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*''Mnemiopsis gardeni'' L. Agassiz 1860
*''Mnemiopsis gardeni'' L. Agassiz 1860
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'''''Mnemiopsis leidyi''''' est une espèce de [[Ctenophora|cténophores]] pélagiques transparents, faisant partie des espèces de macro[[plancton]] prédatrices (de forme ovale et lobée, de 3 à {{unité|12|cm}} de long), vivant sur la frange côtière. Il peut devenir [[espèce invasive|invasif]] dans certaines conditions<ref Name=PNAS2010>Sean P. Colin, John H. Costello, Lars J. Hansson and John O. Dabiri ; ''Stealth predation and the predatory success of the invasive ctenophore Mnemiopsis leidyi'' PNAS 2010 107 (40) 17223-17227; mis en ligne avant impression, le 20 septembre 2010, doi:10.1073/pnas.1003170107 ([http://www.pnas.org/content/107/40/17223.abstract résumé])</ref>{{,}}<ref>{{Harv|GISD, 2008|id=GISD}}</ref>.
'''''Mnemiopsis leidyi''''' est une [[espèce]] de [[cténophores]] pélagiques transparents, faisant partie des espèces de macro[[plancton]] prédatrices (de forme ovale et lobée, de 3 à {{unité|12|cm}} de long), vivant sur la frange côtière. Elle peut devenir [[espèce envahissante|envahissante]] dans certaines conditions<ref name="PNAS2010">Sean P. Colin, John H. Costello, Lars J. Hansson and John O. Dabiri ; ''Stealth predation and the predatory success of the invasive ctenophore Mnemiopsis leidyi'' PNAS 2010 107 (40) 17223-17227; mis en ligne avant impression, le 20 septembre 2010, doi:10.1073/pnas.1003170107 ([http://www.pnas.org/content/107/40/17223.abstract résumé])</ref>{{,}}<ref>{{Harv|GISD, 2008|id=GISD}}</ref>.


== Description morphologique d'un cténophore ==
== Description morphologique d'un cténophore ==
{{article détaillé|Ctenophora}}
Les cténophores sont des invertébrés rassemblés dans l’embranchement des Ctenophora. Toutes les espèces sont marines. Ces organismes sont considérés comme du plancton, c’est-à-dire que leurs déplacements sont majoritairement dictés par les courants marins. Par contre, les cténophores peuvent se déplacer légèrement en utilisant leurs rangées de peignes natatoires, faisant d’eux les plus gros animaux se déplaçant en utilisant ce genre de locomotion. Les cils présents sur chacune des huit rangées battent de façon cyclique du haut vers le bas, créant un mouvement vers l’avant.  Ils sont presqu’entièrement transparents; leur corps étant composé de deux couches de cellules. Lors du développement de l’individu, la couche externe formera l’épiderme et la couche interne formera le gastroderme. Ces deux tissus sont séparés par une couche acellulaire nommée mésoglée. Les cténophores possèdent une symétrie radiale, leur conférant généralement une forme sphérique ou ellipsoïdale. La plupart des espèces de cténophores sont prédatrices, se nourrissant de larves de poissons, de zooplancton ou même parfois d’autres cténophores, quoique certaines espèces soient parasites.
Les cténophores sont des invertébrés marins considérés comme du plancton, c’est-à-dire que leurs déplacements sont majoritairement dictés par les courants marins. Ils peuvent cependant se déplacer légèrement en utilisant leurs rangées de peignes natatoires, faisant d’eux les plus gros animaux à se déplacer grâce à ce genre de locomotion. Ils sont presque entièrement transparents et possèdent une symétrie radiale, qui leur confère généralement une forme sphérique ou ellipsoïdale. La plupart des cténophores sont prédateurs, se nourrissant de larves de poissons, de [[zooplancton]] ou même parfois d’autres cténophores, quoique certaines espèces soient parasites.


Même si les cténophores peuvent parfois ressembler à certains cnidaires (méduses), ils n’utilisent pas de [[nématocyste]]s - un type de cellules modifiées en dard causant une sensation de brûlure lors d'une piqûre de méduse – mais plutôt des colloblastes. Les colloblastes sont aussi un type de cellules modifiées, mais elles ont plutôt la fonction de coller les proies afin de les capturer. Ces cellules sont concentrées sur les deux tentacules pouvant parfois atteindre plusieurs fois la longueur de l’animal. Les espèces de la classe Tentaculata, comme c’est le cas pour ''Mnemiopsis leidyi'', possèdent des tentacules alors que ceux de la classe Nuda n’en possèdent pas; utilisant majoritairement leur bouche afin de capturer leurs proies. Cependant, les tentacules pour cette espèce sont très courts. Son mode d’alimentation principal est donc le courant créé par des cellules ciliées, qui dirige les proies vers sa bouche.
Même si certains cténophores ressemblent à des [[Cnidaria|cnidaires]] (méduses), ils ne possèdent pas de [[nématocyste]]s - des cellules modifiées en dard causant une sensation de brûlure lors d'une piqûre de méduse – mais des [[colloblaste]]s. Les colloblastes sont aussi des cellules modifiées, mais elles ont plutôt la fonction de coller les proies afin de les capturer. Ces cellules sont concentrées sur deux tentacules pouvant parfois atteindre plusieurs fois la longueur de l’animal. Les espèces de la classe des [[Tentaculata]], comme ''Mnemiopsis leidyi'', possèdent des tentacules, mais ceux de cette espèce sont très courts : son mode d’alimentation principal est donc le courant créé par des cellules ciliées, qui dirige ses proies vers sa bouche.


== Répartition et habitat ==
== Problèmes causés par ''Mnemiopsis leidyi'' ==
[[Fichier:Mnemiopsis.svg|vignette|Distribution mondiale de ''Mnemiopsis leidyi''. Il est originaire de la côte Est des Amériques mais aurait colonisé la mer Noire et la Caspienne par le déversement de l'eau de ballast de navires pétroliers.]]
À l’origine, ''Mneniopsis leidyi'' est un cténophore indigène aux régions côtières de Cape Cod, Massachussetts. Comme ce fut le cas avec énormément d’espèces marines planctoniques, ce cténophore est devenu une espèce exotique par l’entremise de l’eau de ballast de navires commerciaux. En effet, avant la mise en place de législations, les navires remplissaient leur coque de l’eau d’un port afin d’augmenter leur stabilité en mer et la vidaient lorsqu’ils arrivaient à destination, permettant ainsi à certaines espèces d’effectuer une migration autrement impossible. Maintenant, suite à une prise de conscience internationale des problèmes causés par ce genre de pratique, les navires doivent vider et remplir leur coque dans la haute mer loin des côtes. Malgré cela, certaines espèces ont réussi à coloniser d’autres milieux et, lorsque les conditions le permettent, à devenir des espèces exotiques envahissantes. Ceci est le cas de ''Mnemiopsis leidyi,'' en raison de son succès en tant que prédateur et en tant que meilleur compétiteur que les autres espèces endémiques de la Mer Noire et de la Mer Caspienne.


Cette espèce vit surtout dans les eaux côtières de l'[[hémisphère nord]] ([[mer du Nord]] et [[Atlantique Nord]], [[Méditerranée]], [[mer Noire]], [[mer d'Azov]], [[mer Égée]], [[mer Caspienne]], mais aussi sur les côtes atlantiques sud-américaines.
La Mer Noire était auparavant un milieu biodiversifié. Cependant, au cours du dernier siècle, plusieurs introductions accidentelles ou intentionnelles d’espèces exotiques ont perturbé le réseau trophique de cet écosystème. Parmi les 26 espèces exotiques que l’on retrouve dans la Mer Noire, ''Mnemiopsis leidyi'' est de loin l’espèce qui a eu le plus gros impact sur cet écosystème, car la richesse en espèces est beaucoup plus faible qu’à son arrivée et la zone pélagique est maintenant dominée par ce plancton gélatineux<ref>Gucu, A., 2002, Can overfishing be responsible for the successful establishment of ''Mnemiopsis leidyi'' in the Black Sea?, ''Estuarine, Coastal and Shelf Science'', 54: 439-451</ref>. Bouleverser ainsi un écosystème et son réseau trophique engendre plusieurs problèmes, non seulement sur l’écologie du système, mais aussi sur les services que celui-ci peut fournir.


