan, ou encore Hishida Shunsō. Fenollosa se rend aussi à Kyoto, où certains groupes locaux sont dans une démarche similaire — comme l'école Murayama ou encore l'école Shijō (d'où est issu Takeuchi Seihō, l'un des futurs grands représentants du Nihonga)[152].

Musique[modifier | modifier le code]

Les premiers groupes de musique occidentale — des ensembles de musique militaire — sont actifs dès la fin de l'ère Keiō. Au début de l'ère Meiji, l'armée et la marine disposent l'une et l'autre d'orchestres qui participent aux cérémonies ou à des représentations musicales. Dans ces deux institutions, des chefs étrangers forment les musiciens japonais. Lorsque ces derniers retournent à la vie civile, certains parmi eux deviennent à leur tour des formateurs et ainsi, participent assez largement à la diffusion de la musique occidentale dans le pays. Les musiciens officiels de la cour, qui jusque-là étaient des spécialistes du gagaku, reçoivent eux aussi une formation pratique et théorique dans ce domaine, et jouent pour la première fois le des morceaux de ce type à l'occasion de l'anniversaire de l'empereur. Le projet éducatif du régime de Meiji accorde également de l'importance à la musique occidentale, et dès la promulgation de la loi sur l'éducation de 1872, une place est réservée à celle-ci dans le cursus. Des formateurs étrangers sont recrutés pour participer à la mise en œuvre de cette politique (Luther Whiting Mason, puis Franz Eckert). La formation des futurs enseignants débute réellement en 1880, et un premier manuel scolaire est publié en 1881[153]. En 1887, est aussi créé un comité musical, futur département de musique de l'Université des arts de Tokyo. Des étudiants japonais sont aussi envoyés à l'étranger pour y étudier, comme Nobu Kōda[154], et d'autres composent des morceaux alliant tradition japonaise et technique occidentale — comme le Kōjō no tsuki, composé en 1901 par Rentarō Taki[155]. Pour répondre aux besoins, plusieurs entreprises de construction d'instruments sont fondées à la même époque, comme Yamaha pour les harmoniums (1887) ou Suzuki pour les violons (1887). Au début du XXe siècle, le Japon forme de nombreux musiciens venus de ses colonies et diffuse la musique occidentale dans ces territoires[154].

Le gagaku, ou « musique raffinée », est utilisé lors des rites impériaux et jouit d'un certain dynamisme. Ce genre a connu un renouveau pendant l'époque d'Edo grâce à des financements du shogunat[156]. Le , le Jingi-kan, bureau chargé du shintō, fonde le Gagaku Kyoku, organisme consacré à la supervision de ce genre musical[157]. Entre 1876 et 1888, les musiciens de cette institution commencent à compiler le Meiji sentei-fu, recueil du répertoire du gagaku, participant ainsi à la codification de celui-ci[158]. Le gagaku est aussi utilisé dans les relations que le pays entretient avec le monde extérieur. Des représentations musicales de ce type accompagnent la réception de dignitaires étrangers, et les expositions universelles qui se tiennent en Europe en 1867, 1873 et 1878, reçoivent des musiciens et des instruments relevant de ce genre musical[159]. De la même façon, des mélodies inspirées du gagaku — comme Kuni no shizume, ou encore Inochi wo sutete — sont composées pour les cérémonies de l'armée et de la marine, et sont ensuite adaptées à leurs orchestres respectifs[160]. L'éducation, elle aussi, est gratifiée de mélodies de ce type pour ses cérémonies. En 1893, lorsque le gouvernement publie un livret de huit chants destinés à être interprétés lors des festivals de l'année, cinq d'entre eux appartiennent à cette catégorie[161].

Dans les campagnes, subsistent différentes formes chantées populaires. Les sōshi enka pratiquent le chant de rue, dont les paroles critiquent souvent le pouvoir de manière satirique[162]. Soeda Azenbō, qui commence à parcourir le pays à la fin des années 1880, est une des figures les plus connues de cet art : ses chants sont souvent imprimés et vendus dans tout le pays sous forme de feuilles volantes[163].