Il apprécie les eaux peu profondes et [[Eutrophisation|eutrophes]]. Très tolérant et résistant ([[euryhalin]] et [[eurytherme]]), il peut se développer dans les [[estuaires]], même dans les eaux chaudes et pauvres en [[dioxygène]].
''Mnemiopsis leidyi'' a été noté pour la première fois dans la Mer Noire en 1982 et depuis, son abondance a grandement augmenté, avec deux années records, soient en 1989 et 1994. Ce cténophore a par la suite réussi à envahir certains bassins à proximité de la Mer Noire, comme la Mer d’Azov. Par contre, ''M. leidyi'' nécessite des eaux dont la température est supérieure à 4 °C. Dans la Mer Noire, cette condition est toujours respectée, on le retrouve donc toute l’année. Ce n’est par contre pas le cas pour la Mer d’Azov, ce qui force ce cténophore à recoloniser le bassin chaque année lorsque les conditions le permettent.
[[Fichier:Copepod.jpg|vignette|Un copépode, une des sources d'alimentation favorite de ''Mnemiopsis leidyi''. La suralimentation du cténophore sur le zooplancton a eu un effet de cascade trophique sur les populations de poissons de la Mer Noire.]]
Le pic d’abondance de 1989 peut être expliqué comme suit. En 1988, la Mer Noire a subi une pression extrêmement importante sur ses populations d’anchois en raison de la surpêche. Cette baisse dans la population de poissons a eu l’effet d’une cascade trophique. En effet, le prédateur ayant presque disparu, les communautés de zooplancton ont augmenté massivement, favorisant l’alimentation du cténophore et ainsi causant une croissance incroyable de sa population. Cela a eu comme effet de diminuer la diversité planctonique au point de faire disparaître deux espèces de copépodes et un chaetognathe durant quelques années et de diminuer de façon drastique les populations de dauphins se nourrissant de petits poissons. En effet, ''Mnemiopsis leidyi'' peut consommer jusqu’à dix fois son propre poids en une seule journée, ce qui a un impact très important sur les pêcheries considérant qu’il se nourrit d’œufs et de larves de poissons<ref name=":0">Ivanov, V., Kamakin, A., Ushivtzev, V., Shiganova, T., Zhukova, O., Aladin, N., Wilson, S., Harbison, G., Dumont, H., 2000, Invasion of the Caspian Sea by the comb jellyfish ''Mnemiopsis leidyi'' (Ctenophora), ''Biological invasions'', 2: 255-258</ref>. La domination du milieu pélagique par ''Mnemiopsis leidyi'' a causé une baisse de la diversité dans la communauté de poissons planctonivores et de zooplancton de la Mer Noire durant près de 20 ans. Vers le milieu des années 1990, ''Mnemiopsis leidyi'' comptait pour environ 90% de la biomasse de la Mer Noire<ref name=":1">Shiganova, T., 1998, Invasion of the Black Sea by the Ctenophore ''Mnemiopsis leidyi'' and recent changes in pelagic community structure, ''Fisheries Oceanography'', 7: 305-310</ref>. À ce jour, la diversité de ces communautés tend à retrouver son état initial, car les pullulations du cténophore ont grandement diminué, même s’il est tout de même l’espèce pélagique dominante. La Mer Noire s’est donc adaptée à cette invasion et est maintenant plus résistante à cette espèce exotique.    


== Comportement alimentaire, invasivité ==
Lorsque les populations de ''M. leidyi'' augmentent, survient une décroissance dans les abondances et dans la diversité des larves de poissons et du zooplancton, prouvant ainsi que ce cténophore est un réel problème et une menace pour la biodiversité marine de la Mer Noire et Caspienne. En effet, des séries temporelles d’abondance de la Mer Noire montre que le nombre d’œufs ou de larves de poissons est négativement corrélé à l’abondance de ''Mnemiopsis leidyi'' <ref name=":1" />.
Contrairement à des [[métazoaire]]s "supérieurs" tels que les [[copépode]]s ou les [[poisson]]s prédateurs, les [[cténophore]]s sont une lignée de métazoaires apparemment peu évolués et ne possédant que peu de capacités sensori-motrices. Pourtant, ces cténophores lobés peuvent capturer des proies avec des taux de succès comparables à ceux de copépodes beaucoup plus évolués, et comparables à ceux de nombreux poissons prédateurs. Ils sont même capables de modifier la composition des communautés planctoniques côtières<ref Name=PNAS2010/>.


On a récemment montré que le succès de ''Mnemiopsis leidyi'' est dû à sa capacité à utiliser des [[Cil cellulaire|cils]] pour générer un courant d'alimentation qui entraîne la "filtration" de grands volumes d'eau d'une manière presque indétectable par sa proie. Cette forme de "prédation furtive" fait de ''Mnemiopsis'' un prédateur généraliste très efficace pour capturer une large gamme de proies [[microplancton]]iques (d'environ {{unité|50|μm}}), des copépodes (+/- {{unité|1|mm}}), et des larves de poissons (jusqu'à plus de {{unité|3|mm}}). L'efficacité et la polyvalence de ce mécanisme alimentaire très furtif a fait de ''M. leidyi'' une espèce notoirement destructrice et envahissante quand elle n'est pas elle-même contrôlée par ses prédateurs<ref Name=PNAS2010/>.
Suite à l’invasion de ''Mnemiopsis leidyi'' dans la Mer Noire et son abondance record en 1989, la présence du cténophore dans la Mer Caspienne était prédite et redoutée. Par contre, ce n’est qu’en 1999 qu’il a officiellement été récolté dans cette Mer<ref name=":0" />. Le déversement de l’eau de ballast des navires provenant de la Mer Noire ou d’Azov est probablement la façon dont le cténophore a réussi à atteindre la Mer Caspienne. L’année suivante, ''Mnemiopsis leidyi'' a été récolté dans l’ensemble de la Mer Noire, témoignant de son caractère envahissant et de sa croissance et reproduction extrêmement rapide. Par contre, la section de la Mer Caspienne plus au Nord gèle durant l’hiver, ce qui pourrait empêcher le cténophore d’être dominant toute l’année, favorisant ainsi d’autres espèces durant l’hiver. Contrairement à la Mer Noire, le prédateur final de l’écosystème n’est pas un poisson, mais le phoque ''Phoca caspica''. Les chercheurs prédisent donc qu’une cascade trophique similaire se produira, mais cette fois-ci impactera les populations de ce mammifère marin qui se nourrit principalement de poissons. Une diminution dans la disponibilité de leurs proies, ainsi qu’une pression de chasse assez forte durant l’hiver pourrait bien être assez pour réduire les populations de ''Phoca caspica'' sous un seuil viable, provoquant ainsi son extinction dans la Mer Caspienne.  
[[Fichier:Mnemiopsis.svg|vignette|Distribution mondiale de ''Mnemiopsis leidyi''. Ce cténophore est originaire de la côte Est des Amériques mais aurait colonisé la Mer Noire et Caspienne par le biais de déversement de l'eau de ballast de navires pétroliers. ]]
D’un point de vue plus économique, l’invasion de ''Mnemiopsis leidyi'' a eu un impact immense sur les pêcheries de la Mer Noire et Caspienne. En effet, se nourrissant de larves d’anchois et d’autres petits poissons, l’augmentation de son abondance a diminué l’industrie locale. Il est estimé qu’environ 1 milliard de dollars US a été perdu depuis l’invasion du cténophore, et que l’industrie des anchois dans la Mer d’Azov s’est complètement effondrée<ref>{{Lien web|langue=|titre=Shipping problems: Alien invaders|url=http://wwf.panda.org/our_work/oceans/problems/shipping/alien_invaders/|site=|date=|consulté le=}}</ref>.


=== Problèmes causés par ''Mnemiopsis leidyi'' ===
''M. leidyi'' ne fait pas que se nourrir des espèces prisées par les pêcheurs. Possédant un corps gélatineux, il est souvent retrouvé dans les filets de pêche, les obstruant et diminuant ainsi l’efficacité de ceux-ci. De la même manière, le cténophore peut se retrouver coincé dans les grilles des systèmes de traitement d’eaux usées ou de rejet des usines, augmentant ainsi la pression dans ces systèmes et favorisant les bris. Ce genre d’impact représente des coûts énormes pour les villes ou les industries, car elles doivent constamment prévenir le colmatage de ces grilles et réparer les dommages causées par le cténophore.
À l’origine, ''Mneniopsis leidyi'' est indigène aux régions côtières de [[cap Cod]], dans le [[Massachusetts]]. Comme beaucoup d’espèces marines planctoniques, ce cténophore est devenu une [[espèce invasive|espèce exotique envahissante]] par l’entremise de l’eau de [[ballast (marine)|ballast]] de navires commerciaux. En effet, avant la mise en place de [[Convention pour la gestion des eaux de ballast|législations]], les navires remplissaient leur coque de l’eau d’un port afin d’augmenter leur stabilité en mer et la vidaient lorsqu’ils arrivaient à destination, permettant ainsi à certaines espèces d’effectuer une migration autrement impossible. C'est le cas de ''Mnemiopsis leidyi'', qui est devenu envahissant grâce à son succès comme prédateur et meilleur compétiteur que les autres espèces endémiques de la [[mer Noire]] et de la [[mer Caspienne]].
Cette espèce figure désormais sur la {{citation|Liste noire des espèces envahissantes dans le milieu marin}} de Méditerranée de l'[[UICN]]<ref name="Surveillance des espèces envahissantes marines">{{Lien web |langue=fr |auteur=Otero, M., Cebrian, E., Francour, P., Galil, B., Savini, D. |url=https://portals.iucn.org/library/sites/library/files/documents/2013-008-Fr.pdf |titre=Surveillance des espèces envahissantes marines dans les aires marines protégées (AMP) méditerranéennes |jour= |mois= |année=2013 |site=[[IUCN]].org |éditeur=[[IUCN]] |citation= |en ligne le= |consulté le= }}. </ref>.


La mer Noire était auparavant un milieu biodiversifié. Cependant, au cours du {{s-|XX}}, plusieurs introductions accidentelles ou intentionnelles d’espèces exotiques ont perturbé le [[réseau trophique]] de cet [[écosystème]]. Parmi les 26 espèces exotiques introduites dans la mer Noire, ''Mnemiopsis leidyi'' est de loin celle qui a eu le plus gros impact sur cet écosystème : la richesse en espèces y est beaucoup plus faible qu’à son arrivée et la [[zone pélagique]] est maintenant dominée par ce plancton gélatineux<ref>{{en}} Gucu, A., 2002, Can overfishing be responsible for the successful establishment of ''Mnemiopsis leidyi'' in the Black Sea?, ''Estuarine, Coastal and Shelf Science'', 54: 439-451</ref>.
Récemment, ''Mnemiopsis leidyi'' a été recensé dans la Mer Baltique ainsi que sur la côte ouest de la Norvège. Des chercheurs, s’inquiétant de voir le même scénario se reproduire, ont effectué des études de préférences alimentaires du cténophore. Ils ont d’abord observé que ''Mnemiopsis leidyi'' se trouvait au même niveau trophique que le reste des cténophores, réduisant les risques de cascade trophique. De plus, les études de préférences alimentaires ont démontré qu’il ne se nourrissait pas des œufs ou des larves de poissons des espèces présentes, réduisant considérablement le risque d’une augmentation massive dans la population de ''M. leidyi'' <ref>Hamer, H., Malzhan, A., Boersma, M., 2011, The invasive ctenophore ''Mnemiopsis leidyi'': a threat to fish recruitment in the North Sea, ''Journal of Plankton Research'', 33: 137-144</ref>''.''  En effet, il se nourrirait majoritairement de copépodes. Son impact sur la biodiversité de la Mer Baltique est donc potentiellement moins important, mais il n’en demeure pas moins que ''M. leidyi'' doit être surveillé de près et que son introduction risque de causer quelques changements, qu’ils soient mineurs ou majeurs, dans les communautés pélagiques.


''Mnemiopsis leidyi'' a été noté pour la première fois dans la mer Noire en 1982 et depuis, son abondance a grandement augmenté, avec deux années records en 1989 et 1994. Ce cténophore a ensuite réussi à envahir d'autres bassins à proximité de la mer Noire, comme la [[mer d'Azov]]. ''M. leidyi'' nécessite cependant des eaux à plus de 4 °C. Dans la mer Noire où cette condition est toujours respectée, on le retrouve toute l’année. Dans la mer d’Azov, plus froide en hiver, il doit recoloniser le bassin chaque année.
''Mnemiopsis leidyi'' a été découvert sur les côtes françaises en 2009<ref>{{Lien web|url=http://www.lefigaro.fr/environnement/2011/08/09/01029-20110809ARTFIG00522-les-mefaits-insoupconnes-des-meduses.php|titre=Les méfaits insoupçonnés des méduses|auteur=Marielle Court|date=9 août 2011|site=lefigaro.fr}}.</ref>.


[[Fichier:Copepod.jpg|vignette|Un [[Copepoda|copépode]], une des sources d'alimentation favorite de ''Mnemiopsis leidyi''. La suralimentation du cténophore sur le zooplancton a eu un effet de [[cascade trophique]] sur les populations de poissons de la mer Noire.]]
== Succès en tant que prédateur ==
[[Fichier:Comb jelly.tif|vignette|Image de ''Mnemiopsis leidyi'' dans la colonne d'eau. Notez les rangées de cellules ciliés utilisées comme mode d'alimentation.]]
Le succès de ''Mnemiopsis leidyi'' est non seulement lié au fait qu’il peut survivre à un vaste intervalle de conditions environnementales, mais aussi au fait qu’il est un très bon prédateur. En effet, les cténophores utilisent leurs deux tentacules munis de cellules collantes nommées colloblastes. Typiquement, le cténophore laisse traîner ces tentacules derrière lui et capture ses proies passivement, et ramène de temps en temps ses tentacules vers sa bouche et ingère les proies qui y sont collées. Le cténophore se déplace dans la colonne d’eau à l’aide du courant, mais aussi à l’aide de ses huit bandes de cellules ciliées. C’est ce type de mouvement qui le rend si efficace dans sa prédation. En effet, ce mouvement est presque imperceptible par ses proies, de sorte qu’elles ne se doutent pas qu’un tel prédateur est si proche d'elles. En effet, la plupart des espèces de zooplancton captent la présence d’un prédateur en détectant des changements brusques dans le mouvement de leur milieu environnant<ref name="PNAS2010" />. Puisque le seul mouvement du cténophore est celui des cellules ciliées et que celles-ci ne causent pas de changements drastiques dans les courants, il est en fait invisible aux autres espèces planctoniques. De plus, ce genre de prédation permet à ''Memiopsis leidyi'' d’être un prédateur généraliste, car il ingère tout ce que le mouvement créé par les rangées de cils est capable de pousser vers la bouche, que ce soit du plancton de l’ordre de quelques microns ou des œufs de poissons de quelques millimètres de diamètre.  