Architecture[modifier | modifier le code]

À partir du début de l'ère Meiji, l'architecture japonaise intègre les influences occidentales par plusieurs canaux. Au début de la période, peu d'architectes étrangers travaillent dans le pays, tels Thomas Waters — qui à Osaka, produit l'hôtel des monnaies, ainsi que la résidence Senpukan, l'un des premiers bâtiments de style occidental au Japon. Certains de ces architectes, recrutés comme conseillers étrangers et travaillant dans l'archipel comme enseignants, sont chargés de transmettre aux étudiants japonais les techniques et les styles de construction occidentaux. C'est le cas de Charles Alfred Chastel de Boinville et de Giovanni Vincenzo Cappelletti, ou encore, de Josiah Conder — ce dernier étant chargé des premiers cours d'architecture de l'université de Tokyo. Ce transfert de savoirs est également assuré par de nombreux étudiants japonais envoyés en Europe et aux États-Unis grâce à des bourses du gouvernement, lesquels pour la plupart, une fois leurs études achevées, reviennent au pays pour y enseigner l'architecture à leur tour. C'est le cas de Yamaguchi Hanroku ou de Nakamura Junpei qui étudient à Paris, ou de Tatsuno Kingo qui étudie à Londres[164].

L'architecture pseudo-occidentale (ou giyōfū) qui apparaît au début de l'ère Meiji doit composer avec les limites techniques de l'époque. Dans un premier temps, les Japonais utilisent leurs traditionnelles techniques de construction en bois et se contentent d'imiter le seul aspect extérieur des bâtiments (comme à l'église d'Ōura, à Nagasaki). Par la suite, ils ont recours aux techniques occidentales, une fois celles-ci pleinement assimilées. Le bâtiment de la Banque du Japon, construit en 1896 par Tatsuno Kingo, apparait comme le premier bâtiment de ce style, conçu et construit uniquement par des Japonais maitrisant les techniques occidentales[164]. Un architecte comme Katayama Tōkuma s'illustre aussi en intégrant différents styles européens en fonction de ses réalisations : style baroque pour le musée national de Nara (1894), style Second Empire pour le musée national de Kyoto (1895), style néoclassique pour le hyōkeikan du musée national de Tokyo (1908), et style inspiré des palais royaux européens de l'époque pour le palais d'Akasaka. L'autre grande figure de ce courant architectural sous l'ère Meiji est Tsumaki Yorinaka, à qui l'on doit notamment le bâtiment du musée préfectural d'histoire et de culture de Kanagawa, conçu dans un style néobaroque, alors en vogue en Allemagne. Les anciens bureaux du gouvernement de Hokkaidō, le Rokumeikan (aujourd'hui détruit), ou encore l'ancienne école Kaichi, constituent d'autres bâtiments remarquables relevant de ce style giyōfū[165].

Sources[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

  1. Le Royaume-Uni concentre ses efforts en Asie sur la Chine et dédie une partie de sa puissance à la lutte contre la Russie dans le Grand Jeu en Asie centrale. La France se concentre sur la campagne de Cochinchine en Asie, et tente de contrer la montée en puissance de la Prusse en Europe. Les Américains sont occupés par la guerre de Sécession.
  2. L'armée fait partie des prérogatives de l'empereur, et statutairement c'est un militaire de haut rang qui doit être nommé ministre de la guerre. Le refus des militaires de rejoindre un gouvernement empêche donc celui-ci d'être constitué.
  3. De la fin de la guerre des Taiping en 1864, jusqu'à 1882, date à laquelle les Français prennent Hanoï, et les Anglais l'Égypte.
  4. La première, l'Université de Tokyo, est inaugurée en 1877. Elle est suivie les années suivantes par l'Université de Kyōto en 1897 et l'Université du Tōhoku à Sendai en 1907. Au total neuf universités sont créées, dont deux dans les colonies : l'Université impériale de Keijō en 1924 et l'Université impériale de Taihoku en 1928.
  5. Minatogawa-jinja est consacré en 1871 à Kōbe, Toyokuni-jinja est restauré en 1880 à Kyōto, Abeno-jinja en 1882 à Ōsaka, Kashihara-jingū en 1889 à Nara. Voir Shimazono Susumu 2009, p. 112
  6. Une querelle porte en particulier sur le nombre de dieux majeurs, trois ou quatre, à inclure dans le panthéon shintō.
  7. Motoori Norinaga (1730–1801) et Hirata Atsutane (1776–1843) en particulier se sont montrés très virulents dans les critiques du bouddhisme.

Références[modifier | modifier le code]

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Bibliographie[modifier | modifier le code]

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