Le pic d’abondance de 1989 peut être expliqué comme suit. En 1988, les populations d’[[anchois]] ont subi une grave surpêche. Cette baisse de leur population a provoqué une [[cascade trophique]]. Leur prédateur ayant presque disparu, les communautés de [[zooplancton]] ont augmenté massivement, favorisant l’alimentation du cténophore et causant une croissance incroyable de sa population. Cela a réduit la diversité planctonique, au point de faire disparaître durant quelques années deux espèces de [[Copepoda|copépodes]] et un [[chaetognathe]] et de diminuer de façon drastique les populations de dauphins qui se nourrissaient de petits poissons. ''Mnemiopsis leidyi'' peut en effet consommer jusqu’à dix fois son propre poids en une seule journée, ce qui a un impact très important sur les pêcheries, étant donné qu’il se nourrit d’œufs et de larves de poissons<ref name=":0">{{en}} Ivanov, V., Kamakin, A., Ushivtzev, V., Shiganova, T., Zhukova, O., Aladin, N., Wilson, S., Harbison, G., Dumont, H., 2000, Invasion of the Caspian Sea by the comb jellyfish ''Mnemiopsis leidyi'' (Ctenophora), ''Biological invasions'', 2: 255-258</ref>. La domination du milieu pélagique par ''Mnemiopsis leidyi'' a causé une baisse de la diversité dans la communauté de poissons planctonivores et de zooplancton de la mer Noire durant près de 20 ans. Vers le milieu des années 1990, ''Mnemiopsis leidyi'' comptait pour environ 90 % de la biomasse de la mer Noire<ref name=":1">{{en}} Shiganova, T., 1998, Invasion of the Black Sea by the Ctenophore ''Mnemiopsis leidyi'' and recent changes in pelagic community structure, ''Fisheries Oceanography'', 7: 305-310</ref>. À ce jour, la diversité de ces communautés tend à retrouver son état initial, car les pullulations du cténophore ont grandement diminué, même s’il reste l’espèce pélagique dominante. La mer Noire s’est donc adaptée à cette invasion et est maintenant plus résistante à cette espèce exotique.
== Succès en tant que compétiteur ==
Tout d’abord, une espèce exotique est une espèce qui est retrouvée dans un milieu où elle n’est pas originaire, elle a donc été introduite accidentellement ou intentionnellement. Par contre, ce ne sont pas toutes les espèces exotiques qui deviennent envahissantes. En effet, l’espèce doit être capable de survivre au climat de toute l’année (ce qui contribuerait à expliquer le nombre d’invasion plus bas en Amérique du Nord) et elle doit avoir un avantage en tant que compétiteur sur les espèces indigènes. Dans le cas de ''Mnemiopsis leidyi'' et son invasion dans la Mer Noire, ce cténophore répond à tous ces critères.


Lorsque les populations de ''M. leidyi'' augmentent, l'abondances et la diversité des larves de poissons et du zooplancton diminuent, ce qui prouve que cette espèce est un réel problème et une menace pour la biodiversité marine de la mer Noire et de la Caspienne. Des séries temporelles d’abondance de la mer Noire montrent en effet que le nombre d’œufs ou de larves de poissons est négativement corrélé à l’abondance de ''Mnemiopsis leidyi''<ref name=":1" />.
L’avantage le plus important ayant favorisé l’expansion massive de ''M. leidyi'' est probablement son absence de prédateurs et le fait qu’il soit un cténophore généraliste. Ainsi, le zooplancton pélagique lui permettait de se nourrir sans limites et il n’avait aucun contrôle de population ''top-down'', c’est-à-dire par un prédateur<ref>Finenko, G., Kideys, A., Anninsky, B., Shiganova, T., 2006, Invasive ctenophore ''Mnemiopsis leidyi'' in the Capsian Sea: Feeding, respiration, reproduction and predatory impact on the zooplankton community, ''Marine Ecology Progress Series,'' 314: 171-185</ref>{{,}}<ref name="PNAS2010" />. Il n’y avait donc aucun facteur limitant sa croissance.  En plus de ces facteurs, ''Mneiopsis leidyi'' est doté d’une croissance et d’une reproduction extrêmement rapide, ce qui favorise encore une fois une explosion de population. En effet, un individu est capable de produire environ {{nb|10000 œufs}} par jour lorsqu’il est fertile. Cet élément, jumelé au fait qu’il est capable de compléter son cycle de vie en 14 jours (de l’œuf à l’adulte), rend une invasion de ''Mnemiopsis leidyi'' extrêmement difficile à prévenir en raison de sa rapidité. Ce cténophore est aussi une espèce hermaphrodite, c’est-à-dire qu’elle possède les deux sexes à la fois; et elle est capable de s’autoféconder. Donc, chaque individu se reproduit, ce qui favorise encore une fois une forte croissance de population. En termes de conditions environnementales, ''Mnemiopsis leidyi'' est extrêmement tolérant. Il peut vivre dans un grand intervalle de température variant entre 1,3 et 32 °C, ainsi que dans des milieux peu salin (3.4%) à extrêmement salin (75%)<ref name=":0" />. Finalement, ce cténophore peut survivre à des milieux hypoxiques (moins de 2 mg d’oxygène dissous par litre), le rendant effectivement capable de vivre dans tous les milieux de la Mer Noire. Tous ces facteurs, lorsque mis en commun, font en sorte que ''Mnemiopsis leidyi'' a un avantage énorme sur ces autres compétiteurs indigènes, provoquant ainsi sa domination dans la zone pélagique.  


À la suite de l’invasion de ''Mnemiopsis leidyi'' en mer Noire et son abondance record en 1989, la présence du cténophore dans la [[mer Caspienne]] était prédite et redoutée. Ce n’est cependant qu’en 1999 qu’il y a été officiellement récolté<ref name=":0" />. Le déversement de l’eau de ballast des navires provenant de la mer Noire ou de la mer d'Azov est probablement la façon dont il a réussi à atteindre la mer Caspienne. L’année suivante, ''M. leidyi'' a été récolté dans l’ensemble de la Caspienne, témoignant de son caractère envahissant et de sa croissance et reproduction extrêmement rapide. La section de la mer Caspienne la plus au Nord gèle cependant durant l’hiver, ce qui pourrait empêcher ''M. leidyi'' d’être dominant toute l’année, favorisant ainsi d’autres espèces durant l’hiver. Contrairement à la mer Noire, le prédateur final de l’écosystème n’est pas un poisson, mais le [[phoque de la Caspienne]] (''Pusa caspica''). Les chercheurs prédisent donc qu’une [[cascade trophique]] similaire se produira, mais impactera cette fois-ci les populations de ce mammifère marin, qui se nourrit principalement de poissons. Une diminution dans la disponibilité de leurs proies, ainsi qu’une pression de chasse assez forte durant l’hiver pourraient bien suffire à réduire les populations de [[Phoque de la Caspienne|phoques de la Caspienne]] sous un seuil viable, provoquant ainsi son extinction.
== Solutions au problème ==
Puisque l’invasion de ''Mnemiopsis leidyi'' a eu un impact extrêmement important dans l’économie et l’écologie de la Mer Noire, certaines mesures ont été prises afin de tenter de rétablir l’écosystème. Une de ses solutions a été d’introduire un de ses prédateurs naturels, le cténophore ''[[Beroe]] ovata''. En effet, ce cténophore se nourrit principalement d’autres cténophores, ce qui en fait un bon candidat en tant qu’outil de lutte biologique. Lorsque les populations de ''M. leidyi'' commencent à augmenter rapidement au début de l’été, l’abondance de ''B. ovata'' suit peu après et consomme l’espèce envahissante. Lorsque les stocks de ''M. leidyi'' diminuent, ''Beroe ovata'' disparaît jusqu’à l’été prochain. Un deuxième pic d’abondance de ''Mnemiopsis leidyi'' survient vers les mois de septembre ou octobre, mais celui-ci est beaucoup moins important. L’introduction de ce cténophore à donc quelque peu rétabli l’écosystème de la Mer Noire à son état d’origine. En effet, suite à l’introduction de ''Beroe ovata'', ''Mnemiopsis leidyi'' est maintenant restreint aux zones plus chaudes de la Mer Noire et cela seulement à certaines périodes de l’année<ref name=":0" />. L’année suivant l’introduction de ''B. ovata'', soit 1999, la biomasse de zooplancton et la densité d’œufs de poissons ont grandement augmenté, et la richesse en espèces de la Mer Noire a quadruplé en comparaison à celle de 1989, année où ''Mnemiopsis leidyi'' était à son abondance record.


D’un point de vue plus économique, l’invasion de ''Mnemiopsis leidyi'' a eu un impact immense sur les pêcheries de la mer Noire et de la Caspienne. En effet, se nourrissant de larves d’anchois et d’autres petits poissons, l’augmentation de son abondance a diminué l’industrie locale. Il est estimé qu’environ 1 milliard de dollars US a été perdu depuis son invasion et que l’industrie des anchois dans la mer d’Azov s’est complètement effondrée<ref>{{Lien web|langue=|titre=Shipping problems: Alien invaders|url=http://wwf.panda.org/our_work/oceans/problems/shipping/alien_invaders/|site=|date=|consulté le=}}</ref>.
Une autre des solutions proposée est de protéger les stocks des pêcheries en créant des aires d’aquaculture. Ces aires seraient fermées et donc à l’abri du cténophore. Les œufs et les larves de poissons seraient alors exempts d’une pression de prédation et cela contribuerait à rétablir les populations de poissons dans la Mer Noire.


''M. leidyi'' ne fait pas que se nourrir des espèces prisées par les pêcheurs. Son corps gélatineux est souvent retrouvé dans les filets de pêche, les obstruant et diminuant leur efficacité. Il peut aussi se retrouver coincé dans les grilles des systèmes de [[traitement des eaux usées]] ou de rejet des usines, augmentant la pression dans ces systèmes et favorisant les bris. Ce genre d’impact représente des coûts énormes pour les villes ou les industries, qui doivent constamment prévenir le colmatage de ces grilles et réparer les dommages.
== Répartition et habitat ==
Cette espèce vit surtout dans les eaux côtières de l'[[hémisphère nord]] ([[mer du Nord]] et [[Atlantique Nord]], [[Méditerranée]], [[mer Noire]], [[mer d'Azov]], [[mer Égée]], [[mer Caspienne]], mais aussi sur les côtes atlantiques sud-américaines.


Récemment, ''Mnemiopsis leidyi'' a été recensé dans la [[mer Baltique]] ainsi que sur la côte ouest de la [[Norvège]]. Des chercheurs, s’inquiétant de voir le même scénario se reproduire, ont effectué des études de préférences alimentaires du cténophore. Ils ont d’abord observé que ''M. leidyi'' se trouvait au même niveau trophique que le reste des cténophores, réduisant les risques de cascade trophique. De plus, les études de préférences alimentaires ont démontré qu’il ne se nourrissait pas des œufs ou des larves de poissons des espèces présentes, réduisant considérablement le risque d’une augmentation massive de sa population<ref>{{en}} Hamer, H., Malzhan, A., Boersma, M., 2011, The invasive ctenophore ''Mnemiopsis leidyi'': a threat to fish recruitment in the North Sea, ''Journal of Plankton Research'', 33: 137-144</ref>''.'' Il se nourrirait majoritairement de copépodes. Son impact sur la biodiversité de la mer Baltique est donc potentiellement moins important, mais il n’en demeure pas moins qu'il doit être surveillé de près et que son introduction risque de causer quelques changements, mineurs ou majeurs, dans les communautés pélagiques.
Il apprécie les eaux peu profondes et [[Eutrophisation|eutrophes]]. Très tolérant et résistant ([[euryhalin]] et [[eurytherme]]), il peut se développer dans les [[estuaires]], même dans les eaux chaudes et pauvres en [[dioxygène]].


''Mnemiopsis leidyi'' a été découvert sur les côtes françaises en 2009<ref>{{Lien web|url=http://www.lefigaro.fr/environnement/2011/08/09/01029-20110809ARTFIG00522-les-mefaits-insoupconnes-des-meduses.php|titre=Les méfaits insoupçonnés des méduses|auteur=Marielle Court|date=9 août 2011|site=lefigaro.fr}}.</ref>.
== Comportement alimentaire, invasivité ==
Contrairement à des [[métazoaire]]s "supérieurs" tels que les [[copépode]]s ou les [[poisson]]s prédateurs, les [[cténophore]]s sont une lignée de métazoaires apparemment peu évolués et ne possédant que peu de capacités sensori-motrices. Pourtant, ces cténophores lobés peuvent capturer des proies avec des taux de succès comparables à ceux de copépodes beaucoup plus évolués, et comparables à ceux de nombreux poissons prédateurs. Ils sont même capables de modifier la composition des communautés planctoniques côtières<ref Name=PNAS2010/>.


==== Succès en tant que prédateur ====
On a récemment montré que le succès de ''Mnemiopsis leidyi'' est dû à sa capacité à utiliser des [[Cil cellulaire|cils]] pour générer un courant d'alimentation qui entraîne la "filtration" de grands volumes d'eau d'une manière presque indétectable par sa proie. Cette forme de "prédation furtive" fait de ''Mnemiopsis'' un prédateur généraliste très efficace pour capturer une large gamme de proies [[microplancton]]iques (d'environ {{unité|50|μm}}), des copépodes (+/- {{unité|1|mm}}), et des larves de poissons (jusqu'à plus de {{unité|3|mm}}). L'efficacité et la polyvalence de ce mécanisme alimentaire très furtif a fait de '' M. leidyi'' une espèce notoirement destructrice et envahissante quand elle n'est pas elle-même contrôlée par ses prédateurs<ref Name=PNAS2010/>.
[[Fichier:Comb jelly.tif|vignette|Image de ''Mnemiopsis leidyi'' dans la colonne d'eau. Noter les rangées de cellules ciliés utilisées pour l'alimentation.]]


Le succès de ''Mnemiopsis leidyi'' est non seulement lié au fait qu’il peut survivre à un vaste intervalle de conditions environnementales, mais aussi au fait qu’il est un très bon prédateur. En effet, les cténophores utilisent leurs deux tentacules munis de cellules collantes nommées [[colloblaste]]s. Typiquement, le cténophore laisse traîner ces tentacules derrière lui, capture ses proies passivement, et ramène de temps en temps ses tentacules vers sa bouche pour ingérer les proies qui y sont collées. Le cténophore se déplace dans la colonne d’eau avec le courant, mais aussi grâce à ses huit bandes de cellules ciliées. Ce type de mouvement est presque imperceptible par ses proies, qui ne se doutent pas de son approche. La plupart des espèces de zooplancton captent en effet la présence des prédateurs en détectant des changements brusques dans le mouvement de leur milieu environnant<ref name="PNAS2010" />. Puisque le seul mouvement du cténophore est celui des cellules ciliées et que celles-ci ne causent pas de changements drastiques dans les courants, il est en fait invisible aux autres espèces planctoniques. Ce genre de prédation fait aussi de ''Memiopsis leidyi'' un prédateur généraliste, car il ingère tout ce que le mouvement créé par ses rangées de cils est capable de pousser vers sa bouche, que ce soit du plancton de l’ordre de quelques microns ou des œufs de poissons de quelques millimètres de diamètre.
== Voir aussi ==
=== Articles connexes ===
{{Début de colonnes|nombre=3}}
* [[Plancton]]
* [[Zooplancton]]
* [[Espèce invasive]]
{{Fin de colonnes}}


==== Succès en tant que compétiteur ====
=== Bibliographie ===
{{article détaillé|Espèce envahissante}}
* {...}
Pour qu'une [[Espèce introduite|espèce exotique]] devienne [[Espèce envahissante|envahissante]], elle doit être capable de survivre au climat de toute l’année (ce qui contribuerait à expliquer le nombre d’invasion plus bas en Amérique du Nord) et elle doit avoir un avantage en tant que compétiteur sur les espèces indigènes. En mer Noire, ''Mnemiopsis leidyi'' répond à tous ces critères.


L’avantage le plus important ayant favorisé l’expansion massive de ''M. leidyi'' est probablement son absence de prédateurs et le fait qu’il soit un cténophore généraliste. Ainsi, le zooplancton pélagique lui permettait de se nourrir sans limites et il n’avait aucun contrôle de population ''top-down'', c’est-à-dire par un prédateur<ref>{{en}} Finenko, G., Kideys, A., Anninsky, B., Shiganova, T., 2006, Invasive ctenophore ''Mnemiopsis leidyi'' in the Capsian Sea: Feeding, respiration, reproduction and predatory impact on the zooplankton community, ''Marine Ecology Progress Series,'' 314: 171-185</ref>{{,}}<ref name="PNAS2010" />. Il n’y avait donc aucun facteur limitant sa croissance.
=== Notes et références ===

En outre, ''Mneiopsis leidyi'' est doté d’une croissance et d’une reproduction extrêmement rapide, ce qui favorise encore l'explosion de population. Un individu est capable de produire environ {{nb|10000 œufs}} par jour lorsqu’il est fertile. Comme il est aussi capable de compléter son cycle de vie (de l’œuf à l’adulte) en 14 jours, ses invasions sont extrêmement rapides et difficiles à prévenir. C'est aussi une espèce [[Hermaphrodisme|hermaphrodite]], c’est-à-dire qu’elle possède les deux sexes à la fois, et elle est capable de s’autoféconder. Chaque individu se reproduit donc, ce qui favorise encore une fois une forte croissance de population.

En termes de conditions environnementales, ''M. leidyi'' est extrêmement tolérant. Il peut vivre dans un grand intervalle de température, entre 1,3 et 32 °C, et dans des milieux peu salin (3,4 %) à extrêmement salin (75 %)<ref name=":0" />. Il peut aussi survivre à des milieux hypoxiques (moins de 2 mg d’oxygène dissous par litre), ce qui le rend effectivement capable de vivre dans tous les milieux de la mer Noire. L'ensemble de ces facteurs lui donnent un avantage énorme sur ses compétiteurs indigènes, provoquant sa domination dans la zone pélagique.

=== Solutions au problème ===
[[Fichier:Beroe ovata.jpg|thumb|Un cténophore ''{{lien|Beroe ovata}}'' photographié en mer Noire.]]
Puisque l’invasion de ''Mnemiopsis leidyi'' a eu un impact extrêmement important dans l’économie et l’écologie de la mer Noire, certaines mesures ont été prises afin de tenter de rétablir l’écosystème. Une de ses solutions a été d’introduire un de ses prédateurs naturels, le cténophore ''[[Beroe]] ovata''. Celui-ci se nourrit en effet principalement d’autres cténophores, ce qui en fait un bon candidat comme outil de [[lutte biologique]]. Lorsque les populations de ''M. leidyi'' commencent à augmenter rapidement au début de l’été, celles de ''B. ovata'' font peu après de même. Lorsque les stocks de ''M. leidyi'' diminuent, ''Beroe ovata'' disparaît jusqu’à l’été suivant. Un deuxième pic d’abondance de ''M. leidyi'' survient vers les mois de septembre ou octobre, mais celui-ci est beaucoup moins important. L’introduction de ''B. ovata'' à donc quelque peu rétabli l’écosystème de la mer Noire dans son état d’origine. ''Mnemiopsis leidyi'' est maintenant limité aux zones les plus chaudes de la mer Noire et cela seulement à certaines périodes de l’année<ref name=":0" />. L’année suivant l’introduction de ''B. ovata'' (1999), la biomasse de zooplancton et la densité d’œufs de poissons ont beaucoup augmenté, et la richesse en espèces de la mer Noire a quadruplé par rapport à celle de 1989, année où ''M. leidyi'' était le plus abondant.

Une autre des solutions proposée est de protéger les stocks des pêcheries en créant des aires d’[[aquaculture]]. Ces aires seraient fermées et donc à l’abri du cténophore. Les œufs et les larves de poissons seraient alors exempts d’une pression de prédation et cela contribuerait à rétablir leurs populations dans la mer Noire.

== Références taxinomiques ==
* {{BioLib|taxon|827209|''Mnemiopsis leidyi'' Agassiz, 1865}}
* {{CatalogueofLife | 6RMT2 | ''Mnemiopsis leidyi'' A. Agassiz, 1865 | consulté le=16 décembre 2020 }}
* {{DORIS|234|''Mnemiopsis leidyi'' A. Agassiz, 1865 }}
* {{GISD|95|''Mnemiopsis leidyi''}}
* {{ITIS|53917|''Mnemiopsis leidyi'' A. Agassiz, 1865}}
* {{NCBI|27923|''Mnemiopsis leidyi''}}

== Notes et références ==
<references/>
<references/>


=== Lien externe ===
== Voir aussi ==
{{Autres projets
{{Autres projets
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}}

* {{GISD|95|''Mnemiopsis leidyi'' (Agassiz 1865)}}
=== Liens externes ===
* {{CatalogueofLife espèce|Mnemiopsis|leidyi|A. Agassiz, 1865}}
* {{en}} Organisme russe effectuant la majorité des recherches sur ''M. leidyi'' : [https://ocean.ru/en/index.php?option=com_content&view=article&id=2&Itemid=158 Shirshov Institute of Oceanology of Russian Academy of Sciences]
* {{DORIS|234|''Mnemiopsis leidyi''}}
* {{es}} Vidéo montrant plusieurs individus et leur mode de locomotion : [https://www.youtube.com/watch?v=CqoGbJIQ7rg Animales del mundo - Mnemiopsis leidyi], YouTube, [[L'Oceanogràfic|Oceanogràfic]] de Valence, nov. 2013.
* {{ITIS|53917|''Mnemiopsis leidyi'' A. Agassiz, 1865}}
* {{ADW|Mnemiopsis_leidyi|''Mnemiopsis leidyi''}}
* {{NCBI|27923|''Mnemiopsis leidyi''}}
*Organisme russe effectuant la majorité des recherches sur ''Mnemiopsis leidyi :'' https://ocean.ru/en/index.php?option=com_content&view=article&id=2&Itemid=158
*Vidéo montrant plusieurs individus ainsi que leur mode de locomotion : https://www.youtube.com/watch?v=CqoGbJIQ7rg


{{Portail|zoologie|biologie marine}}
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[[Catégorie:Espèce envahissante]]
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Dernière version du 24 janvier 2024 à 18:20

Mnemiopsis leidyi
Description de l'image Sea walnut, Boston Aquarium.jpg.
Classification
Règne Animalia
Embranchement Ctenophora
Classe Tentaculata
Ordre Lobata
Famille Bolinopsidae
Genre Mnemiopsis

Espèce

Mnemiopsis leidyi
A. Agassiz, 1865

Synonymes

  • Mnemiopsis gardeni L. Agassiz 1860
  • Mnemiopsis mccradyi, Mayer, 1990

Mnemiopsis leidyi est une espèce de cténophores pélagiques transparents, faisant partie des espèces de macroplancton prédatrices (de forme ovale et lobée, de 3 à 12 cm de long), vivant sur la frange côtière. Elle peut devenir envahissante dans certaines conditions[1],[2].

Description morphologique d'un cténophore[modifier | modifier le code]

Les cténophores sont des invertébrés marins considérés comme du plancton, c’est-à-dire que leurs déplacements sont majoritairement dictés par les courants marins. Ils peuvent cependant se déplacer légèrement en utilisant leurs rangées de peignes natatoires, faisant d’eux les plus gros animaux à se déplacer grâce à ce genre de locomotion. Ils sont presque entièrement transparents et possèdent une symétrie radiale, qui leur confère généralement une forme sphérique ou ellipsoïdale. La plupart des cténophores sont prédateurs, se nourrissant de larves de poissons, de zooplancton ou même parfois d’autres cténophores, quoique certaines espèces soient parasites.

Même si certains cténophores ressemblent à des cnidaires (méduses), ils ne possèdent pas de nématocystes - des cellules modifiées en dard causant une sensation de brûlure lors d'une piqûre de méduse – mais des colloblastes. Les colloblastes sont aussi des cellules modifiées, mais elles ont plutôt la fonction de coller les proies afin de les capturer. Ces cellules sont concentrées sur deux tentacules pouvant parfois atteindre plusieurs fois la longueur de l’animal. Les espèces de la classe des Tentaculata, comme Mnemiopsis leidyi, possèdent des tentacules, mais ceux de cette espèce sont très courts : son mode d’alimentation principal est donc le courant créé par des cellules ciliées, qui dirige ses proies vers sa bouche.

Répartition et habitat[modifier | modifier le code]

Distribution mondiale de Mnemiopsis leidyi. Il est originaire de la côte Est des Amériques mais aurait colonisé la mer Noire et la Caspienne par le déversement de l'eau de ballast de navires pétroliers.

Cette espèce vit surtout dans les eaux côtières de l'hémisphère nord (mer du Nord et Atlantique Nord, Méditerranée, mer Noire, mer d'Azov, mer Égée, mer Caspienne, mais aussi sur les côtes atlantiques sud-américaines.

Il apprécie les eaux peu profondes et eutrophes. Très tolérant et résistant (euryhalin et eurytherme), il peut se développer dans les estuaires, même dans les eaux chaudes et pauvres en dioxygène.

Comportement alimentaire, invasivité[modifier | modifier le code]

Contrairement à des métazoaires "supérieurs" tels que les copépodes ou les poissons prédateurs, les cténophores sont une lignée de métazoaires apparemment peu évolués et ne possédant que peu de capacités sensori-motrices. Pourtant, ces cténophores lobés peuvent capturer des proies avec des taux de succès comparables à ceux de copépodes beaucoup plus évolués, et comparables à ceux de nombreux poissons prédateurs. Ils sont même capables de modifier la composition des communautés planctoniques côtières[1].

On a récemment montré que le succès de Mnemiopsis leidyi est dû à sa capacité à utiliser des cils pour générer un courant d'alimentation qui entraîne la "filtration" de grands volumes d'eau d'une manière presque indétectable par sa proie. Cette forme de "prédation furtive" fait de Mnemiopsis un prédateur généraliste très efficace pour capturer une large gamme de proies microplanctoniques (d'environ 50 μm), des copépodes (+/- 1 mm), et des larves de poissons (jusqu'à plus de 3 mm). L'efficacité et la polyvalence de ce mécanisme alimentaire très furtif a fait de M. leidyi une espèce notoirement destructrice et envahissante quand elle n'est pas elle-même contrôlée par ses prédateurs[1].

Problèmes causés par Mnemiopsis leidyi[modifier | modifier le code]

À l’origine, Mneniopsis leidyi est indigène aux régions côtières de cap Cod, dans le Massachusetts. Comme beaucoup d’espèces marines planctoniques, ce cténophore est devenu une espèce exotique envahissante par l’entremise de l’eau de ballast de navires commerciaux. En effet, avant la mise en place de législations, les navires remplissaient leur coque de l’eau d’un port afin d’augmenter leur stabilité en mer et la vidaient lorsqu’ils arrivaient à destination, permettant ainsi à certaines espèces d’effectuer une migration autrement impossible. C'est le cas de Mnemiopsis leidyi, qui est devenu envahissant grâce à son succès comme prédateur et meilleur compétiteur que les autres espèces endémiques de la mer Noire et de la mer Caspienne. Cette espèce figure désormais sur la « Liste noire des espèces envahissantes dans le milieu marin » de Méditerranée de l'UICN[3].

La mer Noire était auparavant un milieu biodiversifié. Cependant, au cours du XXe siècle, plusieurs introductions accidentelles ou intentionnelles d’espèces exotiques ont perturbé le réseau trophique de cet écosystème. Parmi les 26 espèces exotiques introduites dans la mer Noire, Mnemiopsis leidyi est de loin celle qui a eu le plus gros impact sur cet écosystème : la richesse en espèces y est beaucoup plus faible qu’à son arrivée et la zone pélagique est maintenant dominée par ce plancton gélatineux[4].

Mnemiopsis leidyi a été noté pour la première fois dans la mer Noire en 1982 et depuis, son abondance a grandement augmenté, avec deux années records en 1989 et 1994. Ce cténophore a ensuite réussi à envahir d'autres bassins à proximité de la mer Noire, comme la mer d'Azov. M. leidyi nécessite cependant des eaux à plus de 4 °C. Dans la mer Noire où cette condition est toujours respectée, on le retrouve toute l’année. Dans la mer d’Azov, plus froide en hiver, il doit recoloniser le bassin chaque année.

Un copépode, une des sources d'alimentation favorite de Mnemiopsis leidyi. La suralimentation du cténophore sur le zooplancton a eu un effet de cascade trophique sur les populations de poissons de la mer Noire.

Le pic d’abondance de 1989 peut être expliqué comme suit. En 1988, les populations d’anchois ont subi une grave surpêche. Cette baisse de leur population a provoqué une cascade trophique. Leur prédateur ayant presque disparu, les communautés de zooplancton ont augmenté massivement, favorisant l’alimentation du cténophore et causant une croissance incroyable de sa population. Cela a réduit la diversité planctonique, au point de faire disparaître durant quelques années deux espèces de copépodes et un chaetognathe et de diminuer de façon drastique les populations de dauphins qui se nourrissaient de petits poissons. Mnemiopsis leidyi peut en effet consommer jusqu’à dix fois son propre poids en une seule journée, ce qui a un impact très important sur les pêcheries, étant donné qu’il se nourrit d’œufs et de larves de poissons[5]. La domination du milieu pélagique par Mnemiopsis leidyi a causé une baisse de la diversité dans la communauté de poissons planctonivores et de zooplancton de la mer Noire durant près de 20 ans. Vers le milieu des années 1990, Mnemiopsis leidyi comptait pour environ 90 % de la biomasse de la mer Noire[6]. À ce jour, la diversité de ces communautés tend à retrouver son état initial, car les pullulations du cténophore ont grandement diminué, même s’il reste l’espèce pélagique dominante. La mer Noire s’est donc adaptée à cette invasion et est maintenant plus résistante à cette espèce exotique.

Lorsque les populations de M. leidyi augmentent, l'abondances et la diversité des larves de poissons et du zooplancton diminuent, ce qui prouve que cette espèce est un réel problème et une menace pour la biodiversité marine de la mer Noire et de la Caspienne. Des séries temporelles d’abondance de la mer Noire montrent en effet que le nombre d’œufs ou de larves de poissons est négativement corrélé à l’abondance de Mnemiopsis leidyi[6].

À la suite de l’invasion de Mnemiopsis leidyi en mer Noire et son abondance record en 1989, la présence du cténophore dans la mer Caspienne était prédite et redoutée. Ce n’est cependant qu’en 1999 qu’il y a été officiellement récolté[5]. Le déversement de l’eau de ballast des navires provenant de la mer Noire ou de la mer d'Azov est probablement la façon dont il a réussi à atteindre la mer Caspienne. L’année suivante, M. leidyi a été récolté dans l’ensemble de la Caspienne, témoignant de son caractère envahissant et de sa croissance et reproduction extrêmement rapide. La section de la mer Caspienne la plus au Nord gèle cependant durant l’hiver, ce qui pourrait empêcher M. leidyi d’être dominant toute l’année, favorisant ainsi d’autres espèces durant l’hiver. Contrairement à la mer Noire, le prédateur final de l’écosystème n’est pas un poisson, mais le phoque de la Caspienne (Pusa caspica). Les chercheurs prédisent donc qu’une cascade trophique similaire se produira, mais impactera cette fois-ci les populations de ce mammifère marin, qui se nourrit principalement de poissons. Une diminution dans la disponibilité de leurs proies, ainsi qu’une pression de chasse assez forte durant l’hiver pourraient bien suffire à réduire les populations de phoques de la Caspienne sous un seuil viable, provoquant ainsi son extinction.

D’un point de vue plus économique, l’invasion de Mnemiopsis leidyi a eu un impact immense sur les pêcheries de la mer Noire et de la Caspienne. En effet, se nourrissant de larves d’anchois et d’autres petits poissons, l’augmentation de son abondance a diminué l’industrie locale. Il est estimé qu’environ 1 milliard de dollars US a été perdu depuis son invasion et que l’industrie des anchois dans la mer d’Azov s’est complètement effondrée[7].

M. leidyi ne fait pas que se nourrir des espèces prisées par les pêcheurs. Son corps gélatineux est souvent retrouvé dans les filets de pêche, les obstruant et diminuant leur efficacité. Il peut aussi se retrouver coincé dans les grilles des systèmes de traitement des eaux usées ou de rejet des usines, augmentant la pression dans ces systèmes et favorisant les bris. Ce genre d’impact représente des coûts énormes pour les villes ou les industries, qui doivent constamment prévenir le colmatage de ces grilles et réparer les dommages.

Récemment, Mnemiopsis leidyi a été recensé dans la mer Baltique ainsi que sur la côte ouest de la Norvège. Des chercheurs, s’inquiétant de voir le même scénario se reproduire, ont effectué des études de préférences alimentaires du cténophore. Ils ont d’abord observé que M. leidyi se trouvait au même niveau trophique que le reste des cténophores, réduisant les risques de cascade trophique. De plus, les études de préférences alimentaires ont démontré qu’il ne se nourrissait pas des œufs ou des larves de poissons des espèces présentes, réduisant considérablement le risque d’une augmentation massive de sa population[8]. Il se nourrirait majoritairement de copépodes. Son impact sur la biodiversité de la mer Baltique est donc potentiellement moins important, mais il n’en demeure pas moins qu'il doit être surveillé de près et que son introduction risque de causer quelques changements, mineurs ou majeurs, dans les communautés pélagiques.

Mnemiopsis leidyi a été découvert sur les côtes françaises en 2009[9].

Succès en tant que prédateur[modifier | modifier le code]

Image de Mnemiopsis leidyi dans la colonne d'eau. Noter les rangées de cellules ciliés utilisées pour l'alimentation.

Le succès de Mnemiopsis leidyi est non seulement lié au fait qu’il peut survivre à un vaste intervalle de conditions environnementales, mais aussi au fait qu’il est un très bon prédateur. En effet, les cténophores utilisent leurs deux tentacules munis de cellules collantes nommées colloblastes. Typiquement, le cténophore laisse traîner ces tentacules derrière lui, capture ses proies passivement, et ramène de temps en temps ses tentacules vers sa bouche pour ingérer les proies qui y sont collées. Le cténophore se déplace dans la colonne d’eau avec le courant, mais aussi grâce à ses huit bandes de cellules ciliées. Ce type de mouvement est presque imperceptible par ses proies, qui ne se doutent pas de son approche. La plupart des espèces de zooplancton captent en effet la présence des prédateurs en détectant des changements brusques dans le mouvement de leur milieu environnant[1]. Puisque le seul mouvement du cténophore est celui des cellules ciliées et que celles-ci ne causent pas de changements drastiques dans les courants, il est en fait invisible aux autres espèces planctoniques. Ce genre de prédation fait aussi de Memiopsis leidyi un prédateur généraliste, car il ingère tout ce que le mouvement créé par ses rangées de cils est capable de pousser vers sa bouche, que ce soit du plancton de l’ordre de quelques microns ou des œufs de poissons de quelques millimètres de diamètre.

Succès en tant que compétiteur[modifier | modifier le code]

Pour qu'une espèce exotique devienne envahissante, elle doit être capable de survivre au climat de toute l’année (ce qui contribuerait à expliquer le nombre d’invasion plus bas en Amérique du Nord) et elle doit avoir un avantage en tant que compétiteur sur les espèces indigènes. En mer Noire, Mnemiopsis leidyi répond à tous ces critères.

L’avantage le plus important ayant favorisé l’expansion massive de M. leidyi est probablement son absence de prédateurs et le fait qu’il soit un cténophore généraliste. Ainsi, le zooplancton pélagique lui permettait de se nourrir sans limites et il n’avait aucun contrôle de population top-down, c’est-à-dire par un prédateur[10],[1]. Il n’y avait donc aucun facteur limitant sa croissance.

En outre, Mneiopsis leidyi est doté d’une croissance et d’une reproduction extrêmement rapide, ce qui favorise encore l'explosion de population. Un individu est capable de produire environ 10 000 œufs par jour lorsqu’il est fertile. Comme il est aussi capable de compléter son cycle de vie (de l’œuf à l’adulte) en 14 jours, ses invasions sont extrêmement rapides et difficiles à prévenir. C'est aussi une espèce hermaphrodite, c’est-à-dire qu’elle possède les deux sexes à la fois, et elle est capable de s’autoféconder. Chaque individu se reproduit donc, ce qui favorise encore une fois une forte croissance de population.

En termes de conditions environnementales, M. leidyi est extrêmement tolérant. Il peut vivre dans un grand intervalle de température, entre 1,3 et 32 °C, et dans des milieux peu salin (3,4 %) à extrêmement salin (75 %)[5]. Il peut aussi survivre à des milieux hypoxiques (moins de 2 mg d’oxygène dissous par litre), ce qui le rend effectivement capable de vivre dans tous les milieux de la mer Noire. L'ensemble de ces facteurs lui donnent un avantage énorme sur ses compétiteurs indigènes, provoquant sa domination dans la zone pélagique.

Solutions au problème[modifier | modifier le code]

Un cténophore Beroe ovata (en) photographié en mer Noire.

Puisque l’invasion de Mnemiopsis leidyi a eu un impact extrêmement important dans l’économie et l’écologie de la mer Noire, certaines mesures ont été prises afin de tenter de rétablir l’écosystème. Une de ses solutions a été d’introduire un de ses prédateurs naturels, le cténophore Beroe ovata. Celui-ci se nourrit en effet principalement d’autres cténophores, ce qui en fait un bon candidat comme outil de lutte biologique. Lorsque les populations de M. leidyi commencent à augmenter rapidement au début de l’été, celles de B. ovata font peu après de même. Lorsque les stocks de M. leidyi diminuent, Beroe ovata disparaît jusqu’à l’été suivant. Un deuxième pic d’abondance de M. leidyi survient vers les mois de septembre ou octobre, mais celui-ci est beaucoup moins important. L’introduction de B. ovata à donc quelque peu rétabli l’écosystème de la mer Noire dans son état d’origine. Mnemiopsis leidyi est maintenant limité aux zones les plus chaudes de la mer Noire et cela seulement à certaines périodes de l’année[5]. L’année suivant l’introduction de B. ovata (1999), la biomasse de zooplancton et la densité d’œufs de poissons ont beaucoup augmenté, et la richesse en espèces de la mer Noire a quadruplé par rapport à celle de 1989, année où M. leidyi était le plus abondant.

Une autre des solutions proposée est de protéger les stocks des pêcheries en créant des aires d’aquaculture. Ces aires seraient fermées et donc à l’abri du cténophore. Les œufs et les larves de poissons seraient alors exempts d’une pression de prédation et cela contribuerait à rétablir leurs populations dans la mer Noire.

Références taxinomiques[modifier | modifier le code]

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. a b c d et e Sean P. Colin, John H. Costello, Lars J. Hansson and John O. Dabiri ; Stealth predation and the predatory success of the invasive ctenophore Mnemiopsis leidyi PNAS 2010 107 (40) 17223-17227; mis en ligne avant impression, le 20 septembre 2010, doi:10.1073/pnas.1003170107 (résumé)
  2. (GISD, 2008)
  3. Otero, M., Cebrian, E., Francour, P., Galil, B., Savini, D., « Surveillance des espèces envahissantes marines dans les aires marines protégées (AMP) méditerranéennes », sur IUCN.org, IUCN, .
  4. (en) Gucu, A., 2002, Can overfishing be responsible for the successful establishment of Mnemiopsis leidyi in the Black Sea?, Estuarine, Coastal and Shelf Science, 54: 439-451
  5. a b c et d (en) Ivanov, V., Kamakin, A., Ushivtzev, V., Shiganova, T., Zhukova, O., Aladin, N., Wilson, S., Harbison, G., Dumont, H., 2000, Invasion of the Caspian Sea by the comb jellyfish Mnemiopsis leidyi (Ctenophora), Biological invasions, 2: 255-258
  6. a et b (en) Shiganova, T., 1998, Invasion of the Black Sea by the Ctenophore Mnemiopsis leidyi and recent changes in pelagic community structure, Fisheries Oceanography, 7: 305-310
  7. « Shipping problems: Alien invaders »
  8. (en) Hamer, H., Malzhan, A., Boersma, M., 2011, The invasive ctenophore Mnemiopsis leidyi: a threat to fish recruitment in the North Sea, Journal of Plankton Research, 33: 137-144
  9. Marielle Court, « Les méfaits insoupçonnés des méduses », sur lefigaro.fr, .
  10. (en) Finenko, G., Kideys, A., Anninsky, B., Shiganova, T., 2006, Invasive ctenophore Mnemiopsis leidyi in the Capsian Sea: Feeding, respiration, reproduction and predatory impact on the zooplankton community, Marine Ecology Progress Series, 314: 171-185

Voir aussi[modifier | modifier le code]

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